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Date : 20200205

Dossier : IMM-207-19

Référence : 2020 CF 207

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 février 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

CHARLES RASASOORI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario) le 5 février 2020. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)

[1]  Le demandeur, Charles Rasaoori, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 13 janvier 2019 par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a refusé de reporter son renvoi du Canada.

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. En mars 2014, il est arrivé au Canada et a demandé l’asile au motif qu’il craignait les autorités sri lankaises. Selon lui, elles le soupçonnaient à tort d’être un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET].

[3]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur en août 2014, concluant que sa crainte des autorités sri lankaises n’était pas crédible et qu’il n’était pas exposé à un risque en tant que jeune homme tamoul et demandeur d’asile débouté. Il a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], mais n’a pas mis son appel en état. La SAR a donc rejeté l’appel le 21 octobre 2014.

[4]  Le demandeur a par la suite présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR], qui a été rejetée en février 2016. L’agent d’ERAR a jugé que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir que le demandeur était exposé à un risque en tant que jeune homme tamoul du nord du Sri Lanka et demandeur d’asile débouté. Le demandeur a tenté de contester cette décision par voie de contrôle judiciaire, mais la Cour a refusé de lui accorder l’autorisation en juillet 2016.

[5]  Le demandeur a ensuite déposé une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. La demande a été rejetée en juin 2017.

[6]  Le demandeur a déposé une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en septembre 2018. Il a épousé une citoyenne canadienne en novembre 2018, et le couple a présenté une demande de parrainage conjugal peu après.

[7]  En décembre 2018, le demandeur a reçu signification d’un ordre de se présenter pour son renvoi du Canada le 19 janvier 2019. Le 31 décembre 2018, il a déposé une demande de report en attendant l’issue de ses deux (2) demandes. Subsidiairement, il a demandé un report de deux (2) mois pour lui donner le temps de faire enquête sur les services de représentation qu’il a reçus  de son ancien conseil en 2014 devant la SPR et la SAR.

[8]  Le 13 janvier 2019, l’agent a rejeté la demande de report du demandeur. Faisant observer que le processus de report a pour but de régler des empêchements pratiques temporaires et qu’il ne se veut pas un sursis à long terme, l’agent a conclu que le conseil du demandeur n’avait pas établi qu’un report du renvoi était justifié.

[9]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Le 17 janvier 2019, la Cour lui a accordé un sursis à l’exécution de la mesure du renvoi en attendant l’issue de l’instance.

[10]  Même si le demandeur soulève plusieurs questions dans son mémoire, la question déterminante est celle de savoir si le fait que le document certifié du tribunal [le DCT] est incomplet constitue un manquement à l’équité procédurale.

[11]  Lorsque des questions d’équité procédurale sont soulevées, la Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 79). L’approche à adopter lors de l’examen des questions d’équité procédurale ne semble pas avoir été modifiée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[12]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que sa mise à jour du 8 janvier 2019 ne se trouve pas dans le DCT. Il a présenté des éléments de preuve démontrant que les documents ont été envoyés avec succès à l’ASFC par télécopieur avant que l’agent ne rende sa décision.

[13]  Dans l’affaire Togtokh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 581 [Togtokh], le juge Keith M. Boswell a résumé ainsi la jurisprudence relative à l’équité procédurale découlant d’un DCT lacunaire :

[16]  Comme il est mentionné ci-dessus, la question déterminante en l’espèce est de trancher si les lacunes dans le DCT constituent un manquement à l’équité procédurale. La jurisprudence de la Cour a traité d’au moins trois différents types de scénarios soulevés par un DCT lacunaire, dont les suivants : 

1.  Un document ne se trouve pas dans le DCT, et l’on ignore si un demandeur l’a soumis. Dans de tels cas, la Cour suppose que les documents contenus dans le DCT sont les documents qui ont été présentés à l’agent d’immigration, à moins d’éléments de preuve démontrant le contraire […]

2.  On sait qu’un document a été correctement soumis par le demandeur, mais il ne se trouve pas [dans] le DCT, et il n’est pas clair si le document, pour des raisons échappant au contrôle du demandeur, a été présenté au décideur. Dans ce cas, la jurisprudence veut que la décision soit annulée […]

3.  On sait qu’un document a été présenté au tribunal, mais il n’est pas présenté à la Cour et il ne peut être examiné. Dans un tel cas, à moins que le document ne soit autrement porté à la connaissance de la Cour, s’il se trouve, par exemple, dans le dossier d’un demandeur […], la Cour sera dans l’impossibilité de trancher la légalité de la décision et cette dernière sera annulée, si le document était essentiel à la conclusion faisant l’objet d’un contrôle judiciaire […]

 (Togtokh, au par. 16; voir aussi Prasla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 56, aux par. 16-17; Akram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1105 [Akram], aux par. 21‑23; Vulevic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 872, au par. 6)

[14]  À mon avis, les circonstances de l’espèce relèvent de la deuxième catégorie, puisque le demandeur a inclus les documents manquants dans son dossier aux pages 333 à 345. Comme je l’ai mentionné précédemment, le demandeur a démontré que les documents avaient été envoyés à l’ASFC par télécopieur. Ils ne figurent toutefois pas dans le DCT. Leur absence donne fortement à penser que le DCT était incomplet et que l’agent ne disposait pas de tous les documents pertinents pour parvenir à sa décision. L’agent ne mentionne pas la mise à jour du 8 janvier 2019 ni son contenu.

[15]  Le défendeur soutient que l’agent serait probablement parvenu à la même décision.

[16]  Bien que cela puisse être le cas, il n’appartient pas à la Cour de formuler des hypothèses sur la façon dont cette information pourrait voir influer sur la décision de l’agent. Après examen des documents manquants, je suis convaincue que la mise à jour manquante aurait pu modifier la décision de l’agent.

[17]  Comme la Cour l’a mentionné dans l’affaire Akram, l’équité procédurale donne le droit d’être entendu. Lorsqu’une décision rendue repose sur la croyance erronée qu’une demande était complète, le droit d’être entendu a été compromis (Akram, au par. 22).

[18]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[19]  Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


[20]   

JUGEMENT dans le dossier IMM-207-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel » 

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de février 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-207-19

INTITULÉ :

CHARLES RASASOORI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Sarah L. Boyd

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn-Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sarah L. Boyd

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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