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Date : 20030514

Dossier : IMM-4251-01

Référence : 2003 CFPI 595

ENTRE :

                                                                 CHING HO POON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite une ordonnance de la nature d'un mandamus et d'un jugement de constatation ainsi que les dépens procureur-client liés au défaut des fonctionnaires du ministre défendeur de trancher sur sa demande de résidence permanente en sa qualité de membre de la catégorie des investisseurs. Ledit défaut a fait suite au renvoi, par ordonnance de la Cour en date du 1er décembre 2000, pour nouvel examen de la demande de visa. Le renvoi annulait la décision initiale de refus de la demande prise par l'agente des visas.

[2]                 Le refus était fondé sur la conclusion que le fils du demandeur, Tat Chi, âgé de 17 ans et à sa charge lors de l'examen de la demande, n'était pas admissible au statut de résident au Canada conformément au paragraphe 19(1) alors en vigueur qui interdisait l'admission, notamment, de :

19.(1)a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

. . .

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

19.(1)(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

. . .

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;

Contexte

[3]                 Le demandeur a présenté une demande de visa pour venir au Canada le 21 mars 1997. Son fils, Tat Chi, a été diagnostiqué comme souffrant d'une difficulté d'apprentissage limite légère à moyenne. À la lumière de cette évaluation, une Déclaration médicale, en date du mois de mars 1999, signée par les fonctionnaires médicaux du défendeur concluait que le fils aurait besoin d'une formation professionnelle particulière et d'être placé dans un atelier protégé ainsi que d'autres services sociaux offerts aux personnes atteintes de déficience mentale, services dont les coûts sont très élevés, ce qui entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux. L'avis a été envoyé au demandeur, accompagné de la possibilité d'effectuer des commentaires ou d'envoyer des renseignements supplémentaires.


[4]                 La demande du demandeur a été traitée sous réserve de renseignements médicaux supplémentaires devant être produits par le demandeur concernant son fils. Ils ont été déposés le 29 juin 1998, mais aucune décision n'a été rendue avant le 7 avril 1999. La demande a alors été rejetée par une agente des visas à Hong Kong au motif des conclusions atteintes par le médecin examinateur à la lumière des renseignements fournis en juin 1998 selon lesquelles on s'attendait à ce que le fils, Tat Chi, impose un fardeau excessif aux services sociaux. Cette décision a été annulée par monsieur le juge Pelletier, le 1er décembre 2000, et la question a été renvoyée pour un nouvel examen par un agent des visas différent (voir Ching Ho Poon c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 1993, 10 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.)).


[5]                 En mars 2001, l'agent des visas chargé de la demande a renvoyé l'affaire à un médecin agréé. L'évaluation de ce dernier, à laquelle a souscrit un médecin agréé d'Ottawa, a débouché sur une Déclaration médicale datée du 15 novembre 2001 qui a alors été envoyée au demandeur, accompagnée de la possibilité de faire des commentaires dans les 60 jours. L'avocat du demandeur a répondu par deux lettres, respectivement datées du 10 et du 15 janvier 2002, s'opposant à l'évaluation indiquée dans la Déclaration médicale, demandant que soit expliquée la signification de termes et de déclarations utilisés dans la Déclaration et renvoyant à la jurisprudence concernant l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. L'évaluation renvoyait à la philosophie sociale canadienne d'engagement envers l'égalité à divers services, dont Tat Chi profiterait ou auxquels il pourrait accéder s'il était admis en qualité de résident permanent. Ces services sont limités et très onéreux. Elle concluait que ces exigences visant à permettre l'entière intégration du fils dans la communauté canadienne imposerait un fardeau excessif aux services sociaux canadiens sous forme de coûts et du fait que des Canadiens ne pourraient pas profiter des services offerts si le fils le faisait.

[6]                 Les lettres du mois de janvier 2002 envoyées par l'avocat du demandeur sont restées sans réponse et aucune décision n'a été prise quant à la demande du demandeur à la date de l'audition de la demande de mandamus déposée le 6 septembre 2001, audition qui a eu lieu à Toronto, le 6 décembre 2002. Après avoir entendu l'avocat, j'ai ajourné la procédure en attendant une décision qui devait être rendue au plus tard le 31 janvier 2003, plus d'une année après le dépôt des observations du demandeur concernant la Déclaration médicale qu'il avait été invité à commenter.

[7]                 Aucune décision n'ayant été rendue par l'agent des visas à la mi-février 2003, sur la requête du demandeur, la procédure a repris et les avocats ont été entendus de nouveau en ce qui a particulièrement trait aux affidavits supplémentaires portant sur les développements par correspondance et les points considérés comme pertinents relativement à la situation actuelle touchant la demande du demandeur.


[8]                 Par son affidavit, fait sous serment le 17 mars 2003, le Dr Brian Dobie, médecin agréé à l'ambassade du Canada à Beijing responsable de la prestation de conseils aux agents des visas de Hong Kong, indique la situation de Tat Chi, le fils à charge du demandeur, dans le cadre de l'examen de la demande du demandeur. Je remarque que la réponse, datée du 15 janvier 2002, à la Déclaration médicale en date du 15 novembre 2001, rédigée par l'avocat au nom du demandeur n'a été fournie au Dr Dobie qu'en janvier 2003, soit une année après réception de la lettre. Le Dr Dobie déclare que la réponse de l'avocat :

[traduction]. . . était constituée d'arguments juridiques et qu'aucun nouveau renseignement médical n'était fourni à propos de l'état de Tat Chi. La lettre ne m'a pas convaincu que l'évaluation médicale des services de l'immigration était incorrecte.


[9]                 Sauf tout le respect qui lui est dû, ce commentaire semble faire fi du fait que la Déclaration médicale du 15 novembre 2001 est, pour sa plus grande part, rédigée dans les mêmes termes que l'évaluation précédente du mois de mars 1999, qui représentait le fondement de la décision de l'agent des visas du 7 avril 1999. Cette décision a plus tard été annulée par ordonnance de monsieur le juge Pelletier en date du 1er décembre 2000, car elle avait été rendue sans aucun élément de preuve des besoins de services sociaux de Tat Chi à l'égard desquels il a été conclu qu'ils imposeraient un fardeau excessif aux services sociaux. Je remarque en outre que la Déclaration du 15 novembre 2001 semble inappropriée en ce qu'elle détermine certains des services sociaux dont Tat Chi [traduction] « profiterait ou services auxquels il pourrait accéder » en sa qualité de résident permanent. Si j'ai bien compris, la Déclaration parle de possibilités et non de probabilités et elle n'évalue pas les besoins propres à Tat Chi (voir : Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 146 F.T.R. 116, le juge Pinard; Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1997) 140 F.T.R. 126, 42 Imm. L.R. (2d) 84, le juge Cullen.; Redding c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] 1 C.F. 496, [2001] A.C.F. no 1309, le juge Lemieux).

[10]            Qui plus est, les renvois aux services sociaux sont de nature générale, sans mention de l'endroit prévu de la résidence du demandeur dans la région de Toronto (voir Lau et Poste, précités) et la conclusion de fardeau excessif n'a rien à voir avec la probable disponibilité des services sociaux aux dépens du public (voir Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1934 (C.F. 1re inst.) le juge Sharlow). La capacité du demandeur, sa volonté et son engagement à veiller, avec sa famille, à ce que Tat Chi ne constitue pas un fardeau pour les services publics ne sont nullement mis en doute. Ce ne serait peut-être pas un facteur important s'il existait un droit à des services fournis publiquement. Cependant, il n'existe aucune preuve de l'existence de services sociaux qui seraient requis par Tat Chi et auxquels il aurait droit, aux frais de l'État, sans remboursement des coûts par sa famille. Les ressources privées pour se procurer les services sociaux nécessaires ou pour rembourser ceux fournis aux frais de l'État sembleraient un facteur pertinent en l'espèce.


[11]            Je reconnais la difficulté à laquelle font face les médecins agréés lors de l'évaluation de l'admissibilité de possibles immigrants en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) et peut-être, particulièrement, en ce qui concerne les demandes qu'ils pourraient imposer, s'ils étaient admis, aux services sociaux. Pourtant, cette évaluation doit être réalisée conformément au droit, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de son règlement et conformément à la jurisprudence changeante interprétant et appliquant la Loi et le règlement. L'avocat du ministre défendeur doit veiller, autant que possible, à ce que les limites juridiques établies par les tribunaux concernant les responsabilités des médecins agréés et des agents des visas qui leur sont conférées par la Loi et le règlement soient respectées.

[12]            Je me penche maintenant sur le redressement sollicité. L'obligation publique du défendeur et de ses fonctionnaires de traiter les demandes de statut de résident permanent de façon opportune, y compris la demande du présent demandeur ne peut faire aucun doute. Six années après la première demande, et presque deux années et demie après l'annulation de la première décision viciée, aucune décision digne de ce nom n'a été prise. Aucune explication acceptable n'a été donnée pour ce dernier retard. Les changements administratifs au sein du ministère, le changement des agents de temps à autres et la promulgation d'une nouvelle législation et de son règlement ne constituent pas une explication suffisante du retard d'exécution des tâches qui persiste depuis le dépôt de la première demande. À mon avis, le demandeur a le droit de recevoir une ordonnance de mandamus exigeant qu'une décision soit prise.


[13]            De façon réaliste, en l'espèce, une telle décision devrait être prise en tenant compte de l'apparente nécessité, prouvée par le Dr Dobie, d'un nouvel examen médical de Tat Chi, pour disposer d'une évaluation à jour de son état, y compris une évaluation des services sociaux dont il pourrait avoir besoin et auxquels il aurait droit aux frais de l'État s'il était admis au Canada. Ladite évaluation, a affirmé le Dr Dobie, pourrait être effectuée rapidement, au cours du mois suivant la réception des rapports médicaux, y compris le rapport psychiatrique ou psychologique réputé nécessaire par le demandeur concernant Tat Chi.

[14]            Il est déclaré que le dernier rapport médical concernant Tat Chi date de 1997 et que des rapports psychologiques pour cette année-là et pour 1998 se trouvent au dossier. À l'époque, il était encore mineur. Il est maintenant un adulte âgé de 22 ans, doté de compétences acquises entre-temps. Si un examen médical supplémentaire est réputé nécessaire, puisque aucune mesure appropriée n'a été prise pendant 5 ou 6 années sur la base des rapports médicaux précédents, à mon avis, le coût de l'examen et du rapport devrait être assumé par le défendeur.

[15]            Alors que l'évaluation de Tat Chi représente celle qui est en suspens avant qu'une décision finale ne puisse être prise sur la demande de visa du demandeur, tellement de temps s'est écoulé en raison du retard qu'il est déclaré que les examens médicaux du demandeur et des membres de sa famille, excepté pour Tat Chi, doivent maintenant être refaits. Dans la mesure où cela s'avère nécessaire, en raison du retard, j'ordonne que les débours liés aux nouveaux examens médicaux, y compris ceux requis pour Tat Chi, soient assumés par le défendeur.


[16]            Le demandeur sollicite également un jugement de la nature de constatations, voulant d'abord que, depuis décembre 2001, les autorités médicales n'ont démontré aucune volonté de fournir une opinion médicale valide en vertu de la loi et, ensuite, que la Cour n'a reçu aucune preuve qu'il existe des services sociaux financés par l'État dans son lieu de destination prévu dont Tat Chi, s'il était admis au Canada, aurait sans doute besoin, et que, par conséquent, il n'existe aucune preuve d'un fardeau excessif pour les services sociaux. Alors que les constatations proposées décrivent correctement certaines des circonstances de l'espèce, je refuse d'accorder le jugement de constatation sollicité. À mon avis, un jugement de constatation, dépendant du pouvoir discrétionnaire, est mieux adapté à des constatations liées directement aux droits des parties.

[17]            En l'espèce, le droit du demandeur représente un droit à une décision opportune prise en vertu de la législation et conformément aux principes juridiques établis par la jurisprudence. Ce droit est assuré par l'ordonnance de mandamus maintenant rendue, laissant au défendeur ainsi qu'au médecin agréé et aux agents des visas agissant en son nom la possibilité d'agir conformément au droit. Je fais confiance à l'avocat du ministre pour fournir les conseils nécessaires sur le droit, y compris la jurisprudence, liés à la façon dont l'évaluation de la demande du demandeur doit être effectuée, y compris celle de la situation médicale et des services de santé et sociaux qui pourraient être requis par Tat Chi s'il était admis au Canada.

Coûts


[18]            Comme susmentionné, les frais liés à tout examen médical ou psychologique supplémentaire devant être subi par Tat Chi ainsi que les frais des examens médicaux réputés nécessaires pour le demandeur et d'autres membres de sa famille tels qu'ils sont encourus par le demandeur seront remboursables à titre de débours justifiés par les retards du défendeur.

[19]            Le demandeur sollicite également les dépens procureur-client. Je ne suis pas convaincu que ces dépens devraient être accordés pour la totalité des honoraires de l'avocat depuis la décision rendue par monsieur le juge Pelletier en décembre 2000. Cependant, l'affaire est inhabituelle et je conclus que le demandeur recouvrera les coûts sur une base de frais entre parties de façon générale et les coûts sur une base procureur-client pour les honoraires de l'avocat pour la comparution à deux audiences d'une demi-journée chacune lorsque la demande de mandamus a été examinée par la Cour. À mon avis, les deux audiences étaient nécessaires en raison des retards continuels causés par les fonctionnaires du défendeur dans le traitement de la demande du demandeur. Si les décisions appropriées avaient été prises en temps voulu, aucune audience n'aurait été nécessaire. Sans explication satisfaisante, les retards ont persisté jusqu'en décembre 2002 et, par la suite, jusqu'au jour de la reprise de l'audience et ils persistent jusqu'à ce jour.

Conclusion


[20]            Une ordonnance de la nature d'un mandamus enjoint le défendeur d'évaluer la demande du demandeur concernant la résidence permanente et de prendre une décision, y compris l'évaluation de son fils à charge, Tat Chi, maintenant adulte, conformément au droit. Ladite décision doit être rendue au plus tard le 15 juillet 2003, date éloignée d'une soixantaine de jours, ce qui constitue un délai raisonnable à la lumière du temps réputé nécessaire par le Dr Dobie.

[21]            Les dépens sont accordés au demandeur conformément au paragraphe précédent.

[22]            La certification d'aucune question n'a été proposée et aucune n'est certifiée en vue de son examen par la Cour d'appel.

                                                                           « W. Andrew MacKay »             

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 14 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     IMM-4251-01

INTITULÉ :                    CHING HO POON

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le jeudi 20 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Le juge MacKay

DATE DE L'ORDONNANCE :                     Le mercredi 14 mai 2003

COMPARUTIONS :

Cecil L. Rotenberg, c.r.                                       POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg, c.r.

255, chemin Duncan Mill

Bureau 808

Toronto (Ontario)

M3B 3H9                                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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