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Date : 20200127


Dossier : IMM-1599-19

Référence : 2020 CF 139

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

MAJED KASSAB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant sa demande d’asile déposée au Canada. La SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], ni une personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR. Pour l’essentiel, la SPR a conclu que les craintes du demandeur en ce qui concerne les États-Unis manquaient de crédibilité. La SPR n’a pas estimé nécessaire d’analyser les craintes du demandeur en ce qui concerne la Syrie. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande.

II.  Faits

[2]  Le demandeur est citoyen syrien d’origine arabe qui professe la foi musulmane sunnite. Il est né à Alep en Syrie le 24 juillet 1994, mais, depuis un très jeune âge, il a vécu exclusivement en Arabie saoudite.

[3]  Ses parents étaient travailleurs étrangers temporaires en Arabie saoudite où le demandeur détenait le statut d’enfant d’immigrant travailleur. Ce statut devient périmé au vingt et unième anniversaire, pour le demandeur, le 24 juillet 2015. La loi saoudienne n’offre pas la possibilité d’acquérir la citoyenneté saoudienne aux enfants d’immigrants qui sont résidents temporaires. En raison de la nature temporaire de sa résidence en Arabie saoudite, il a donc décidé de déménager aux États-Unis au mois de février 2013 avec un visa d’étudiant M-1 pour entreprendre des études de pilotage.

[4]  Le 23 octobre 2013, le demandeur a déposé une demande d’asile aux États-Unis, où il séjournait pour ses études. Dans sa demande d’asile, il déclarait craindre d’être blessé, torturé ou tué s’il devait retourner en Syrie en raison de son opposition au régime syrien et de sa religion musulmane sunnite. Une déclaration jointe à la déclaration expose plus précisément ces craintes en ce qui concerne la Syrie.

[5]  À ce stade, le demandeur ne mentionne aucunement une crainte concernant son orientation sexuelle.

[6]  Cette demande d’asile a été rejetée le 17 août 2015 par le département américain United States Citizenship and Immigration Services [USCIS] en raison d’incohérences significatives dans son témoignage. Étant donné son statut d’immigration périmé en Arabie saoudite, le demandeur a attaqué cette décision. L’audition de sa demande d’asile a été remise à plusieurs reprises.

[7]  Le 26 janvier 2016, le demandeur est convoqué pour une audience fixée le 22 juin 2016. Cette audience a été remise au 9 février 2017. En vue de cette audience, le demandeur fait une déclaration supplémentaire portant qu’il est homosexuel et qu’il est atteint de sclérose en plaques. Dans cette déclaration, le demandeur signale qu’il avait omis de mentionner son orientation afin d’éviter l’humiliation devant son entourage.

[8]  L’audience prévue pour le 9 février 2017 a été remise au 19 octobre 2017. Ses avocats ont exprimé leur déception face à cette remise, compte tenu du resserrement des politiques migratoires par l’administration présidentielle actuelle.

[9]  Au final, cette demande d’asile n’a fait l’objet d’aucune décision ni d’audience, car, le 9 février 2017 (soit deux jours après la remise de l’audience aux États-Unis), le demandeur demande le statut de réfugié au Canada.

[10]  Le demandeur pouvait entrer dans le territoire canadien, car il avait un oncle canadien, bénéficiant ainsi de l’exception accordée aux demandeurs ayant des membres de leur famille au Canada par le paragraphe 4(2) de l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers [l’Entente sur les tiers pays sûrs ou l’ETPS]. Lors de son entrée, le demandeur prétend être victime d’islamophobie aux États-Unis vu la rhétorique troublante du nouveau président américain envers les musulmans et les Syriens.

[11]  Le 24 février 2017, le demandeur présente un formulaire de demande d’asile [FDA] canadien. Dans son FDA, le demandeur indique que les autorités syriennes sont la source de sa crainte de persécution. Dans un exposé joint à son FDA, le demandeur avait initialement allégué craindre la persécution en Syrie 1) en raison de sa religion (étant musulman sunnite), 2) en raison du fait qu’il sera appelé à servir dans l’armée du président Assad contre sa volonté et devrait alors commettre des crimes contre la population civile de son pays s’il devait retourner dans son pays et 3) en raison de ses opinions politiques et de sa perception de ses opinions par les autorités syriennes.

[12]  Dans son FDA, le demandeur ne mentionne pas sa crainte fondée sur son orientation sexuelle. Le demandeur indique également qu’il est victime d’islamophobie et qu’il a été ciblé par le resserrement des politiques d’immigration américaines.

[13]  Sept semaines plus tard, soit le 12 avril 2017, le demandeur dépose une déclaration supplémentaire auprès de la SPR, par laquelle il allègue craindre d’être persécuté en Syrie en raison de son homosexualité. Il dit n’avoir pas mentionné cette crainte auparavant parce qu’il ne voulait pas dévoiler son homosexualité à son oncle, qui était présent lors de la première rencontre pour sa demande d’asile canadienne.

III.  Décision de la SPR

[14]  Dans sa décision en date du 13 février 2019, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni réfugié, ni une personne à protéger. Essentiellement, la SPR a conclu que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve et n’a pas établi de manière crédible les faits sur lesquels était fondée sa demande d’asile aux termes de l’article 96 de la LIPR.

[15]  La SPR n’a pas analysé sa crainte en ce qui concerne la Syrie et n’a pas justifié cette omission.

[16]  Dans une brève décision, l’analyse de la SPR s’est plutôt concentrée sur la crainte du demandeur en ce qui concerne les États-Unis. À ce sujet, la SPR a fait état de plusieurs doutes quant à la crédibilité du demandeur vu sa décision de quitter les États-Unis avant la tenue d’une audience. La SPR a également noté que le demandeur n’avait pas reçu de notification l’informant qu’il était susceptible d’expulsion des États-Unis. Au contraire, les craintes du demandeur en ce qui concerne les États-Unis semblaient être fondées sur ce que son avocat lui aurait dit au sujet des tendances générales manifestées par un certain juge de l’immigration et quelques tweets du Président.

[17]  Concernant son orientation sexuelle, la SPR a noté que le demandeur était ouvertement gai aux États-Unis avant d’arriver au Canada et qu’il avait modifié son FDA afin de signaler sa crainte fondée sur son orientation sexuelle. En raison de ses doutes par rapport à la crédibilité du demandeur, la SPR a conclu qu’il n’avait pas non plus établi les faits de sa demande aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR. La SPR était plutôt d’avis que le demandeur était à la recherche d’un meilleur asile parce qu’il avait renoncé à sa demande d’asile aux États-Unis et qu’il n’avait pas ainsi établi de façon crédible l’élément subjectif de sa crainte.

IV.  Question en litige

[18]  Devant notre Cour, le demandeur attaque l’analyse de la SPR sur plusieurs points. Finalement, une seule question est posée : est-ce que la décision de la SPR était raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[19]  La norme de contrôle qui s’applique à la question en l’instance est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles applicables (Vavilov aux paras 99-101).

VI.  Discussion

[20]  Dans sa demande d’asile au Canada, le demandeur a fait état de plusieurs craintes de persécution. En ce qui concerne la Syrie, le demandeur craignait la persécution en raison de sa religion, de ses opinions politiques et de son orientation sexuelle. En ce qui concerne les États-Unis, le demandeur craignait la persécution en raison de sa religion et sa citoyenneté. Par des motifs assez brefs, la SPR a simplement rejeté sa demande d’asile.

[21]  Je suis d’avis que les conclusions de la SPR étaient déraisonnables pour quatre motifs.

1)  La conclusion quant à la crédibilité du demandeur concernant ses raisons de partir des États-Unis était déraisonnable

[22]  L’élément central de l’analyse de la SPR était la crédibilité du demandeur concernant sa crainte de persécution aux États-Unis. La SPR souligne que le demandeur a signalé que son avocat lui avait dit que le juge de l’immigration qui entendrait sa demande appuyait systématiquement l’administration présidentielle Trump. Le demandeur a également signalé que son avocat américain lui avait dit qu’avec le nouveau régime politique en place, il serait beaucoup plus difficile d’obtenir l’asile. Le demandeur affirme que c’est l’un des facteurs dont il a tenu en compte lorsqu’il a décidé de fuir les États-Unis, ne voulant pas attendre une issue qu’il croyait inévitable.

[23]  Lorsqu’il lui a été demandé comment son avocat en était arrivé à cette conclusion, le demandeur n’a pu produire aucun élément d’explication. La SPR a donc conclu que le demandeur embellissait son récit et qu’il ne disait pas la vérité.

[24]  Il était légitime de poser cette question au demandeur; cependant, il était déraisonnable de conclure que l’explication du demandeur constituait un embellissement ou un mensonge simplement parce qu’il n’avait pas produit de preuve ou de justification relative à l’opinion de son avocat. Cette conclusion me semble trop hâtive, surtout considérant que l’affirmation du demandeur n’avait pas été contredite par la preuve au dossier. En effet, elle repose sur des atteintes déraisonnables sur la capacité de raconter le processus de réflexion d’un tiers qui possède une expertise en matière de droit de l’immigration aux États-Unis et une connaissance du climat politique en matière d’immigration dans ce pays.

[25]  Dans l’esprit du demandeur, l’avis de l’avocat lui donnait un motif valable de ne pas maintenir sa demande d’asile aux États-Unis et il a manifestement influencé sa décision de quitter les États-Unis, mais il n’y a eu aucun examen de ces éléments. La question est de savoir si, tout bien considéré, la décision du demandeur de ne pas maintenir sa demande et de fuir au Canada était raisonnable.

[26]  Le fait que le demandeur n’a pas complété ses démarches d’asile aux États-Unis ne justifie pas l’analyse incomplète du dossier puisque les demandeurs d’asile n’ont pas besoin de demander l’asile dans le premier pays (Papsouev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8132 (CF)).

2)  La conclusion quant à la crainte du demandeur en raison de son orientation sexuelle était déraisonnable

[27]  Quant à la crainte concernant son orientation sexuelle, la SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité parce qu’il n’avait pas signalé une telle crainte auparavant dans ses demandes d’asile au Canada et aux États-Unis. Elle a aussi noté que le demandeur avait indiqué qu’il s’affichait ouvertement en tant qu’homosexuel aux États-Unis, mais qu’il a dû se cacher lorsqu’il est arrivé au Canada; elle y a vu un manque de transparence.

[28]  Toutefois, il ne semble pas que la SPR ait considéré que le demandeur ne cachait pas son orientation sexuelle dans sa vie quotidienne, mais seulement à son oncle qui était susceptible de diffuser l’information à la famille.

[29]  Sans explication de la part du demandeur, l’on saurait raisonnablement présumer qu’il commettrait la même erreur deux fois, autrement dit, qu’il aurait besoin d’une modification pour indiquer son orientation homosexuelle aux États-Unis, sans corriger cela et en faisant la même chose au Canada. Le demandeur est une personne instruite. Il a fait sa première erreur aux États-Unis. Pourquoi dans les circonstances ferait-il la même erreur au Canada? Pour la raison dont il a fait état.

[30]  Grandir comme musulman homosexuel, en particulier en Arabie saoudite, est difficile et l’on n’affiche pas son homosexualité. La SPR n’a tout simplement pas considéré que cette explication pouvait, en fait, être raisonnable : voilà pourquoi il n’avait pas fait état de son homosexualité dans son premier récit.

[31]  Je suis d’avis que la conclusion de la SPR ne reflète pas la situation sociale et culturelle des minorités sexuelles, qui sont souvent obligées d’être moins transparentes envers certains amis ou membres de la famille pour de bonnes raisons, telle que la peur d’être humilié ou marginalisé (Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501 au para 8; Gergedava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 957 au para 10; Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760 au para 42).

[32]  De plus, la SPR ne semble pas avoir tenu compte de la preuve au dossier concernant sa relation amoureuse avec un autre homme. À titre d’exemple, le dossier certifié du tribunal contient quatre séries de messages textes amoureux entre le demandeur et un homme nommé « Mohamad » pendant les mois du décembre 2015, février 2016 et juillet 2016. Ceci est déraisonnable (Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155 au para 11; voir aussi Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7 aux paras 32-33).

[33]  Le défendeur cite la jurisprudence Zeferino c Canada (Citoyenneté et l’Immigration), 2011 CF 456, à l’appui de la thèse portant que tous les faits importants d’une demande d’asile doivent être exposés dans le FDA et que toute omission peut affecter la crédibilité du demandeur, en tout ou en partie, et que la SPR peut tirer des conclusions défavorables sur le plan de la crédibilité si des éléments importants ont été ajoutés par une modification tardive.

[34]  Je retiens cette thèse. Cependant, dans l’affaire Zeferino, la modification fut faite plus de trois ans suivant le dépôt du FDA initial, et seulement après le rejet de la demande d’asile initiale.

[35]  En l’espèce, la modification fut apportée au FDA sept semaines après le dépôt du FDA initial, et avant le rejet de sa demande d’asile. Le demandeur explique le retard comme suit :

[traduction] […] J’ai peur en raison de mon orientation sexuelle [. . .] Je ne l’ai pas révélé plus tôt parce que, quand j’ai préparé mon exposé, j’avais rencontré mon avocat en compagnie de mon interprète de langue arabe. Cet interprète connaît les membres de ma famille personnellement (y compris mon oncle qui est ici au Canada). J’avais peur de révéler mon orientation sexuelle devant lui, car je pensais qu’il en informerait mon oncle. Cela m’aurait causé de gros problèmes—personne dans ma famille n’est au courant de mon orientation sexuelle, et j’ai peur de ce qui pourrait arriver s’ils devaient savoir. [. . .]

[36]  L’argument de la SPR semble aller trop loin et semble découler d’un examen trop superficiel de la preuve au dossier.

3)  Absence d’analyse du climat d’islamophobie aux États-Unis

[37]  Dans l’exposé joint au FDA, le demandeur fait état d’une crainte fondée sur le climat d’islamophobie et les politiques ciblées contre les musulmans aux États-Unis. À l’appui de cette affirmation, le dossier certifié du tribunal contient plusieurs documents dont il ressort que le système d’immigration américain est inefficace (il est entaché par des fractures religieuses ou raciales) et que les Syriens font souvent l’objet de discrimination aux États-Unis.

[38]  Dans sa décision, la SPR a noté que le demandeur avait fait état d’une crainte fondée sur le climat d’islamophobie et sur les politiques ciblées contre les musulmans aux États-Unis. Cependant, la SPR n’a pas analysé les composantes essentielles de cette crainte.

[39]  La SPR n’avait pas exprimé de doutes concernant la crédibilité ou la véracité de ces éléments de preuve. Au contraire, la SPR a simplement rejeté la demande d’asile pour d’autres motifs et s’est bornée à discuter la crainte du demandeur fondée sur son orientation sexuelle, au détriment des autres éléments de sa demande d’asile. Elle a rejeté les explications concernant le système américain d’immigration et conclut que le demandeur se livrait à la recherche d’un meilleur asile (l’expression anglaise étant « asylum shopping »).

[40]  La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle a décidé de faire abstraction de ce motif de crainte, laquelle était pourtant un élément incontournable de la demande d’asile. L’ampleur de la preuve documentaire aurait dû donner lieu à une analyse plus approfondie de cette crainte. Cette omission était déraisonnable (Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291 aux paras 12-21).

[41]  Le défendeur cite la jurisprudence George c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 535 [George], laquelle enseignerait que le défaut de demander l’asile à la première occasion est un indice d’une absence de crainte subjective.

[42]  Encore une fois, je retiens cette interprétation de cette jurisprudence, mais je vois mal de quelle utilité elle peut être au défendeur. Dans l’affaire George, la demanderesse avait passé de nombreux longs séjours au Canada dans le passé, mais elle était toujours retournée vers son pays d’origine. Durant sa dernière visite, elle est venue au Canada le 8 août 2010 tandis que sa demande d’asile est datée du 3 août 2011, soit un an plus tard.

[43]  En l’espèce, le demandeur a déposé sa demande d’asile dès son arrivée au Canada. Je comprends que quelques semaines se sont écoulées avant la modification faisant état de son orientation sexuelle, mais ce retard, dans les circonstances, était compréhensible.

[44]  De plus, je vois mal la pertinence des décisions suivantes : Murugathas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 469, et Musthafa Samseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542 [Musthafa].

[45]  En l’espèce, la SPR n’a pas conclu que le fait que le demandeur n’avait pas maintenu sa demande aux États-Unis démontrait une absence de crainte subjective quant à un éventuel retour en Syrie. De plus, il n’a jamais eu manquement de dépôt de demande d’asile, comme dans l’affaire Musthafa. En l’espèce, le demandeur a bel et bien déposé sa demande aux États-Unis, mais, pour les raisons mentionnées, il a décidé de ne pas la maintenir.

4)  Absence d’analyse de la crainte du demandeur en ce qui concerne la Syrie

[46]  Le demandeur avait allégué sa crainte d’être persécuté en Syrie 1) en raison de sa religion (étant musulman sunnite), 2) en raison du fait qu’il sera appelé à servir dans l’armée du président Assad contre sa volonté et devrait alors commettre des crimes contre la population civile de son pays s’il devait retourner dans son pays et 3) en raison de ses opinions politiques et de sa perception de ses opinions par les autorités syriennes.

[47]  Le demandeur avait également produit des preuves documentaires qui confirment les éléments suivants : plusieurs incidents de crimes de guerre dans sa ville natale (Alep), l’ampleur de crise humanitaire en Syrie, l’attitude répressive du gouvernement syrien envers les personnes LGBT et le fait que le gouvernement syrien empêche les hommes d’âge militaire de quitter le pays et les recrute de force dans l’armée syrienne. Ces centaines de pages de documents portent toutes sur le risque auquel il serait exposé s’il devait retourner à la Syrie.

[48]  Cette crainte n’a pas été analysée par la SPR et aucun élément de preuve relatif à cette crainte n’a été mentionné. Dans sa décision, la SPR mentionne simplement qu’un passeport syrien est suffisant afin d’établir son identité et sa nationalité. Cette constatation rend l’analyse de sa situation en ce qui concerne la Syrie encore plus pertinente parce qu’il constitue un facteur de rattachement à ce pays. En revanche, la SPR a limité son examen à deux éléments de la demande d’asile, soit sa crédibilité relative à son orientation sexuelle et sa crédibilité relative à sa décision d’abandonner sa demande aux États-Unis. De plus, le membre de la SPR lui a demandé de ne pas s’exprimer sur sa crainte concernant la Syrie. En effet, voici l’observation du membre de la SPR :

[traduction] Très bien, maître, les questions en l’espèce en sont de crédibilité qui est toujours et [sic] question et plus précisément la crédibilité, le témoignage du demandeur concernant l’orientation sexuelles et concernant les raisons pour lesquelles il a quitté des Etats-Unis, voilà ce que vous devez discuter dans vos observations, je ne vous demande pas de faire des observations au sujet des conditions régnant en Syrie ou en Arabie saoudite.

[49]  La SPR a rejeté la demande du demandeur au motif qu’il ne s’était pas acquitté du fardeau de présenter une preuve crédible pour établir le bien-fondé de sa demande aux termes de l’article 96 de la LIPR. Se fondant sur une conclusion de manque de crédibilité quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas donné suite à sa demande d’asile aux États-Unis, la SPR conclut que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait aux termes de l’article 97 de la LIPR.

[50]  Encore une fois, je suis d’avis que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité ne sont pas raisonnables et je constate l’absence de toute analyse des éléments portant sur les conséquences d’un éventuel retour du demandeur en Syrie.

VII.  Conclusion

[51]  Même lorsque le demandeur peut manquer de crédibilité, le tribunal doit quand même examiner le fond de la demande d’asile en fonction des critères distincts des articles 96 et 97 de la LIPR (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1 (CanLII) aux paras 32-33; James C Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd, (Cambridge (UK): Cambridge University Press, 2014) aux pages 182-186; Wangchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 160 au para 26).

[52]  L’absence d’analyse de plusieurs composantes essentielles d’une demande d’asile constitue une erreur susceptible de contrôle (Vavilov au para 126; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17; Bains v Minister of Employment and Immigration (1993), 63 FTR 312).

[53]  La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune question n’est certifiée en vue d’examen par la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT au dossier IMM-1599-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1599-19

 

INTITULÉ :

MAJED KASSAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTFS:

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Me Jacques Beauchemin

 

Pour le demandeur

Me Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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