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Date : 20051028

Dossier : T-2019-04

Référence : 2005 CF 1460

Ottawa (Ontario), ce 28ième jour d'octobre 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                               SAPUTO GROUPE BOULANGERIE

(auparavant Culinar Inc.)

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                                                   NATIONAL IMPORTERS INC.

                                                                             

                                                                                                                                     Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, c. T-13 (la Loi) de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la « Commission » ) rendue le 5 août 2004 relativement à la demande d'enregistrement de la marque de commerce CARAMELLA (no. 873247). Par cette décision, la Commission rejetait l'opposition soulevée par la demanderesse Culinar Inc., devenue en 2001 Saputo Groupe Boulangerie Inc. par modification de ses statuts. Cette société était détentrice depuis le 30 juin 1995 de la marque de commerce AH CARAMEL! (LMC-444,815), sujet à la base de l'opposition présentée.


[2]                La demanderesse demande à cette Cour :

-            d'infirmer la décision de la Commission;

-            de déclarer que la marque de commerce CARAMELLA n'est pas enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu'elle crée de la confusion au sens des articles 2 et 6 de la Loi;

-            de déclarer que la défenderesse National Importers Inc. n'est pas une personne admise à l'enregistrement de la marque CARAMELLA en vertu de l'alinéa 16(3)a) de la Loi, parce qu'elle crée de la confusion au sens des articles 2 et 6 de la Loi;

-            de déclarer que la marque CARAMELLA n'est pas distinctive au sens de l'article 2 et de l'alinéa 38(2)d) de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à l'appel interjeté en l'espèce, conformément à l'article 56 de la Loi?

2.         Est-ce que la Commission a erré en décidant que la marque CARAMELLA était enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi, au motif qu'elle n'engendrerait pas de confusion au sens des articles 2 et 6 de la Loi ?


3.         Est-ce que la Commission a erré en concluant que la défenderesse est une personne admissible à l'enregistrement de la marque de commerce CARAMELLA au sens de l'article 16(3)a) de la Loi?

4.         Est-ce que la Commission a erré en décidant que la marque de commence CARAMELLA est distinctive au sens de l'article 2 et de l'alinéa 38(2)d) de la Loi?

CONCLUSION

[4]                Je dois répondre par la négative à toutes les questions en litige pour les raisons expliquées ci-après.

CONTEXTE FACTUEL

[5]                La demanderesse est titulaire de la marque de commerce AH CARAMEL! depuis le 30 juin 1995. L'enregistrement de la marque de commerce AH CARAMEL! décrit les marchandises commercialisées par la demanderesse sous cette marque de la façon suivante :


« collations et desserts, nommément : gâteaux, pâtisseries, danoises, muffins, beignes, barres granola, feuilletés et craquelins » .    La demanderesse est également titulaire de la marque de commerce CARAMEL & DESSIN depuis le 31 mars 1995 en ce qui a trait à des « produits alimentaires nommément gâteaux » . Cette marque de commerce lui donne droit à l'usage exclusif du mot « CARAMEL » dans l'emploi de sa marque de commerce seulement, et protège le dessin qui y est associé. Ce n'est pas sur la marque de commerce CARAMEL & DESSIN que la décision de la Commission est fondée.

[6]                Le 25 mars 1998, la défenderesse déposait au Bureau des marques de commerce du Canada (le « Bureau » ) une demande d'enregistrement pour la marque CARAMELLA en rapport avec des « produits alimentaires, nommément produit à tartiner à utiliser en cuisson et en boulangerie et pâtisserie » . Le 10 mars 1999, la Commission publiait la demande d'enregistrement dans le Journal des marques de commerce en vue de permettre aux intéressés éventuels de s'y opposer. Le 30 juin 1999, la demanderesse produisait une déclaration d'opposition dans laquelle elle alléguait que la marque de commerce CARAMELLA n'était pas enregistrable en vertu des alinéas 38 (2)(b)(c) et (d). Les motifs au soutien de la déclaration d'opposition étaient les mêmes que ceux qui font l'objet du présent appel.

[7]                Le 5 août 2004, la Commission rejetait l'opposition de la demanderesse en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi. La demanderesse en appelle de cette décision devant notre Cour.

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DE L'APPEL

[8]                En ce qui a trait au premier motif d'opposition, soit la confusion, la Commission a analysé les critères énumérés aux alinéas 6(5)a) à e). Elle a conclu que la marque CARAMELLA ne risquait pas de créer de la confusion.


[9]                La Commission a d'abord insisté sur l'importance de prendre en considération l'ensemble des circonstances de l'espèce (para. 16). Puis, elle a souligné que le caractère distinctif inhérent et dominant des marques en litige est le mot « CARAMEL » , et qu'il s'agit d'un terme descriptif des marchandises vendues sous ces marques.

[10]            S'appuyant sur la jurisprudence, la Commission a remarqué que les éléments descriptifs

« sont considérés faibles » (sont peu distinctifs) (para. 20) et qu'aucun commerçant n'a le droit de monopoliser un terme descriptif comme « CARAMEL » en liaison avec des produits alimentaires. Résumant son analyse, la Commission a décidé que les deux marques avaient un « certain caractère distinctif inhérent » en raison de leurs éléments additionnels. Elle ajoute que le caractère distinctif inhérent de chacune des marques est relativement faible compte tenu de la domination de l'élément « CARAMEL » sur les éléments additionnels. De plus, la Commission a conclu que la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues ainsi que la période pendant laquelle les marques ont été utilisées sont des facteurs à l'avantage de la demanderesse.

[11]            En ce qui a trait aux genres de marchandises, services ou entreprises, la Commission a remarqué que les produits étaient vendus dans le même genre d'établissements, mais que le genre de marchandises était très différent. À son avis, la vaste majorité des produits alors vendus sous la marque AH CARAMEL! sont des petits gâteaux préemballés tandis que les produits vendus sous la marque CARAMELLA se limitent à de la tartinade.


[12]            Finalement, quant au degré de ressemblance entre les marques de commerce en litige, la Commission remarque une « certaine similitude » (para. 30) entre elles au plan visuel et phonétique, mais invite à faire une analyse plus globale des marques en cause. S'appuyant notamment sur la preuve ayant trait à la multitude de marques de commerce comprenant le mot CARAMEL (ou des variantes) et figurant à la base de données du Bureau (selon l'affidavit de Linda Joyce Elford, recherchiste en marques de commerce), la Commission a conclu que la marque de commerce CARAMELLA ne donnerait pas lieu à de la confusion.

[13]            Quant au deuxième motif et au troisième motif, la Commission a repris les conclusions tirées sur la question de la confusion. Elle a jugé que la demande d'opposition devait être rejetée puisque la marque CARAMELLA ne risquerait pas d'induire les consommateurs en erreur en ce qui a trait à la source du produit.

PREUVE DEVANT LA COMMISSION

a) Preuve de la demanderesse: l'affidavit de M . Dino Dello Sbarba

[14]            M. Sbarba est vice-président exécutif, ventes et marketing de la demanderesse.

[15]            Dans son affidavit du 16 février 2000, M. Sbarba a présenté les activités de la demanderesse et a fait état de l'utilisation que celle-ci fait de la marque de commerce AH CARAMEL!. Plus précisément, il a indiqué que les activités de la demanderesse consistaient à fabriquer, à distribuer, à mettre en marché et à vendre divers produits alimentaires tels que des biscuits, des gâteaux, des pâtisseries, des confitures, des soupes et d'autres aliments en tous genres. Ces produits sont distribués dans plus de 40 000 points de vente. Certains de ces produits sont vendus sous la marque de commerce AH CARAMEL!. Cette marque a été enregistrée au Canada par Culinar Inc. (devenu Saputo Groupe Boulangerie) le 30 juin 1995, tel qu'il appert de l'enregistrement de la marque AH CARAMEL! produit au soutien de l'affidavit de M. Sbarba. La marque aurait été employée au Canada depuis le 11 mai 1995. Selon M. Sbarba, les ventes des produits et des services aux distributeurs de cette marque de commerce totalisaient entre 24 et 27 millions de dollars chaque année entre 1996 et 1999. M. Sbarba a déposé en preuve des factures indiquant que le produit était vendu un peu partout au Canada, ainsi que des emballages représentatifs de la marque de commerce et des échantillons de documents promotionnels. Finalement, il a indiqué devant la Commission que la demanderesse aurait dépensé au minimum 100 000$ par année entre 1995 et 1999 pour la publicité et la promotion.

b) Preuve de la défenderesse

i)         Affidavit de Mme Linda Joyce Elford

[16]            L'affidavit de Mme Elford, propriétaire de la compagnie Trade Mark Reflections, est daté du 13 mars 2000. Cette compagnie offre ses services pour effectuer des recherches dans l'inventaire public de toutes les marques de commerce enregistrées tenu par le Bureau. Mme Elford a fait en mars 2000 une recherche afin de repérer toutes les marques enregistrées ou sur le point de l'être, commençant par les lettres « CARAM » , et liées à des produits alimentaires.   

[17]            Les résultats de la recherche et les enregistrements apparaissant au registre, joints à l'affidavit, démontrent qu'il y a une multitude de marques de commerce qui commencent par ces cinq lettres.

ii) Affidavit de M. Casey Wust

[18]            M. Wust est le vice-président et directeur de l'exploitation de la société défenderesse. Dans son affidavit du 27 juillet 2000, il indique que la défenderesse a débuté la vente de sa tartinade CARAMELLA en mai 1999. Il a joint à son affidavit un exemple de l'emballage du produit distribué par la défenderesse. Il a également déposé en preuve une liste de tous les magasins qui ont acheté ces produits entre le mois de mai 1999 et celui de mars 2000 afin de démontrer que la tartinade de la défenderesse est en vente dans des épiceries et des magasins d'aliments à travers le Canada. De plus, un exemple du matériel promotionnel utilisé par la défenderesse est joint à son affidavit.

[19]            M. Wust a indiqué ne pas être au courant de situations où il y eut confusion en ce qui a trait à la source du produit CARAMELLA et du produit AH CARAMEL!.

PREUVE NOUVELLE PRÉSENTÉE DEVANT LA COUR

a) Preuve de la demanderesse

i) Affidavit de M. Michel Lanctôt

[20]               L'affidavit de M. Lanctôt, vice-président marketing de la demanderesse, est daté du 6 décembre 2004. M. Lanctôt indique qu'en plus des produits décrits par M. Sbarba dans son affidavit, la demanderesse commercialise des biscuits et des tartinades par l'entremise de deux contrats de licence.

[21]            Le premier de ces contrats, conclu avec Dare Foods limited, concerne l'utilisation de la marque AH CARAMEL! pour la vente de biscuits ( « biscuits AH CARAMEL! » ). Ce contrat, conclu en 2001, n'a pas été produit en preuve. Entre 2001 et 2004, ces biscuits ont généré des ventes aux distributeurs de plus de 20 millions de dollars. Cette preuve n'a pas fait l'objet d'objections.

[22]            Le second contrat de licence, conclu avec J.M. Smuckers Canada, touche la fabrication, la distribution et la vente au Canada de tartinade sous la marque AH CARAMEL!. La date de ce contrat n'est pas révélée dans l'affidavit de M. Lanctôt. La commercialisation de la tartinade AH CARAMEL! a commencé en 2001. L'affidavit de M.Lanctôt contient des données sur l'importance des ventes de cette tartinade entre 2001 et 2004, exprimées en nombre de caisses et en dollars. La défenderesse a soulevé une objection à l'égard de cette preuve.

[23]            M. Lanctôt ajoute que des produits nouveaux ont été mis en marché sous la marque AH CARAMEL! pendant l'année 2004, et que des sommes importantes ont été investies en publicité.

[24]            M. Lanctôt précise en outre dans son affidavit que l'usage à très grande échelle de la marque AH CARAMEL! a fait en sorte que cette marque a selon lui acquis une très grande notoriété au Canada, de même qu'une position importante dans le marché. Il indique que la marque AH CARAMEL! est maintenant si puissante qu'elle peut être utilisée pour vendre des gâteaux qui ne contiennent pas de caramel. M. Lanctôt a soumis en preuve des exemples de petits gâteaux portant la marque AH CARAMEL! mais ne contenant pas de caramel. Selon lui, la marque aurait acquis un sens secondaire.


ii) Affidavit de Mme Patricia Thomas et étude AD HOC

[25]            Mme Thomas est vice-présidente à la recherche chez AD HOC RECHERCHE INC., une entreprise spécialisée dans la conduite de sondages et l'analyse de statistiques. À la demande de M. Lanctôt, elle a préparé un rapport fondé sur une étude, menée par la firme où elle travaille, portant sur « la notoriété, la consommation et l'équité des principales marques de commerce de Vachon » . Des extraits de ce rapport ( « étude de AD HOC » ) ont été joints à son affidavit du 6 décembre 2004. La défenderesse s'est opposée à ce que la Cour reçoive en preuve l'affidavit et l'étude AD HOC. Plusieurs remarques quant à la qualité de l'étude ont également été formulées. Je dispose plus loin de ces objections.

iii) Affidavit de M. Christian Pichette

[26]            M. Pichette est président et directeur général de la compagnie Pigeon Canada Inc. et de la compagnie à numéro 9072-0012 Québec Inc. faisant affaire sous la raison sociale de Pigeon Branding et Design, une firme spécialisée en marketing. Les connaissances de M. Pichette en matière de marques de commerce sont principalement liées à des produits de consommation courante tels que les produits alimentaires.

[27]            À la demande de M. Lanctôt, M. Pichette a consulté l'étude AD HOC. Il en a tiré les conclusions suivantes dans son affidavit du 6 décembre 2004 :

-            les produits commercialisés sous la marque de commerce AH CARAMEL! sont les produits de pâtisserie préemballés les plus vendus au Canada;

-            la marque AH CARAMEL! est une marque porteuse, c'est-à-dire une marque qui peut être appliquée à des catégories de produits autres que celle des petits gâteaux préemballés au caramel, ce qui est selon lui un phénomène rare et exceptionnel;

-            la marque AH CARAMEL! aurait une notoriété totale de 66% au Canada. Ce pourcentage est selon M. Pichette un pourcentage élevé et très rarement rencontré pour des produits alimentaires;

-           le consommateur associe cette marque à la catégorie de produits de boulangerie et de pâtisserie. Il indique que cette marque est devenue une marque de référence dans le domaine;

-            le consommateur moyen de produits alimentaires au Canada confronté à la marque proposée CARAMELLA de la défenderesse ayant un souvenir imparfait de la marque de commerce AH CARAMEL! pourrait penser que l'un et l'autre viennent d'une même source. Il est d'avis que cette confusion est même inévitable dans de telles circonstances.

[28]            La défenderesse a formulé de nombreux commentaires à l'égard de la nouvelle preuve de la demanderesse, et s'objecte à certaines parties de cette preuve.

b) Preuve de la défenderesse

i) Affidavit de Mme Diana Phillips

[29]            Mme Phillips est la Directrice des marques de commerce pour la défenderesse. À ce titre, elle a déclaré être chargée d'analyser la performance de la marque CARAMELLA par rapport aux résultats des ventes et de la promotion.

[30]            L'affidavit du 1er février 2005 de Mme Phillps vise à mettre à jour l'information contenue dans l'affidavit du 27 juillet 2000 de M. Wust. Depuis 1999, la défenderesse vend ses produits de tartinade sous la marque CARAMELLA dans les épiceries partout au Canada.

[31]            La défenderesse a toujours utilisé le même emballage et le même genre d'étiquette pour la vente de ses produits. En date du 31 décembre 2004, elle avait vendu plus de 90 000 pots de tartinade CARAMELLA selon l'affidavit de Mme Phillips. Lors de l'audition, la défenderesse a corrigé ce chiffre: 80 000 pots ont été vendus depuis que le produit est sur le marché.

[32]            Afin de démontrer que les produits CARAMELLA sont connus du public, Mme Phillips a joint à son affidavit des exemples de recettes promotionnelles distribuées avec la tartinade CARAMELLA et une coupure tirée du journal La Presse. Mme Phillips a également indiqué que des stands promotionnels ont été tenus dans quelques épiceries du Québec pendant de courtes périodes au cours de l'année 2004.

[33]            Finalement, Mme Phillips indique ne pas être au fait de quelque cas de confusion que ce soit entre les marques CARAMELLA et AH CARAMEL!.

ii) Affidavit de M. Claude Gauthier

[34]            M. Gauthier, représentant des ventes pour la société défenderesse, a déposé en preuve une liste de produits achetés dans une épicerie du Québec dont les noms comprennent le mot

« CARAMEL » . Des photocopies de la facture et de l'emballage des produits dont il a fait l'achat sont également jointes à son affidavit daté du 1er février 2005.

iii) Affidavit de M. Claude Gauthier (#2)

[35]            M. Gauthier a déposé un second affidavit, daté lui aussi du 1er février 2005. Cet affidavit est semblable au premier. Dans ce cas, les recherches de produits ont été faits en ligne sur le site Internet des supermarchés IGA. M. Gauthier a mené ses recherches de produits à partir du mot

« CARAM » . L'affidavit est accompagné d'une version papier du résultat des recherches effectuées.    

iv) Affidavit de M. Shane Brown

[36]            M. Brown est stagiaire en droit au sein du bureau d'avocats Bull, Housser & Tupper, qui représente la défenderesse. Il joint à son affidavit du 3 février 2005 une liste de produits à base de caramel dont il a fait l'achat dans une épicerie de Vancouver. Cette liste comprend différents produits à base de caramel, dont plusieurs portent un nom comprenant le mot « CARAMEL » . Des copies de la facture des achats et des emballages des produits achetés accompagnent son affidavit.

OBJECTIONS ET RÉPONSES À LA PREUVE

a) Nature des objections à la preuve

[37]            Seule la défenderesse a soulevé des objections au sujet de la nouvelle preuve dans son mémoire. La preuve additionnelle est constituée des affidavits de Michel Lanctôt, de Patricia Thomas et de Christian Pichette, ainsi que des pièces qui les accompagnent.    Dans ses représentations écrites et ses plaidoiries, la demanderesse a répondu aux objections soulevées.

[38]            En plus de formuler des objections, la partie défenderesse répond à la preuve de la demanderesse dans la partie de son mémoire portant sur les objections. Même s'il ne s'agit pas d'objections à proprement parler, j'en traiterai également dans mon analyse par souci d'exhaustivité.

[39]            Une preuve abondante concernant la puissance de la marque AH CARAMEL! a été faite devant cette Cour. L'affidavit de M. Lanctôt, l'étude AD HOC déposée au soutien de l'affidavit de Mme Patricia Thomas et l'affidavit de Christian Pichette en font partie. La défenderesse conteste ces éléments de preuve, en tout ou en partie.                        

[40]            Pour l'essentiel, les objections et réponses formulées par la défenderesse dans son mémoire peuvent se résumer en cinq points principaux:

i)           La défenderesse remarque que le contrat de licence conclu entre la demanderesse et J.M. Smuckers n'a pas été produit en preuve au soutien de l'affidavit de M. Lanctôt (para. 24(a) du mémoire de la défenderesse);


ii)          Dans son affidavit, M. Michel Lanctôt fait référence à l'importance des ventes de tartinade réalisées par J.M. Smuckers sous la marque AH CARAMEL! (para. 11 de l'affidavit de M. Lanctôt). Selon la défenderesse, il s'agit de ouï-dire non admissible en preuve (para. 23 du mémoire de la défenderesse);

iii)          La défenderesse s'objecte formellement à la recevabilité des opinions émises par M. Lanctôt dans son affidavit (para. 27 et 30 du mémoire de la défenderesse). Elle estime qu'à titre de simple affiant, M. Lanctôt n'était pas autorisé à donner son opinion ni sur la puissance de la marque AH CARAMEL!, ni sur la manière dont la puissance d'une marque doit être évaluée (para. 26 (b), (e) et (g)). De plus, la défenderesse conteste la valeur des informations relatées par M. Lanctôt dans son affidavit (para. 24(b), 26 (c) et (d) et (f), 28, 29);

iv)         La défenderesse met en doute la pertinence de l'étude AD HOC (para. 31 à 39) et s'objecte à l'affidavit de Patricia Thomas;

v)          Finalement, la défenderesse s'objecte à l'affidavit de M. Christian Pichette et en commente différents aspects (para. 39 à 44);

[41]            La défenderesse est d'avis que ces preuves ne devraient pas être considérées par la Cour. Subsidiairement, la défenderesse demande que la Cour n'y accorde aucune valeur.

b) Analyse des objections à la preuve

[42]            Je reprends ici chacune des objections soulevées par la défenderesse, de même que les différents aspects de la réponse à la preuve de la demanderesse.

i) Le contrat de licence conclu entre la demanderesse et J.M. Smuckers

[43]            Au lieu de produire le contrat de licence qui la lie à J.M. Smuckers selon la procédure de dépôt de documents confidentiels prévue aux Règles de la Cour fédérale, DORS-98-106, la demanderesse a choisi d'en faire la preuve par affidavit. Sans s'objecter formellement, la défenderesse a remarqué dans son mémoire que le contrat n'avait pas été déposé devant la Cour.

[44]            À mon avis, la seule preuve que cherche ici à faire la demanderesse est celle de l'existence du contrat de licence, et non de son contenu exact. Dans cette mesure, l'affidavit de M. Lanctôt est suffisant compte tenu de la présomption du paragraphe 50(2) de la Loi. Ce paragraphe se lit comme suit :


50. (2) Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire. (je souligne)


50. (2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade-mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade-mark and the character or quality of the wares or services is under the control of the owner.

(je souligne)



[45]            Le contrat était accompagné d'un exemplaire d'étiquette du produit vendu sous la marque faisant l'objet de la licence, soit la tartinade de marque AH CARAMEL!. Cette étiquette fait état de l'identité du propriétaire de la marque et du fait que celle-ci fait l'objet d'une licence. On lit notamment sur cette étiquette le texte suivant :

AH CARAMEL!*

TARTINADE CARAMEL CARAMEL SPREAD

*Désigne une marque de commerce, propriété de Culinar Inc. et employée sous licence par/ Denotes a trade-mark, property of Culinar Inc. and used under licence by : J.M. Smucker (Canada) Inc.

[46]            Cette preuve suffit pour démontrer l'existence du contrat, d'autant plus que la défenderesse n'en a pas nié l'existence et n'a présenté aucune preuve contraire. Dans l'affaire Well's Dairy c. U L Canada Inc., (2000) 7 C.P.R. (4th) 77, [2000] A.C.F. No. 876 (C.F.), au para. 47, le juge Heneghan écrit que pour renverser la présomption du paragraphe 50(2), il faut prouver que la marque ne fait pas l'objet d'une licence. Pour le juge, la preuve d'une mention semblable à celle qui figure sur les étiquettes de la tartinade AH CARAMEL! suffit pour entraîner l'application de la présomption. La jurisprudence de la Commission va d'ailleurs dans le même sens (voir Dimock Stratton Clarizio c. Noveltech, Inc., 24 C.P.R. (4th) 116).


[47]            La mention figurant sur l'étiquette du pot de tartinade AH CARAMEL! constitue un avis public au sens du paragraphe 50(2) de la Loi. La preuve que la marque AH CARAMEL! a fait l'objet d'une licence a donc été suffisamment faite.

ii) La preuve relative aux ventes de tartinade par la licenciée J.M. Smuckers

[48]            En présentant une preuve sur les ventes de tartinade AH CARAMEL!, la demanderesse cherche à démontrer que le risque de confusion est plus élevé au moment de l'appel qu'il ne l'était au moment de la décision de la Commission, compte tenu de la mise en marché par J.M. Smuckers d'un produit similaire à celui de la défenderesse. La preuve de l'existence du contrat de licence visait le même objectif.

[49]            La demanderesse a plaidé que son représentant est présumé, en vertu du paragraphe 50(2) de la Loi, avoir un accès direct aux états financiers de la compagnie licenciée. En conséquence, les passages de l'affidavit de M. Lanctôt traitant de l'importance des ventes de tartinade AH CARAMEL! seraient recevables en preuve.

[50]            Comme je l'ai déjà mentionné, il n'y a pas de doute qu'en l'espèce, les conditions d'application de la présomption sont rencontrées du fait que l'avis public est suffisant. La présomption n'a cependant pas l'effet très étendu que voudrait lui donner la demanderesse. Le libellé du paragraphe 50(2) de la Loi est clair. À mon avis, ce n'est que l'existence du contrat de licence et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises de la licenciée qui est réputé, et non la connaissance des états financiers. La preuve des ventes de tartinade AH CARAMEL! rapportées dans l'affidavit de M. Lanctôt doit donc être rejetée.

[51]            Cela dit, recevoir la preuve sur les états financiers de la licenciée J.M. Smuckers n'aurait pas d'impact notable sur le sort du litige. L'affidavit de M. Michel Lanctôt est suffisamment détaillé pour m'indiquer qu'un contrat de licence a été signé entre la demanderesse et J.M. Smuckers et que la tartinade AH CARAMEL! est commercialisée depuis 2001. De ces faits peuvent être tirées des inférences suffisantes pour rendre inutile la preuve des états financiers. À mon avis, si le contrat de licence existe et que le produit est commercialisé depuis plus de quatre ans, il y a une forte possibilité que le commerce de ce produit soit rentable. Autrement, la demanderesse aurait vraisemblablement retiré ce produit des tablettes. Ce simple constat suffit pour les fins de l'analyse des questions en litige.    Avoir entre les mains les chiffres exacts des ventes de tartinade AH CARAMEL! ne changerait rien à mes conclusions.

iii) Les opinions émises dans l'affidavit de Michel Lanctôt

[52]            Un témoin ordinaire peut, dans certaines circonstances, émettre des opinions sur les faits en litige. Dans l'affaire R. c. Graat, [1982] 2R.C.S. 819; (1982) 45 N.R. 451 (C.S.C.), au para. 46 et 47, le juge Dickson remarque que la frontière entre les opinions et les faits est ténue:

Si ce n'est par commodité, la distinction fondée sur l'opposition précaire, et même souvent fausse, entre un fait et une opinion a peu ou pas d'avantages. La distinction entre un « fait » et une « opinion » n'est pas nette.                                             

[...] Le premier critère de recevabilité d'une preuve est sa pertinence. Il s'agit d'appliquer la logique et l'expérience aux circonstances du cas particulier. Il faut alors se demander si, même si la preuve a une valeur probante, il y a lieu de l'exclure pour un motif manifeste de principe ou de droit.

[53]            Plus loin dans cette décision, la Cour suprême invite les cours de justice à ne pas exclure aveuglément des parties de témoignages sous prétexte que celles-ci contiennent des opinions sur les faits en litige. La règle de l'irrecevabilité des opinions des témoins ordinaires de la preuve n'est donc pas d'une rigidité absolue.    Cette règle a connu une certaine évolution de sorte qu'aujourd'hui, les tribunaux peuvent admettre les opinions des témoins ordinaires si certaines conditions sont satisfaites. Il faut garder à l'esprit, pour la suite de l'analyse, que les tribunaux doivent faire preuve de souplesse quant à la recevabilité de ces opinions.

[54]            Les conditions établies par la jurisprudence sont claires. Ces conditions sont selon moi bien résumées dans David Pacciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 3e éd.,Toronto, Irwin Law, 2002, p. 154 :

Lay witnesses may present their relevant observations in the form of opinions where:

- they are in a better position than the trier of fact to form the conclusion;


- the conclusion is one that persons of ordinary experience are able to make;

- the witness, although not expert, has the experimental capacity to make the conclusion; and

- the opinions being expressed are merely a compendious mode of stating facts that are too subtle or complicated to be narrated as effectively without resort to conclusions.

[55]            Dans l'ouvrage La preuve civile, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, aux para. 451 à 460, Jean-Claude Royer fait une synthèse de la jurisprudence sur les exceptions à la règle de l'irrecevabilité de l'opinion des témoins ordinaires. Au paragraphe 456, il écrit:

Les principales dérogation énoncées par les auteurs et les tribunaux concernent l'identification des personnes, des choses, des écritures, la valeur des biens ou des services, la distance, le temps, la vitesse, les dimensions, le poids, la direction, l'état d'ivresse et la santé mentale.

[56]            À mon avis, les opinions de M. Lanctôt concernant la puissance de la marque AH CARAMEL! ne sont pas des opinions que des personnes ordinaires sont en mesure de former, telles des opinions sur la distance, la vitesse ou la santé mentale d'une personne. De plus, les opinions de M. Lanctôt ne permettent pas de résumer ou d'exposer plus efficacement des faits trop subtiles ou compliqués pour être exposés sans tirer de conclusions.

[57]            La souplesse de la règle de l'admissibilité des opinions des témoins ordinaires vise à permettre l'admission en preuve de faits utiles à la résolution du litige qui serait irrecevables si la règle était appliquée trop strictement. Elle ne vise pas à permettre à des témoins ordinaires d'exprimer sans retenue des opinions et d'organiser les faits sous un angle qui leur est favorable.


Malgré toute ma volonté de faire preuve de souplesse dans l'administration de la preuve, les opinions de M. Lanctôt contreviennent manifestement aux règles de la preuve et ne peuvent être admises.

[58]            Cela ne signifie pas que les faits qui sont contenus dans les passages où M. Lanctôt exprime son opinion doivent être rejetés. En particulier, les chiffres sur les ventes, sur la notoriété de la marque et sur les parts de marché de la marque AH CARAMEL! doivent être retenus. La même remarque s'applique à la preuve déposée par M. Lanctôt concernant les gâteaux de marque AH CARAMEL! ne contenant pas de caramel. Ces preuves sont recevables, bien que j'aie deux réserves majeures à formuler concernant leur force probante.

[59]            D'abord, la source des chiffres concernant les parts de marché de la marque AH CARAMEL! ne sont indiquées nulle part. De plus, dans le paragraphe 21 de son affidavit, M. Lanctôt indique qu'à son avis, la marque AH CARAMEL! jouit d'une notoriété de 66%. En réponse à l'une de mes questions à l'audition, le procureur de la demanderesse a reconnu qu'il s'agissait là d'une moyenne entre les données recueillies au Québec, en Ontario et dans les Maritimes. Il n'y aurait donc eu aucune pondération des données. De plus, il n'y a devant la Cour ni indication quant à la provenance de cette donnée, ni quant à la méthodologie employée, ni quant à la date du coup de sonde.

[60]            En somme, les opinions de M. Lanctôt ne peuvent être reçues en preuve. Cela dit, même si elles étaient reçues, cela n'affecterait pas l'issue du litige d'une quelconque façon. Le coeur de l'affidavit de M. Lanctôt est constitué des faits qu'il relate. Ses opinions ne font que les organiser de façon à les rendre plus persuasifs et à me convaincre que la marque AH CARAMEL! est d'une puissance exceptionnelle. Or, comme on le verra plus loin, je n'en suis pas convaincu même en considérant toutes les opinions exprimées par M. Lanctôt dans son affidavit.

iv) L'affidavit de Patricia Thomas et l'étude AD HOC

[61]            L'affidavit de Patricia Thomas et l'étude AD HOC qui l'accompagne a fait l'objet d'une objection fondée sur la règle de la pertinence. De plus, la valeur probante de ces preuves a été mise en doute.

[62]            Quand à la règle de la pertinence, il faut faire preuve d'une grande souplesse en l'absence de préjudice pour l'autre partie comme en l'espèce. Il faut être prudent avant d'exclure une preuve sur la base de cette règle d'exclusion très subjective. En l'espèce, le fait d'accepter l'ensemble de l'étude AD HOC ne causerait aucun préjudice à la défenderesse, puisque j'ai de sérieuses réserves quant à sa valeur probante.

[63]            Premièrement, plusieurs passages de l'étude, lorsque lus côte-à-côte avec l'affidavit de M. Lanctôt, me font douter de l'exactitude des données qui y figurent et du sérieux de la méthodologie employée. En outre, les explications relatives à la méthodologie, qui figurent principalement aux pages 8 à 11, sont plutôt sommaires.

[64]            De plus, l'étude parle d'un taux de reconnaissance global de 73% (p. 25 de l'étude). La demanderesse ne m'a fourni aucune explication pour expliquer l'écart important entre la notoriété de la marque AH CARAMEL! évaluée par M. Lanctôt, soit 66%, et le taux de reconnaissance qui figure à l'étude AD HOC. En outre, dans le cas de l'étude comme de l'affidavit de M. Lanctôt, seuls les maritimes, l'Ontario et le Québec ont été sondés.

[65]            Deuxièmement, je remarque qu'une seule des 224 pages soumises en preuve traite directement de la notoriété de la marque AH CARAMEL! (page 25). La plus grande part des extraits soumis en preuve portent sur l'équité de la marque AH CARAMEL! (p. 52 à 221) et sur les occasions et les lieux de consommation de ces produits (pp. 222 à 224). Toutefois, seules des explications très sommaires quant à ce que la notion d'équité signifie ont été fournies (p.7 de l'étude). Je vois de toute façon mal en quoi l'opinion des consommateurs canadiens sur la fraîcheur, le goût et la qualité des gâteaux AH CARAMEL! devrait me permettre de me faire une idée plus juste de la notoriété ou de la puissance de cette marque. La même remarque s'applique en ce qui a trait aux occasions et aux lieux de consommation des produits de la demanderesse.

[66]            Compte tenu de ces réserves, il faut être prudent avant de tirer des conclusions à partir de l'étude AD HOC!. Je m'abstiens néanmoins de l'écarter en me fondant sur la règle de la pertinence. Finalement, l'affidavit de Mme Thomas n'a pas à être rejeté. Les seuls renseignements qu'il contient sont les allégations d'usage concernant l'expérience et le profil du témoin. Les autres allégations expliquent l'origine de l'étude AD HOC et donnent des renseignements sur la méthodologie qui figurent également dans l'étude même.

v) L'affidavit de M. Christian Pichette

[67]            L'affidavit de M. Lanctôt fait référence à la déclinaison de la marque AH CARAMEL!, c'est-à-dire à son caractère transférable à des produits ne contenant pas de caramel. Il a joint à son affidavit des exemples de tels produits. Il s'agit de gâteaux au « triple chocolat » , « forêt noire » et à saveur d'érable dont l'apparence rappelle la version originale. L'affidavit de M. Christian Pichette parle plutôt d'une « marque porteuse » pour décrire ce phénomène. En outre, M. Pichette exprime ouvertement son opinion sur le risque de confusion qui existe selon lui entre les marques CARAMELLA et AH CARAMEL!.

[68]            Aucune donnée concernant les ventes de ces produits n'a été produite en preuve. Il n'est donc pas possible d'apprécier si le transfert de la marque a effectivement fonctionné.

[69]            Les opinions de M. Pichette ne sont pas recevables en preuve, pour des raisons similaires à celles mentionnées dans mon analyse de l'affidavit de M. Lanctôt. M. Pichette est un témoin ordinaire, n'ayant pas été reconnu comme expert par cette Cour. Cela dit, même si je prenais en considération l'ensemble de l'affidavit de M. Pichette, cela ne modifierait en rien mon avis sur les questions en litige.

c) Conclusion sur les objections à la preuve

[70]            En somme, je traiterai comme suit les objections de la défenderesse :

i)           L'existence du contrat de licence entre J.M. Smuckers et la demanderesse concernant la tartinade AH CARAMEL! est tenue pour prouvée;

ii)          L'objection de la défenderesse concernant l'irrecevabilité des chiffres concernant les ventes de tartinade AH CARAMEL! est accueillie, tout en précisant que même si cette preuve était prise en considération, cela ne changerait en rien mes conclusions sur le fond du litige;

iii)          L'objection de la défenderesse concernant la recevabilité des opinions de M. Lanctôt est accueillie, tout en retenant les éléments factuels de son témoignage et en précisant que même si cette preuve (les opinions) étaient prises en considération, cela ne changerait en rien mes conclusions sur les questions en litige;


iv)         L'objection de la défenderesse sur la pertinence de l'étude AD HOC! et de l'affidavit de Mme Thomas est rejetée, tout en émettant des réserves quant à leur valeur probante; et

v)          L'objection de la défenderesse concernant les opinions exprimées par M. Pichette dans son affidavit est accueillie, tout en précisant que la prise en considération de ces opinions ne changerait rien à mon avis sur les questions en litige.

ANALYSE

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à l'appel interjeté en l'espèce, conformément à l'article 56 de la Loi?

[71]            La Cour d'appel fédérale a énoncé comme suit la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la Commission dans l'arrêt Les Brasseries Molson c. John Labatt Limitée, [2000] 3 C.F. 145; [2000] A.C.F. No. 159 (C.A.F.). La version française des motifs du juge Rothstein a résumé les principes régissant la norme de contrôle judiciaire et a écrit ce qui suit au paragraphe 51 :


Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

[72]            Puisque l'arrêt Brasseries Molson, précité, a été suivi par la Cour d'appel fédérale et par la section de première instance de la Cour fédérale, le raisonnement du juge Rothstein devrait être suivi (voir par ex. : Novopharm Ltd. c. Bayer, (2000) 264 N.R. 384; [2000] F.C.J. No. 1864 (C.A.F.), au para. 4; Metro-Goldwyn Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc., 2004 F.C. 1185, [2004] F.C.J. No. 1422 (C.F.), au para. 5). Ainsi, en règle générale, la norme de contrôle judiciaire de la décision de la Commission est celle du caractère raisonnable simpliciter (décision déraisonnable). Toutefois, lorsque des éléments de preuve complémentaires sont soumis, il faut en évaluer le caractère significatif et la valeur probante.

[73]            L'approche retenue par le juge Mactavish dans l'affaire Telus Corp. c. Orange Personal Communications Services Ltd., 2005 F.C. 590; [2005] F.C.J. No. 722 (F.C.) permet de le faire de façon méthodique. Dans cette affaire, le juge Mactavish s'inspire des remarques formulées par le juge Evans dans Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., (1999) 176 F.T.R. 80; (1999) 23 Admin. L.R. (3d) 153; [1999] F.C.J. No. 1763 (C.F.), aux para. 37 à 39. Le passage pertinent des motifs du juge Evans se lit comme suit :

Les conséquences à l'égard de la norme de contrôle qu'entraîne le dépôt en appel d'une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l'élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.


Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au-delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l'égard de la question sur laquelle porte ces éléments de preuve et, peut-être, si la décision au fond est elle-même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d'appel sera portée à tirer elle-même une conclusion de fait.

Cependant, lorsque les éléments de preuve additionnels sont à ce point marquants et étendus que l'affaire devient fondamentalement différente de celle dont le registraire était saisi, la Cour peut conclure qu'il est plus judicieux de renvoyer l'affaire au registraire que de simplement infirmer la décision. Autrement, on pourrait miner le régime législatif conférant au registraire, tribunal spécialisé, des pouvoirs décisionnels de premier degré.

[74]            Dans l'affaire Telus Corp., précitée, le juge Mactavish écrit au paragraphe 33 :

If the new evidence adds nothing of significance, but is merely repetitive of existing evidence, without enhancing its cogency, the issue will be whether the Board was clearly wrong.

[75]            Comme le juge Mactavish dans l'affaire Telus Copr., précitée, je ferai dans un premier temps l'inventaire de la preuve nouvelle soumise et elle sera comparée avec celle qui existait devant la Commission. Puis, il s'agira de décider si cette preuve est suffisamment significative et probante pour justifier de modifier la norme de contrôle. Le cas échéant, la norme de contrôle deviendrait celle de la décision correcte, au lieu d'être celle du caractère raisonnable simpliciter (décision déraisonnable).

[76]            La nouvelle preuve de la demanderesse est constituée des affidavits de M. Lanctôt, de M. Pichette, de Mme Thomas et de l'étude AD HOC. L'information que relate l'affidavit de M. Lanctôt met à jour celle que M. Sbarba a émis quelques années auparavant. Il y indique quels sont les nouveaux produits de la demanderesse et les ventes qui y sont associées. Comme M. Sbarba, il a fait état de l'importance des ventes de petits gâteaux et des dépenses en marketing. Il y a deux éléments nouveaux dans son affidavit, soit son analyse quant à la puissance de la marque AH CARAMEL! et la preuve des contrats de licence. L'étude AD HOC, de même que les affidavits de Mme Thomas et de M. Pichette, constituent d'autres éléments nouveaux. La Commission ne disposait pas de ces preuves.

[77]            À mon avis, le seul élément de preuve véritablement nouveau, recevable et probant est l'existence d'un contrat de licence entre la demanderesse et J.M. Smuckers. Je suis d'avis que cette preuve est suffisamment nouvelle et importante pour justifier de revoir les conclusions de la Commission selon la norme de la décision correcte. En effet, ce nouvel élément est au coeur des questions en litige car au moment où la Commission a tranché, les produits vendus par la demanderesse et la défenderesse n'étaient clairement pas de la même catégorie. L'existence du contrat de licence entre la demanderesse et J.M. Smuckers change la donnée puisque l'un des produits vendus sous la marque AH CARAMEL! est semblable à la tartinade de la défenderesse.

[78]            J'estime donc que la norme de contrôle judiciaire de la décision de la Commission doit être celle de la décision correcte.


2.         Est-ce que la Commission a erré en décidant que la marque CARAMELLA était enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi, au motif qu'elle n'engendrerait pas de confusion au sens des articles 2 et 6 de la Loi ?

[79]            En droit canadien, une marque de commerce n'est pas enregistrable si elle crée de la confusion à l'égard d'une marque déposée. L'article 12(1)(d) se lit comme suit:


12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

(d) confusing with a registered trade-mark;


a) Les critères, le test et le fardeau de preuve applicables

[80]            Le paragraphe 6(5) de la Loi énonce la démarche qui doit être suivie pour déterminer si des marques de commerce créent de la confusion :



(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.


[81]            Il n'est pas nécessaire de prouver des cas de confusion réelle. Il suffit d'établir une vraisemblance de confusion (Pink Panther Beauty Corp., [1998] 3 C.F. 534; [1998] F.C.J. No. 441 (C.A.F.)). L'existence d'une vraisemblance de confusion est une question de première impression. Les facteurs du paragraphe 6(5) permettent de guider le juge dans son analyse.    Dans l'arrêt Miss Universe Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614; [1994] F.C.J. No. 1642 (C.A.F.), le juge Décary a expliqué comment doit s'évaluer la probabilité de confusion entre des marques de commerce :

Pour décider si l'emploi d'une marque de commerce ou d'un nom commercial cause de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial, la Cour doit se demander si, comme première impression dans l'esprit d'une personne ordinaire ayant un vague souvenir de l'autre marque ou de l'autre nom, l'emploi des deux marques ou des deux noms, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l'impression que les services reliés à ces marques ou à ces noms sont fournis par la même personne, que ces services appartiennent ou non à la même catégorie générale.

En décidant s'il y a vraisemblance de confusion, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris celles visées au paragraphe 6(5) précité.

[82]            Concernant le fardeau de preuve, le juge Décary écrit :

Il appartient toujours à celui qui demande à enregistrer une marque de commerce d'établir que, selon la prépondérance des probabilités, il n'y a aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce déjà employée et enregistrée.

[83]            Ce fardeau de preuve repose sur la personne qui demande l'enregistrement d'une marque tant devant la Commission qu'en appel (voir McDonald's Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1994) 76 F.T.R. 281; [1994] A.C.F. No. 638 (C.F.), au para. 24). Il incombe donc à la défenderesse de faire la démonstration, à la lumière des facteurs énoncés dans la Loi, que l'emploi concurrent des marques AH CARAMEL! et CARAMELLA n'est pas susceptible d'amener le consommateur moyen à croire que les produits reliés à ces marques proviennent de la même source.

b) Analyse détaillée des facteurs énoncés dans la Loi

i) Caractère distinctif inhérent et mesure dans laquelle les marques sont devenues connues

[84]            Dans l'affaire Pink Panther Beauty, précitée, au para. 23, la Cour d'appel fédérale a indiqué que ce premier élément se divise en deux : le caractère distinctif inhérent de la marque de commerce et le caractère distinctif qu'elle a acquis (mesure dans laquelle les marques sont devenues connues).

[85]            Le caractère distinctif inhérent d'une marque est assimilable à son originalité. Le caractère distinctif inhérent d'une marque constituée d'un nom unique ou inventé, ne pouvant désigner qu'une chose, est supérieur à celui d'une marque constituée d'un mot d'usage courant dans le commerce (ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd., 2003 F.C. 1056; [2003] A.C.F. no. 1335 (C.F.), au para. 119). La marque qui se limite à décrire les marchandises jouira d'une protection moindre (Pink Panther Beauty, précitée, au para. 23).


[86]            Une marque qui ne possède pas de caractère distinctif inhérent peut tout de même acquérir un caractère distinctif par un emploi continu sur le marché. Dans Miss Universe, Inc, précité, il a été constaté que plus la marque est solide, plus l'étendue de la protection qui lui sera accordée sera considérable. Dans cette affaire, le juge Décary écrit :

Plus la marque est solide, plus grande est l'étendue de la protection qui devrait lui être accordée et plus il sera difficile au requérant de se décharger de l'obligation qui lui incombe.

[...]

Les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à e) n'ont pas à être interprétés comme ayant le même poids en toutes circonstances. Lorsque par exemple, on compare une marque de commerce qui est forte et une marque de commerce projetée, les critères c) et d), c'est-à -dire le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce, ne sont pas particulièrement déterminants.

[87]            La preuve de puissance de la marque AH CARAMEL! que la demanderesse a tenté de faire visait précisément à accroître la protection à accorder à cette marque. Cette preuve ne m'a pas convaincu qu'il faut accorder à la marque AH CARAMEL! une protection accrue. Les réserves que j'ai exprimées à l'égard de la qualité de cette preuve, de même que sa teneur, me portent à croire que la marque AH CARAMEL! n'est pas suffisamment forte pour justifier une protection exceptionnelle. Cette conclusion serait identique si les opinions exprimées dans les affidavits de messieurs Lanctôt et Pichette ainsi que la preuve des ventes de tartinade AH CARAMEL! étaient prises en considération. La preuve dans son ensemble ne permet pas de démontrer que la marque AH CARAMEL! est d'une puissance telle qu'il faille la protéger de façon exceptionnelle.

[88]            En l'espèce, je suis d'accord avec la Commission pour dire que les marques AH CARAMEL! et CARAMELLA ne possèdent qu'un caractère distinctif inhérent relativement faible. Il est clair que l'élément dominant de ces deux marques est le mot « CARAMEL » . Le mot

« CARAMEL » est largement utilisé pour distinguer des produits alimentaires. Les pièces jointes aux affidavits de M. Gauthier, de M. Brown et de Mme Elford en font la preuve. Il est vrai que les éléments additionnels des marques de commerce peuvent en principe apporter un certain caractère distinctif. Cependant, comme l'a mentionné la Commission, ces éléments sont relativement mineurs par rapport à la domination du mot « CARAMEL » . Par conséquent, le caractère distinctif inhérent de chacune des marques est plutôt faible.


[89]            La mesure dans laquelle les marques sont devenues connues (le caractère distinctif acquis) favorise clairement la demanderesse. En effet, la preuve démontre que la marque de commerce AH CARAMEL! a largement été utilisée au Canada depuis 1995 et qu'elle a engendré des ventes de plus de 20 millions de dollars par année. De son côté, la partie défenderesse a démontré qu'en date du 31 décembre 2004, elle avait vendu plus de 80 000 pots de sa tartinade CARAMELLA. Toutefois, après avoir comparé l'information soumise en preuve, il m'apparaît clair que les produits AH CARAMEL! en général ont acquis une plus grande notoriété que la tartinade CARAMELLA. En l'absence d'autres preuves convaincantes, l'importance des ventes des produits peut être utilisée comme indice important de la mesure dans laquelle des marques sont connues. Or, les produits AH CARAMEL! font meilleure figure au chapitre des ventes que les produits CARAMELLA. Même en isolant les ventes de tartinade AH CARAMEL! et en les comparant avec les ventes de tartinade CARAMELLA, ma conclusion serait la même: la marque de tartinade AH CARAMEL! s'est mieux vendue entre 2001 et 2004 que la tartinade de marque CARAMELLA entre 1999 et 2004. Cela me porte à croire que la marque AH CARAMEL! est mieux connue.

[90]            En somme, le premier facteur favorise la demanderesse puisque le caractère distinctif inhérent des deux marques est relativement faible et que la marque AH CARAMEL! est mieux connue que celle de CARAMELLA!. Par contre, la marque AH CARAMEL! n'est pas connue à un point tel que cela doive éclipser l'examen des autres facteurs ou accroître la protection à laquelle la marque de la demanderesse a droit.

ii)         La période d'emploi

[91]            La période pendant laquelle la marque a été en usage est un facteur pouvant contribuer à la confusion du consommateur quant à l'origine des marchandises ou services. La marque qui a été en usage pendant une longue durée est présumée avoir créé une certaine impression chez les consommateurs (Pink Panther Beauty, précitée).

[92]            En l'espèce, la demanderesse utilise sa marque AH CARAMEL! au Canada depuis plus longtemps que la défenderesse. Il ressort de la preuve que l'emploi de la marque AH CARAMEL! remonte à 1995-1996 tandis que la preuve déposée par la partie défenderesse démontre que la marque CARAMELLA n'a été utilisée au Canada que depuis mai 1999. Par contre, je remarque que l'utilisation de la marque AH CARAMEL! comme marque de tartinade ne date que de 2001. Néanmoins, le facteur de la période d'emploi est globalement à l'avantage de la demanderesse.

iii)        Genre de marchandises, services ou entreprises

[93]            Quant au facteur relatif au « genre de marchandises, services ou entreprises » , les éléments à considérer comprennent non seulement la catégorie générale des biens visés, mais aussi leur qualité et leur prix (Pink Panther Beauty, précitée).

[94]            L'enregistrement de la marque AH CARAMEL! décrit les marchandises de la façon suivante : « collations et desserts, nommément: gâteaux, pâtisseries, danoises, muffins, beignes, barres granola, feuilletés et craquelins » . La marque de commerce CARAMELLA touche, selon la demande d'enregistrement, des « produits à tartiner à utiliser en cuisson, et en boulangerie et en pâtisserie » .


[95]            En l'espèce, la preuve démontre que la marque de commerce AH CARAMEL! est connue d'abord et avant tout en liaison avec des petits gâteaux préemballés. À mon avis, il est clair que des petits gâteaux préemballés appartiennent à un genre de marchandise différent de la tartinade au caramel. Il n'y a pas de doute que la Commission a eu raison de voir une distinction entre de la tartinade au caramel et des petits gâteaux préemballés, distinction de nature à réduire le risque de confusion. La même remarque s'applique dans le cas des biscuits AH CARAMEL! commercialisés sous le contrat de licence conclu avec Dare Foods Limited : ce sont deux genres différents de marchandises.

[96]            La vente de tartinade AH CARAMEL! sous le contrat de licence avec J.M. Smuckers vient ajouter un élément nouveau en ce qu'une partie des produits de la demanderesse appartient maintenant véritablement à la même catégorie que celle du produit CARAMELLA de la défenderesse. La situation est telle que d'une part, certaines des marchandises exploitées sous la marque AH CARAMEL! sont clairement distinctes et d'autre part, certaines des marchandises appartiennent à la même catégorie. À mon avis, si la confusion potentielle existe, ce n'est qu'en ce qui a trait aux tartinades.


[97]            La défenderesse a remarqué que les ventes de tartinade AH CARAMEL! ne représentent qu'une toute petite fraction des ventes totales sous cette marque. Dans l'affaire McDonald's Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd., précitée, il s'agissait notamment de décider si il y avait confusion entre l'emploi de la marque MCBEANS en liaison avec du café et du thé et la marque MCDONALD'S enregistrée en liaison avec différents aliments. Le juge McKewon a remarqué dans son analyse qu'il n'y a chevauchement qu'à l'égard d'une petite partie des marchandises, puisque les ventes de café et de thé ne représentaient que 4% du chiffre total des ventes de McDonald's. À mon avis, c'est avec raison que ce facteur a été pris en compte dans le raisonnement du juge.

[98]            Le fait qu'en l'espèce la plupart des produits vendus par la demanderesse soient très différents de ceux de la défenderesse réduit le risque de confusion. Si la plus grande partie des marchandises vendues par la défenderesse sous la marque CARAMELLA étaient des gâteaux, des pâtisseries et des biscuits, cela augmenterait vraisemblablement le risque de confusion. En effet, cette marque serait alors plus naturellement associée à ce type de produits. De même, si la demanderesse faisait principalement le commerce des tartinades, la confusion serait plus vraisemblable.

[99]            À l'inverse, le fait que la plupart des marchandises vendues par les parties soient de nature différente contribue à mon avis à faciliter la distinction de la source du produit dans l'esprit du consommateur moyen. En ce sens, il est approprié de prendre en compte l'importance du chevauchement entre les deux marques dans l'évaluation du facteur de l'alinéa 6(5)c) de la Loi en vue de déterminer s'il y a confusion. La jurisprudence de cette Cour va d'ailleurs en ce sens (voir par ex.: Skydome Corp. c. Toronto Heart Industies Ltd. [1997] F.C.J. No. 275; (1997) 128 F.T.R. 71 (C.F.)).

[100]        Finalement, la défenderesse a soumis que l'enregistrement de la marque AH CARAMEL! n'est pas suffisamment large pour inclure les tartinades. À mon avis, les termes employés incluent les tartinades. Le terme « nommément » indique que les termes qui le suivent sont des exemples. Ces exemples sont très divers et incluent des produits qui ne sont pas nécessairement des desserts ou des collations (ex: muffin au déjeuner). La défenderesse n'a soumis aucune jurisprudence pour me convaincre de donner une interprétation très stricte du libellé de l'enregistrement de la marque de commerce AH CARAMEL!. Cet argument est donc rejeté, tout en précisant que le fait que les deux types de produits puissent appartenir à la catégorie des desserts ou des collations ne change rien à la distinction très claire que le consommateur moyen verrait entre des petits gâteaux préemballés et de la tartinade.

[101]        En somme, j'estime que ce facteur favorise la défenderesse, compte tenu de la différence claire existant entre le genre de marchandises vendues par les parties. Bien que le prix des marchandises soit peu élevé, cela n'est pas déterminant compte tenu de ce qui précède.                 

iv)        Nature du commerce

[102]        Le Tribunal doit tenir compte de la nature du commerce concerné. Le risque de confusion est plus grand dans le cas où les marchandises ou services, quoique dissemblables, sont distribués ou offerts dans le même genre d'établissements ou appartiennent à la même catégorie générale (Pink Panther Beauty, précité). La région où circulent les marchandises ou dans laquelle sont offerts les services peut aussi entrer en ligne de compte.

[103]        Les marchandises sont dans les deux cas distribuées dans les épiceries et autres magasins d'aliments dans toutes les provinces du Canada. Ce facteur est donc à l'avantage de la demanderesse.

v)         Degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent


[104]        Le dernier facteur spécifique à examiner est la ressemblance entre les deux marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Il s'agit du facteur qui est, la plupart du temps, le facteur dominant en vue d'évaluation la probabilité de confusion (Beverly Bedding & Upholstery Co. v. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145; (C.F.), conf. para. 60 C.P.R. (2d) 70 (C.A.F.)). Il faut évaluer l'impression que les marques font sur le public, les examiner comme un tout. Il ne faut par chercher à disséquer les marques (Pink Panther Beauty, précitée). Cela n'empêche pas de faire l'analyse des caractéristiques particulières de la marque qui peuvent avoir une influence déterminante sur la perception qu'en a le public.

[105]        À mon avis, ce facteur favorise clairement la défenderesse. Je crois que le consommateur confronté aux deux marques en litige ne verrait pas immédiatement les ressemblances entre elles, et serait encore moins susceptibles de croire que les produits vendus sous ces marques proviennent de la même source.

[106]        En l'espèce, contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, les syllabes et les phonèmes ajoutés au mot « CARAMEL » sont différents. Dans le cas d'AH CARAMEL!, il s'agit du phonème [a] et de la syllabe « AH » , alors que dans le cas de CARAMELLA, il s'agit des phonèmes [l] et [a] et de la syllabe « LA » . En outre, la position des éléments additionnels joue un rôle très important dans la ressemblance sonore entre les deux marques. Le fait que la marque AH CARAMEL! soit constituée de deux mots séparés, ainsi que le point d'exclamation à la fin des mots « AH CARAMEL » sont d'autres facteurs à considérer. Ces facteurs font une différence importante dans la présentation ou le son des marques en litige, et que cela est de nature à affecter la perception qu'en a le public.

[107]        Les idées que les deux marques suggèrent sont également différentes. Dans le cas de AH CARAMEL!, l'idée suggérée en est une de contentement, de satisfaction ou délectation. À mon avis, la marque CARAMELLA n'évoque pas de telles idées.

[108]        Je suis donc d'avis que la présentation, le son et les idées suggérées par la marque favorisent la défenderesse.

vi) Toutes les circonstances de l'espèce et conclusion sur la confusion

[109]        En plus des facteurs considérés sous les alinéas 6(5) a) à e), le Tribunal peut considérer différents facteurs additionnels qui peuvent à son avis affecter le risque de confusion. J'examinerai ici quelques arguments additionnels soulevés par les parties.

[110]        La défenderesse a fait la démonstration que plusieurs marques de commerce comprenant le mot « CARAMEL » sont enregistrées au Canada ou sont sur le marché. Cela est pertinent en l'espèce, puisque les consommateurs sont habitués à faire des distinctions entre les marques comprenant le mot « CARAMEL » . Ce facteur peut être pris en considération (Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. [1992] 3 C.F. 442; [1992] F.C.J. No. 562 (F.C.A.), au para. 15).

[111]        Par ailleurs, le procureur de la demanderesse a plaidé que les produits en litige se retrouvent aux mêmes endroits dans les épiceries. Les distinctions faites ci-dessus concernant les différentes marchandises vendues sous la marque AH CARAMEL! peuvent être reprises ici. La liste de produits accompagnant l'affidavit de Claude Gauthier montre que seules les tartinades se retrouvaient au même endroit dans le supermarché où ils ont été achetés. Cette liste montre également que les gâteaux et biscuits AH CARAMEL! se trouvent à un autre endroit. Aucune preuve n'a été produite concernant l'emplacement de la tartinade AH CARAMEL!, mais il peut être inféré de la preuve que celles-ci se trouvent au même endroit que les tartinades CARAMELLA. Ce fait pris isolément favorise la demanderesse, bien que le fait que la plupart des produits AH CARAMEL! soient dans un endroit différent favorise plutôt la défenderesse.

[112]        La demanderesse a indiqué dans ses plaidoiries écrites que l'emballage et la présentation des produits sont semblables ( « même format de bouteille, même format d'étiquette » ). Tel n'est pas mon avis. Non seulement le format n'est pas le même (450g dans le cas de CARAMELLA et 907g dans le cas de la tartinade AH CARAMEL!), mais les étiquettes et la police de caractères employés sont très différents. Cela favorise la défenderesse.


[113]        En tenant compte de toutes les circonstances et malgré le fait que certains facteurs favorisent la demanderesse, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de revoir la conclusion de la Commission compte tenu de la nouvelle preuve et de la norme de contrôle applicable. Le test de la première impression est clairement à l'avantage de la défenderesse dans mon esprit. Elle s'est acquitté de son fardeau de preuve en démontrant que l'emploi concurrent des marques AH CARAMEL! et CARAMELLA n'est pas susceptible d'amener le consommateur moyen à croire que les produits reliés à ces marques proviennent de la même source.

[114]        La marque de commerce CARAMELLA est donc enregistrable puisqu'elle n'engendre pas de confusion au sens des articles 2 et 6 de la Loi.

3.         Est-ce que la Commission a erré en concluant que la défenderesse est une personne admissible à l'enregistrement de la marque de commerce CARAMELLA au sens de l'article 16(3)a) de la Loi?


[115]        L'alinéa 16(3)a) de la Loi se lit comme suit :


16 (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n'ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne


16 (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the wares or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person


[116]        En raison de mes conclusions sur la confusion et en l'absence de preuve qui démontre que les autres critères de cet article ne sont pas rencontrés, j'adopte la conclusion de la Commission à l'effet que la défenderesse est une personne admise à l'enregistrement de la marque de commerce CARAMELLA au sens de la Loi. Il n'y a donc pas lieu de revoir la décision prise par la Commission sur ce point, compte tenu de la norme de contrôle applicable.

4.         Est-ce que la Commission a erré en décidant que la marque de commence CARAMELLA est distinctive au sens de l'article 2 et de l'alinéa 38(2)d) de la Loi?

[117]        L'article 38(2)(d) prévoit qu'une personne peut s'opposer à une demande d'enregistrement au motif que la marque de commerce n'est pas distinctive. Le terme « distinctive » est définit comme suit à l'article 2 de la Loi.


« distinctive »

Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

"distinctive",

in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;


[118]        Dans l'affaire Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Skyway Cigar Store, (1998) 147 F.T.R. 54[1998] A.C.F. No. 678 (C.F.), inf. pour d'autres motifs par (1999) 251 N.R. 215; [1999] A.C.F. No. 1749 (C.A.F), le juge Teitelbaum écrit :

Ainsi qu'il est précisé dans le jugement Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 237 (C.A.F.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 287 (C.A.F.), trois conditions doivent être réunies pour que le caractère distinctif soit démontré (à la page 270 (C.F. 1re inst.)):

la marque doit être reliée à un produit (ou marchandise); (2) le « propriétaire » doit utiliser ce lien entre la marque et son produit, en plus de fabriquer et de vendre ce produit; 3) ce lien permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d'autres fabricants.

La question du caractère distinctif est une question de fait. La question à se poser est celle de savoir si l'on a clairement laissé entendre au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et en liaison avec laquelle elle est employée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles d'une autre personne.


[119]        En l'espèce, il n'y a pas de doute que la marque CARAMELLA soit reliée à sa tartinade, et que ce lien soit utilisé par la défenderesse, qui le fabrique et le vend. La preuve montre en outre que ce lien permet à la défenderesse de distinguer son produit de celui des autres fabricants. La question de fait à examiner dans l'analyse de l'alinéa 38(2)d) ressemble beaucoup à celle que le juge doit trancher sous le régime de l'alinéa 12(1)d). En effet, il s'agit de se demander si la défenderesse a clairement laissé entendre au public que la marque de commerce CARAMELLA et la tartinade commercialisée sous ce nom lui appartiennent et n'appartiennent pas à une autre personne, soit la demanderesse en l'espèce. Dans les deux cas, la question de l'origine apparente ou perçue des produits est cruciale.

[120]        Compte tenu des observations faites dans mon analyse portant sur la question de la confusion, je crois que la défenderesse a clairement laissé entendre au public que sa marque lui appartient et n'appartient pas à une autre personne. La demanderesse n'a soumis aucun argument nouveau pour démonter que la marque de la défenderesse n'était pas distinctive.

[121]        Ayant pris en compte toutes les circonstances, je suis d'avis que la marque CARAMELLA est distinctive et que la décision de la Commission n'a pas à être revue compte tenu de la norme de contrôle applicable.

[122]        Étant donné le résultat auquel j'arrive, les frais seront assumés par la demanderesse en faveur de la défenderesse.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-            L'appel soit rejeté avec dépens contre la demanderesse.

                 "Simon Noël"                  

          Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-2019-04

INTITULÉ :               Saputo Groupe Boulangerie Inc. c. National Importers                 Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                            7 septembre 2005

MOTIFS :                 L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   Le 28 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Me Simon Lemay                                              POUR LA DEMANDERESSE

Me Dominic Gélineau

Me Christopher S. Wilson                                             POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lavery De Billy                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Québec (Québec)

Bull, Housser and Tupper                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)


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