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Date : 20030923

Dossier : IMM-3197-02

Référence : 2003 CF 1088

ENTRE :

                                                             GUI LAN SHI

                                                                                                                            demanderesse

                                                                     - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                   défendeur

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                La question de fond que soulève cette demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a commis une erreur sujette à révision en permettant que deux Formulaires de renseignements personnels (FRP) dûment épurés, et produits dans d'autres affaires, soient utilisés comme preuve à l'audience tenue par la SSR pour déterminer si Mme Shi était une réfugiée au sens de la Convention. Mme Shi dit que, en agissant de la sorte, la SSR a porté atteinte aux droits à la vie privée des personnes aux FRP desquelles elle s'est reportée et que l'effet de ce manquement à la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, a été de vicier et de pervertir l'audience relative à la revendication de Mme Shi. La question résulte des circonstances suivantes.

[2]                Mme Shi est une ressortissante de la République populaire de Chine qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle est une adepte et une disciple de la religion Tian Dao. Mme Shi est d'abord allée au Canada en voyage d'affaires, accompagnée de deux collègues travaillant pour le même employeur qu'elle en Chine. Durant le traitement de sa revendication, un agent chargé de la revendication (ACR) a appris que les deux collègues de Mme Shi avaient également revendiqué le statut de réfugié au Canada. Un examen de leurs dossiers et de leurs FRP a révélé que leurs revendications étaient elles aussi fondées sur leur adhésion au Tian Dao et que les trois revendicateurs s'étaient adressés au même service d'immigration et avaient présenté leurs revendications au même centre de Citoyenneté et Immigration, à quelques jours d'intervalle les uns des autres. Il y avait également une similitude frappante entre les FRP des trois revendicateurs.


[3]                Apprenant cela, l'ACR a demandé, lors d'une conférence préparatoire, que les FRP des deux autres revendicateurs soient présentés au commissaire de la SSR qui allait étudier la revendication de Mme Shi. L'avocate de Mme Shi s'y est opposée. Le commissaire a donc ordonné que les deux autres revendicateurs soient convoqués comme témoins de la Commission à l'audition du cas de Mme Shi, moment auquel ils pourraient alors s'opposer à l'utilisation de leurs FRP.

[4]                L'un des revendicateurs (le premier revendicateur) a donc été assigné à comparaître comme témoin et s'est présenté avec son avocat à l'audition du cas de Mme Shi devant la SSR. L'autre revendicateur (le second revendicateur) ne s'est pas présenté, et il n'est pas sûr qu'une assignation à comparaître lui ait été dûment signifiée. Avant le début de l'audience du cas de Mme Shi, le premier revendicateur a consenti à la production de son FRP, à condition qu'il soit expurgé par suppression des renseignements qui l'identifiaient et à condition qu'il soit dispensé de témoigner. L'avocate de Mme Shi n'a pas soulevé d'objection. Je retiens que Mme Shi est représentée devant la Cour par une autre avocate.


[5]                S'agissant du FRP du deuxième revendicateur qui n'a pas comparu, la SSR a relevé que ni son FRP ni le FRP du premier revendicateur ne comportaient la page couverture habituelle qui informe les revendicateurs que leur FRP pourrait servir dans d'autres cas. Le commissaire ne savait donc pas si le deuxième revendicateur avait reçu cette mise en garde. Malgré cela, il a accepté comme preuve le deuxième FRP, de nouveau après l'avoir expurgé par suppression des mêmes renseignements que pour le FRP du premier revendicateur.

[6]                Mme Shi a témoigné à l'appui de sa revendication et elle a été interrogée par l'ACR. À la fin de l'audience, le commissaire a rendu oralement une décision défavorable. La SSR a estimé que le témoignage de Mme Shi n'était pas crédible et que Mme Shi avait fabriqué son récit pour revendiquer le statut de réfugié au Canada. Cette conclusion reposait essentiellement sur ce que la SSR a appelé la « coïncidence incroyable » des trois revendications similaires, ainsi que le détachement montré par Mme Shi à l'égard de cette coïncidence. Le commissaire a jugé invraisemblable que Mme Shi n'eût pas montré plus de surprise en apprenant que deux personnes avec lesquelles elle avait travaillé pendant plusieurs années étaient des adeptes du Tian Dao et avaient revendiqué le statut de réfugié à peu près en même temps qu'elle.


[7]                Après avoir rendu sa décision orale et signé des motifs écrits qui la confirmaient, la SSR prit connaissance de la décision de monsieur le juge O'Keefe dans l'affaire A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 3 (1re inst.). Le commissaire a alors rédigé des motifs supplémentaires dans lesquels il faisait observer que [traduction] « bien que le commissaire soit d'avis qu'il est maintenant dessaisi du dossier, le jugement A.B. montre que des renseignements complémentaires devraient être obtenus » . Puis il a dit que, même s'il avait été informé du jugement A.B. au moment de rendre sa décision initiale, il aurait admis les FRP comme preuve. La SSR a dit aussi qu'elle serait arrivée à la même conclusion en se fondant sur le seul FRP du premier revendicateur, FRP qui avait été admis comme preuve avec le consentement de son auteur.

[8]                Je n'accorde aucune valeur à ces motifs supplémentaires. Je reconnais que la SSR était dessaisie du dossier lorsqu'elle a prétendu prononcer des motifs supplémentaires. Aucun poids ne peut ni ne devrait être accordé aux observations subséquentes de la SSR.

[9]                Mme Shi affirme maintenant que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a utilisé comme preuve les renseignements figurant dans les FRP des deux autres revendicateurs, et elle dit qu'elle a commis une erreur en affirmant que Mme Shi n'était pas crédible. D'autres erreurs, y compris la partialité, étaient alléguées dans les conclusions écrites déposées au nom de Mme Shi, mais elles n'ont pas été mises en avant dans la plaidoirie.

(i) L'utilisation des deux FRP


[10]            Mme Shi s'en rapporte au jugement rendu par le juge O'Keefe dans l'affaire A.B., jugement selon lequel le dossier d'un revendicateur du statut de réfugié constitue des renseignements personnels relevant d'une institution fédérale, selon ce que prévoit la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle dit que, à moins que le revendicateur concerné ne consente à l'utilisation de ce dossier, les renseignements qu'il contient ne peuvent donc être divulgués que dans le cadre du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L'alinéa 8(2)a) de cette Loi autorise la communication de tels renseignements aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins, mais le juge O'Keefe a estimé que la décision qui doit disposer de la revendication d'un autre demandeur d'asile n'était pas un usage compatible avec la tâche de statuer sur la revendication d'un demandeur d'asile. Il s'ensuivait que, sauf le consentement d'un revendicateur, la SSR ne pouvait communiquer les renseignements personnels de ce revendicateur à un autre revendicateur.

[11]            Il s'ensuit, de dire Mme Shi, que la communication des renseignements d'autres revendicateurs était contraire à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans la mesure où le premier revendicateur a consenti à l'utilisation de son FRP expurgé, Mme Shi affirme que rien ne prouve que ce consentement a été donné librement et aussi que le consentement du premier revendicateur était subordonné à la condition que le premier revendicateur ne soit pas tenu de témoigner ni de subir un contre-interrogatoire. Ce serait là semble-t-il un sujet d'inquiétude pour Mme Shi.


[12]            Dans sa réponse, l'avocate du ministre concède que la procédure suivie dans cette affaire « n'est pas une balise indiquant la marche à suivre » . Cela dit, le ministre soutient que le point essentiel à décider est de savoir s'il y a matière à infirmer la décision à cause d'une présumée violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Tout en admettant que le dossier tout entier d'un demandeur d'asile, y compris l'information vitale, le récit du revendicateur et son FRP, constitue des renseignements personnels relevant d'une institution fédérale, le ministre dit qu'il n'y a pas eu communication irrégulière des renseignements ou, subsidiairement, que Mme Shi n'a pas qualité pour alléguer l'atteinte au droit d'un tiers à la vie privée. Le ministre admet que la décision d'utiliser les FRP comme preuve est validement l'objet d'un contrôle dans cette demande. La position contraire avait été avancée dans les conclusions écrites du ministre.

[13]            Dans l'examen des conclusions, j'observe d'entrée de jeu qu'à mon avis, Mme Shi ne peut plus à ce stade déplorer l'absence d'une preuve indiquant si le premier revendicateur avait librement consenti à l'utilisation de la version expurgée de son FRP. Elle ne peut pas davantage, aujourd'hui, se plaindre que son avocate n'a pas été autorisée à contre-interroger ce revendicateur. L'avocate de Mme Shi n'a pas formulé d'objection à la SSR sur l'un ou l'autre de ces aspects et elle a semblé s'accommoder de la procédure suivie par la SSR. Les objections de cette nature qui ne sont pas soulevées devant la SSR ne peuvent être soulevées devant la Cour fédérale comme griefs de contrôle judiciaire.


[14]            Il s'ensuit que le FRP produit avec le consentement de son auteur a été validement utilisé comme preuve pertinente et, en raison du consentement de l'auteur à son utilisation, il ne peut être question maintenant de violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[15]            S'agissant de l'à-propos de l'utilisation du deuxième FRP, si l'on suppose, sans plus, que le FRP a été utilisé d'une manière qui portait atteinte aux droits de son auteur à la vie privée, il m'apparaît que Mme Shi ne peut invoquer ladite utilisation du FRP pour affirmer que la décision de la SSR devrait être annulée.


[16]            Les avocats n'ont pu renvoyer la Cour à un quelconque précédent sur cet aspect, mais je crois que l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, est ici utile. Dans cette affaire, l'accusé avait été soupçonné de faire le trafic de drogues et de conserver de la drogue dans l'appartement de son amie. La police avait arrêté l'accusé sous l'inculpation de conduite d'un véhicule malgré le retrait de son permis de conduire. Les officiers de police ont alors téléphoné à l'appartement de l'amie de l'accusé et ont obtenu la coopération de celle-ci grâce à plusieurs déclarations qui furent décrites comme mensonges et demi-vérités. L'amie de l'accusé a ensuite conduit la police vers une importante cache de drogue, en désignant l'accusé comme la personne qui avait déposé la drogue dans son appartement. L'accusé affirmait que la perquisition menée dans l'appartement de son amie équivalait à une entrée par effraction, qui portait atteinte à ses droits garantis par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives). La Cour suprême devait déterminer si l'accusé avait le droit de contester l'utilisation de preuves obtenues à la suite d'une perquisition menée dans les locaux d'un tiers. Les juges majoritaires ont estimé qu'un redressement selon la Charte ne pouvait être revendiqué que par la personne dont les droits fondamentaux ont été ignorés. Exprimant l'avis que l'article 8 de la Charte confère un droit personnel, la Cour a jugé que, pour pouvoir contester la légalité d'une perquisition, l'accusé doit établir qu'il y a eu atteinte à son propre droit à la vie privée.

[17]            Après lecture de l'ensemble de la Loi sur la protection des renseignements personnels, je suis moi aussi d'avis que les droits protégés par cette Loi sont des droits qui appartiennent à ceux dont les renseignements personnels relèvent d'une institution fédérale. Comme l'indique l'article 2 de cette Loi, elle a pour objet « de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels... qui les concernent » [c'est moi qui souligne]. Partant, seul l'intéressé peut se plaindre si les renseignements personnels qui le concernent sont utilisés sans son consentement ou d'une manière que n'autorise pas la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il s'ensuit aussi que Mme Shi ne peut invoquer une présumée atteinte aux droits d'un autre revendicateur qui sont protégés par cette Loi.


[18]            Dans ces conditions, il ne m'est pas nécessaire de me demander s'il y a eu transgression de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La preuve est fragile et ne permet pas de dire si le deuxième revendicateur avait connaissance de l'audition du cas de Mme Shi ou s'il savait que son FRP y serait utilisé. Si l'on ajoute à cela le caractère assez peu développé des conclusions avancées dans cette demande de contrôle judiciaire, je suis amenée à conclure qu'il est préférable que je m'abstienne de décider ce point.

(ii) La conclusion de non-crédibilité

[19]            La conclusion de la SSR selon laquelle Mme Shi n'était pas crédible s'expliquait surtout par les similitudes des dépositions des trois revendicateurs. Puisqu'à mon avis la SSR n'a pas commis d'erreur en utilisant comme preuve le FRP du premier revendicateur avec le consentement de celui-ci, et puisque j'ai estimé que, eu égard aux circonstances, l'utilisation du deuxième FRP comme preuve ne constitue pas un grief de contrôle judiciaire, je suis d'avis que la conclusion de non-crédibilité est justifiée par la preuve et n'est pas manifestement déraisonnable.

CONCLUSION

[20]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Les avocates ont sept jours à compter de la date de réception des présents motifs pour signifier et déposer leurs conclusions en vue de faire certifier une question. Par la suite, ils auront trois jours supplémentaires à compter de la réception des conclusions de la partie adverse pour signifier et déposer leurs réponses auxdites conclusions.


[21]            Ensuite, après examen des conclusions visant à faire certifier une question, une ordonnance sera rendue rejetant la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                               « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                                                           Juge                        

Ottawa (Ontario)

le 23 septembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                        COUR FÉDÉRALE

                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3197-02

INTITULÉ :                                        Gui Lan Shi c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 4 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                       le 23 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Nancy Myles Elliott                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Myles Elliott

Avocate

Markham (Ontario)                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                      POUR LE DÉFENDEUR


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