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Date : 20030408

Dossier : T-485-02

                                                                                                  Référence neutre : 2003 CFPI 414

Toronto (Ontario), le mardi 8 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

                                                                APOTEX INC.

                                                                                                                                     demanderesse

                                                                         - et -

                          SA MAJESTÉ LA REINE, BRISTOL-MYERS SQUIBB

                      CANADA INC. et BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

                                                                                                                                 défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Par la présente requête, Bristol-Myers Squibb Canada Inc. (BMS Canada), une des défenderesses, cherche à obtenir, en application de l'article 213 des Règles de la Cour fédérale (1998), un jugement sommaire partiel rejetant les parties suivantes de l'action de la demanderesse :


a)          La réclamation de la demanderesse visant la restitution des bénéfices réalisés par BMS Canada;

b)         La réclamation de la demanderesse visant l'indemnité pour les frais de justice engagés relativement au dossier de la Cour T-2020-99.

[2]                 L'action sous-jacente est fondée sur les mesures réparatoires prévues à l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98-166 (le Règlement), entré en vigueur en 1998. En résumé, ces mesures réparatoires permettent à une « seconde personne » (en l'occurrence la demanderesse) de demander réparation à une « première personne » (en l'occurrence BMS Canada) pour une période déterminée lorsqu'une procédure engagée en vertu de l'article 6 du Règlement (procédure en interdiction) a été retirée, a fait l'objet d'un désistement ou a été rejetée.

[3]                 En l'espèce, la procédure en interdiction a, de l'accord des parties, fait l'ojet d'un désistement et un avis de désistement, contenu au dossier de la Cour T-2020-99, a été signé par la demanderesse et BMS Canada entre autres en février 2001.


[4]                 Dans l'action en réparation fondée sur l'article 8 visée par la présente requête, la demanderesse réclame à BMS Canada plusieurs formes de réparation, notamment des dommages-intérêts découlant de l'engagement de la procédure en interdiction, de façon subsidiaire la restitution des bénéfices, et une indemnité pour les frais de justice que la demanderesse [TRADUCTION] « a dû engager pour se défendre dans la procédure en interdiction » .

[5]                 BMS Canada s'oppose à la restitution des bénéfices et à l'indemnité pour les frais de justice et cherche à faire rejeter ces réclamations dans un jugement sommaire partiel.

Fondement des objections de BMS Canada

[6]                 Concernant la réclamation de la demanderesse visant la restitution des bénéfices, BMS Canada dit que l'article 8 du Règlement ne permet pas une telle réparation et que la Cour n'a pas de compétence inhérente ou autre pour accorder une telle réparation dans la présente action.

[7]                 Au sujet de la réclamation de la demanderesse visant l'indemnité pour les frais de justice engagés pour se défendre dans la procédure en interdiction, BMS Canada dit que toutes les parties ayant participé à cette procédure, y compris la demanderesse, ont convenu de l'abandonner aux termes d'un accord selon lequel il n'y aurait pas d'adjudication de dépens, de sorte que la question a déjà été réglée et la demanderesse ne devrait pas être autorisée à la faire ressusciter dans la présente action sous le couvert d'une réclamation visant les « frais de justice » .


[8]                 BMS Canada dit que les réclamations de la demanderesse au sujet des bénéfices et des frais de justice sont tellement clairement irrecevables qu'elles devraient être rejetées dans la présente requête de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit « juste et la plus expéditive et économique possible » conformément à l'article 3 des Règles de la Cour fédérale (1998).

Principes régissant les jugements sommaires

[9]                 Les parties n'ont pas de différend important en ce qui concerne les principes généraux applicables dans une requête en jugement sommaire fondée sur les articles 213 à 219 des Règles de la Cour fédérale (1998). Conformément à ce qui est exposé dans des décisions telles que Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A. et al. (1996), 111 F.T.R. 189, je dois conclure soit que les réclamations en cause ne présentent aucune véritable question litigieuse, soit que la question en litige est tellement douteuse qu'elle ne mérite pas d'être examinée de façon approfondie. Aussi, chaque affaire doit être interprétée dans son propre contexte et devrait être instruite si les faits nécessaires ne sont pas dégagés ou si une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité.


[10]            Le fardeau d'établir qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse repose sur le requérant, mais les deux parties doivent « présenter leurs meilleurs arguments » pour que le juge des requêtes puisse trancher cette question, et le juge doit « examiner de près » le fond et, si possible, tirer des conclusions de fait et de droit si les documents le permettent : F. Bon Langsdorff Licensing Limited c. S.F. Concrete Technology Inc. (1999), 165 F.T.R. 74.

La réclamation visant les profits

[11]            La demanderesse dit, au sujet de sa réclamation visant le recouvrement des [TRADUCTION] « profits réalisés par BMS Canada » , qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse parce que l'article 8 du Règlement invoqué ne permet pas une telle réparation et la loi ne confère pas à Cour fédérale du Canada une compétence inhérente ou autre pour accorder une telle réparation.

[12]            L'article 8 du Règlement prévoit ce qui suit :



8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l'objet d'un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l'ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d'un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :                                                                      a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l'absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d'après la preuve qu'une autre date est plus appropriée;                                                                                                                                                                                                    b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l'annulation de l'ordonnance.                                                                                                                                                                                                                                                 (2) La seconde personne peut, par voie d'action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).                                                                                                     (3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.                                                                                  (4) Le tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte visée au paragraphe (1).                                                                                          (5) Pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu'il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1). DORS/98-166, art. 8 et 9.

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

                                                                                                                               (a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and                                     

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).                                       

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         (3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

                                                             (4) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

                                                                                                                                (5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1). SOR/98-166, ss. 8, 9.



[13]            Le paragraphe 8(4) prévoit effectivement que le « tribunal peut rendre l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits » , mais BMS Canada fait valoir que cette réparation doit être « à l'égard de la perte visée au paragraphe (1) » , de sorte que les « profits » auxquels renvoie le paragraphe 8(4) visent uniquement les profits perdus par la demanderesse. En d'autres mots, la restitution des profits réalisés par BMS Canada ne serait pas un recouvrement « à l'égard de la perte visée au paragraphe (1) » .

[14]            Selon BMS Canada, cette question est purement une question d'interprétation de la loi et aucune question au sujet de la preuve ou de la crédibilité ne m'empêche d'interpréter cet article.

[15]            Les arguments principaux invoqués par BMS Canada à l'appui de son interprétation de l'article 8 se résument comme suit :

a)         Le libellé de l'article 8 exclut clairement tout profit ayant pu être réalisé par la première personne, en l'occurrence BMS Canada. Le paragraphe 8(4), qui mentionne « profits » , renvoie clairement à « la perte visée au paragraphe (1) » , perte qui est subie par la deuxième personne, en l'occurrence la demanderesse;


b)         Les pertes visées à l'article 8 sont assimilables à un engagement à payer des dommages-intérêts dans le cadre d'une injonction interlocutoire lorsque les profits réalisés par le demandeur ne sont pas pertinents pour mesurer la perte subie par le défendeur;

c)         Accueillir, en vertu de l'article 8, la réclamation visant le recouvrement des profits réalisés par la première personne équivaudrait à accorder des bénéfices inattendus à la demanderesse qui ne sont clairement pas prévus par la loi;

d)         Permettre à la demanderesse d'obtenir le recouvrement des profits réalisés par BMS Canada équivaudrait aussi à lui permettre d'avoir accès à des « documents non pertinents et confidentiels » appartenant à BMS Canada de sorte que la demanderesse [TRADUCTION] « pourrait utiliser la procédure de la communication à des fins illégitimes; »

e)         Le paragraphe 8(5) du Règlement, qui prescrit que le tribunal doit « [tenir] compte des facteurs qu'il juge pertinents » « pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder » , indique clairement que les mesures réparatoires de l'article 8 sont de nature purement compensatoire et ne permettent pas de réclamer le recouvrement des profits réalisés par la première personne;


f)          Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagne le Règlement est un guide d'interprétation et il est muet sur la question des profits réalisés par la première personne;

g)         Le mot « ou » placé entre les termes « dommages-intérêts » et « profits » au paragraphe 8(4) signifie que la demanderesse doit choisir entre les pertes pertinentes et ses propres profits perdus;

[16]            BMS Canada admet qu'aucune décision n'a directement traité de cette question, mais elle estime que les remarques incidentes de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 3 C.P.R. (4th) 1, paragraphe 27, page 11, étayent cette interprétation de l'article 8 :

L'alinéa 8(1)a) prévoit expressément que le propriétaire d'un brevet dont la demande est rejetée est responsable de la perte qu'un fabricant de médicaments génériques a subie parce qu'on a tardé à lui délivrer un avis de conformité à cause de la demande. En vertu du paragraphe 8(4), la Cour a compétence pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte. L'article 8 du Règlement montre clairement que le gouverneur en conseil a reconnu que les fabricants de médicaments génériques pourraient faire l'objet de demandes injustifiées, y compris des demandes fondées sur des brevets non admissibles inscrits au registre, et qu'en pareil cas, il a prévu une réparation sous la forme du recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte.


[17]            BMS Canada soutient que le fait que la Cour d'appel fédérale ait parlé de « recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l'égard de la perte » prouve que la Cour estimait que le régime constitué par l'article 8 avait un objectif purement compensatoire et ne visait aucunement les profits réalisés par la première personne.

[18]            BMS Canada plaide, outre cette interprétation de l'article 8 du Règlement, que la Cour n'a pas autrement compétence en vertu de la loi, de la common law ou de l'équité pour autoriser la restitution des bénéfices de BMS Canada dans la présente affaire.

[19]            En ce qui concerne la question de savoir si les profits réalisés par la première personne peuvent être réclamés aux termes de l'article 8, les principaux arguments de la demanderesse se résument comme suit :

a)         Le paragraphe 8(4) prévoit clairement le « recouvrement de dommages-intérêts ou de profits » et n'empêche pas la demanderesse de réclamer les profits réalisés par la première personne. Accepter l'interprétation de cette disposition donnée par BMS Canada équivaut à accepter que le paragraphe 8(4) est en fait libellé comme suit : [TRADUCTION] « l'ordonnance qu'il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de profits ou de profits » parce que les dommages-intérêts subis par la deuxième personne seront immanquablement ses profits perdus;


b)         Le paragraphe 8(4) se veut une disposition large conférant compétence à la Cour pour rendre une ordonnance accordant la réparation de la façon qu'elle juge indiquée dans les circonstances, y compris le recouvrement de profits réalisés par la première personne si les circonstances l'exigent;

c)         Si les profits réalisés par la première personne ne pouvaient pas être réclamés, les parties se trouvant dans la situation de BMS Canada seraient grandement incitées à engager des procédures en interdiction chaque fois qu'elles recevraient un avis d'allégation, qu'il y ait une véritable possibilité de contrefaçon de brevet ou pas;

d)         La réparation prévue à l'article 8 du Règlement n'a pas la même portée qu'un engagement à payer des dommages-intérêts dans un cas d'injonction interlocutoire, mais constitue une mesure distincte prévue par la loi.

e)         Le renvoi au paragraphe 8(1) prévu au paragraphe 8(4) du Règlement constitue essentiellement un renvoi à une période dont la Cour doit tenir compte lorsqu'elle décide des recours appropriés et ce renvoi n'exclut pas le recouvrement des profits réalisés par la première personne;


f)          Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation joint au Règlement ne met pas l'accent sur tous les éléments de l'article 8 et n'est donc pas une interprétation qui lie la Cour;

g)         Les motivations de la demanderesse ne doivent pas être prises en considération pour interpréter l'article 8 et, en l'espèce, la demanderesse consentira à scinder sa réclamation pour apaiser les inquiétudes que BMS Canada pourrait avoir au sujet de l'accès à ses livres comptables, et ce avant même que la Cour décide que la demanderesse peut réclamer la restitution des bénéfices de la première personne.


[20]            La demanderesse ajoute ensuite que, même si l'article 8 du Règlement ne permet pas de réclamer les profits réalisés par la première personne, l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, confère à la Cour une compétence large pour accorder la réparation appropriée, notamment une restitution des bénéfices, lorsque l'action porte principalement sur un brevet. À l'appui de cette affirmation, la demanderesse cite notamment l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet-Dominion Inc. (1997), 73 C.P.R. (3d) 321, où la Cour d'appel fédérale a statué, à la page 355, que la Cour avait, en vertu de l'alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et des articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, compétence pour accorder la restitution des bénéfices même si l'alinéa 57(1)b) ne prévoit pas expressément une telle réparation.

[21]            La demanderesse conclut que la jurisprudence et les arguments qu'elle a produits au sujet de la possibilité de réclamer, en vertu de l'article 8, les profits réalisés par la première personne illustrent clairement que la façon dont BMS Canada interprète cet article est à tout le moins problématique et on ne peut pas se fonder sur les présents faits pour soutenir qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne la réclamation visant les « profits » .

[22]            La demanderesse ajoute que, malgré le pouvoir que l'alinéa 216(2)b) des Règles de la Cour fédérale (1998) confère à la Cour pour statuer sur un point de droit dans le cadre d'une demande en jugement sommaire, il ne serait pas approprié de le faire en l'espèce parce que l'article 8 du Règlement et son objet soulèvent des questions d'interprétation de la loi qui ne peuvent être examinées que dans le cadre d'un procès complet après présentation d'une preuve suffisante et complète.


[23]            Dans les décisions récentes relatives à des demandes en radiation où l'article 8 du Règlement a été invoqué, la Cour fédérale a constamment répété que les décisions sur des questions litigieuses de nature complexe ne doivent pas être prises lors de l'audition des requêtes, mais plutôt lors de l'instruction. Voir par exemple les décisions Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. (2001), 13 C.P.R. (4th) 78, page 83, et Apotex Inc. c. Merck & Co., [2002] A.C.F. no 236, 2002 CFPI 166.

[24]            BMS Canada plaide que les décisions sur les demandes en radiation soulevaient beaucoup plus de questions qu'en l'espèce, où je dois décider si on peut réclamer la restitution des bénéfices, et qu'aucune question de preuve ou autre ne m'empêche d'interpréter ce pur point de droit.

[25]            Le paragraphe 216(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit que, si je décide qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, je dois rendre un jugement sommaire en conséquence.

[26]            Les arguments forts, mais diamétralement opposés, de BMS Canada et de la demanderesse au sujet de la possibilité de réclamer la restitution des bénéfices (soit en vertu de l'article 8 du Règlement, soit en vertu de toute autre compétence dont jouit la Cour) m'ont convaincu qu'il s'agit d'une question grave non réglée qui requiert d'être examinée plus en profondeur dans le cadre d'une instruction complète.


[27]            En ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire que l'alinéa 216(2)b) des Règles confère à la Cour pour statuer sur le point de droit de savoir si la demanderesse peut, en vertu de l'article 8 du Règlement ou de toute autre compétence légale ou inhérente dont jouit la Cour, réclamer les profits réalisés par la première personne, je refuse de le faire parce que je ne dispose ni de tout le contexte de la réclamation de la demanderesse ni d'une preuve adéquate au sujet de l'objet véritable de l'article 8 du Règlement.

[28]            De telles questions complexes et de grande portée requièrent une explication plus approfondie et plus contextuelle de la signification et de l'objet de l'article 8 que celle que j'ai reçue dans le cadre de la présente requête et relèvent de la compétence du juge du procès. Je reprends les termes du juge Blanchard dans la décision Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co., précitée, paragraphe 13, même s'il les a employés dans le contexte d'une demande en radiation :

J'estime que l'interprétation de l'article 8 et la détermination de son objet est une question complexe d'interprétation de la loi et qu'il est préférable que cette question soit débattue à l'instruction, où il est possible de présenter les éléments de preuve appropriés, et que le juge des requêtes ne doit pas régler une telle question dans le cadre d'une procédure préliminaire.


[29]            Ces termes, repris dans des décisions subséquentes de la Cour relatives à des requêtes en radiation où l'article 8 était invoqué, n'avaient pas pour objet d'empêcher qu'un jugement sommaire détermine la portée des termes « de dommages-intérêts ou de profits » du paragraphe 8(4) du Règlement. Mais les documents et les arguments qui m'ont été présentés en l'espèce laissent entendre qu'une prudence similaire est requise et je refuse de rendre le jugement sommaire partiel demandé par BMS Canada en rejetant la réclamation de la demanderesse visant la restitution des bénéfices réalisés par BMS Canada.

La réclamation visant les frais de justice

[30]            J'ai une opinion différente au sujet de la réclamation de la demanderesse visant les frais de justice relatifs au dossier de la Cour T-2020-99.

[31]            Cette réclamation ne comporte pas de question complexe d'interprétation de la loi.

[32]            Pour justifier le rejet de cette partie de la réclamation de la demanderesse, BMS Canada a invoqué la préclusion et la chose jugée. La demanderesse plaide qu'une entente à l'amiable suivie d'un avis de désistement signé et déposé aux termes d'un accord selon lequel il n'y aurait pas d'adjudication de dépens ne constitue pas une ordonnance définitive de sorte qu'on ne peut invoquer la chose jugée.

[33]            La demanderesse soutient aussi que l'entente à l'amiable prévue à l'avis de règlement ne constitue ni une entente ayant force obligatoire ni une renonciation aux réclamations que l'une ou l'autre partie peut avoir quant aux dommages-intérêts relatifs aux frais de justice.


[34]            En fait, la demanderesse a poussé cette question plus loin et a déposé en preuve l'affidavit dans lequel le Dr Bernard Sherman, [TRADUCTION] « président et président-directeur général » de la demanderesse, affirme que la demanderesse [TRADUCTION] « n'était pas requise de renoncer à toutes les réclamations qu'elle pouvait avoir, notamment les réclamations visant l'obtention de dommages-intérêts pour les dépenses [qu'elle a] engagées pour sa défense » .

[35]            Il n'y a pas eu de renonciations, mais l'avis de désistement indique à première vue que les parties se sont désistées de la procédure aux termes d'un accord selon lequel il n'y aurait pas d'adjudication de dépens. La seule interprétation raisonnable de cette entente est celle qui est évidente : les parties ont convenu de ne pas se réclamer mutuellement des dépens après le désistement de la procédure en interdiction contenue au dossier de la Cour T-2020-99. L'interprétation de l'entente faite par le Dr Sherman ne change en rien les attentes raisonnables suscitées par le document même.

[36]            L'avocat de la demanderesse n'a pas nié l'existence de l'entente, mais a soutenu que ses modalités n'empêchaient pas une réclamation visant les « frais de justice » parce que des « dépens » ne sont pas des « frais de justice » . Il a aussi fait valoir que la seule preuve présentée au sujet du contenu de l'entente se trouvait dans l'affidavit du Dr Sherman.


[37]            La meilleure preuve dont je dispose est cependant l'avis de désistement même. De plus, l'interprétation du Dr Sherman n'est pas décisive, même en l'absence d'une preuve par affidavit de BMS Canada dans laquelle cette dernière indiquerait sa compréhension de l'entente et ce qui a fait ou n'a pas fait l'objet de discussions.

[38]            Je trouve aussi que les faits de l'espèce permettent difficilement de faire des distinctions entre les « frais de justice » et les « dépens » . Parmi les définitions de [TRADUCTION] « dépens » données dans le Canadian Oxford Dictionary (2001), on retrouve la suivante : [TRADUCTION] « frais juridiques, notamment les frais judiciaires qui sont adjugés à la partie gagnante ou ceux auxquels est condamnée la partie perdante lors d'un procès    » . Je conclus par conséquent que le contexte de la présente affaire permet d'assimiler les termes « dépens » et « frais » et que les parties ont effectivement convenu qu'elles ne se réclameraient pas mutuellement les frais engagés relativement au dossier de la Cour T-2020-99.

[39]            Il n'existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne les frais de justice. Par conséquent, BMS Canada devrait obtenir un jugement sommaire sur cette question et la réclamation de la demanderesse visant l'indemnité pour les « frais de justice » qu'Apotex a dû engager pour se défendre dans la procédure en interdiction » devrait être rejetée dans l'action intentée dans le dossier de la Cour T-485-02.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête de BMS Canada en vue de l'obtention d'un jugement sommaire partiel rejetant la partie de l'action de la demanderesse visant la restitution des bénéfices réalisés par BMS Canada est rejetée et cette partie de l'action devrait être instruite de la façon habituelle;

2.         La requête de BMS Canada en vue de l'obtention d'un jugement sommaire partiel pour la partie de l'action de la demanderesse visant l'indemnité pour les frais de justice engagés relativement au dossier de la Cour no T-2020-99 est accueillie.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente requête.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            T-485-02

INTITULÉ :                                                    APOTEX INC.

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE, BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

défenderesses

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE JEUDI 3 AVRIL 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE RUSSELL

DATE :                                                     LE MARDI 8 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :                                              M. Andrew R. Brodkin

pour la demanderesse

Aucune comparution

pour la défenderesse

Sa Majesté la Reine

M. Antony G. Creber

Mme Cristin A. Wagner

pour la défenderesse

Bristol-Myers Squibb Canada Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Goodmans

Avocats

250, rue Yonge Ouest, bureau 2400, boîte 24

Toronto (Ontario) M5B 2M6

pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour la défenderesse

Sa Majesté la Reine

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Avocats

160, rue Elgin, bureau 2600

Ottawa (Ontario) K1P 1C3

pour la défenderesse

Bristol-Myers Squibb Canada Inc.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             Date : 20030408

                                                                      Dossier : T-485-02

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE, BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

défenderesses

                                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                        


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