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Date : 20200212


Dossier : T‑1039‑19

Référence : 2020 CF 237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 février 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

HAYAN YASSIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel [la Section d’appel] de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la CLCC] qui confirme la décision de la CLCC de révoquer la libération d’office du demandeur, conformément au sous‑alinéa 135(5)a)(ii) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC].

II.  Les faits

[2]  Le demandeur, âgé de 34 ans, a été condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans pour des agressions sexuelles violentes commises à l’endroit de deux étudiantes d’âge universitaire, qui lui étaient étrangères [les infractions à l’origine de la peine]. Il a été déclaré coupable d’enlèvement et d’agression sexuelle relativement à une victime, ainsi que de séquestration et d’agression sexuelle à l’endroit de sa deuxième victime. Il a approché les deux victimes près des universités situées à Waterloo, en Ontario. Les détails de ces crimes sont résumés dans la décision de la CLCC de révoquer la libération d’office du demandeur [la décision de la CLCC] :

[traduction]
En octobre 2010, vous avez offert de reconduire dans votre voiture deux personnes intoxiquées, mais, après que vous avez fait des commentaires sexuels inappropriés, elles ont demandé à sortir de la voiture. Vous vous êtes arrêté, avez poussé l’homme pour qu’il sorte de la voiture et avez conduit jusqu’à une zone isolée, où vous avez fait une pénétration vaginale et anale forcée à la femme. Vous l’avez laissée là après qu’elle a feint d’être inconsciente. En novembre 2010, vous avez agrippé une adolescente qui marchait dans son quartier et l’avez forcée à monter dans un camion. Vous l’avez menacée avec un couteau ainsi qu’une aiguille et avez fait une pénétration vaginale et anale forcée. Puis, vous l’avez amenée dans un café et lui avez dit de se nettoyer. Elle vous a invité chez elle, mais elle vous a plutôt emmené chez un ami et vous a fermé la porte au nez. Ces deux agressions ont eu lieu près des universités locales, et les deux femmes étaient des étudiantes. Vous n’avez pas obtenu de libération sous caution. Vous avez d’abord nié les infractions, disant que les relations étaient consensuelles, mais avez plus tard admis avoir fait des suppositions culturelles inexactes au sujet de la première femme et avoir agressé la deuxième, parce que vous vous en étiez tiré avec la première agression.

[3]  Le juge qui a prononcé la peine a dit qu’il s’agissait de deux crimes [traduction« prolongés, délibérés et horribles ».

[4]  Le 10 mai 2018, le demandeur a été libéré d’office sous réserve de conditions spéciales, soit qu’il réside dans un établissement résidentiel communautaire [ERC], qu’il s’abstienne de consommer des drogues et de l’alcool, qu’il évite les débits de boissons, qu’il évite de communiquer avec les victimes ou les membres de leur famille, qu’il respecte un couvre-feu et qu’il ne puisse pas sortir pendant la nuit. La Commission a aussi imposé les conditions spéciales supplémentaires suivantes :

a)  Restriction concernant la pornographie : [traduction] « Ne pas acheter, se procurer ou posséder de pornographie ou de matériel sexuellement explicite ou y accéder sous toute forme ou tout type de média »;

b)  Respecter le plan de traitement : [traduction] « Respecter le plan/programme de traitement qui sera élaboré par votre surveillant de liberté conditionnelle pour les domaines de la violence sexuelle, de l’attitude et de la toxicomanie »;

c)  Déclarer les relations : [traduction] « Informer immédiatement votre surveillant de liberté conditionnelle de toute tentative visant à établir une relation intime (sexuelle ou non) avec des femmes »;

d)  Déclarer les relations : [traduction] « Demander la permission à votre surveillant de liberté conditionnelle avant d’utiliser des services, des sites Web ou des applications d’appareil mobile pour des rencontres ».

[5]  Le demandeur a aussi été soumis aux conditions standards suivantes :

a)  [traduction] « Dès votre mise en liberté, vous rendre directement à votre résidence, dont l’adresse est indiquée sur votre certificat de mise en liberté, vous présenter immédiatement à votre surveillant de liberté conditionnelle et vous présenter ensuite à lui selon ses directives »;

b)  [traduction] « Respecter la loi et ne pas troubler l’ordre public »;

c)  [traduction] « Informer immédiatement votre surveillant de liberté conditionnelle en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police ».

[6]  En raison de plusieurs faits troublants survenus entre juin et septembre 2018 (décrits en détail dans la décision de la CLCC, reproduite plus bas), la libération d’office du demandeur a été suspendue. Par la suite, le Service correctionnel du Canada [le SCC] a recommandé la révocation de la libération du demandeur.

[7]  Le 30 novembre 2018, la CLCC a tenu une audience pour décider si la libération du demandeur devait être révoquée. La CLCC disposait d’un certain nombre de documents, y compris l’Évaluation en vue d’une décision datée du 11 octobre 2018, préparée par l’agent de libération conditionnelle du demandeur, qui a déclaré que le demandeur avait été aperçu de plus en plus souvent autour des universités locales de Waterloo‑Kitchener et qu’il avait aussi été vu portant des pantalons affichant un logo d’université :

[traduction]
Le 19 septembre 2018, les hommes soussignés sont allés voir le délinquant YASSIN à son lieu de travail à Waterloo, pour une entrevue de surveillance. Le délinquant portait un t-shirt blanc et un pantalon de survêtement affichant un logo de l’Université de Waterloo. L’auteur a jugé cela préoccupant, puisque les vêtements de l’université ne peuvent être achetés que dans les librairies du campus, que les victimes de YASSIN étaient deux étudiantes universitaires et que les infractions s’étaient produites ou avaient commencé à proximité de Wilfrid Laurier et de l’Université de Waterloo. YASSIN a été interrogé au sujet de ces vêtements à une date ultérieure, durant l’entrevue postsuspension (voir plus bas).

[…]

Il a aussi été demandé au délinquant pourquoi il portait un pantalon de survêtement de l’Université de Waterloo durant la dernière entrevue de surveillance et s’il tentait de se faire passer pour un étudiant. Il a nié que c’était son intention et a dit qu’il avait acheté le pantalon dans un magasin de Kitchener et qu’il n’avait même pas vraiment regardé le logo qui se trouvait dessus.

[…]

Après l’entrevue postsuspension du délinquant, l’auteur a examiné en détail ses registres d’appels à l’ERC depuis sa libération en mai jusqu’à sa suspension en septembre. Il est ressorti une tendance claire à partir de septembre 2018, lorsque le délinquant a commencé à signer régulièrement le registre de sortie pour se rendre à des lieux situés sur l’avenue University, à Waterloo, près des campus de Wilfrid Laurier et de l’Université de Waterloo. Pour les mois précédents (de mai à août), le délinquant n’avait signé qu’à quelques occasions le registre de sortie pour se rendre à des lieux situés dans ce secteur. À 11 occasions distinctes, le délinquant YASSIN a signé le registre de sortie pour se rendre à ces endroits, pour des durées variables, entre le 1er et le 17 septembre. Dans un cas particulier, le 8 septembre 2018, YASSIN se trouvait au Goodlife Fitness, situé au 589, route Fairway Sud, à Kitchener. À 10 h 35, il a appelé pour dire qu’il quittait la route Fairway Sud, à Kitchener, et qu’il se dirigeait vers le Williams Fresh Café, situé sur l’avenue University, à Waterloo. YASSIN est resté à cet endroit pendant environ 33 minutes avant de retourner à New Directions. Un Williams Fresh Café est situé au 340, route Fairway Sud, à Kitchener, à quelques pas seulement du Goodlife Fitness; pourtant, le délinquant a choisi de traverser Kitchener et d’entrer dans Waterloo pour aller dans le même commerce. Ce changement dans les habitudes du délinquant, attesté par la signature du registre de sortie de l’ERC, semble coïncider avec son obtention d’un permis de conduire de catégorie G1, le 24 août, et avec le retour des étudiants à l’école en septembre. Ces renseignements soulèvent des préoccupations, puisque les registres de sortie signés par YASSIN montrent qu’il se concentrait clairement sur des lieux très fréquentés par des étudiants universitaires durant le mois de septembre. YASSIN ne fréquentait pas ces lieux avant, durant les mois d’été. Selon les renseignements au dossier, les infractions à l’origine de la peine se sont produites exactement dans le même secteur huit ans auparavant, et ses deux victimes étaient des étudiantes universitaires. Parmi les infractions du cycle de délinquance de YASSIN, on compte la séquestration et l’agression sexuelle de femmes d’âge universitaire, et on ne saurait faire abstraction du fait que cela pourrait dénoter un retour à ce cycle de délinquance. Cela, ainsi que la décision du délinquant de porter un pantalon de survêtement de l’Université de Waterloo, demeure préoccupant pour le SCC.

[…]

Le délinquant a été interrogé au sujet des lieux où il s’était rendu, selon les registres de sortie, tout particulièrement au sujet du fait que, alors qu’il avait signé occasionnellement pour se rendre à des endroits situés près des universités entre mai et août, il y avait une augmentation notable de ces sorties durant le mois de septembre. YASSIN a répondu qu’il connaissait bien les lieux en question, et il a précisément mentionné Shawarama King, Booster Juice et Williams Café. Il a dit que, toutes les fois qu’il se trouvait dans ces lieux, il était avec son frère, son ami Kadom ou un de ses parents. L’auteur a parlé d’un exemple particulier, le 8 septembre, où le délinquant a signé le registre de sortie du Goodlife à Kitchener, puis est allé au Williams Fresh Café, situé sur l’avenue University, à Waterloo, alors qu’un autre Williams se trouvait juste à quelques pas de son gym, à Kitchener. YASSIN a affirmé que Williams était son café préféré. L’auteur a demandé pourquoi il avait signé plus souvent le registre de sortie durant le mois de septembre, alors que les étudiants universitaires retournaient à l’école, et YASSIN a expliqué que c’était parce qu’il ne travaillait pas beaucoup en septembre. Toutefois, selon les registres de sortie de l’ERC, toutes ces entrées sauf une (le 10 septembre 2018) attestent que ses sorties dans ces endroits en septembre se sont produites après les heures normales de travail durant la semaine ou les fins de semaine.

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Par la suite, la CLCC a révoqué la libération d’office du demandeur, concluant que celui‑ci présenterait un risque inacceptable pour la société s’il était libéré d’office. Voici la décision de la CLCC :

[traduction]
Après avoir pris en considération les renseignements suivants, la Commission a décidé de révoquer votre libération d’office.

À 33 ans, vous purgez une peine d’emprisonnement de dix ans pour agression sexuelle armée, séquestration, agression sexuelle causant des lésions corporelles et enlèvement — séquestration illégale. Le juge a également imposé une interdiction à perpétuité de posséder des armes et l’inscription au registre des délinquants sexuels pendant 20 ans.

En octobre 2010, vous avez offert de reconduire dans votre voiture deux personnes intoxiquées, mais, après que vous avez fait des commentaires sexuels inappropriés, elles ont demandé à sortir de la voiture. Vous vous êtes arrêté, avez poussé l’homme pour qu’il sorte de la voiture et avez conduit jusqu’à une zone isolée, où vous avez fait une pénétration vaginale et anale forcée à la femme. Vous l’avez laissée là après qu’elle a feint d’être inconsciente. En novembre 2010, vous avez agrippé une adolescente qui marchait dans son quartier et l’avez forcée à monter dans un camion. Vous l’avez menacée avec un couteau ainsi qu’une aiguille et avez fait une pénétration vaginale et anale forcée. Puis, vous l’avez amenée dans un café et lui avez dit de se nettoyer. Elle vous a invité chez elle, mais elle vous a plutôt emmené chez un ami et vous a fermé la porte au nez. Ces deux agressions ont eu lieu près des universités locales, et les deux femmes étaient des étudiantes. Vous n’avez pas obtenu de libération sous caution. Vous avez d’abord nié les infractions, disant que les relations étaient consensuelles, mais avez plus tard admis avoir fait des suppositions culturelles inexactes au sujet de la première femme et avoir agressé la deuxième, parce que vous vous en étiez tiré avec la première agression.

Vous êtes venu au Canada depuis l’Irak avec votre famille à la fin de l’adolescence et êtes devenu citoyen. Vous n’avez pas terminé vos études, vous avez habité avec votre famille et vous avez souffert de dépression en raison du stress lié au fait de devoir subvenir à leurs besoins.

Vous n’avez pas d’autre casier judiciaire.

Selon l’outil d’évaluation des risques « Information statistique générale sur la récidive », vous présentez un faible risque de récidive dans les trois ans suivant votre mise en liberté. Selon l’évaluation spécialisée des délinquants sexuels, datée de 2012, vous présentez un risque élevé de récidive sexuelle, et selon l’évaluation du risque psychologique de septembre 2016, vous présentiez un risque de faible à modéré de récidive générale et violente. Dans le dernier rapport, on souligne que vous participez à un programme de conduite stratégique des relations.

La Commission a refusé la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale en juin 2017; elle a mentionné que votre prise de conscience au sujet de vos facteurs de risque de récidive sexuelle était récente et que vous ne disposiez d’aucun plan de libération convenable.

Vous avez été libéré d’office le 10 mai 2018 et avez résidé dans un établissement résidentiel communautaire (ERC) à Guelph, conformément à votre condition de résidence. La Commission a également imposé des conditions spéciales, soit d’éviter de consommer des drogues et de l’alcool, d’éviter de fréquenter des débits de boisson, de ne pas communiquer avec les victimes ou leur famille, de respecter un couvre-feu, de ne pas posséder de pornographie, de déclarer vos relations et votre utilisation des sites de rencontres en ligne et de suivre un plan de traitement. La Commission n’a pas autorisé les sorties pendant la nuit.

Vous avez commencé à travailler dans l’entreprise de votre frère, où on vous a remis un laissez‑passer, mais vous deviez être en sa présence en tout temps.

En moins de deux semaines, vous avez commencé à insister pour obtenir un congé de sortie pendant la nuit et avez mentionné que vous souhaitiez porter en appel votre condition de résidence. Le Service correctionnel du Canada (le SCC) vous a dit qu’il envisageait de recommander son élimination après six mois de stabilité.

Vous avez aussi été mis sous surveillance électronique et avez commencé le Programme communautaire de maintien des acquis (le PCMA).

En juin 2018, votre agent de libération conditionnelle a demandé à voir votre téléphone, qui contenait deux photos de femmes peu vêtues et des liens vers des vidéos où on voyait des femmes peu vêtues qui s’entraînaient. Vous avez dit que vous les regardiez à des fins pédagogiques et que certaines choses appartenaient à votre frère avant qu’il vous donne son téléphone. Il y avait aussi de nombreux égoportraits, qui servaient, selon vos dires, à des fins d’entraînement. Vous avez été mis en garde par rapport au fait de posséder du matériel pouvant être considéré comme sexuellement explicite, et informé que vous devriez obtenir un nouveau téléphone ou effacer le contenu se trouvant sur celui de votre frère, car vous étiez responsable de tout le contenu.

En août 2018, un certain nombre de problèmes sont apparus. Vous avez mentionné que vous étiez inscrit à un site Web de relations intimes, et on vous a demandé de supprimer votre compte. L’ERC avait des préoccupations par rapport au fait que vous fumiez dans votre chambre, contrairement à ses règles. Vous avez conduit une motocyclette, sans casque ni permis valide, après quoi vous avez été confiné à l’ERC et, lors d’une rencontre disciplinaire, vous avez expliqué que vous n’aviez pas réfléchi. Votre libération a été maintenue, mais votre agent de libération conditionnelle vous a rappelé que les violations subséquentes entraîneraient probablement une suspension. Vous avez obtenu votre premier permis d’apprenti conducteur le 24 août.

Vous avez réussi à terminer le PCMA en septembre 2018, et selon le rapport final, vous avez maintenu votre capacité de gérer vos facteurs de risque à des niveaux modérés ou bons. L’intervenant a souligné que vous disiez vous sentir seul et prévoyiez à long terme déménager en Iraq pour trouver une épouse, là où personne ne connaissait vos antécédents. Votre agent de libération conditionnelle a fait remarquer que, dans une conversation subséquente, vous ne sembliez pas avoir exprimé d’autres sentiments d’empathie à l’égard des victimes.

Le 20 septembre 2018, le personnel de l’ERC vous a vu quitter l’établissement à pied et entrer dans un stationnement à proximité, au lieu qu’un membre de la famille vienne vous chercher comme à l’habitude. Plus tard, la police vous a arrêté, alors que vous conduisiez l’un des camions de l’entreprise de votre frère, et vous a remis une contravention, car vous ne possédiez pas de permis valide. Votre libération a été suspendue, et vous avez été arrêté.

Lors de l’entrevue postsuspension, vous avez dit que votre frère vous avait déposé chez vos parents après le travail pour que vous puissiez changer de vêtements et assister à une séance du programme, et que vous aviez conduit vous‑même pour vous rendre jusqu’à l’ERC et vous étiez stationné dans le stationnement d’une école secondaire située à proximité pour cacher le véhicule. Vous avez nié avoir conduit seul à d’autres occasions. Votre surveillant a aussi mentionné qu’il avait remarqué récemment que vous portiez des vêtements affichant le logo d’une université locale, et vous avez nié avoir tenté de vous faire passer pour un étudiant ou de les avoir achetés sur le campus.

Une communication tierce avec votre frère a révélé qu’il ne vous avait pas déposé, mais qu’il vous avait laissé prendre un des camions de l’entreprise depuis le lieu de travail.

Les agents responsables de la surveillance policière ce jour‑là ont signalé que vous aviez aussi conduit la voiture de vos parents, que vous vous étiez présenté à des lieux que vous n’aviez jamais déclarés à l’ERC et que vous aviez conduit cette voiture depuis votre lieu de travail pour vous rendre chez vos parents, contrairement aux explications précédentes que votre frère et vous aviez fournies précédemment. La police a également déclaré vous avoir arrêté pour excès de vitesse le 4 septembre et vous avoir remis une contravention le 13 septembre. Vous étiez correctement accompagné par un autre conducteur cette fois‑là, mais vous n’aviez pas déclaré la contravention au Service correctionnel du Canada (le SCC).

De plus, un examen de vos signatures de registre de sortie de l’ERC a révélé une nouvelle habitude, apparue en septembre, selon laquelle vous vous rendiez dans des lieux situés à proximité des deux campus des universités locales, près du lieu de vos agressions.

Durant un appel téléphonique pour une analyse plus approfondie, vous avez expliqué que vous vous étiez rendu dans des lieux situés près de l’université, parce que c’étaient les endroits où vous rejoigniez toujours vos amis. Vous avez nié entretenir quelque relation que ce soit. Vous avez aussi d’abord nié avoir conduit la voiture de vos parents, mais avez divulgué ce fait à la fin de l’appel.

L’intervenant du PCMA a recommandé que vous répétiez le programme de maintien des acquis en raison des circonstances liées à votre suspension.

Vous n’avez pas fourni de plan de libération précis, mais vous aviez déjà mentionné que vous aimeriez résider avec vos parents et continuer de travailler pour votre frère ou ouvrir votre propre entreprise de peinture de bâtiments résidentiels. Vous avez perdu le soutien de l’ERC. Le SCC signale aussi que votre frère ne semble pas lui dire la vérité.

Le SCC recommande que votre libération soit révoquée en raison de votre attitude selon laquelle tout vous est dû, de votre manque de responsabilisation et de transparence et du fait que vous n’ayez pas respecté le Code de la route ni les règles de l’ERC.

La Commission a eu avec vous aujourd’hui une longue conversation durant laquelle elle a examiné votre incapacité ou réticence à répondre aux attentes et à respecter les règles. Nous avons discuté d’une série d’incidents ou de problèmes, et, bien qu’aucun incident, en soi, n’entraîne nécessairement une révocation, la combinaison d’actes et de décisions dans un éventail de circonstances a amené la Commission à conclure que votre risque était devenu inacceptable.

La Commission a évalué votre risque dans le contexte de vos infractions sexuelles qui étaient le plus violentes et qui ont causé des préjudices durables. En commettant ces actes criminels, vous avez démontré un mépris des autres, l’incapacité de maîtriser des comportements impulsifs, l’incapacité de réfléchir aux conséquences et un sentiment injustifié selon lequel tout vous était dû. Votre comportement négatif et difficile pendant la libération d’office, qui n’est rien par rapport aux infractions à l’origine de la peine, est néanmoins très semblable, en ce sens que vous continuez d’agir de manière impulsive, que vous êtes incapable de réfléchir aux conséquences, que vous faites fi de la sécurité des autres et que vous avez encore une fois manifesté une attitude selon laquelle tout vous était dû. Vous avez assumé la responsabilité de vos actes et de vos décisions, mais vous avez eu tendance à minimiser l’importance du comportement adopté et avez eu du mal à l’associer aux facteurs de risque dans votre cas.

Malgré le fait que vous ayez réussi à terminer le programme et que vous avez eu de nombreuses conversations avec votre agent de libération conditionnelle dans la collectivité, vous continuez d’être aux prises avec des problèmes de prise de conscience et de compréhension.

Lorsque la Commission vous a posé des questions, vous sembliez parfois essayer de deviner ce que vous deviez répondre, et vous concentrer davantage sur ce que vous croyiez que la Commission voulait entendre plutôt que sur le fait de fournir des réponses franches et directes. Même lorsqu’il a été question de problèmes mineurs, vous aviez tendance à minimiser votre responsabilité. Vous avez dit que des choses comme des photos de femmes provocantes sur votre téléphone étaient de nature accidentelle ou que vos efforts et votre intérêt pour vous inscrire à un site Web de « relations intimes » étaient mal avisés et que vous recherchiez en fait une relation et ne compreniez pas l’importance de ce point de vue particulier.

Vos problèmes concernant la conduite sans permis et sans le frère qui était censé vous accompagner ont été aggravés par les réponses que vous avez fournies à votre ALCC et au personnel de l’ERC, lesquelles manquaient de franchise. Vous avez caché votre comportement, puis l’avez minimisé, et ce faisant, vous avez démontré que vous étiez peu disposé à respecter la loi ou les conditions spéciales de votre libération d’office. Votre aveu, aujourd’hui, selon lequel vous ne croyiez pas vous faire prendre, était peut‑être le commentaire le plus honnête et le plus franc de toute votre audience.

Comme la Commission l’a fait remarquer tout au long de l’audience, la capacité de vous montrer franc et transparent avec les personnes responsables de votre surveillance était essentielle à la réussite de votre libération d’office. La nature violente de vos infractions justifie la surveillance la plus étroite possible dans votre cas. Votre volonté et votre capacité de tromper et de manipuler soulèvent une grande préoccupation, et, selon la Commission, elles augmentent votre risque au point de le rendre inacceptable. Par conséquent, votre libération d’office est révoquée.

La Commission est d’avis que vous présenterez un risque inacceptable pour la société si vous êtes libéré d’office et que votre libération ne contribuera pas à la protection de la société en facilitant votre réinsertion sociale dans la société en tant que citoyen respectueux des lois.

[9]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la CLCC devant la Section d’appel.

[10]  Le 27 mai 2019, la Section d’appel a confirmé la décision de la CLCC de révoquer la libération d’office du demandeur [la décision d’appel]. La Section d’appel n’a trouvé aucun motif pour intervenir et a conclu ce qui suit :

[traduction]
Conclusion :

Après avoir examiné les documents relatifs à la présente affaire, la Section d’appel conclut que la Commission a agi de manière raisonnable en rendant sa décision de révoquer votre libération d’office. Sa décision reposait sur des renseignements qui sont considérés comme pertinents et convaincants, vous avez eu une possibilité suffisante de fournir des précisions sur les questions qui vous ont été posées par la Commission à l’audience, et la Commission ne s’est pas fondée sur des renseignements erronés ou incomplets. En outre, la Commission a agi entièrement dans les limites de sa compétence définie par la loi en rendant cette décision.

Pour ces motifs, la Section d’appel confirme la décision du 30 novembre 2018 de la Commission de révoquer votre libération d’office.

III.  Les questions en litige

[11]  La seule question que le demandeur soumet pour décision est de savoir si la décision de la CLCC et la décision d’appel sont raisonnables.

IV.  La norme de contrôle, le cadre législatif et la jurisprudence

A.  La norme de contrôle

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire a été instruite peu après que la Cour suprême du Canada a rendu les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, le juge en chef Wagner ayant exposé les motifs des juges majoritaires [Vavilov], et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe ayant exposé les motifs des juges majoritaires [Société canadienne des postes]. Les parties ont présenté leurs premières observations en se fondant sur le cadre défini dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir].

[13]  J’ai invité les parties à présenter des observations au sujet de l’application de l’analyse relative à la norme de contrôle exposée dans Vavilov. La Cour appliquera le cadre relatif à la norme de contrôle qui est énoncé dans Vavilov et Société canadienne des postes.

[14]  En ce qui concerne la norme de contrôle, dans l’arrêt Société canadienne des postes, le juge Rowe a dit que l’arrêt Vavilov établissait un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Le point de départ est une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans certaines situations, dont aucune ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, la décision de la CLCC et la décision d’appel sont assujetties au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[15]  En l’espèce, puisque la Section d’appel a confirmé la décision de la CLCC, le contrôle judiciaire oblige la Cour à examiner le caractère raisonnable de la décision sous‑jacente de la CLCC. Ces motifs appellent une grande retenue. Au paragraphe 18 de la décision Maldonado c Canada (Procureur général), 2019 CF 1393 [Maldonaldo], la juge McVeigh a déclaré ce qui suit :

[18]  Comme la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission de maintenir la détention, je suis saisie du contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel, mais je dois également examiner le caractère raisonnable de la décision sous-jacente de la Commission (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, au par. 10). Les conclusions de la Commission et de la Section d’appel concernant la mise en liberté « appellent une grande retenue » (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au par. 20 [Fernandez]).

[16]  Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable est à la fois rigoureux et adapté au contexte (Vavilov, au par. 67). Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser au raisonnement suivi par le décideur et au résultat de la décision (Vavilov, au par. 83). La cour de révision s’intéresse avant tout aux motifs de la décision (Vavilov, au par. 84). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au par. 85). La méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige aussi de la cour qu’elle examine la question de savoir si la décision dans son ensemble est raisonnable à la lumière des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte (Vavilov, au par. 90). Ces éléments d’une décision raisonnable sont résumés par le juge Rowe dans l’arrêt Société canadienne des postes :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32]  La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). […]

[34]  L’analyse qui suit porte d’abord sur la cohérence intrinsèque des motifs, et ensuite sur la justification de la décision au regard des faits et du droit pertinents. Cependant, comme le souligne l’arrêt Vavilov, la cour de justice n’est pas tenue de structurer son analyse sous ces deux angles ou dans cet ordre (par. 101). Comme l’indique l’arrêt Vavilov, au par. 106, le cadre d’analyse ne se veut pas une « liste de vérification [invariable] pour l’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable ». […]

[17]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les motifs ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection, et, comme il a été déclaré avant l’affaire Vavilov, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique (Vavilov, au par. 102). Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Selon l’arrêt Vavilov :

[91]  Une cour de révision doit se rappeler que les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance.

[…]

[100]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[…]

[102]  Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par. 54, citant Newfoundland Nurses, par. 14. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par. 55; Southam, par. 56. […]

 

(1)  Le cadre législatif

[18]  Les principes touchant la mise en liberté sous condition sont énoncés dans les articles 100, 100.1 et 101 de la LSCMLC. La protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le CLCC dans tous les cas, conformément à l’article 100.1 :

Objet

Purpose of conditional release

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

100 The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

Critère prépondérant

Paramount consideration

100.1 Dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission et les commissions provinciales.

100.1 The protection of society is the paramount consideration for the Board and the provincial parole boards in the determination of all cases.

Principes

 

Principles guiding parole boards

101 La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

101The principles that guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are as follows:

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

(a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

b) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les victimes, les délinquants et les autres éléments du système de justice pénale et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux victimes et aux délinquants qu’au grand public;

(b) parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with victims, offenders and other components of the criminal justice system and through communication about their policies and programs to victims, offenders and the general public;

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, sont les moins privatives de liberté;

(c) parole boards make the least restrictive determinations that are consistent with the protection of society;

d) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en œuvre de ces directives;

(d) parole boards adopt and are guided by appropriate policies and their members are provided with the training necessary to implement those policies; and

e) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

(e) offenders are provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

[19]  Aux termes de l’alinéa 107(1)b) de la LSCMLC, la CLCC a « toute compétence et latitude » pour mettre fin à la libération d’office d’un délinquant comme le demandeur, ou la révoquer :

Compétence

Jurisdiction of Board

107 (1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, de la Loi sur la défense nationale, de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour :

107 (1) Subject to this Act, the Prisons and Reformatories Act, the International Transfer of Offenders Act, the National Defence Act, the Crimes Against Humanity and War Crimes Act and the Criminal Code, the Board has exclusive jurisdiction and absolute discretion

[…]

b) mettre fin à la libération conditionnelle ou d’office, ou la révoquer que le délinquant soit ou non sous garde en exécution d’un mandat d’arrêt délivré à la suite de la suspension de sa libération conditionnelle ou d’office;

(b) to terminate or to revoke the parole or statutory release of an offender, whether or not the offender is in custody under a warrant of apprehension issued as a result of the suspension of the parole or statutory release;

[…]

[20]  Si la CLCC est convaincue qu’un délinquant en libération d’office présentera un risque inacceptable pour la société, elle doit révoquer la libération d’office, conformément au sous‑alinéa 135(5)a)(ii) de la LSCMLC :

Examen par la Commission : peine d’au moins deux ans

Review by Board — sentence of two years or more

(5) Une fois saisie du dossier du délinquant qui purge une peine de deux ans ou plus, la Commission examine le dossier et, au cours de la période prévue par règlement, sauf si, à la demande du délinquant, elle lui accorde un ajournement ou un membre de la Commission ou la personne que le président désigne nommément ou par indication de son poste reporte l’examen:

(5) The Board shall, on the referral to it of the case of an offender who is serving a sentence of two years or more, review the case and — within the period prescribed by the regulations unless, at the offender’s request, the review is adjourned by the Board or is postponed by a member of the Board or by a person designated by the Chairperson by name or position —

a) si elle est convaincue qu’une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge présentera un risque inacceptable pour la société:

(a) if the Board is satisfied that the offender will, by reoffending before the expiration of their sentence according to law, present an undue risk to society,

[…]

(ii) elle la révoque dans le cas contraire;

(ii) revoke it in any other case;

B.  La jurisprudence antérieure sur le rôle de la Commission des libérations conditionnelles du Canada

[21]  Dans l’affaire Vavilov, la Cour suprême dit que « les arrêts qui établissent la manière dont il faut procéder au contrôle selon la norme de la décision raisonnable […] garderont en général leur utilité, mais il convient d’y recourir prudemment et de faire en sorte que leur application cadre avec les principes énoncés dans les présents motifs » (par. 43).

[22]  D’après la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov, la Cour doit faire preuve de grande déférence à l’égard de la CLCC : Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54, motifs du jugement prononcés par le juge Mainville, au par. 69 à 71; Maldonado, au par. 18.

[23]  À mon humble avis, l’appel à une grande déférence « cadre avec les principes » énoncés dans la proposition de l’arrêt Vavilov, selon laquelle le contrôle avec la norme de la décision raisonnable exige du juge qu’il soit attentif à l’expertise établie du décideur :

[93]  Par ses motifs, le décideur administratif peut démontrer qu’il a rendu une décision donnée en mettant à contribution son expertise et son expérience institutionnelle : voir Dunsmuir, par. 49. Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le juge doit être attentif à la manière dont le décideur administratif met à profit son expertise, tel qu’en font foi les motifs de ce dernier. L’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre‑intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée.

[24]  De plus, la Cour suprême du Canada explique au paragraphe 26 de l’arrêt Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 1996 CanLII 254 (CSC), [1996] 1 RCS 75, que la CLCC exerce des fonctions d’enquête et que tous les renseignements sûrs disponibles doivent être pris en considération par la CLCC, pourvu que ceux‑ci n’aient pas été obtenus irrégulièrement. Celle‑ci, compte tenu de ses besoins, de ses ressources et de son expertise, doit pouvoir disposer du libre choix, à l’intérieur des paramètres légaux, quant aux méthodes propres à assurer la fiabilité d’un renseignement. Cela peut supposer de confronter le délinquant avec les allégations faites à son endroit à l’audience : R c Zarzour, 2000 CanLII 16726, [2000] ACF no 2070 (CAF), le juge Létourneau, au par. 38, comme cela a été fait en l’espèce.

V.  Analyse

A.  Les contraintes factuelles et juridiques

[25]  Bien que le demandeur ait contesté le raisonnement suivi et le résultat de la décision de la CLCC, de nombreuses observations concernaient l’issue de l’affaire. Cet aspect de l’arrêt Vavilov implique le fait d’établir si la décision de la CLCC est raisonnable à la lumière des contraintes juridiques et factuelles. En résumé, à cet égard, j’ai conclu que les motifs de la CLCC étaient justifiés par les contraintes juridiques et factuelles, c’est‑à‑dire le droit applicable et le dossier dont disposait la CLCC. La conclusion de la CLCC selon laquelle le demandeur présentait un risque inacceptable reposait sur nombre de préoccupations, d’incidents et de problèmes, et elle était donc raisonnable. Ce qui suit constitue mes motifs à cet égard.

[26]  Dans son mémoire et sa plaidoirie, le demandeur a contesté un grand nombre de facteurs examinés devant la CLCC et a présenté une critique très approfondie de la décision de la CLCC en ce qui concerne les contraintes juridiques et factuelles auxquelles la CLCC faisait face. Nous abordons maintenant certaines préoccupations tirées du mémoire du demandeur, suivies par les commentaires de la Cour.

[27]  Le demandeur s’appuie sur la décision Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590, le juge Locke (tel était alors son titre), au par. 20 [Korn], quant à la proposition selon laquelle la révocation doit se fonder sur le risque de récidive criminelle du demandeur, et il soutient qu’aucun des facteurs invoqués par la CLCC ne mettait réellement en cause un risque de récidive criminelle. Je souscris à la proposition exposée dans Korn selon laquelle il doit y avoir un risque de récidive; toutefois, je ne crois pas que cela s’applique en l’espèce, comme le prétend le demandeur.

[28]  En ce qui a trait aux violations des lois provinciales, le demandeur a soutenu ceci :

[TRADUCTION]
56. Aucun des facteurs sur lesquels [la CLCC] s’est fondée pour révoquer la libération d’office du demandeur ne met en cause un risque de récidive criminelle. Toutefois, le raisonnement avancé est qu’ensemble, ils le font. Cela n’a aucun sens.

57. Le demandeur a reconnu qu’il avait enfreint la loi en ne conduisant pas les automobiles avec un permis de conduire et en conduisant la moto sans détenir le permis approprié. Toutefois, aucun des comportements de conduite ne mettait en cause un risque de récidive criminelle.

[29]  Ces observations illustrent une lacune commune à bon nombre des observations du demandeur. La Cour convient que, prises individuellement et isolément, les nombreuses violations du Code de la route, LRO 1990 c H8, par le demandeur ne ne mettent pas en cause un risque de récidive criminelle. La CLCC n’a pas laissé entendre le contraire; l’observation du demandeur repose sur la mauvaise caractérisation des motifs de la CLCC. Toutefois, en tout respect, en enfreignant de manière répétée cette loi provinciale, le demandeur a indéniablement enfreint la condition standard de sa mise en liberté, soit celle de [traduction« [r]especter la loi et ne pas troubler l’ordre public ». De plus, son comportement illégal, pour reprendre les mots de la CLCC, a démontré une [traduction« incapacité ou un manque de volonté pour ce qui est de répondre aux attentes et de suivre les règles ». À mon avis, il était raisonnable pour la CLCC de tenir compte de ce facteur et de tirer cette conclusion dans le cadre de son analyse relative au risque inacceptable.

[30]  En ce qui concerne la condition spéciale de ne pas utiliser d’applications de rencontres sans permission préalable, le demandeur soutient ce qui suit :

[traduction]
58. Le demandeur s’est inscrit à un site Web de rencontres pendant qu’il était dans la collectivité. Toutefois, avant de l’utiliser à ses fins prévues, il a informé son agent de libération conditionnelle qu’il s’était inscrit. À la suite de cette divulgation et de son acte de transparence à l’égard de son agent de libération conditionnelle, ce dernier lui a dit de ne pas utiliser le site de rencontres. Il n’y a pas eu d’autres problèmes relativement au site Web.

59. Les autorités carcérales décrivent le site Web comme un site de [traduction] « relations intimes ». Cependant, il n’y avait aucune preuve à cet égard. Peut‑être que l’agent de libération conditionnelle a compris de manière subjective qu’il avait moins bonne réputation que d’autres sites de rencontres. Aucun élément de preuve fiable et convaincant n’indiquait qu’il fonctionnait exclusivement comme site de [traduction] « relations intimes » et que le demandeur aurait dû le savoir, et le demandeur a décrit son intention de l’utiliser d’une manière différente.

60. L’inscription ne constituait pas du tout une violation de la condition spéciale. De plus, l’inscription et la divulgation subséquente n’auraient pas pu mettre en cause un risque de récidive criminelle. Au contraire, la divulgation constituait la preuve de l’engagement du demandeur à être transparent.

[31]  En tout respect, le demandeur ne reconnaît pas qu’en prenant — sans obtenir la permission préalable — toutes les mesures nécessaires pour s’inscrire lui‑même sur l’application de rencontres Tinder, il a participé à un comportement risqué, puisqu’une condition spéciale de sa libération l’obligeait à « [d]emander la permission à [son] surveillant de liberté conditionnelle avant d’utiliser des services, des sites Web ou des applications d’appareil mobile pour des rencontres ». De même, en prenant ces mesures sans demander la permission, il risquait de violer la condition spéciale d’« [i]nformer immédiatement [son] surveillant de liberté conditionnelle de toute tentative visant à établir une relation intime (sexuelle ou non) avec des femmes ». Je souligne que la CLCC n’a pas jugé que l’un ou l’autre des actes constituait une violation. Encore une fois, le demandeur a mal caractérisé les motifs en laissant entendre que la CLCC avait considéré ces actes comme pouvant [traduction« mettre en cause un risque de récidive criminelle »; la CLCC n’a pas tiré une telle conclusion. Quoi qu’il en soit, je conviens que l’inscription à Tinder ne mettait pas nécessairement en cause, sur une base indépendante, un risque de récidive, mais, à mon avis, la CLCC avait le droit de prendre en considération le comportement du demandeur et avait raisonnablement le droit de l’apprécier par rapport au demandeur; le comportement était risqué, démontrait que l’appelant semblait penser que tout lui était dû et dénotait un jugement discutable.

[32]  En ce qui concerne la présence de contenu sexuellement explicite sur son téléphone, le demandeur soutient ce qui suit :

[traduction]
61. De plus, le fait que le demandeur ait sur son téléphone des images de femmes, qui se situaient à la limite d’une conclusion de matériel sexuellement explicite, ne constituait pas une violation des conditions de libération d’office du demandeur. Au Canada, aucune sanction n’est prévue pour conduire en dessous de la limite de vitesse permise ou à la limite de vitesse permise. Fait encore plus important, personne ne devrait perdre sa liberté parce qu’il a presque commis un crime ou enfreint une règle. Pourtant, la possession des images a été utilisée contre lui pour révoquer sa libération d’office.

[33]  À cet égard, les images appartenant au délinquant ne figuraient pas dans le dossier, et la CLCC n’a pas tiré de conclusion selon laquelle celles-ci avaient enfreint la condition spéciale « [n]e pas acheter, se procurer ou posséder de pornographie ou de matériel sexuellement explicite ou y accéder sous toute forme ou tout type de média ». Cela dit, le demandeur aurait dû se rendre compte que, en accédant à un tel contenu, son comportement frôlait la violation de cette condition spéciale. Il était raisonnable pour la CLCC de désigner cette activité comme [traduction] « pouvant être considéré comme sexuellement explicite ». Le demandeur a assurément fait preuve d’un mauvais jugement. Il ne s’agit pas d’une faille décisive dans la décision de la CLCC, comme l’envisage l’arrêt Vavilov au par. 102, et cela n’a pas rendu la décision de la CLCC déraisonnable dans son ensemble.

[34]  En ce qui concerne les visites de plus en plus fréquentes du demandeur dans des secteurs universitaires, en septembre 2018, et le fait de porter des pantalons affichant un logo d’université, le demandeur soutient ce qui suit :

[traduction]
62. Le fait de porter des vêtements d’université pour travailler ne constituait pas une violation des conditions de libération d’office du demandeur. Pourtant, bien que le gestionnaire des libérations conditionnelles Corcoran ait dit qu’il n’utiliserait pas ce comportement particulier contre le demandeur, le fait qu’il ait porté cette tenue pour travailler a été utilisé contre lui pour conclure qu’il avait manqué de perspicacité et de jugement, ce qui mettait en cause un risque inacceptable de récidive. Fait intéressant, ce n’est qu’après qu’on a découvert que le demandeur conduisait sans permis approprié que son utilisation de cette tenue a soudainement mis en cause un risque de récidive à l’endroit des étudiantes de l’Université. On pourrait soutenir que ni la Commission ni les responsables des libérations conditionnelles n’ont été très transparents avec le demandeur sur cette question.

63. Ce qui revêt aussi un intérêt particulier au sujet de la préoccupation soulignée par les responsables des libérations conditionnelles quant au fait qu’il portait une tenue vestimentaire affichant un logo universitaire, c’est qu’il n’a reçu aucun avertissement de ne pas porter ces vêtements après qu’il a été vu avec cette tenue.

64. Le fait de se rendre à des lieux situés près de l’Université, où se seraient produites les infractions à l’origine de la peine, sans éléments de preuve pour le confirmer, ne constituait pas une violation des conditions de libération d’office du demandeur. Pourtant, le fait qu’il y soit allé après avoir signé le registre de sortie et qu’il ait fait part aux responsables des libérations conditionnelles de son intention d’aller là‑bas a été utilisé contre lui pour conclure au manque de perspicacité et de réflexion sur les conséquences ainsi qu’à un mauvais jugement, ce qui mettait en cause un risque inacceptable de récidive.

65. Ce qui est particulièrement intéressant par rapport au fait de se rendre à des lieux situés près de l’Université, c’est qu’en mai 2018, lorsqu’elle rédigeait les conditions spéciales, la Commission laissait indirectement entendre qu’elle ne voyait aucun problème ni aucune préoccupation par rapport au fait que le demandeur se rende à des lieux situés près de l’Université. De plus, les responsables des libérations conditionnelles, indirectement, n’avaient pas de problème ni de préoccupation par rapport au fait que le demandeur se rendait à des lieux situés près de l’Université, alors qu’il a mentionné à répétition qu’il se rendait là‑bas quand il signait le registre de sortie. Ce n’est qu’après qu’on a découvert qu’il conduisait sans permis approprié que sa présence à l’Université ou près de celle‑ci a soudainement mis en cause un risque de récidive contre des étudiantes universitaires. On pourrait faire valoir que ni la Commission ni les responsables des libérations conditionnelles n’ont été transparents avec le demandeur sur cette question.

[35]  En tout respect, je ne suis pas convaincu que la CLCC a agi de manière déraisonnable en prenant en considération les visites de plus en plus fréquentes du demandeur dans les secteurs universitaires mêmes où il avait commis les deux agressions sexuelles [traduction« prolongées, délibérées et horribles ». Il convient de situer les conclusions de la CLCC dans le contexte : les deux infractions graves à l’origine de la peine ont été commises contre de jeunes femmes d’âge universitaire et se sont produites [traduction« à proximité de Wilfrid Laurier et de l’Université de Waterloo ». Il était raisonnable pour la CLCC de conclure que le demandeur continuait [traduction« d’être aux prises avec des problèmes de prise de conscience et de compréhension », d’après le comportement de demandeur et après avoir pris en considération ses réponses.

[36]  En ce qui a trait à l’absence d’activité criminelle du demandeur durant la période qui a suivi sa libération d’office, le demandeur soutient ceci :

[traduction]
70. Voici les faits : le demandeur a n’a jamais été l’auteur, entre le 5 mai et le 20 septembre 2018, d’actes ou d’omissions le moindrement criminels. Or, nonobstant son respect des conditions les plus importantes de la libération pendant qu’il se trouvait dans la collectivité entre le 5 mai et le 20 septembre 2018, il est devenu trop dangereux pour rester dans la collectivité sous réserve de conditions.

71. Le raisonnement qui doit être inféré, c’est que, lorsque le demandeur a commis une infraction au titre du Code de la route et a tenté de la cacher aux responsables des libérations conditionnelles, cela a contribué à augmenter le risque qu’il commette une agression sexuelle violente ou quelque autre infraction criminelle violente qui exposerait le public à un risque. Le gestionnaire des libérations conditionnelles Corcoran [la CLCC] n’avait pas le droit de tirer cette conclusion par rapport au dossier dont il disposait. Il a aussi omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve relativement à la question ultime dont il était saisi.

[37]  Je conviens que rien au dossier ne montre que le demandeur a été l’auteur d’une omission ou d’un acte criminel entre le 5 mai et le 20 septembre 2018. Ce n’est pas un problème, parce que la CLCC n’a pas tiré une telle conclusion.

[38]  Le demandeur soutient que la CLCC a tenu le raisonnement selon lequel, lorsque le demandeur a commis des infractions au titre du Code de la route et qu’il a essayé de les cacher aux responsables des libérations conditionnelles, il y avait un risque accru qu’il commette une agression sexuelle violente ou une autre infraction criminelle violente. En tout respect, cet argument est avancé hors contexte. La pertinence des violations du Code de la route, c’est qu’elles démontraient le manque de respect du demandeur pour la loi et la condition imposée automatiquement de [traduction« [r]especter la loi ». Les tentatives du demandeur pour les dissimuler sont un exemple de malhonnêteté. Je souligne que le demandeur a reçu une contravention pour excès de vitesse, ce qui constitue une autre violation des règles, et qu’il n’a pas déclaré cette interaction policière à son agent de libération conditionnelle, ce qui constitue une violation de la condition standard suivante de sa libération : [traduction« Informer immédiatement [son] surveillant de liberté conditionnelle en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police ». En tout respect, il était raisonnable pour la CLCC de tenir compte de ces facteurs dans son analyse du risque.

[39]  Dans sa plaidoirie, le demandeur a présenté à la Cour les paragraphes suivants de son mémoire et soutenu que cela ne correspondait pas à des violations des conditions de sa libération d’office :

[traduction]
20. Les responsables des libérations conditionnelles ont affirmé que cela ne pouvait pas prouver que le demandeur avait visionné les bandes dessinées explicites sur YouTube ou qu’il avait enfreint la condition concernant la pornographie. Cependant, ils ont informé le demandeur que le contenu de son téléphone soulevait des préoccupations : dossier du demandeur, p. 72, par. 1.

21. De même, l’ERC a exprimé des préoccupations concernant les incohérences liées au moment où le demandeur a téléphoné et à la durée du déplacement prévue jusqu’à sa destination; le fait qu’il a demandé aux employés de la réception où ils habitaient et qu’il a eu du mal à respecter les limites : dossier du demandeur, p. 72, par. 5.

[40]  Encore une fois, la CLCC n’a pas conclu que cela constituait des violations. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’information à ce sujet ne pouvait pas être prise en considération par la CLCC dans son analyse du risque. Il était légitime pour la CLCC d’avoir des préoccupations au sujet du contenu de son téléphone, étant donné la condition spéciale qu’il avait concernant la pornographie. De plus, le demandeur était tenu de respecter les règles de son ERC et de déclarer avec exactitude ses appels et la durée de ses déplacements; à mon avis, tout manquement à cet égard était tout à fait pertinent quant à sa capacité de respecter les règles. C’est aussi vrai pour sa difficulté à maintenir les limites entre lui-même et les employés de son ERC, que la CLCC pourrait prendre en considération, puisque le demandeur demandait aux employés de l’ERC à quel endroit ils vivaient.

[41]  De façon plus générale, à mon avis, l’approche du demandeur à l’égard de la décision de la CLCC n’est pas compatible avec un contrôle judiciaire. Les motifs devraient être interprétés de façon globale (holistique) et contextuelle : voir Société canadienne des postes, au par. 31, citant Vavilov, au par. 97. Plutôt, telles qu’elles sont reproduites plus haut, les observations du demandeur invitent la Cour à procéder comme si le contrôle judiciaire constituait une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur. C’est contraire à ce que nous enseigne Vavilov au paragraphe 102.

[42]  Je suis assez d’accord pour dire que certains facteurs relevés par la CLCC ne justifient pas, en soi, la révocation de la libération d’office; toutefois, cela ne constitue pas le critère applicable. La décision de la CLCC doit être lue dans son ensemble. En fait, c’est ce que la CLCC a fait : elle a jugé qu’aucun incident ni problème relevé dans la décision de la CLCC n’entraînait nécessairement la révocation. Toutefois, la combinaison des actes et des décisions a amené la CLCC à conclure que le risque posé par le demandeur était devenu inacceptable :

[traduction]
La Commission a eu avec vous aujourd’hui une longue conversation durant laquelle elle a examiné votre incapacité ou réticence à répondre aux attentes et à respecter les règles. Nous avons discuté d’une série d’incidents ou de problèmes, et, bien qu’aucun incident, en soi, n’entraîne nécessairement une révocation, la combinaison d’actes et de décisions dans un éventail de circonstances a amené la Commission à conclure que votre risque était devenu inacceptable.

[Non souligné dans l’original.]

[43]  Le défendeur soutient — et je suis d’accord avec lui — que la CLCC avait le pouvoir discrétionnaire d’établir le poids relatif à accorder à chaque considération et la fiabilité des renseignements contenus dans les dossiers écrits. Ce n’est pas le travail de la Cour, lors du contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau les éléments de preuve examinés par la CLCC, et cela ne peut pas justifier son intervention selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, au par. 125, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 64.

[44]  Un autre élément doit être abordé. Le demandeur a essentiellement soutenu qu’il était libre de faire comme bon lui semblait pendant qu’il était en libération d’office, à moins qu’il soit contraint par une condition de libération spéciale ou standard. Par exemple, il a soutenu qu’il était libre de fréquenter de plus en plus souvent les secteurs universitaires où il avait commis les deux infractions à l’origine de la peine contre de jeunes femmes d’âge universitaire, essentiellement parce que ses conditions de libération ne précisaient rien au contraire.

[45]  En tout respect, cette attitude selon laquelle [traduction« tout [lui] est dû » — pour reprendre les mots de la CLCC — était déplacée. Le demandeur avait été clairement et, à mon avis, raisonnablement averti par son agent de libération conditionnelle qu’il faisait l’objet d’une surveillance étroite et qu’il devait faire attention à ce qu’il faisait et au lieu où il se trouvait, comme l’a signalé l’agent de libération conditionnelle dans l’Évaluation en vue d’une décision :

[traduction]
Toujours durant cette entrevue, YASSIN demandait à quel moment l’EGC serait prête à demander des privilèges de sortie durant la nuit à la Commission des libérations conditionnelles du Canada, étant donné ce qu’il percevait comme certains des aspects positifs de son cas; comme son emploi et le soutien de sa famille. L’auteur des présentes a informé le délinquant qu’il aurait besoin d’une période sans aucun problème dans la collectivité. YASSIN a soulevé l’incident de la moto et a dit qu’il avait eu tort de conduire sans permis ni casque, mais que ça n’était pas lié à un risque. L’auteur a passé un certain temps à expliquer au délinquant que, pour renforcer sa crédibilité auprès des personnes responsables de sa surveillance, il devait montrer qu’il pouvait prendre de bonnes décisions et respecter toutes ses conditions, y compris les conditions standard de libération. L’incident à moto n’était peut‑être pas lié à son cycle d’infraction, mais il a été expliqué qu’il concernait son attitude à l’égard de la surveillance en général et sa volonté de se conformer aux attentes et aux conditions de sa mise en liberté, et, encore une fois, qu’il devra renforcer sa crédibilité avec une période de stabilité avant qu’il se voie donner une plus grande liberté de mouvement dans la collectivité.

[46]  La CLCC a aussi raisonnablement examiné la nécessité d’imposer une surveillance étroite :

[traduction]
Comme la Commission l’a fait remarquer tout au long de l’audience, la capacité de vous montrer franc et transparent avec les personnes responsables de votre surveillance était essentielle à la réussite de votre libération d’office. La nature violente de vos infractions justifie la surveillance la plus étroite possible dans votre cas. Votre volonté et votre capacité de tromper et de manipuler soulèvent une grande préoccupation, et, selon la Commission, elles augmentent votre risque au point de le rendre inacceptable. Par conséquent, votre libération d’office est révoquée.

[Non souligné dans l’original.]

B.  Analyse cohérente et rationnelle

[47]  Dans les paragraphes précédents, la Cour, conformément au paragraphe 90 de l’arrêt Vavilov, a apprécié certaines des observations du demandeur relativement aux contraintes juridiques et factuelles concernant le contenu des motifs de la CLCC.

[48]  L’arrêt Vavilov enseigne aussi qu’une cour de révision doit examiner les motifs mêmes en adoptant une attitude de respect, en ce sens que, en l’espèce, la Cour doit se demander si les motifs de la CLCC reposent sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui appuie la révocation de la libération d’office.

[49]  À mon humble avis, les motifs de la CLCC et son processus de raisonnement satisfont au critère exposé dans Vavilov, en ce sens qu’ils sont intrinsèquement cohérents et offrent une analyse rationnelle qui appuie la révocation. Les motifs font état de manière raisonnable de la nature des infractions à l’origine de la peine. En l’espèce, le demandeur a été condamné à une longue peine d’emprisonnement de dix ans pour deux agressions sexuelles violentes à l’endroit d’étudiantes universitaires associées à un enlèvement dans un cas et à une séquestration illégale dans l’autre. Ces agressions ont été qualifiées par le juge qui a imposé la peine comme des actes [traduction« prolongés, délibérés et horribles ». Comme la CLCC l’a constaté à juste titre dans sa décision, la [traduction« nature violente » de ses infractions justifiait [traduction« la surveillance la plus étroite possible ».

[50]  Les motifs résument de manière cohérente les renseignements dont disposait la CLCC. Ils abordent de manière raisonnable et adéquate les principaux sujets en litige. Dans l’ensemble de sa décision, et particulièrement dans ses paragraphes de conclusion, la CLCC tire de manière rationnelle et cohérente un certain nombre de conclusions importantes au sujet du demandeur et de son comportement. À mon avis, la CLCC avait à sa disposition l’information qui lui a permis de conclure de manière logique et cohérente — comme elle l’a fait — que le demandeur avait démontré une incapacité ou un manque de volonté pour répondre aux attentes et suivre les règles, un manque de respect envers autrui, une incapacité de maîtriser ses comportements impulsifs ainsi qu’un manque de réflexion sur les conséquences; qu’il avait présenté un sentiment injustifié que tout lui était dû; qu’il avait minimisé son comportement et sa responsabilité; qu’il avait démontré un manque de respect pour la sécurité d’autrui; qu’il avait manifesté des problèmes d’introspection et de compréhension; qu’il avait démontré une volonté et la capacité de tromper et de manipuler. De l’avis de la Cour, la CLCC a raisonnablement conclu que le comportement du demandeur montrait que son risque était élevé au point d’être inacceptable.

[51]  Le sentiment injustifié du demandeur selon lequel tout lui était dû ainsi que ses problèmes d’introspection et de compréhension ont été bien démontrés par ses visites de plus en plus fréquentes dans des secteurs universitaires, d’où provenaient les jeunes femmes d’âge universitaire qu’il avait criminellement victimisées. Il était raisonnable pour la CLCC de conclure qu’il y avait un risque inacceptable de récidive fondé sur la piètre prise de décisions du demandeur à cet égard. Je ne suis pas en mesure de trouver des failles dans ces conclusions, nonobstant les observations du demandeur au contraire.

[52]  Après avoir examiné la preuve et tiré plusieurs conclusions, la CLCC s’est penchée sur les dispositions de la loi applicable, à savoir la LSCMLC. La CLCC est ensuite parvenue aux conclusions suivantes, qui cadrent rationnellement et logiquement avec le sous‑alinéa 135(5)a)(ii) :

[traduction]
Comme la Commission l’a fait remarquer tout au long de l’audience, la capacité de vous montrer franc et transparent avec les personnes responsables de votre surveillance était essentielle à la réussite de votre libération d’office. La nature violente de vos infractions justifie la surveillance la plus étroite possible dans votre cas. Votre volonté et votre capacité de tromper et de manipuler soulèvent une grande préoccupation, et, selon la Commission, elles augmentent votre risque au point de le rendre inacceptable. Par conséquent, votre libération d’office est révoquée.

La Commission est d’avis que vous présenterez un risque inacceptable pour la société si vous êtes libéré d’office et que votre libération ne contribuera pas à la protection de la société en facilitant votre réinsertion sociale dans la société en tant que citoyen respectueux des lois.

[53]  À mon humble avis, le processus de raisonnement de la CLCC satisfait aux normes décrites dans l’arrêt Vavilov. Les motifs offrent une analyse cohérente et rationnelle à l’appui de la décision de révocation. En tout respect, je ne suis pas en mesure de relever des lacunes fondamentales, des prémisses absurdes, des illogismes internes ou des failles décisives dans les motifs. Ceux‑ci, interprétés de manière holistique, et non pas comme une chasse au trésor à la recherche d’une erreur, mènent à la conclusion selon laquelle le demandeur présentait un risque inacceptable pour la société. De manière cohérente et rationnelle, les motifs mènent directement à la décision de révoquer la libération d’office du demandeur.

VI.  Conclusion

[54]  À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le raisonnement suivi ou le résultat de la décision de la CLCC et de la décision d’appel sont déraisonnables. À mon humble avis, les décisions reposent sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et sont justifiées au regard des faits et du droit qui limitent la CLCC et la Section d’appel. En tout respect, je suis d’avis que les motifs faisant l’objet du contrôle « se tiennent », conformément à l’arrêt Vavilov, au par. 104. Par conséquent, le contrôle judiciaire doit être rejeté.


JUGEMENT dans le dossier T‑1039‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de mars 2020

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1039‑19

 

INTITULÉ :

HAYAN YASSIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 12 FÉVRIER 2020

COMPARUTIONS :

Brian A. Callender

POUR LE demandeur

Carolyn Phan

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CallenderLaw

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

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