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Date : 20031211

Dossier : T-126-01

Référence : 2003 CF 1459

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                        RONALD S. MacLEAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                  défenderesse

et

MARINE ATLANTIC INC.

défenderesse

et

LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES CANADIEN(NE)S DE L'AUTOMOBILE (TCA)

défendeurs


DEMANDE FONDÉE SUR L'ARTICLE 18 DE LA LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE, L.R.C. 1985, ch. F-7, DANS SA FORME MODIFIÉE

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté, le 20 décembre 2000, la plainte que le demandeur avait déposée contre Marine Atlantic Inc. et les Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l'automobile (TCA).

[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance :

1.          annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire pour qu'elle soit réexaminée conformément à la procédure interne de traitement des plaintes de la Commission; et

2.          déclarant qu'un traitement tel que celui dont le demandeur se plaint est discriminatoire.


Contexte

Introduction

[3]                 Le demandeur travaillait comme électricien auprès de Marine Atlantic Inc. (Marine Atlantic). Il était également membre, ancien président et président local de la section locale 318 de TCA.

[4]                 La défenderesse, Marine Atlantic, exploitait un service de transport par traversier entre Borden (Île-du-Prince-Édouard) et Cape Tormentine (Nouveau-Brunswick).

[5]                 Le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA) défendeur est l'agent négociateur accrédité du personnel breveté et non breveté affecté au service de transport par traversier de Marine Atlantic.


[6]                 Au mois d'octobre 1993, Marine Atlantic a avisé les travailleurs qu'elle envisageait de mettre fin à ses activités en 1997 lorsque les travaux de construction du pont de la Confédération de l'Île-du-Prince-Édouard seraient achevés. En prévision de la suppression du service de transport par traversier, Marine Atlantic a entamé des négociations avec TCA et d'autres syndicats pour tenter de mettre sur pied un programme de versement d'indemnité de fin d'emploi pour les employés touchés par la fermeture du service de transport par traversier. Une entente spéciale (l'entente) a été adoptée le 4 juillet 1996 entre Marine Atlantic et TCA.

[7]                 Le 1er juillet 1997, Marine Atlantic a cessé d'exploiter son service de transport par traversier. L'entente prévoyait qu'une indemnité serait versée aux employés licenciés en fonction de leurs années de service et du nombre d'années qu'il leur restait à accomplir jusqu'à l'âge de la retraite anticipée ou de la retraite normale. L'entente faisait des distinctions parmi et entre les différents groupes d'âge en attribuant les indemnités de départ. Marine Atlantic et TCA estimaient que plus un employé était près d'atteindre l'âge de la retraite anticipée ou de la retraite normale au moment du licenciement, moins il aurait besoin d'une indemnité mensuelle de raccordement parce que les prestations de retraite des employés compenseraient tout effet défavorable causé par la cessation d'emploi. La période pendant laquelle un employé obtiendrait les indemnités mensuelles de raccordement accordées aux employés en vertu de l'entente était d'autant plus longue si l'employé était loin d'avoir l'âge de la retraite anticipée ou de la retraite normale.


[8]                 Le demandeur est l'un des employés dont l'emploi a été éliminé lorsque le service de transport par traversier a cessé d'être exploité par suite de l'achèvement des travaux de construction du pont de la Confédération. À ce moment-là, le demandeur avait 50 ans et 28 années de service. Le 10 juillet 1997, le demandeur a obtenu 51 semaines de rémunération à titre d'indemnité de départ et a commencé à recevoir les prestations de raccordement qui étaient offertes jusqu'à l'âge de 55 ans.

[9]                 Le demandeur faisait partie d'une cinquantaine d'anciens employés de Marine Atlantic qui avaient déposé des plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne en alléguant que les conditions de l'entente établissaient des distinctions discriminatoires fondées sur l'âge.

[10]            Le 18 février 1997 et le 4 juin 1998, le demandeur a déposé trois plaintes devant la Commission.

[11]            Dans la plainte en date du 18 février 1997, le demandeur alléguait que Marine Atlantic avait agi d'une façon discriminatoire envers lui en concluant une entente relative à l'emploi qui le privait et qui privait d'autres employés d'une indemnité de départ en raison de leur âge, en violation de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi).


[12]            Dans une autre plainte datée du même jour, le demandeur alléguait que TCA avait agi d'une façon discriminatoire à son endroit en établissant des restrictions, des différences ou des catégories ou en prenant d'autres mesures susceptibles de le priver de son indemnité de départ ou de limiter le montant de cette indemnité en raison de son âge en violation de l'article 9 de la Loi, et en concluant une entente relative à l'emploi qui le privait d'une indemnité de départ en raison de son âge, en violation de l'article 10 de la Loi.

[13]            Dans une plainte datée du 4 juin 1998, le demandeur alléguait en outre que Marine Atlantic avait agi d'une façon discriminatoire envers lui en le défavorisant en raison de son âge, en violation de l'article 7 de la Loi.

[14]            La Commission a enquêté sur les plaintes et a remis aux parties un rapport d'enquête en date du 21 décembre 1999 ainsi qu'un rapport actuariel à l'appui. Des rapports d'enquête supplémentaires en date des 12 juin et 21 août 2000 ainsi qu'un rapport actuariel supplémentaire en date du 13 juillet 2000 ont également été remis aux parties.

[15]            Le 12 janvier 2000 ou vers cette date, le demandeur a présenté des observations écrites. Le demandeur a également soumis une lettre en date du 13 septembre 2000 et une autre lettre en date du 12 novembre 2000.

[16]            Par une lettre datée du 20 décembre 2000, la Commission a fait connaître la décision dans laquelle elle rejetait la plainte du demandeur. Cette lettre est en partie ainsi libellée :


[TRADUCTION] [...]

Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission ont examiné le rapport qui vous avait déjà été remis ainsi que les observations qui avaient été présentées en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé de rejeter les plaintes conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que :

la distinction était justifiable compte tenu des circonstances; le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être touchés ne constitue pas un acte discriminatoire.

La Commission se rend compte que tel n'est pas le résultat que vous souhaitiez obtenir. Toutefois, je puis vous assurer que les commissaires ont examiné vos plaintes fort attentivement avant d'arriver à cette décision.

[...]

[17]            Il s'agit ici du contrôle judiciaire de la décision de la Commission de rejeter les plaintes du demandeur.

Prétentions du demandeur

[18]            En demandant le contrôle judiciaire, le demandeur allègue qu'en décidant de rejeter ses plaintes, la Commission :

1.          n'a pas observé les principes de justice naturelle;

2.          n'a pas observé les principes d'équité procédurale;

3.          a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait;


4.          a commis une erreur de droit en concluant qu'il n'était pas discriminatoire de traiter différemment les employés selon leur âge;

5.          le demandeur a également invoqué tout autre motif susceptible de devenir apparent avant la date de l'audience.

[19]            Le demandeur soutient que les motifs que la Commission a invoqués pour rejeter ses plaintes n'étaient pas suffisants.

[20]            Le demandeur affirme également que la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments qu'il lui avait présentés.

[21]            Le demandeur déclare que la Commission ne lui a pas communiqué certains documents, c'est-à-dire qu'elle ne lui a pas transmis tous les documents dont elle tenait compte.

[22]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en disant que la distinction entre les employés était justifiable compte tenu des circonstances.

[23]            Le demandeur affirme en outre que le rapport de l'enquêteur en date du 21 décembre 1999 étaye ses allégations, à savoir [TRADUCTION] « qu'ils offraient un programme d'indemnisation en fonction de l'âge qui était fort variable » .


Prétentions de Marine Atlantic

[24]            La défenderesse Marine Atlantic déclare que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[25]            Marine Atlantic soutient que la Commission n'était pas tenue de procéder à une [TRADUCTION] « communication entre parties » et que les éléments qu'une partie soumet dans le cadre de la procédure de traitement des plaintes sont uniquement communiqués à l'autre partie s'ils renferment de nouveaux renseignements ou si la crédibilité est contestée, de sorte qu'une contre-preuve doit être présentée. Il est soutenu que la Commission peut à sa discrétion décider des éléments à communiquer aux parties à une plainte. Il est soutenu que le demandeur n'a pas établi que la Commission avait tenu compte d'éléments qui ne lui avaient pas été communiqués ou qui n'étaient pas examinés dans le rapport d'enquête et que le dossier révèle en fait que les éléments dont la Commission a tenu compte ont été transmis au demandeur pour commentaires. Il est affirmé que la Commission a agi d'une façon conforme aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale.


[26]            Marine Atlantic soutient que la Commission a fourni des motifs adéquats à l'appui de sa décision. Elle affirme que la Commission n'était pas légalement tenue de fournir au demandeur des motifs additionnels à l'appui de sa décision étant donné que celui-ci ne les avait pas demandés. Il est en outre soutenu qu'étant donné que le demandeur n'avait pas demandé de motifs, la Commission ne violait pas les règles d'équité procédurale s'il était conclu qu'elle avait fourni des motifs inadéquats à l'appui de sa décision de rejeter la plainte du demandeur.

[27]            Marine Atlantic affirme que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en tirant une conclusion incompatible avec les recommandations qui étaient faites dans le rapport d'enquête. Il est soutenu que la Commission n'était pas obligée de retenir les recommandations figurant dans le rapport.

[28]            Marine Atlantic affirme que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en omettant de conclure que l'entente relative à la cessation d'emploi constituait de la discrimination fondée sur l'âge et en omettant de conclure qu'un tort sérieux avait été commis. Il est soutenu que la Cour devrait s'en remettre à l'expertise de la Commission dans les affaires où des questions de fait portant sur la discrimination sont en cause.

Prétentions de TCA

[29]            TCA soutient que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable.


[30]            TCA affirme que la Commission a de fait observé les principes appropriés de justice naturelle et d'équité procédurale en décidant de rejeter les plaintes du demandeur. Il est soutenu que le contenu de l'obligation d'équité à laquelle la Commission était assujettie en l'espèce est raisonnablement restreint.

[31]            TCA affirme que l'absence de motifs ne constitue pas un manquement aux principes d'équité procédurale parce que la Loi n'impose pas à la Commission une obligation légale de fournir les motifs pour lesquels une plainte est rejetée, mais que la Commission est plutôt uniquement tenue de signifier un avis écrit de sa décision. Il est soutenu que la Commission a néanmoins de fait fourni des motifs suffisants compte tenu des circonstances de la présente espèce.


[32]            TCA soutient que, compte tenu de la preuve, il existait un fondement rationnel permettant à la Commission de conclure que la défenderesse n'avait pas agi de façon discriminatoire en prévoyant différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquaient plus que d'autres employés d'être touchés par le licenciement. Il est affirmé qu'il existait également un fondement rationnel permettant à la Commission de tenir compte du moment où les prestations de retraite seraient versées et de leur disponibilité à l'égard de différents groupes, compte tenu non seulement des années de service mais aussi de l'âge respectif des employés. Il est affirmé que, si un travailleur devait bientôt toucher des prestations garanties de retraite, cela pouvait rationnellement diminuer la nécessité d'obtenir une indemnité de départ ou un autre genre d'indemnité. Il est donc affirmé que la décision de la Commission était raisonnable.

Les points litigieux

[33]            Les questions litigieuses sont ci-après énoncées :

1.          Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision de la Commission de rejeter les plaintes du demandeur?

2.          La Commission a-t-elle omis d'observer les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en omettant de remettre au demandeur une copie de tous les documents dont elle avait tenu compte en arrivant à sa décision?

3.          La Commission a-t-elle manqué aux règles d'équité procédurale ou de justice naturelle en omettant de fournir au demandeur des motifs suffisants à l'appui de sa décision de rejeter les plaintes déposées par celui-ci?

4.          La Commission a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées ou a-t-elle rendu une décision abusive et arbitraire sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?


5.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de conclure que l'entente relative à la cessation d'emploi conclue entre Marine Atlantic et TCA constituait de la discrimination fondée sur l'âge et en omettant de conclure qu'un tort sérieux avait été commis?

Dispositions législatives pertinentes

[34]            Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont ainsi libellées :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :

9. (1) It is a discriminatory practice for an employee organization on a prohibited ground of discrimination

a) d'empêcher l'adhésion pleine et entière d'un individu;

(a) to exclude an individual from full membership in the organization;

b) d'expulser ou de suspendre un adhérent;

(b) to expel or suspend a member of the organization; or

c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.

(c) to limit, segregate, classify or otherwise act in relation to an individual in a way that would deprive the individual of employment opportunities, or limit employment opportunities or otherwise adversely affect the status of the individual, where the individual is a member of the organization or where any of the obligations of the organization pursuant to a collective agreement relate to the individual.

(2) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) le fait pour une organisation syndicale d'empêcher une adhésion ou d'expulser ou de suspendre un adhérent en appliquant la règle de l'âge normal de la retraite en vigueur pour le genre de poste occupé par l'individu concerné.

(2) Notwithstanding subsection (1), it is not a discriminatory practice for an employee organization to exclude, expel or suspend an individual from membership in the organization because that individual has reached the normal age of retirement for individuals working in positions similar to the position of that individual.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

[. . .]

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

. . .

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

[. . .]

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

. . .

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

[. . .]

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

. . .

(4) Après réception du rapport, la Commission :

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

Analyse et décision

[35]            Première question

Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision de la Commission de rejeter les plaintes du demandeur?


Dans la décision Holmes c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 577 (1re inst.) (QL), la juge Tremblay-Lamer a dit ce qui suit aux paragraphes 29 à 32 :

La norme de contrôle à appliquer aux décisions que rend une commission des droits de la personne a été analysée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. La Cour avait à déterminer si les cours de justice doivent s'en remettre aux opinions d'un tribunal des droits de la personne non seulement au sujet de questions de fait, mais aussi au sujet de questions de droit. Au nom de la majorité, le juge La Forest a répondu par la négative. Il a conclu que la norme qui s'applique aux questions de droit est celle de la justesse :

L'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s'étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l'espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d'interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable [...]

Dans les arrêts Gould c. Yukon Orders of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571 et Ross c. New Brunswick School District No. 15, [1996] 1 R.C.S. 825, la Cour suprême du Canada a confirmé de nouveau la position qu'elle avait adoptée dans l'arrêt Mossop.

La détermination du critère juridique qui s'applique à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable est une question de droit qui peut être contrôlée en fonction de la justesse. Il faut donc que la décision de la Commission sur cette question soit exacte.

En revanche, les décisions que rend la Commission au sujet de questions de fait ne peuvent faire l'objet d'un contrôle qu'en fonction de leur caractère raisonnable. Dans l'arrêt Ross, précité, la Cour a indiqué qu'une conclusion de discrimination est imprégnée de faits, des faits que le comité d'enquête est le mieux placé pour évaluer. Si l'on applique le même raisonnement aux faits de l'espèce, je dirais que la conclusion de la Commission selon laquelle aucune discrimination par suite d'un effet préjudiciable n'a été commise est elle aussi une conclusion imprégnée de faits, qui ne doit être modifiée que si elle peut être qualifiée de déraisonnable.


[36]            Dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (2003), 302 N.R. 34, 2003 CSC 19, la Cour suprême du Canada a dit qu'afin de déterminer la norme de contrôle à appliquer aux décideurs administratifs, il faut appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle. Pour déterminer la norme de contrôle, il faut soupeser quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi; (2) l'expertise du tribunal sur la question en litige par rapport à celle de la cour de révision; (3) l'objet de la loi et de la disposition particulière; (4) la nature de la question : s'agit-il d'une question de droit, d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit?

[37]          La présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi

La Loi ne renferme aucune clause privative et ne prévoit aucun droit d'appel. Le silence de la loi est neutre et ne donne pas à entendre que la norme de contrôle est plus rigoureuse ou qu'elle l'est moins.

[38]            L'expertise du tribunal sur la question en litige par rapport à celle de la cour de révision


Il s'agit ici de savoir si la plainte du demandeur doit être rejetée pour le motif qu'elle ne justifie aucun examen plus poussé, compte tenu des circonstances. Dans l'arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, la Cour suprême du Canada a dit, au paragraphe 29, qu' « [u]ne conclusion à l'existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d'enquête est la mieux placée pour évaluer » . En l'espèce, le même raisonnement s'appliquerait à l'égard de la conclusion de fait que la Commission tire lorsqu'elle examine au préalable une plainte en se fondant sur un rapport d'enquête. L'expertise plus grande de la Commission en ce qui concerne les conclusions de fait et l'examen préalable des plaintes milite en faveur d'une plus grande retenue dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

[39]            L'objet de la loi et de la disposition particulière

L'article 2 de la Loi énonce son objet comme suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

[40]            Aux fins de la réalisation de ce but législatif général, la Commission s'est vu conférer le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte si elle est convaincue qu'aucun examen plus poussé n'est justifié. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le choix des termes employés à l'article 40 de la Loi ne laisse planer aucun doute : le législateur voulait que les cours de révision s'abstiennent d'intervenir à la légère dans les décisions prises par la Commission à la suite d'un examen préalable. Ce facteur montre également qu'il convient de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de la Commission.

[41]            La nature de la question : s'agit-il d'une question de droit, d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit?

Il s'agit en l'espèce de savoir si les plaintes du demandeur justifiaient un examen plus poussé. La Commission a rejeté les plaintes pour le motif qu'elles n'étaient pas fondées parce que, compte tenu de l'enquête, l'entente conclue entre Marine Atlantic et TCA n'était pas discriminatoire. Cette question est fondée sur les faits, mais elle comporte l'application de faits au régime législatif, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit. La nature discrétionnaire de la fonction d'examen préalable des plaintes et le fait que la question est axée sur les faits exigent que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de la Commission.

[42]            Compte tenu de tous ces facteurs, je suis d'avis que la décision que la Commission a prise dans ce cas-ci devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cet avis est conforme à la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale (voir Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 284 N.R. 321, 2002 CAF 4).

[43]            Deuxième question

La Commission a-t-elle omis d'observer les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en omettant de remettre au demandeur une copie de tous les documents dont elle avait tenu compte en arrivant à sa décision?


Le demandeur a allégué, comme motif de contrôle judiciaire, que la Commission n'avait pas observé les principes de justice naturelle et d'équité procédurale. L'allégation du demandeur semble être que la Commission ne lui a pas communiqué tous les éléments sur lesquels elle s'était fondée en décidant de rejeter les plaintes. L'enquêteur nommé par la Commission a présenté un rapport initial le 21 décembre 1999. La Commission a transmis une copie du rapport aux parties pour qu'elles y répondent. Les parties ont répondu. La Commission a également remis des rapports supplémentaires auxquels les parties ont également répondu. On ne sait pas exactement si toutes les réponses des parties ont été communiquées aux autres parties (c'est-à-dire si les réponses des défendeurs ont été transmises au demandeur et si les réponses du demandeur ont été transmises aux défendeurs).

[44]            La Cour d'appel fédérale a examiné la question de la communication entre parties dans l'arrêt Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne) (1994), 167 N.R. 241 (C.A.F.). Le juge Décary a dit ce qui suit au paragraphe 18 :


Je ne dis pas que les règles d'équité procédurale exigent de la Commission qu'elle communique systématiquement à une partie les observations qu'elle reçoit de l'autre partie; je dis qu'elles l'exigent lorsque ces observations contiennent des éléments de fait distincts de ceux dont le rapport d'enquête faisait état et que la partie adverse aurait eu le droit de tenter de réfuter les eût-elle connus au stade de l'enquête proprement dite. Je reconnais qu'il ne sera pas toujours facile de déterminer à quel moment des observations cessent d'être des "arguments", pour reprendre les mots du juge Sopinka, et deviennent des allégations nouvelles devant être portées à la connaissance de l'autre partie; la Commission, si elle décidait de maintenir sa pratique générale de non-communication des observations, n'en devra pas moins examiner chaque cas individuellement et faire preuve de beaucoup de vigilance afin d'éviter que dans un cas donné, comme en l'espèce, une partie ne reçoive pas communication d'observations dont la nature est telle qu'elles auraient dû être portées à sa connaissance. La Commission aurait intérêt, me semble-t-il, ne serait-ce que pour se mettre à l'avance à l'abri de tout reproche, à exiger que les parties s'échangent leurs observations respectives. Autrement, et je reprends ici les vues du juge Mahoney dans Labelle, la Commission sera toujours exposée à une demande de contrôle judiciaire "parce que le plaignant pourra toujours prétendre qu'à première vue, il n'a pas pris connaissance de toute la preuve de la partie adverse et n'a donc pas eu la possibilité de la réfuter en entier". [Notes de bas de page omises.]

Cela étant, la Commission est uniquement tenue de faire part à une partie des observations qu'elle a reçues d'une autre partie lorsque ces observations portent sur de nouveaux faits qui ne figurent pas dans le rapport d'enquête. Il pourrait être prudent d'obliger les parties à communiquer leurs observations afin d'éviter des critiques futures, mais la Cour d'appel a dit que les règles d'équité procédurale n'exigent pas pareille communication. J'ai examiné les observations que les parties ont faites en l'espèce et je suis d'avis qu'elles ne portent pas sur des faits qui diffèrent de ceux qui figurent dans les rapports d'enquête. J'aimerais également noter que la Commission a transmis les documents à la Cour avec une lettre datée du 2 mars 2001 qui attestait que, sous réserve du privilège du secret professionnel de l'avocat, ces documents constituaient le dossier complet dont disposait la Commission lorsqu'elle a décidé de rejeter les plaintes du demandeur. À l'exception de lettres additionnelles peu importantes déposées par TCA, on n'a pas réussi à me persuader qu'il manquait des documents au dossier de la Commission. Je suis convaincu que, compte tenu des circonstances, la Commission n'a pas manqué à l'obligation d'équité procédurale qu'elle avait envers le demandeur.

[45]            Troisième question

La Commission a-t-elle manqué aux règles d'équité procédurale ou de justice naturelle en omettant de fournir au demandeur des motifs suffisants à l'appui de sa décision de rejeter les plaintes déposées par celui-ci?


Le demandeur allègue que le fondement des motifs de la Commission laisse à désirer. Au paragraphe 21 de son affidavit, il déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] Les motifs sur lesquels la CCDP s'est fondée pour rejeter mes plaintes (A44217, B47452, B44842) laissent à désirer, puisqu'il est simplement dit, et je cite :

La distinction était justifiable compte tenu des circonstances; le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être TOUCHÉS NE constitue PAS un acte discriminatoire. [Souligné dans l'original.]

[46]            Avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la question de savoir si les décideurs administratifs doivent fournir des motifs donnait matière à discussion. Toutefois, dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a statué que, dans certaines circonstances, « une forme quelconque de motifs écrits est requise » (paragraphe 43). La juge L'Heureux-Dubé a traité comme suit de l'exigence voulant qu'une forme quelconque de motifs écrits soient fournis ainsi que de la nature des motifs (paragraphes 43 et 44) :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.


J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l'ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation d'équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l'équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation d'équité procédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.

Il importe de noter que dans l'affaire Baker, précitée, la demanderesse avait demandé des motifs écrits. Dans l'arrêt Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, [2000] A.C.F. no 1217 (C.A.), aux paragraphes 5, 6 et 7, la Cour d'appel fédérale a fait des remarques au sujet de la contestation des décisions administratives qui sont prises sans que des motifs soient fournis par écrit :

Dans le jugement Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) F.C.J. 1301, le juge Evans a déclaré, au paragraphe 31 :

Toutefois, à mon avis, l'obligation d'équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l'absence d'une telle demande, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité.

Nous sommes d'accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, l'intéressé doit d'abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l'administration de la justice si l'on permettait à l'intéressé de s'adresser à la Cour pour obtenir l'annulation d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, sans avoir d'abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.


Le Conseil peut répondre à cette demande en motivant sa décision ou en exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire, compte tenu des circonstances de l'espèce. À notre avis, le fait d'obliger une partie à demander au tribunal administratif de motiver sa décision avant d'introduire une instance en contrôle judiciaire devant notre Cour ne la lèse aucunement.

Nous tenons à préciser que, bien qu'habituellement, la partie visée doive d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision, il peut exister des situations dans lesquelles l'obligation du tribunal administratif de motiver sa décision est tellement évidente que l'intéressé peut recourir à la Cour sans devoir d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision. Il existe peut-être aussi des circonstances dans lesquelles une partie se trouve dans l'impossibilité de demander au Conseil de motiver sa décision. Ces circonstances seraient, à notre avis, extrêmement rares.

En l'espèce, la Commission a fourni des motifs à l'appui de sa décision dans la lettre qu'elle a envoyée au demandeur le 20 décembre 2000. Il s'agit ici de savoir si ces motifs étaient suffisants.

[47]            Les motifs que la Commission a prononcés en l'espèce sont brefs, mais ils informent de fait le demandeur de la raison pour laquelle la Commission a décidé de rejeter sa plainte. La Commission a clairement dit que le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être touchés par la fermeture du service de transport par traversier de Marine Atlantic sur le parcours Borden-Cape Tormentine ne constitue pas un acte discriminatoire. Je suis d'avis que les motifs fournis par la Commission étaient suffisants.

[48]            Quatrième question

La Commission a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées ou a-t-elle rendu une décision abusive et arbitraire sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

Le demandeur énonce cette question à l'alinéa c) de sa demande de contrôle judiciaire. Il inclut le fondement factuel de ce motif aux paragraphes 3 à 7 de son affidavit. Dans la lettre qu'elle a envoyée au demandeur le 20 décembre 2000, la Commission déclare avoir examiné les rapports de l'enquêteur qui avaient été communiqués aux parties ainsi que toutes les réponses soumises en réponse aux rapports. Le demandeur déclare posséder un certain nombre de disques qui renferment des renseignements au sujet des premières ébauches de l'entente et il affirme que les renseignements figurant sur les disques ainsi que d'autres documents étayent ses plaintes.

[49]            Le demandeur affirme également que le rapport initial d'enquête étayait l'allégation selon laquelle l'entente établissait une discrimination fondée sur l'âge.


[50]            Il est vrai que le rapport d'enquête du 21 décembre 1999 montrait que les plaintes du demandeur justifiaient un examen plus poussé. Toutefois, la Commission n'est pas tenue d'adopter le rapport de l'enquêteur étant donné que le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi l'autorise à rejeter une plainte si elle est convaincue, compte tenu des circonstances, qu'un examen n'est pas justifié. Dans la décision Bradley c. Canada (Procureur général) (1997), 135 F.T.R. 105 (1re inst.), qui se rapportait à une affaire dans laquelle la décision de la Commission était différente de la mesure recommandée par l'enquêteur, le juge MacKay a dit ce qui suit au paragraphe 53 :

Il est vrai que la CCDP n'a pas acceptéla recommandation de l'enquêteuse, c'est-à -dire de nommer un conciliateur, mais elle n'était pas liée par une telle recommandation. Le requérant avait clairement étéinformé de cette possibilité quand le rapport d'enquête lui a été envoyé pour fins d'observations. La décision de la Commission n'est pas entachée d'erreur parce qu'elle a choisi de ne pas suivre la recommandation de l'enquêteuse.

[51]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Commission a déclaré, dans sa lettre de décision, qu'elle avait tenu compte du rapport d'enquête et de toutes les observations soumises en réponse au rapport. Il n'est pas nécessaire que la Commission traite de chaque document dont elle a tenu compte en arrivant à sa décision. Dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, précité, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 38 (juge Décary) :

La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme "à son avis", "devrait", "normalement ouverts", "pourrait avantageusement être instruite", "des circonstances", "estime indiqué dans les circonstances", qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.


J'ai examiné les éléments dont la Commission a tenu compte en arrivant à sa décision et je ne puis conclure que la Commission a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées ou qu'elle a rendu une décision abusive et arbitraire sans tenir compte de la preuve dont elle disposait.

[52]            Cinquième question

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de conclure que l'entente relative à la cessation d'emploi conclue entre Marine Atlantic et TCA constituait de la discrimination fondée sur l'âge et en omettant de conclure qu'un tort sérieux avait été commis?


Le demandeur a énoncé ce motif à la page 4 de son dossier de demande, alinéa d). Dans la décision Holmes, précitée, la juge Tremblay-Lamer a dit qu'une conclusion selon laquelle aucune discrimination par suite d'un effet préjudiciable n'avait été commise était une question « imprégnée de faits » . Comme j'en ai fait mention dans mon analyse de la norme de contrôle, le fait que la décision de la Commission de rejeter les plaintes du demandeur est axée sur les faits, entre autres considérations, m'amène à appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter. Dans ce cas-ci, la Commission a conclu que l'application de l'entente ne constituait pas de la discrimination fondée sur l'âge. J'ai examiné les éléments présentés dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire et je suis d'avis que la décision de la Commission de rejeter les plaintes était l'une des décisions qu'il lui était avec raison loisible de prendre. La décision de rejeter les plaintes du demandeur était rationnellement fondée. Il n'incombe pas au juge chargé de l'examen judiciaire qui applique la norme de la décision raisonnable de modifier la décision de la Commission lorsqu'il s'agit de l'une des décisions qu'il était avec raison loisible à la Commission de prendre.

[53]            J'ai fait savoir aux parties à l'audience ce que ma décision inclurait à l'égard de 20 pages de documents présentées à la Cour par le demandeur à l'audition de cette affaire. À la première page de ces documents figure une lettre en date du 7 août 2002 adressée au juge responsable de la gestion de l'instance. Je ne suis pas prêt à inclure cette lettre dans le dossier de la demande de contrôle judiciaire étant donné que les questions y afférentes auraient pu être examinées avant que le dossier de la demande soit préparé.

[54]            Quant aux autres pages qui m'ont été présentées à l'audience, elles semblent se rapporter à des documents soumis dans une autre demande de contrôle judiciaire et, cela étant, elles ne font pas partie de la présente demande de contrôle judiciaire. Ces pages auraient également pu être soumises au moment où le dossier du demandeur a été complété et déposé. Par conséquent, je ne permettrai pas non plus d'inclure ces autres pages dans le dossier de la présente demande.

[55]            La demande de contrôle sera donc rejetée.

[56]            Je suis d'avis qu'eu égard aux circonstances de la présente espèce dans leur ensemble, aucuns dépens ne devraient être adjugés, mais je n'adresse pas pour autant de reproches aux défendeurs.

ORDONNANCE

[57]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 11 décembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-126-01

INTITULÉ :                                                        RONALD S. MacLEAN

c.

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

MARINE ATLANTIC INC.

LES TRAVAILLEURS ET

TRAVAILLEUSES CANADIEN(NE)S

DE L'AUTOMOBILE (TCA)

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le jeudi 12 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                   Monsieur le juge O'Keefe

ET ORDONNANCE :                                     

DATE DES MOTIFS :                                     le jeudi 11 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Ronald S. MacLean                                              POUR LE DEMANDEUR

agissant pour son propre compte

John MacPherson, c.r.                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Marine Atlantic Inc.

Lewis N. Gottheil                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald S. MacLean                                              POUR LE DEMANDEUR

agissant pour son propre compte

Murray Harbour (Île-du-Prince-Édouard)

Patterson Palmer Hunt Murphy                          POUR LA DÉFENDERESSE

Halifax (Nouvelle-Écosse)                                   Marine Atlantic Inc.

Lewis N. Gottheil, avocat                                    POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)                                                 Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s

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