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Date : 20030416

Dossier : T-109-03

Référence neutre : 2003 CFPI 443

Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 16 avril 2003

En présence de : Monsieur le protonotaire John A. Hargrave

ENTRE :

                                                             REINHARD SPATLING

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                             SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

             COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA,

                    WORKERS' COMPENSATION BOARD OF BRITISH COLUMBIA

                                   POUR LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                 J'ai, par le passé, permis à un plaideur qui me présentait une requête raisonnable d'aller de l'avant malgré son incapacité à payer les droits de dépôt des documents en me fondant sur l'arrêt Pearson c. Canada (2000) 195 F.T.R. 31 et sur la Règle 55 qui peut permettre une exemption de l'application de la Règle 19. Cette règle et les Tarifs fixent les droits payables à la Cour. Une telle ordonnance n'exempte naturellement pas un plaignant ou un demandeur de la responsabilité envers le défendeur ou l'intimé de verser les dépens qu'un juge ou un protonotaire peut imposer en raison d'une mauvaise conduite ou de l'obligation de verser des dépens imposée par la Cour. En accordant l'exemption, je n'ai pas oublié que l'application de la Règle 55 exige des circonstances particulières. D'une part, la règle ne devrait pas être interprétée de façon à ce qu'une incapacité à payer les droits de dépôt empêche une personne de s'en remettre à la Cour pour trancher une véritable demande. D'autre part, il incombe à la personne qui demande l'exemption de paiement desdits droits d'établir clairement qu'elle a le droit à ce qui est considéré par la Cour fédérale comme un droit civil d'accepter une poursuite avec dispense des frais.


[2]                 L'origine de la procédure avec dispense des frais semble assez incertaine. Le lord juge Banks, dans Cook c. Imperial Tobacco Co. [1922] 2 K.B. 158 à la page 163 considérait la pratique des poursuites avec dispense des frais comme ayant une origine législative. Elle avait fait sa première apparition dans 11 Henry 7, ch. 12, de 1494. Mais cette loi prévoyait une renonciation aux droits payables à la Couronne, la nomination de commis et, notamment, la nomination d'un avocat, le tout pour aider une personne pauvre qui avait un grief qui ne serait, autrement, pas entendue. Au fur et à mesure de l'évolution de la pratique, l'exigence est apparue, au milieu des années 1700, aux termes de laquelle la personne miséreuse devait fournir une preuve par affidavit qu'elle ne possédait pas cinq livres. Il était également exigé que la demande soit accompagnée de l'avis d'un avocat. La norme d'impécuniosité est, plus tard, devenue plus généreuse : la première édition de Halsbury, 1912, volume 23, fournit, à la page 186, un bref commentaire sur la pratique et les procédures applicables, faisant remarquer que la preuve devait démontrer que la personne souhaitant exercer des poursuites en tant que miséreuse devait non seulement fournir la preuve qu'elle ne possédait pas 25 livres, sauf ses vêtements, et l'objet de la cause d'action mais également avoir l'avis d'un avocat indiquant que ses motifs pour interjeter appel étaient raisonnables.

[3]                 Aucune des Règles de la Cour fédérale ne traite de la capacité d'intenter une action avec dispense des frais. Cependant, Monsieur le juge Muldoon en parle dans l'arrêt Pearson c. Canada (2000) 195 F.T.R. 31. Dans cet arrêt, il considère les poursuites avec dispense des frais non pas comme découlant de la législation mais comme un droit civil trouvant ses racines non seulement dans la Charte, mais également dans la règle de droit analysée par A.V. Dicey dans son ouvrage de 1885 intitulé Introduction to the Study of Law of the Constitution.

[4]                 Comme je viens de le dire, dans l'arrêt Pearson le juge Muldoon a analysé la capacité d'effectuer des poursuites avec dispense des frais comme découlant de la « règle de droit » et l'a décrite comme un droit civil. Il a fait remarquer ce qui suit :

S'il existait des règles précises à l'égard de pareilles poursuites, elles exigeraient peut-être que le demandeur démontre que les poursuites sont raisonnablement justifiées, mais pareille exigence ne devrait pas être très stricte car elle ferait artificiellement obstacle à l'égalité d'accès aux tribunaux ordinaires du pays et empêcherait en partie l'application de la doctrine de la primauté du droit elle-même. Il y aura fort probablement toujours des règles permettant la radiation de poursuites non fondées, destinées à remédier à pareille situation. (Page 38).

[5]       Dans l'arrêt Pearson le juge Muldoon a permis au plaignant de continuer les poursuites avec dispense des frais, mais a fait remarquer que ses motifs pour dispenser du paiement des coûts en vertu de la Règle 19 et des Tarifs A et B ne pouvaient être interprétées comme exonérant le plaignant de sa responsabilité envers la défenderesse à l'égard des dépens imposés par un juge ou un protonotaire par suite d'une mauvaise conduite ou à l'égard des montants accordés aux témoins (page 39).


[5]                 La renonciation aux frais judiciaires dépend, dans le cas de la Cour fédérale, de la preuve, apportée par une personne attestant qu'elle est admissible à engager des poursuites avec dispense des frais. Le Shorter Oxford Dictionary définit un miséreux comme [traduction] « une personne pauvre; une personne n'ayant aucun bien ou moyen de subsistance; une personne dépendant de la charité des autres; ... » . C'est une définition plutôt restrictive et, aujourd'hui, peut-être un peu humiliante. Par le passé, les tribunaux anglais ont été un peu plus généreux. De nos jours, la Cour suprême de la Colombie-Britannique examine la question de savoir si la personne est pauvre comme une norme pour la renonciation aux droits : voir annexe C, appendice 1 des Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La pauvreté ne caractérise pas une personne ne disposant d'aucuns moyens comme c'est le cas de l'indigence, mais bien plutôt une personne ne disposant que de maigres moyens. La Cour fédérale ne dispose pas de l'assistance de règles ou de législation qui lui permettraient de renoncer au paiement des frais judiciaires. Elle doit donc utiliser le principe de procédures avec dispense des frais. Cependant, dans Pearson c. Canada (précité), le juge Muldoon considère comme acquis qu'un plaignant bénéficiant de la dispense des frais peut disposer d'un certain revenu.

[6]                 Dans l'arrêt Pearson, le plaignant avait fourni un simple affidavit, mais il était cependant assez détaillé. Il indiquait son âge, le fait qu'il n'était pas employé, le fait qu'il ne disposait d'aucuns fonds déposés dans un compte bancaire au Canada ou à l'étranger, le fait qu'il ne possédait pas de biens immobiliers, d'actions, d'obligations, de billets, de voiture ou d'autres biens de valeur, le fait qu'il ne possédait aucuns revenus d'entreprise, de loyers, d'intérêts, de dividendes, de rente, de prestations d'assurance ou qu'il n'avait hérité d'aucuns biens et le fait qu'un de ses fils louait la propriété sur laquelle il vivait et payait la plus grande partie du loyer pour cette propriété. Il comportait aussi un reçu de pension de vieillesse. Le juge Muldoon a accepté l'affidavit, bien qu'il ait remarqué qu'il aurait d'une façon utile pu faire l'objet d'un contre-interrogatoire. Comme je l'ai fait remarquer, il a permis au plaignant d'aller de l'avant en vertu d'une forme de procédure avec dispense des frais.

[7]                 En l'espèce, le demandeur présente un affidavit moins que suffisant. Il est très bref et indique que le plaignant ne dispose d'aucuns fonds suffisants pour payer les frais de la Cour fédérale, qu'il est au chômage en raison de problèmes de santé, qu'il n'a aucun revenu provenant d'un emploi, qu'il ne perçoit pas d'indemnités de l'assurance-emploi et qu'il ne reçoit aucune indemnisation pécuniaire sous forme de paiements d'indemnités pour accidents du travail.

[8]                 La portée de l'affidavit de M. Spatling est beaucoup moins vaste que celle de l'affidavit déposé devant le juge Muldoon dans l'affaire Pearson. Le juge Muldoon, dans cet arrêt, a commenté qu'il aurait pu s'avérer utile d'effectuer un contre-interrogatoire mais que les délais étaient trop courts pour le faire. La portée du présent affidavit est critiquée par l'avocat de la Couronne qui fait remarquer que les difficultés financières ne sont pas nécessairement synonymes d'indigence, c'est-à-dire qu'une personne ne dispose que de maigres moyens et que, de plus, ces difficultés financières ne signifient pas nécessairement qu'une personne est miséreuse, c'est-à-dire ne dispose d'aucuns moyens. L'avocat renvoie à deux décisions de la Colombie-Britannique : McCuaig c. McCuaig, une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui n'est pas publiée, Prince Rupert Registry, no DIV 3515, du 20 avril 2000 et Taylor c. Rutherford, également non publiée, décision rendue le 21 décembre 2000 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Prince George Registry, no 06867. Dans les deux cas, la Cour a attiré l'attention sur les lacunes relatives à la preuve déposée pour justifier le statut d'indigent, étant donné que l'indigence constitue le critère pour une renonciation par la Cour, aux frais judiciaires payables à la Couronne dans les instances portées devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique sous réserve du fait que la demande n'est pas rejetée.


[9]                 Comme je l'ai déjà fait remarquer, la norme d'indigence utilisée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour accorder une renonciation aux frais judiciaires, représente une norme moins stricte que celle de la Cour fédérale lorsque l'instance comporte unedispense des frais. Cependant, les commentaires portant sur l'indigence, dans les deux affaires tranchées en Colombie-Britannique, sont utiles. Dans la décision McCuaig, la Cour n'étant pas satisfaite par la preuve a refusé au plaignant le statut d'indigence en déclarant ce qui suit :

[TRADUCTION]

6       Il n'est aucunement indiqué depuis quand la demanderesse reçoit l'assistance sociale, ce que sont ses antécédents professionnels ou si elle cherche un emploi ou a l'intention de le faire. Elle ne vit pas avec son conjoint, mais les documents n'indiquent pas si elle vit seule ou avec quelqu'un d'autre. Aucune raison n'est fournie pour indiquer pourquoi elle ou son conjoint pense qu'un divorce est maintenant nécessaire après plus de quatre années de séparation.

7      En droit, le terme « indigent » ne signifie pas une personne ne disposant d'aucuns moyens et donc miséreuse, mais une personne qui possède certains moyens mais des moyens tellement maigres qu'elle se trouve dans le besoin et est pauvre. Voir Munro c. Stewart (1989) 31 B.C.L.R. (2d) 164 (C.S.C.-B.) p. 166.

8      Bien que le fait qu'une personne puisse recevoir une assistance sociale ne signifie pas nécessairement qu'elle ne soit pas indigente, en l'espèce, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a établi qu'elle était indigente. Par conséquent, la demande est rejetée.

Dans l'arrêt McCuaig, la Cour était préoccupée par certaines lacunes de la preuve par affidavit. De même, dans l'arrêt Taylor c. Rutherford (précité) la Cour a souligné le fait que les difficultés financières ne justifient pas nécessairement la qualification d'indigence. Après avoir examiné deux affaires, y compris la décision McCuaig, la Cour s'est penchée sur l'exigence aux termes de laquelle un demandeur du statut d'indigent doit fournir les renseignements appropriés pour permettre d'évaluer la situation, car alors qu'il ne faisait aucun doute que M. Rutherford vivait des difficultés financières, les documents à l'appui de la demande comportaient des lacunes :

[TRADUCTION]

Je n'ai aucun doute quant au fait qu'il vit des difficultés financières mais il lui incombe, même lorsqu'il se représente lui-même, de déposer devant la Cour les renseignements nécessaires pour qu'elle évalue sa situation. Le fait d'informer la Cour qu'en ce moment il perçoit des indemnités de l'assurance-emploi et de présenter une liste de dépenses sans explication ou corroboration est insuffisant.


[10]            Appliquant tout ce qui précède à la situation présente, y compris en suivant la direction indiquée par le juge Muldoon dans l'arrêt Pearson, où il indiquait que le fait d'exiger d'un demandeur qu'il démontre que ses poursuites sont raisonnablement justifiées ne devrait pas constituer un critère strict qui créerait artificiellement un obstacle à l'égalité d'accès aux tribunaux ordinaires, je ne suis pas convaincu que M. Spatling a fourni assez de documents pour prouver qu'il appartient à la catégorie des personnes ayant le droit d'exercer des poursuites avec dispense des frais. Ainsi, aucun renseignement portant sur de possibles paiements au titre de l'assurance sociale, au titre de prestations d'invalidité au-delà de l'indemnisation des accidentés du travail, aucun renseignement portant sur le revenu hors travail, la pension alimentaire, les fonds bancaires, les actifs non monétaires ou ses moyens d'existence n'est soumis. La situation ne permet pas de démontrer les circonstances particulières nécessaires au renoncement aux frais judiciaires. Je reconnais que les droits de dépôt sont relativement modestes. Cependant, c'est au demandeur, dans une situation comme celle de l'espèce, de démontrer clairement qu'il existe des circonstances particulières qui justifient la renonciation aux droits de dépôt. L'application est rejetée.

                                                                                 « John A. Hargrave »     

                                                                                                Protonotaire         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  T-109-03

INTITULÉ :                 Reinhard Spatling c. Solliciteur général du Canada et al.

LIEU DE L'AUDIENCE                                 Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                     Le 16 avril 2003

COMPARUTIONS :

REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Reinhard Spatling (représenté par lui-même)    POUR LE DEMANDEUR

Rodney Yamanouchi                                        POUR LES DÉFENDEURS

Gerald W. Massing                                            POUR LE DÉFENDEUR,

Workers' Compensation Board of British Columbia

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