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Date : 20200128


Dossier : IMM-2568-19

Référence : 2020 CF 148

Montréal (Québec), le 28 janvier 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

GUY-ROBERT LESTIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Prononcés à l’audience à Montréal (Québec) le 27 janvier 2020

(La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence

ont été incorporés)

[1]  Le demandeur, Guy-Robert Lestin, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 11 avril 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans sa décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Le demandeur est citoyen d’Haïti. Dans sa demande d’asile, le demandeur allègue avoir participé à une rencontre du groupe politique « Plateforme Petit Dessalines » le 17 décembre 2015, où il était question d’organiser une manifestation suite à la mort d’un jeune militant de cette plateforme. Après cette rencontre, il est suivi par un groupe de partisans du Parti haïtien Tèt Kale [PHTK] jusqu’à sa maison où il reçoit des menaces. Le demandeur réussit à s’enfuir et trouve refuge chez de la famille à environ trente (30) kilomètres de la maison. Craignant toujours pour sa sécurité, il quitte Haïti le 25 février 2016 pour se rendre aux États-Unis, pays pour lequel il détient un visa. Craignant les nouvelles politiques d’immigration dans ce pays, le demandeur entre au Canada le 14 août 2017 et présente une demande d’asile.

[3]  Le 24 avril 2018, la SPR rejette la demande d’asile au motif que le demandeur a livré un témoignage non crédible sur les éléments déterminants de sa demande d’asile.

[4]  Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Celle-ci estime que le demandeur avait des explications raisonnables pour certaines contradictions relevées par la SPR alors que sur d’autres, sa crédibilité en était affaiblie. Malgré les erreurs commises par la SPR dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur, la SAR estime que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il existait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit exposé, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels ou inusités en cas de retour en Haïti.

[5]  Le demandeur reproche à la SAR d’avoir appliqué le mauvais critère juridique dans son analyse de la persécution, soit la prépondérance des probabilités, plutôt que celui d’une possibilité sérieuse de persécution. Il soutient également que la décision de la SAR n’est pas raisonnable au motif que la SAR ne pouvait, d’une part, le juger crédible et d’autre part, conclure qu’il y avait insuffisance de preuve objective pour étayer sa crainte subjective.

[6]  Puisque la demande d’autorisation a été accordée avant les arrêts de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, la Cour a émis une directive le 13 janvier 2020 invitant les parties à présenter des observations additionnelles sur la norme de contrôle applicable en l’instance.

[7]  Dans Vavilov, la Cour suprême établit qu’il existe une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable à l’égard des décisions des tribunaux administratifs. Cette présomption peut être réfutée dans deux (2) types de situations. Aucune de ces situations ne s’applique en l’espèce (Vavilov aux para 10, 16 et 17).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[9]  Après examen du dossier, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[10]  D’abord, les motifs de la SAR démontrent qu’elle a bien saisi la distinction entre les critères juridiques applicables aux articles 96 et 97 de la LIPR. Elle y fait référence à deux (2) reprises dans sa décision. D’abord, elle indique au paragraphe 31 de ses motifs que le demandeur n’établit pas qu’il « y a une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ni qu’il serait exposé, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels et inusités en cas de retour en Haïti ». La SAR y fait encore référence au paragraphe 32 de ses motifs. La référence à « la prépondérance des probabilités » est clairement en lien avec l’analyse du risque en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[11]  La Cour estime également mal fondé l’argument du demandeur quant au caractère raisonnable de la décision. Il incombait au demandeur de démontrer le fondement objectif de sa crainte subjective et il ne l’a pas fait. Contrairement à ce que prétend le demandeur, la SAR n’a pas jugé que le demandeur était crédible. Bien qu’elle estime que la SPR a commis des erreurs dans son évaluation de la crédibilité sur certains points, elle juge également que la crédibilité du demandeur est « affaiblie » relativement à l’allégation de menaces après le 17 décembre 2015 et quant à son passage à Jérémie. La SAR rejette la demande d’asile au motif que le demandeur n’a pas développé ni expliqué pourquoi il serait à risque s’il retourne en Haïti. De plus, elle estime peu crédible que les partisans du parti PHTK s’en prendraient au demandeur trois (3) ans après les faits alors qu’il a indiqué avoir cessé d’être un sympathisant du parti « Plateforme Petit Dessalines » en décembre 2015. Elle souligne que le demandeur n’a pas démontré qu’il est recherché par ces personnes depuis son départ d’Haïti ou que les membres de sa famille en Haïti ont reçu des menaces. Elle ajoute que la preuve documentaire ne fait pas état non plus de menaces par les sympathisants du parti PHTK aux sympathisants du parti « Plateforme Petit Dessalines ».

[12]  Le demandeur a fait valoir lors de l’audience que la décision de la SAR ne tient pas compte de l’Onglet 7.6 du Cartable national de documentation qui fait état de la capacité des agresseurs en Haïti de suivre la trace de leurs victimes. À cet égard, le demandeur a remis à la Cour un extrait de deux (2) pages pour appuyer ses prétentions. Or, cet extrait n’était pas devant la SAR et le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer que cette preuve avait été soumise à la SAR. Il a de même concédé que cet argument n’avait pas été soulevé devant la SAR. La Cour ne peut donc la considérer. Néanmoins, même si cette preuve avait été devant la SAR, la Cour estime que celle-ci n’est d’aucun secours pour le demandeur. La SAR a jugé que le demandeur n’avait pas établi la volonté de ses agresseurs de le retrouver.

[13]   Après examen de l’ensemble des motifs de la SAR, la Cour est d’avis que le demandeur n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la décision. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur.

[14]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-2568-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2568-19

INTITULÉ :

GUY-ROBERT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 27 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Cliford Dominique

Pour LE DEMANDEUR

Suzanne Trudel

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliford Dominique

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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