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Date : 20000601


Dossier : IMM-4856-99



ENTRE :

     SHAHID HASAN KHAN


demandeur

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE HENEGHAN

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 19 août 1999, dans laquelle Irma Roa, agente d'immigration au Consulat général du Canada à Los Angeles (l'agente d'immigration), a rejeté la demande de résidence permanente au Canada de Shahid Hasan Khan (le demandeur).

[2]      Le demandeur réside au Pakistan. Le 11 novembre 1995, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des immigrants indépendants. Son épouse et sa fille ont été incluses en tant que personnes à charge.

[3]      Le 28 août 1996, les Khan ont eu un autre enfant, Abdullah Shahid Hasan Khan Shamsul (l'enfant). Le 19 mars 1997, des documents ont été déposés pour inclure l'enfant dans la demande de résidence permanente. L'enfant est né avec le syndrome de Down et souffre de certains troubles cardio-vasculaires qui y sont liés.

[4]      Le 24 mars 1999, le Dr Waddell, un médecin agréé des services d'immigration a rempli une Déclaration médicale dans laquelle il affirme, qu'à son avis, l'enfant nécessiterait une [TRADUCTION] « structure de soutien de longue durée » et qu'il [TRADUCTION] « risquerait d'imposer un fardeau excessif » pour les services sociaux et de santé au Canada. Le 7 avril 1999, le Dr Saint-Germain, qui travaille également pour les services de santé de l'Immigration, a souscrit à l'opinion du Dr Waddell.

[5]      Le 3 mai 1999, l'agent des visas a informé la famille Khan que l'enfant serait jugé non admissible pour des raisons médicales à moins qu'ils puissent fournir d'autres renseignements médicaux pour répondre à la conclusion contenue dans le formulaire en question.

[6]      Le 19 août 1999, l'agente Roa a informé le demandeur que la demande de résidence permanente au Canada avait été rejetée étant donné la non-admissibilité de l'enfant pour des raisons médicales.

[7]      La lettre datée du 3 mai 1999 envoyée par l'agente des visas, invitait le demandeur à répondre à la description qui avait été faite de l'état de santé de l'enfant à charge. Elle n'invitait pas le demandeur à présenter des observations relatives à la conclusion selon laquelle l'admission de l'enfant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux.

[8]      Dans Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62 (1re inst.), Madame le juge Reed a accueilli une demande dans des circonstances assez semblables à celles en l'espèce. Madame le juge Reed a conclu que la lettre qui avisait le demandeur d'une possibilité de soumettre certains renseignements était viciée car elle lui permettait seulement de fournir une preuve médicale supplémentaire.

[9]      Madame le juge Reed était d'avis que le demandeur aurait dû avoir une possibilité de répondre à la conclusion relative au fardeau excessif . Elle a également noté que les documents qui étayaient cette conclusion relative au fardeau excessif n'avaient pas été communiqués au demandeur. Conséquemment, il était impossible au demandeur de répondre à l'opinion selon laquelle l'admission de son enfant à charge entraînerait un fardeau excessif pour le système de santé. Madame le juge Reed a écrit :

     Les questions sont les suivantes: (1) le requérant a-t-il eu une possibilité raisonnable de répondre à l'évaluation concluant que l'admission de Kar Yei entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux (raisonnable au regard de l'avis qui lui a été donné quant au type de renseignements qui pourraient être déposés et par quel moyen; raisonnable au regard du fait qu'il a obtenu suffisamment de renseignements quant au fondement de la décision pour lui permettre de répondre de façon appropriée); (2) les médecins du ministère ont-ils commis une erreur en refusant de tenir compte de la situation particulière de Kar Yei; (3) l'avis selon lequel l'admission de Kar Yei entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux est-il manifestement déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, il suffira de répondre aux deux premières questions.
     Pour ce qui a trait à la première question, l'avis du 14 juin 1996 invite le requérant à donner des renseignements médicaux supplémentaires seulement, et exige que ces renseignements soient fournis par le médecin de Hong Kong. Exiger d'un requérant qu'il fasse passer des renseignements qui permettront de déterminer si une invalidité est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens par un médecin de Hong Kong, qui n'a vraisemblablement pas beaucoup de connaissances sur ce sujet, est, à tout le moins, une procédure curieuse. Toutefois, ce qui est plus important, c'est que la lettre invite le requérant à fournir des renseignements médicaux seulement. La lettre qui a été envoyée semble être une lettre conçue pour la situation d'une personne dont le diagnostic médical est contesté. Ce n'est pas le cas en l'espèce. La lettre aurait dû préciser qu'on pouvait fournir des renseignements permettant de répondre à la partie de l'avis portant sur le fardeau excessif.
     Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'on n'a pas communiqué au requérant des renseignements concernant le fondement sur lequel cet avis a été rendu. Le requérant et son avocat souhaitaient répondre à la conclusion selon laquelle l'admission de la fille du requérant au Canada entraînerait, en raison de son état de santé, un fardeau excessif pour les services sociaux. Pour être en mesure de le faire d'une façon logique et intelligente, ils devaient être informés des facteurs considérés comme pertinents. À mon avis, la non-communication des renseignements demandés constitue un manquement aux principes de justice naturelle et aux règles d'équité.
     Bien que ce manque d'information puisse mettre un décideur à l'abri des contestations de la décision qui a été prise, il n'est pas juste que la personne qui fait l'objet de cette décision en fasse les frais. Ce n'est pas non plus, d'un point de vue plus général et public, une bonne politique. La transparence mène en général à la prise de meilleures décisions. Elle a aussi généralement pour effet d'augmenter la confiance du public dans le processus décisionnel et à faciliter l'acceptation des décisions négatives. La transparence dans le processus décisionnel est un facteur important dans le contexte actuel où le respect témoigné aux fonctionnaires est en baisse et où la population a une attitude de plus en plus cynique envers ses députés (politiciens).
     En l'espèce, la non-communication des renseignements a eu pour effet qu'une question probablement pertinente n'a pas été examinée: à part les frais d'éducation jusqu'à l'âge de seize ans, ou peut-être de dix-neuf ans, les citoyens canadiens qui peuvent se le permettre sont-ils tenus de payer pour une partie ou la totalité des services sociaux qui ont été identifiés comme pertinents dans le cas de Kar Yei? Quand on a demandé au Dr. Bernstein si la population pouvait recevoir les services gratuitement, il a répondu par l'affirmative. Toutefois, il ne connaissait pas la loi ontarienne pertinente. C'est compréhensible étant donné qu'il est médecin et non pas avocat. Le Dr. Bernstein a fait référence à la Loi sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement de 1974. Cette loi, avec ses modifications, se trouve maintenant au chapitre 11 des L.R.O. 1990.
     Un examen de la Loi et du Règlement adopté sous son régime donnent l'impression que les résidents canadiens qui sont en mesure de le faire sont tenus de payer pour les services sociaux en question. L'article 31 de la Loi de 1974, par exemple, prévoit le paiement par le curateur public des frais nécessaires à la subsistance d'une personne incompétente dans un établissement de soins, à même l'actif de cette personne. Les articles 15 et 16 du Règlement sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement, R.R.O. 1990, no 272, disposent que lorsqu'une demande d'admission dans un établissement ou de prestation de services est faite, le directeur ou l'administrateur, selon le cas, doit déterminer si la personne est admissible et si elle est en mesure de contribuer à une partie ou à la totalité des coûts qui en découleront. La mesure dans laquelle on s'attend que ces personnes paient pour les services, si elles peuvent le faire, est pertinente dans le contexte d'une opinion qui évalue le « fardeau excessif » par référence au coût pour les contribuables.
     Comme on l'a déjà noté, le requérant a été empêché de répondre d'une manière complète à l'avis indiquant que l'admission de sa fille entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada parce que les renseignements nécessaires à cette réponse ne lui ont pas été communiqués. Il y a donc eu manquement aux règles de justice naturelle ou de l'équité.
     Comme j'en arrive à cette conclusion, il n'est pas, à strictement parler, nécessaire d'analyser les autres questions soulevées par l'avocat. Toutefois, je note qu'en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii), c'est l'admission de la personne qui doit être évaluée pour déterminer si un fardeau excessif en découlera. D'après mon interprétation de cette disposition, il faut examiner la situation particulière de cette personne, y compris, en l'espèce, l'offre du requérant d'établir un fonds en fiducie.
     L'avocat de l'intimé fait valoir que les circonstances individuelles (particulièrement lorsqu'il s'agit de ressources financières au-dessus de la moyenne) ne doivent pas être prises en compte pour évaluer la non-admissibilité d'une personne pour des raisons médicales, parce que nos services médicaux et sociaux sont offerts en s'appuyant sur le principe que toutes les personnes ont également droit à ces services, et que certaines personnes ne peuvent bénéficier d'avantages plus grands dans ces domaines simplement parce qu'elles ont plus de moyens que d'autres. Cet argument a beaucoup de poids. Toutefois, la catégorie en vertu de laquelle la demande du requérant a été approuvée aux fins de la résidence permanente est la catégorie des travailleurs autonomes, c'est-à-dire qu'il a déjà été approuvé à cause de ses ressources financières et de son expérience comme entrepreneur. Il semble donc y avoir une incongruité entre le fait d'admettre une personne comme résidente permanente parce qu'elle a d'importantes ressources financières, mais de refuser de tenir compte de ces mêmes ressources pour évaluer l'admissibilité d'une personne à sa charge. Cela est d'autant plus vrai si les résidents canadiens eux-mêmes doivent payer pour les mêmes services sociaux s'ils ont les moyens de le faire.
     Comme je l'ai indiqué ci-dessus, je ne me propose pas de rechercher l'interprétation qu'il convient de donner au concept du « fardeau excessif » (excessive demands). La question de savoir si les frais seuls sont un critère suffisant, et si la disponibilité doit aussi être prise en compte, si le terme « excessif » doit être interprété comme exigeant que l'on atteigne un niveau qui aille au-delà d'un « montant supérieur à la normale » sont toutes des questions qui, à mon avis, ne sont pas nécessaires pour régler la présente demande.
     Par ces motifs, la demande est accueillie et la décision du 19 juin 1996 est infirmée. Étant donné que les deux avocats ont demandé la possibilité de formuler des observations quant à savoir s'il convient de faire certifier une question après le prononcé de mes motifs, une ordonnance définitive sera déposée plus tard.1

[10]      Prenant en considération la décision Wong, précitée, et la preuve qui m'a été soumise, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.


[11]      Les avocats des parties bénéficient de sept jours à compter de la date de réception de ces motifs pour demander la certification d'une question.


                             « E. Heneghan »

                                         J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er juin 2000.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-4856-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SHAHID HASAN KHAN c. LE MINISTRE DE LA                      CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 25 AVRIL 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              1 er juin 2000



ONT COMPARU :


Ira Nishisato                              POUR LE DEMANDEUR

Marie-Louise Wcislo                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :



Ira Nishisato                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                                

__________________

1      Ibid., aux pages 69 et 70.

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