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Date : 20030717

Dossier : T-410-01

Référence : 2003 CF 894

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                    SYLVIA PASCAL

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                                    KITIGAS INC. et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE RUSSELL

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision datée du 31 janvier 2001 et fondée sur le Code canadien du travail, par laquelle l'arbitre Jack M. Chapman, c.r. (l'arbitre) a rejeté la plainte de congédiement injuste que la demanderesse a déposée contre la défenderesse, Kitigas Inc.


[2]                 La demanderesse, Sylvia Pascal, est une mère et une grand-mère âgée de 45 ans qui habite actuellement à Winnipeg, au Manitoba, et qui est issue de la Première nation de Little Grand Rapids. Elle a travaillé pour la défenderesse d'abord comme stagiaire puis, pendant la majorité de son emploi, comme travailleuse en garderie à temps plein du 8 décembre 1995 au 7 janvier 1999. Kitigas Inc. tenait et exploitait un foyer pour enfants (le foyer) à la réserve de la Première nation de Little Grand Rapids où la demanderesse travaillait.

[3]                 Au cours de la période pertinente, Brian Brown et Paula Christine Gale étaient codirecteurs du foyer. Le 25 novembre 1998, la demanderesse s'est entretenue au téléphone avec Mme Gale au sujet de son désir de poursuivre des études liées à son travail. Le 15 décembre 1998, Mme Gale et M. Brown ont signé une note indiquant que la demanderesse quitterait son emploi le 6 janvier 1999 afin de poursuivre des études (la note). La demanderesse n'a pas signé cette note.

[4]                 Vers le 22 décembre 1998, la demanderesse a fait parvenir la lettre suivante à Mme Gale en réponse à la note :

[TRADUCTION] OBJET : Note du 15 décembre 1998 à Brian Brown, codirecteur de Kitigas

Le 25 novembre 1998, vous m'avez téléphoné à Winnipeg au sujet de certaines questions reliées à mon travail. À ce moment-là, je vous ai demandé de m'accorder un congé autorisé du foyer Kitigas pendant que je poursuivrais mes études. J'ai demandé que mon congé débute le 8 janvier 1999 et se termine vers juillet ou août 1999. À la fin de notre conversation, vous avez approuvé cette demande de congé.


Votre note du 15 décembre 1998 donne à penser que j'ai démissionné du poste que j'occupais au foyer pour enfants Kitigas afin de poursuivre mes études. Ce n'est pas ce qui a été mentionné ou évoqué au cours de notre conversation téléphonique du 25 novembre 1998. De plus, je n'ai nullement l'intention de démissionner, que ce soit maintenant ou plus tard. Le succès de la mission du foyer pour enfants Kitigas me tient à coeur et j'espère continuer à travailler pour le foyer une fois que j'aurai terminé mes cours cet été.

J'espère que la présente lettre permet de dissiper tout malentendu.

[5]                 Mme Gale a alors répondu le 23 décembre 1998 par une courte lettre indiquant qu'un congé ne serait autorisé que pour des cours à temps plein et que le cours que la demanderesse comptait suivre n'était pas un cours à temps plein. Mme Gale a également demandé à la demanderesse de lui reparler à ce sujet. La demanderesse allègue qu'elle a réécrit le même jour à Mme Gale afin de lui demander de revenir sur sa position en ce qui concerne l'autorisation d'absence.

[6]                 Le 8 janvier 1999, M. Brown et Mme Gale ont écrit à la demanderesse pour l'informer que l'emploi de celle-ci prendrait fin à compter du 22 janvier 1999 et qu'elle recevrait deux semaines de salaire en remplacement de l'avis et son indemnité de vacances. Les motifs du congédiement ont été énoncés en ces termes :

[TRADUCTION]

1              Vous avez refusé de signer votre description de poste alors que cette signature constitue une condition de votre emploi comme travailleuse en garderie au foyer pour enfants Kitigas.

2.             Vous avez abandonné votre poste à plusieurs reprises sans donner d'avis et immédiatement quitté la région.

3.             Vous n'avez pas rempli les rapports mensuels correspondant aux enfants dont vous aviez la charge même après avoir reçu plusieurs demandes à ce sujet.

4.             Vous avez constamment omis d'observer le protocole lorsque vous avez présenté différents griefs et demandes en qualité d'employée du foyer pour enfants. Vous avez constamment contourné la direction et décidé de porter les demandes et griefs directement devant le conseil d'administration, même après avoir été informée par la direction que vous ne suiviez pas la procédure établie et que vous deviez vous en tenir au protocole.


[7]                 Par la suite, la demanderesse a déposé une plainte de congédiement injuste auprès de Développement des ressources humaines Canada. Le 27 mars 2000, la défenderesse a remis une déclaration écrite dans laquelle elle a exposé les motifs du congédiement conformément 241(1) du Code canadien du travail. Un arbitre a été désigné en application du Code canadien du travail et l'audience a eu lieu le 3 octobre 2000 devant l'arbitre Jack M. Chapman, c.r. Dans la décision qu'il a rendue le 31 janvier 2001, l'arbitre a rejeté la plainte de congédiement injuste.

QUESTIONS EN LITIGE

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.          La décision de l'arbitre comporte-t-elle une erreur susceptible de révision?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[8]                 Voici le libellé des dispositions législatives pertinentes, qui se trouvent à la Section XIV - Congédiement injuste, de la Partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 :

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

[...]

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

[...]

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

. . .

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

. . .

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

Quelle est la norme de contrôle applicable?

[9]                 Malgré l'article 243 du Code canadien du travail, la Cour n'a compétence pour réviser la décision d'un arbitre que dans des circonstances très restreintes.


[10]            Comme le juge Rouleau l'a souligné dans Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. c. Kmet (1998), A.C.F. n ° 740 (C.F. 1re inst.) :

¶ 17       Qu'importe, par conséquent, que la Cour soit ou non d'accord sur la conclusion tirée par le tribunal dans la cause qui lui est soumise; elle n'interviendra que si la décision est entachée d'une erreur de droit telle qu'elle constitue une interprétation fautive des dispositions législatives sur lesquelles elle s'appuie, si elle se fonde sur des conclusions de fait dénuées de preuve ou si le tribunal a outrepassé sa compétence d'une autre façon. Pour que la décision d'un arbitre soit tenue pour manifestement déraisonnable, il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie.

À mon avis, la norme exposée ci-dessus est la norme à appliquer en l'espèce.

Les arguments de la demanderesse

[11]            Invoquant la décision Ackman c. Le ministre du Travail, 20 février 1998 (C.F. 1re inst., T-1448-97), la demanderesse fait valoir que la décision est manifestement déraisonnable et va à l'encontre des principes de justice naturelle pour les raisons indiquées ci-après :

[TRADUCTION] Les motifs que l'employeur Kitigas Inc. a invoqués dans la lettre de congédiement sont semblables à ceux qui ont été énoncés dans la lettre envoyée à Développement des ressources humaines Canada et l'arbitre a conclu que bon nombre de ces motifs n'existaient pas en réalité. L'arbitre a également conclu à l'existence de motifs qui sont sensiblement différents de ceux que l'employeur Kitigas Inc. a invoqués.

La demanderesse soutient que la preuve que l'employeur peut présenter se limite aux motifs qui sont énoncés dans la lettre de congédiement ainsi que dans une lettre écrite conformément au paragraphe 241(1) du Code canadien du travail [Rogers Cantel Inc. c. Meilleur (1992), 40 C.C.E.L. 95 (Can. Adj.)]. De plus, en concluant à l'existence de motifs différents de ceux qui ont été communiqués à la demanderesse au soutien du congédiement et de ceux qui ont été donnés à Développement des ressources humaines Canada, l'arbitre a outrepassé sa compétence et rendu une décision manifestement déraisonnable.


[12]            En ce qui concerne les motifs qui sont exposés dans la lettre de congédiement datée du 8 janvier 1999, la demanderesse souligne que l'arbitre a adopté la position suivante dans sa décision :

Motif 1 - Refus de signer la description de poste

[13]            [TRADUCTION] « Au cours du contre-interrogatoire, elle [Mme Gale] a reconnu qu'elle était l'une des personnes ayant signé la pièce 7 [la lettre de congédiement]. Elle a reconnu qu'elle n'a jamais demandé par écrit que la description de poste soit signée et on lui a donné à entendre que le document avait peut-être été égaré au bureau » .

[14]            De l'avis de la demanderesse, ces commentaires indiquent que l'arbitre a accordé peu d'importance à ce motif.

Motif 2 - Abandon du poste et départ de la région sans avis

[15]            [TRADUCTION] « En ce qui a trait au deuxième motif, soit l'abandon, elle [Mme Gale] a reconnu qu'à une occasion, la demanderesse était malade; cependant, elle a également déclaré qu'à son avis, la plaignante jugeait son poste très stressant en raison de ses obligations familiales à Winnipeg » .


[16]            Selon la demanderesse, ces commentaires indiquent que l'abandon et l'absentéisme invoqués n'ont pas été prouvés. Tout ce qui a été établi, c'est que la demanderesse a été malade à une occasion.

Motif 3 - Omission de remplir les rapports ministériels

[17]            [TRADUCTION] « Elle [Mme Gale] a affirmé catégoriquement qu'elle avait offert à Mme Pascal une aide semblable à celle qu'elle avait offerte aux autres personnes en ce qui a trait aux rapports mensuels. Cependant, Mme Pascal refusait carrément de s'y soumettre » .

[18]            Sur ce point, la demanderesse fait valoir qu'il n'y a aucun élément de preuve indiquant qu'elle avait été prévenue au sujet des rapports et qu'elle avait fait l'objet de mesures disciplinaires à cet égard. En conséquence, même si elle n'avait pas remis les rapports mensuels en question, cette omission ne pourrait constituer un motif légitime de congédiement.

[19]            En fait, la demanderesse allègue que le seul véritable motif que l'arbitre a invoqué pour en arriver à sa décision concernait le motif 4 et que, sur ce point, il a commis une erreur fondamentale.

Motif 4 - Non-respect du protocole

[20]            Voici la décision à laquelle l'arbitre en est arrivé à ce sujet :


[TRADUCTION] Il est indéniable que la plaignante était une employée consciencieuse, surtout au cours des premières années de son emploi. Cependant, il me semble que ce qui s'est produit en l'espèce, c'est que le foyer pour enfants que dirigeait la Première nation de Little Grand Rapids est devenu un endroit beaucoup plus spécialisé et structuré que ce qui était prévu à l'origine. Les règlements et exigences gouvernementaux sont plus nombreux et les procédures sont beaucoup plus formelles qu'avant. De plus, le personnel est plus spécialisé et l'organisation elle-même est plus structurée. Il me semble que la demanderesse a eu du mal à s'adapter au nouveau régime. De plus, il est évident qu'elle acceptait mal qu'on lui impose un conseil d'administration comme intermédiaire entre le personnel et le chef et conseil de bande.

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve de façon plus détaillée que le résumé exposé ci-dessus, j'estime que la plaignante souhaitait suivre la formation à temps partiel menant à un certificat dans le domaine de la prévention des agressions sexuelles; cependant, cette formation ne faisait pas partie du programme à temps plein pour lequel un congé pouvait être autorisé. Il est évident qu'en novembre, décembre et janvier, de nombreux entretiens ont eu lieu entre Mme Pascal, l'administration du foyer pour enfants ainsi que le chef et le conseil de bande. À mon avis, la lettre du 22 décembre (pièce 4) dans laquelle elle a déclaré qu'elle souhaitait continuer à travailler chez Kitigas après avoir terminé son cours d'été est très importante. Elle n'avait pas reçu l'autorisation d'absence lorsqu'elle a écrit cette lettre et a mentionné clairement qu'elle ne retournerait pas travailler avant l'été. Cette lettre ainsi que toutes les autres questions ont été examinées le 7 janvier et il a été décidé de mettre fin à l'emploi de la demanderesse pour les motifs indiqués. Il appert d'un examen de la note 10 que ce n'est qu'après 16h45 ce jour-là qu'elle est revenue sur sa déclaration antérieure et a dit qu'elle retournerait travailler le 14. Cependant, l'administration, qui avait examiné la situation existant avant cette conversation, en était venue à la conclusion qu'elle devrait être congédiée.

Tel qu'il est mentionné plus haut, un examen de la preuve indique qu'elle n'avait pas respecté les procédures plus strictes qui avaient été adoptées au cours des derniers mois de son emploi. Il est évident que le foyer pour enfants a eu du mal à trouver du personnel compétent et à le conserver. Il doit pouvoir compter sur du personnel qui est assidu et qui respecte ses politiques administratives. Je suis d'avis que la plaignante n'a pas suivi ces procédures et a été contrariée parce qu'elle n'avait pas obtenu de congé autorisé ou de remboursement relativement au cours à temps partiel qu'elle suivait. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, j'en suis arrivé à la conclusion que le congédiement de la demanderesse est fondé sur un motif valable; par conséquent, la plainte de la demanderesse est rejetée.

Je m'empresse d'ajouter que j'éprouve une grande admiration pour Mme Pascal et ce qu'elle a accompli, eu égard notamment aux problèmes personnels qui l'affligent. Cependant, les exigences imposées par l'employeur étaient raisonnables.

[21]            La demanderesse souligne qu'il n'y avait aucun conseil d'administration distinct du chef et du conseil de bande, de sorte que, lorsqu'elle a communiqué avec des membres de celui-ci, elle a suivi le protocole.


[22]            De plus, comme la correspondance l'indique, la demanderesse a tenté par tous les moyens de régler avec Mme Gale les questions concernant son congé d'études. Elle s'est ensuite adressée à l'un des membres du conseil de bande et a saisi les administrateurs de fait de la question. Aucune de ces mesures ne constituait une contravention au protocole.

[23]            La demanderesse allègue que toute cette preuve indique que l'arbitre a fondamentalement mal compris les exigences que lui imposait le protocole et que, en réalité, les membres de la direction étaient tout simplement fâchés contre elle parce qu'elle est passée par-dessus eux pour tenter de régler la question, alors que sa conduite était en tous points conforme au protocole.

[24]            Par conséquent, la demanderesse soutient que les motifs que l'arbitre a invoqués pour conclure que le congédiement n'était pas injuste ne correspondaient pas aux motifs exposés dans la lettre de congédiement du 8 janvier 1999 et que, même si l'arbitre avait invoqué ces motifs, sa décision serait néanmoins manifestement déraisonnable, parce que ces motifs ne sont pas suffisants en soi pour justifier le congédiement. Tout au mieux, ils renvoyaient à des questions qui nécessitaient des mesures disciplinaires.

[25]            La demanderesse estime que l'arbitre a mal compris la situation en ce qui concerne le protocole ainsi que l'importance de la lettre datée du 22 décembre 1998 qu'elle a fait parvenir à Mme Gale.


[26]            De l'avis de l'arbitre, cette lettre indiquait que la demanderesse n'avait pas respecté le protocole et qu'elle était résolue à prendre le congé d'études qu'elle avait demandé et que l'employeur lui avait refusé. Toutefois, tout ce que la demanderesse a fait dans cette lettre, c'est confirmer qu'elle comprenait que le congé avait été autorisé. Elle n'a pas fait preuve d'insubordination ni n'a refusé de se conformer au protocole. C'est la raison pour laquelle elle avait saisi le conseil de bande de la question : elle respectait le protocole.

La position de la défenderesse

[27]            De façon générale, la défenderesse soutient ce qui suit :

a)         le manquement au protocole justifierait à lui seul le congédiement, parce que, si un manquement de cette nature devait être autorisé, il pourrait entraîner le chaos dans l'ensemble du système. En constatant que la conduite de la demanderesse est tolérée, d'autres personnes seraient tentées d'agir de la même façon;

b)         l'arbitre a indiqué dans ses motifs que l'employeur [TRADUCTION] « doit pouvoir compter sur du personnel qui est assidu et qui respecte ses politiques administratives » et que, à son avis, [TRADUCTION] « la plaignante n'a pas suivi ces procédures... » .


c)         il est évident que l'arbitre renvoie aux motifs que l'employeur a invoqués : omission de signer la description de poste; manque d'assiduité; abandon de son poste ou de son travail; omission de remplir les rapports mensuels et non-respect du protocole ou des procédures relativement à la présentation des demandes et griefs;

d)         la demanderesse mentionne à tort dans son avis de demande que l'arbitre a conclu dans sa décision à [TRADUCTION « l'existence de motifs de congédiement que l'employeur n'avait pas invoqués » . En statuant que l'employeur [TRADUCTION] « doit pouvoir compter sur du personnel qui est assidu et qui respecte ses politiques administratives » et que, à son avis, [TRADUCTION] « la plaignante n'a pas suivi ces procédures » , l'arbitre a fait allusion aux motifs mêmes que l'employeur avait invoqués;

e)         les motifs à l'appui des décisions que la demanderesse a citées dans son dossier ne s'appliquent pas en l'espèce, puisqu'ils portent sur des faits et des questions entièrement différents.

[28]            En ce qui concerne les motifs précis énoncés dans la lettre de congédiement du 8 janvier 1999, la défenderesse souligne ce qui suit :


Motif 1

Même si aucune demande n'a été formulée par écrit en ce qui concerne la description de poste, il appert implicitement de la décision de l'arbitre que des demandes verbales avaient été formulées en ce sens.

Motif 2

Il appert implicitement de la décision de l'arbitre que, même si la demanderesse n'a été absente qu'une seule fois pour cause de maladie, elle s'est absentée à plusieurs occasions sans raison légitime.

Motif 3

L'arbitre indique clairement dans sa décision que la demanderesse refusait de préparer ses rapports mensuels : [TRADUCTION] « Cependant, Mme Pascal refusait carrément de s'y mettre » .

Motif 4


Il est vrai que l'arbitre a accordé beaucoup d'importance à la lettre du 22 décembre 1998 de la demanderesse, mais cette lettre n'était qu'une simple confirmation intéressée de la demanderesse en ce qui concerne l'approbation de l'autorisation d'absence. Le fait que la demanderesse mentionne dans cette lettre la note de la défenderesse en date du 15 décembre 1998 signifie qu'elle comprenait parfaitement qu'elle ne pouvait obtenir de congé pour le cours qu'elle souhaitait suivre. Par conséquent, la déclaration de la demanderesse selon laquelle [TRADUCTION] « À la fin de notre conversation, vous avez approuvé cette demande de congé » n'a aucun sens et constitue simplement une confirmation intéressée.

[29]            La lettre du 22 décembre 1998 de la demanderesse indique que celle-ci avait toujours l'intention de suivre le cours même si elle savait, à la lumière de la note datée du 15 décembre 1998, que ce n'était pas permis.

[30]            Par conséquent, l'arbitre n'a pas eu tort de mentionner ce qui suit dans sa décision : [TRADUCTION] « À mon avis, la lettre du 22 décembre (pièce 4) dans laquelle elle a déclaré qu'elle souhaitait continuer à travailler chez Kitigas après avoir terminé son cours d'été est très importante. Elle n'avait pas reçu l'autorisation d'absence lorsqu'elle a écrit cette lettre et a mentionné clairement qu'elle ne retournerait pas travailler avant l'été » .

[31]            Même si l'arbitre estimait que la lettre du 22 décembre 1998 était importante, il ne se fonde pas uniquement sur cette lettre pour en arriver à sa décision, parce qu'il s'exprime comme suit : [TRADUCTION] « Cette lettre ainsi que toutes les autres questions ont été examinées le 7 janvier et il a été décidé de mettre fin à l'emploi de la demanderesse pour les motifs indiqués » .


Analyse

[32]            La demanderesse a cité la décision que l'arbitre a rendue dans Rogers Cantel Inc. c. Meilleur, [1992] C.L.A.D. n ° 5, pour soutenir qu'un employeur peut présenter une preuve uniquement au sujet des motifs énoncés dans la lettre de congédiement et dans la lettre écrite en application du paragraphe 241(1) du Code canadien du travail. Plusieurs autres sentences arbitrales rendues sous le régime du Code canadien du travail sont fondées sur cette décision.

[33]            Dans Gutsell c. WestJet Airlines Ltd., [2002] C.L.A.D. n ° 213, l'arbitre T.E. Valentine a appliqué la décision Rogers Cantel pour conclure que l'employeur n'a pas avisé l'employé plaignant de la cause du congédiement en litige lorsque cette mesure a été prise et a attendu que les parties se préparent en vue de l'audition pour soulever la question une première fois :

[TRADUCTION] En conséquence, selon la règle générale que l'ensemble des arbitres semblent avoir reconnue et acceptée, l'employeur défendeur peut invoquer uniquement les questions qu'il a soulevées dans sa lettre de réponse à l'inspecteur de Travail Canada afin de justifier à l'audience le congédiement de l'individu.

[34]            Dans Maracle c. Mohawks de la baie de Quinte (Tyendinaga), [1993] C.L.A.D. n ° 927, l'arbitre R.A. Grant a également appliqué la décision Rogers Cantel dans des circonstances qui s'apparentent jusqu'à un certain point à celles de la présente affaire :

[TRADUCTION] ¶ 60       L'avocat de M. Maracle soutient que le motif initialement invoqué était le litige au Centre de soins de jour. Par conséquent, en faisant allusion à l'affaire Roberts ou au problème de vérification, l'employeur tente d'invoquer des motifs différents de ceux qui ont été exposés à l'origine. De l'avis de l'avocat, je peux examiner uniquement le rôle qu'aurait joué le plaignant dans l'achat d'une quantité exagérée de produits d'alimentation par Carol Anne Maracle. Au soutien de cet argument, l'avocat me cite la règle de l'arrêt Aerocide qu'a articulée le professeur G.E. Eaton dans le cadre d'un arbitrage qui a eu lieu sous le régime du Code canadien du travail dans l'affaire Meilleur et Rogers Cantel Inc. (9 janvier 1992) (Eaton) [sic]. L'arbitre explique la règle Arocide en ces termes :


[TRADUCTION] La règle ou la proposition générale de l'arrêt Arocide selon laquelle l'employeur est tenu de justifier la mesure qu'il a prise en invoquant les mêmes motifs que ceux sur lesquels il s'est appuyé à l'origine constitue un principe important dans le domaine des relations industrielles et un principe que les arbitres ont largement adopté dans des affaires d'arbitrage en matière de négociation collective. Les arbitres ont également appliqué ce principe dans les litiges et plaintes fondés sur le Code canadien du travail, ce qui a eu pour effet d'accorder aux employés non syndiqués une certaine protection à l'encontre de l'exercice de pouvoir arbitraire ou abusif de la part des employeurs en matière de cessation d'emploi.

¶ 61       Même si l'incident qui a déclenché le congédiement était le problème au Centre de soins de jour, les motifs que l'employeur a invoqués étaient plus larges et étaient exprimés comme suit : « En raison d'irrégularités dans le cadre des fonctions relevant du domaine de responsabilité de Jackie au cours de son travail pour les Mohawks de la baie de Quinte » . Il appert clairement de l'échange de précisions entre les avocats que l'employeur a invoqué des irrégularités de façon générale et non seulement l'incident en question.

[35]            Les avocats de la demanderesse et de la défenderesse conviennent que la norme de retenue applicable à l'arbitre en l'espèce est très élevée. Pour que j'en arrive à la conclusion que la décision de l'arbitre est susceptible de révision, je dois être d'avis qu'elle était manifestement déraisonnable ou, comme l'a dit le juge Rouleau dans l'arrêt Kelowna Flightcraft Air Charter, précité, « il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie » .

[36]            Les deux avocats conviennent également qu'il est très difficile d'examiner la décision visée par le présent litige en raison de l'absence d'une transcription écrite de l'audience qui a mené à cette décision.


[37]            L'arbitre a explicitement reconnu les mérites de la demanderesse et a exprimé [TRADUCTION] « une grande admiration pour Mme Pascal et ce qu'elle a accompli, eu égard notamment aux problèmes personnels qui l'affligent » . Néanmoins, il a conclu que [TRADUCTION] « les exigences imposées par l'employeur étaient raisonnables » .

[38]            La décision n'indique pas clairement à première vue que l'arbitre ne s'est nullement fondé sur les motifs de congédiement décrits comme les motifs 1, 2 et 3 dans la lettre datée du 8 janvier 1999. D'abord, les allusions précises de l'arbitre à ces trois motifs à la page 7 de sa décision étaient, à tout le moins, ambiguës pour quiconque n'était pas partie au dossier et n'a pas entendu les témoins en contre-interrogatoire. Il n'est donc pas possible de conclure, comme la demanderesse l'a soutenu, que l'arbitre a écarté ces motifs. De plus, l'arbitre mentionne précisément que [TRADUCTION] « [C]ette lettre ainsi que toutes les autres questions ont été examinées le 7 janvier et il a été décidé de mettre fin à l'emploi de la demanderesse pour les motifs indiqués » et que [TRADUCTION] « [C]ompte tenu de l'ensemble des circonstances, j'en suis arrivé à la conclusion que le congédiement de la demanderesse est fondé sur un motif valable; par conséquent, la plainte de la demanderesse est rejetée » .

[39]            En conséquence, en ce qui concerne les trois premiers motifs que l'employeur a énumérés, je ne puis conclure que l'arbitre n'en a pas tenu compte dans sa décision ou que, dans les circonstances de la présente affaire, il était manifestement déraisonnable de sa part de les considérer comme des motifs justifiant raisonnablement le congédiement (du moins s'ils sont examinés sur une base cumulative et conjointement avec le motif 4).


[40]            La preuve présentée et le raisonnement exposé au sujet du motif 4 comportent également des ambiguïtés. Cependant, d'après une lecture de l'ensemble de la décision, l'arbitre semble dire que la lettre du 22 décembre 1998 de la demanderesse était importante, parce qu'elle illustrait le fait que celle-ci [TRADUCTION] « n'avait pas respecté les procédures plus strictes qui avaient été adoptées au cours des derniers mois de son emploi » .

[41]            La demanderesse me demande de conclure qu'il n'existait aucune preuve de contravention, sauf en ce qui a trait à la question de l'autorisation d'absence et que l'arbitre a mal saisi cette question.

[42]            En toute déférence et malgré ce qu'elle a manifestement accompli à Kitigas (comme l'arbitre l'a reconnu), je ne suis pas en mesure de réévaluer les éléments de preuve que l'arbitre a pris en compte pour conclure qu'elle ne s'était pas conformée aux nouvelles procédures. De toute évidence, l'arbitre avait des idées générales en tête au sujet de la conformité lorsqu'il a dit que [TRADUCTION] « la demanderesse a eu du mal à s'adapter au nouveau régime » . Plutôt que d'être déterminante, la lettre du 22 décembre 1998 est « importante » parce qu'elle a fait ressortir les problèmes généraux d'adaptation. Ce n'était pas là une conclusion déraisonnable.

[43]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande est rejetée.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

                                                                                       « James Russell »             

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                             T-410-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Sylvia Pascal c. Kitigas Inc. et PGC

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 20 mai 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Winnipeg (Manitoba)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge James Russell

DATE DES MOTIFS :                                     le 17 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Andrew Kelly                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Jeff Kunzman                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew Kelly                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Booth, Dennehy, Ernst, Kelsch

Winnipeg (Manitoba)

Jeff Kunzman                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

Bueti, Baumstark, Kunzman

Winnipeg (Manitoba)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20030717

Dossier : T-410-01

ENTRE :

SYLVIA PASCAL

demanderesse

et

KITIGAS INC. et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE

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