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Date : 20051024

Dossier : T-549-04

Référence : 2005 CF 1427

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

W.O. STINSON & SON LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]         Le présent appel par voie d'action en application de l'article 81.2 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi) vise l'avis de cotisation numéro OTT-1144 du 2 avril 2001, pour la période allant du 1er janvier 1997 au 30 avril 2000. Le défendeur réclame une somme de 407 731,07 $ en taxe d'accise impayée, 49 608,51 $ en intérêts et une pénalité de 56 655,83 $, pour un total de 513 995,50 $. La demanderesse a déposé un avis d'opposition le 24 avril 2001 et le défendeur a émis le 19 décembre 2003 un avis de décision rejetant l'opposition de la demanderesse.

QUESTION EN LITIGE

[2]         La question en litige consiste à décider si la demanderesse doit remettre le montant de la taxe d'accise en application du paragraphe 23(9.1) de la Loi pour la vente de 10 193 219 litres d'huile à chauffage destinée à des consommateurs qui l'ont de fait utilisée comme combustible diesel dans des moteurs à combustion interne du type allumage par compression.

[3]         Pour les motifs exposés ci-après, je dois répondre à la question par l'affirmative.

FAITS

[4]         La demanderesse distribue de l'huile et du pétrole de chauffage (mieux connus sous le nom d'huile à chauffage) ainsi que d'autres catégories de combustible diesel.

[5]         La demanderesse ne fabrique, ne produit ni n'importe de l'huile ou de pétrole de chauffage, ni de combustible diesel.

[6]         La demanderesse achetait du mazout à divers fabricants qui, conformément aux pratiques administratives imposées par le défendeur, ne remettaient pas 0,04 $ de taxe d'accise par litre en application du paragraphe 23(1) de la Loi et du paragraphe 9.1 de l'annexe I de la Loi à l'égard de la vente d'huile à chauffage.

[7]         Le paragraphe 2(1) de la Loi définit ainsi le « combustible diesel » : « S'entend notamment de toute huile combustible qui peut être utilisée dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression, à l'exception de toute huile combustible destinée à être utilisée et utilisée de fait comme huile à chauffage » .

[8]        Dans certaines circonstances, la demanderesse a revendu le bien en litige à des clients qui l'ont utilisé comme combustible diesel dans des moteurs à combustion interne.

[9]         La demanderesse a également revendu le bien en litige à des clients qui l'ont utilisé comme huile à chauffage.

[10]       En préparant l'avis de cotisation, les fonctionnaires du défendeur ont calculé que la demanderesse avait fait l'acquisition de 67 498 286 litres de mazout (exonérés de la taxe d'accise de 0,04 $ par litre) dont 57 265 127 litres ont été vendus comme huile à chauffage et, selon le défendeur - après un ajustement pour accroissement des niveaux de stocks de 39 880 litres d'huile à chauffage - donné lieu à un détournement net de 10 193 279 litres qui ont été vendus par la demanderesse à des consommateurs qui ne les ont pas utilisés comme huile à chauffage.

[11]       La cotisation du défendeur concernant la taxe d'accise qui lui aurait été due et que la demanderesse ne lui a pas remise est calculée en multipliant les 10 193 279 litres de mazout « détournés » par le taux de taxe d'accise de 0,04 $ par litre, pour un total de 407 731,16 $. Le nombre de litres visé ainsi que la valeur pécuniaire de la cotisation ne sont pas en litige.

[12]       Au cours de l'audition, M. Jean-Marc Nadon, qui est employé comme contrôleur de la demanderesse, a déposé que les camions de livraison de celle-ci étaient dotés de compartiments différents pour chaque catégorie de mazout que celle-ci vend à ses clients. Si un client commandait du carburant diesel et le compartiment de carburant diesel du camion de livraison était vide, le chauffeur livrait tout simplement de l'huile à chauffage exonérée de la taxe et le client était facturé pour l'achat de combustible diesel ordinaire. La demanderesse empochait alors la différence de prix, mais absorbait aussi la différence de prix si le client avait commandé de l'huile à chauffage exonérée de la taxe et le chauffeur livrait du combustible diesel à l'égard duquel la demanderesse avait payé la taxe d'accise. M. Nadon a déposé que la demanderesse ne conservait pas de dossier détaillé de ses achats de combustible auprès de ses fournisseurs, mais qu'elle ne gardait la trace que de ses ventes de combustible.

[13]       M. Jeffrey Kennaway, qui a vérifié les dossiers de la demanderesse pour le compte du défendeur, a déposé que la procédure de vérification portait sur la reconstitution des dossiers d'achat de la demanderesse, lesquels étaient ensuite comparés à ses dossiers de vente pour déduire la quantité d'huile à chauffage détournée à l'égard de laquelle la demanderesse n'avait pas payé la taxe d'accise. M. Kennaway a également crédité à la demanderesse les transactions concernant des ventes de combustible diesel à l'égard duquel la demanderesse avait payé la taxe d'accise, mais qui avait été vendu comme huile à chauffage exonérée de la taxe. Au cours du contre-interrogatoire, M. Kennaway a déclaré qu'il n'y avait pas de preuve de fraude ni d'intention frauduleuse de la part de la demanderesse.

PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[14)       La demanderesse prétend que la taxe d'accise aurait dû être facturée et remise lors de la livraison par le fabricant qui lui a vendu les biens en litige, étant donné qu'elle était incapable de prouver au moment de la livraison que ces biens seraient « utilisé[s] de fait » comme huile à chauffage, comme l'exige le paragraphe 2(1) de la Loi. En outre, la demanderesse n'a donné à ses fournisseurs aucun des certificats d'utilisateur final garantissant l'utilisation de fait des biens en litige comme huile à chauffage par les clients de la demanderesse.

[15]       La demanderesse prétend également que les dispositions du paragraphe 23(9.1) de la Loi sont inapplicables au présent appel, étant donné que le critère de l'utilisation de fait n'a pas été rempli lors de l'achat de l'huile à chauffage du fournisseur de la demanderesse. Le paragraphe 2(1) de la Loi impose un critère à deux volets, c'est-à-dire la destination de l'utilisation et l'utilisation de fait, et la demanderesse prétend qu'il doit être satisfait aux deux volets simultanément et non pas successivement. Le détournement ultérieur des biens en litige comme huile à chauffage par sa clientèle perdrait donc sa pertinence, étant donné que les conditions nécessaires au transfert du fabricant à la demanderesse de l'obligation de payer la taxe d'accise prévues au paragraphe 23(9.1) de la Loi n'ont pas été réunies au moment de la livraison des biens en litige par le fabricant à la demanderesse.

[16]       Pour faciliter l'interprétation du paragraphe 23(9.1) de la Loi, la demanderesse se fonde également sur la note marginale qui indique « revente ou usage qui rend taxable » . En s'appuyant sur l'interprétation du mot "diversion" dans l'arrêt Thyssen Mining Construction of Canada Ltd. c. La Reine, [1975] C.F. 81, la demanderesse prétend que, ne sachant pas comment ses clients utiliseraient de fait les biens en litige au moment de leur acquisition ou de leur livraison par le fabricant, elle n'a pas détourné les biens en question à l'occasion de leur revente à ses clients dans les circonstances du présent appel.

[17]       La demanderesse prétend également que l'absence, dans la version française du paragraphe 23(9.1) de la Loi, d'une proposition équivalente à la proposition "by the person who sells or appropriates it" dans la version anglaise du libellé a pour effet de ne pas identifier le débiteur de la taxe d'accise en cas de revente, ce qui crée une ambiguïté et une règle dont la portée en français est plus limitée que dans la version anglaise. Bien que le processus de réconciliation des deux versions favorise la version anglaise dans l'adoption d'un sens commun (voir R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, au paragraphe 70), la demanderesse prétend que l'absence d'identification, dans la version française, de la débitrice de la taxe d'accise ne peut être corrigée sans ajouter des mots, ce qu'un tribunal n'est habilité à faire.

[18]       La demanderesse prétend également qu'en appliquant le critère à deux volets énoncé au paragraphe 2(1) de manière successive plutôt que simultanée, le défendeur a choisi de suivre sa propre pratique administrative prévue dans son énoncé de politique EP-001, lequel contredit le libellé choisi par le Parlement.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[19]       Le défendeur prétend qu'aux paragraphes 23(1) et 23(2) de la Loi, le Parlement n'a créé à l'égard des fabricants aucune obligation de vérifier l'utilisation réelle du mazout avant que celui-ci soit réputé être de l'huile à chauffage ou du combustible diesel.

[20]       Le défendeur prétend également que rendre imposables en application de la Loi toutes les ventes de combustibles par des fabricants aurait pour effet de renverser le critère énoncé au paragraphe 2(1) de la Loi et irait clairement à l'intention du Parlement.

[21]       Le défendeur prétend ensuite que le paragraphe 23(9.1) de la Loi a été conçu précisément pour tenir compte de la possibilité de détournement d'huile à chauffage en combustible diesel, et que cette disposition impose clairement au vendeur du mazout acquis autrement, exempt de la taxe d'accise, l'obligation de payer et de remettre la taxe qui aurait été prélevée et versée par le fabricant si le combustible avait été acheté pour l'usage auquel il était destiné.

[22]       En réplique aux arguments de la demanderesse, le défendeur prétend que celle-ci, non seulement ne comprend pas le mécanisme du régime d'imposition, mais également ne tient pas compte des pratiques commerciales normales. Le défendeur prétend que les deux volets du critère énoncé au paragraphe 2(1) de la Loi - c'est-à-dire la destination de l'utilisation et l'utilisation de fait - doivent être appliqués successivement et non pas simultanément.

[23]       En ce qui concerne la pratique administrative du défendeur prévue dans l'énoncé de politique EP-001 du 29 avril 2002, le défendeur prétend que les débats concernant l'application de cet énoncé de politique ne sont pas pertinents à l'espèce parce que l'énoncé a été publié en dehors de la période visée par l'avis de cotisation.

ANALYSE

[24]       Voici le libellé des dispositions pertinentes de la Loi :

2.(1) [...] « combustible diesel » S'entend notamment de toute huile combustible qui peut être utilisée dans les moteurs à combustion interne de type allumage par compression, à l'exception de toute huile combustible destinée à être utilisée et utilisée de fait comme huile à chauffage.

2.(1) [...]"diesel fuel" includes any fuel oil that is suitable for use in internal combustion engines of the compression-ignition type, other than any such fuel oil that is intended for use and is actually used as heating oil;

23. (1) Sous réserve des paragraphes (6) à (8), lorsque les marchandises énumérées à l'annexe I sont importées au Canada, ou y sont fabriquées ou produites, puis livrées à leur acheteur, il est imposé, prélevé et perçu, outre les autres droits et taxes exigibles en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, une taxe d'accise sur ces marchandises, calculée selon le taux applicable figurant à l'article concerné de cette annexe. Lorsqu'il est précisé que ce taux est un pourcentage, il est appliqué à la valeur à l'acquitté ou au prix de vente, selon le cas.

(2) Lorsque les marchandises sont importées, la taxe d'accise prévue par le paragraphe (1) est payée conformément à la Loi sur les douanes, et lorsque les marchandises sont de fabrication ou de provenance canadienne et vendues au Canada, cette taxe d'accise est exigible du fabricant ou du producteur au moment de la livraison de ces marchandises à leur acheteur.

[...]

(9.1) Lorsque du combustible autre que de l'essence d'aviation a été acheté ou importé à une fin pour laquelle la taxe imposée par la présente partie sur le combustible diesel ou le carburant aviation n'est pas payable et que l'acheteur ou l'importateur vend ou affecte le combustible à une fin pour laquelle il n'aurait pas pu alors l'acheter ou l'importer sans le paiement de la taxe au moment de l'achat ou de l'importation, la taxe imposée en vertu de la présente partie sur le combustible diesel ou le carburant aviation le devient au moment où il vend ou affecte le combustible :

a) lorsque le combustible est vendu, au moment de la livraison à l'acheteur;

b) lorsque le combustible est affecté, au moment de cette affectation.

23. (1) Subject to subsections (6) to (8), whenever goods mentioned in Schedule I are imported or are manufactured or produced in Canada and delivered to a purchaser of those goods, there shall be imposed, levied and collected, in addition to any other duty or tax that may be payable under this or any other law, an excise tax in respect of the goods at the applicable rate set out in the applicable section of that Schedule, computed, if that rate is specified as a percentage, on the duty paid value or the sale price, as the case may be.

(2) Where goods are imported, the excise tax imposed by subsection (1) shall be paid in accordance with the provisions of the Customs Act by the importer, owner or other person liable to pay duties under that Act, and where goods are manufactured or produced and sold in Canada, the excise tax shall be payable by the manufacturer or producer at the time of delivery of the goods to the purchaser thereof.

[...]

(9.1) Where fuel other than aviation gasoline has been purchased or imported for a use for which the tax imposed under this Part on diesel fuel or aviation fuel is not payable and the purchaser or importer sells or appropriates the fuel for a purpose for which the fuel could not have been purchased or imported without payment of the tax at the time he purchased or imported it, the tax imposed under this Part on diesel fuel or aviation fuel shall be payable by the person who sells or appropriates the fuel

(a) where the fuel is sold, at the time of delivery to the purchaser; and

(b) where the fuel is appropriated, at the time of that appropriation.

[25]       Et voici le libellé du paragraphe 9.1 de l'annexe I de la Loi :

9.1 Combustible diesel et carburant d'aviation, autre que l'essence d'aviation, 0,04 $ le litre.

9.1 Diesel fuel and aviation fuel, other than aviation gasoline, $0.04 per litre.

[26]       En l'absence de questions concernant les faits ou la crédibilité, la seule question litigieuse dont la Cour est saisie en l'instance en est une de droit. Il s'agit ici de l'interprétation des paragraphes 2(1) et 23(9.1) de la Loi. À la page 40 de l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci a écrit ce qui suit :

21       Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes » ); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons: R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213 ; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

[27]       Une approche contextuelle du libellé des dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise révèle que l'objet du paragraphe 23(9.1) de la Loi consiste à régler la situation des acquéreurs intermédiaires comme la demanderesse, qui sont placés entre les fabricants et les consommateurs de mazout. En effet, en imputant l'obligation du paiement et de la remise de la taxe d'accise à la personne qui détourne le mazout exonéré de la taxe de l'objectif visé par l'exemption découlant du paragraphe 2(1), le paragraphe 23(9.1) de la Loi a créé une exception au régime d'imposition énoncé aux paragraphes 23(1) et (2), qui rend le fabricant ou l'importateur du mazout redevable du paiement de la taxe d'accise.

[28]       Les deux volets du critère - c'est-à-dire la destination de l'utilisation et l'utilisation de fait - énoncés dans la définition du combustible diesel au paragraphe 2(1) de la Loi seraient absurdes s'ils devaient être appliqués simultanément, comme la demanderesse le suggère, étant donné que les fabricants et les importateurs seraient presque toujours incapables de s'assurer que les biens en litige sont de fait utilisés par les consommateurs aux fins auxquelles ils sont destinés. À mon avis, les fabricants et les importateurs peuvent se fonder sur les indications prima facie d' « utilisation projetée » par les revendeurs et par les distributeurs comme la demanderesse pour l'application du volet de la « destination de l'utilisation » , et éviter d'inclure la taxe d'accise de 0,04 $ par litre vendu. Les revendeurs et les distributeurs sont de loin en meilleure position pour assurer le respect du critère de l' « utilisation de fait » en raison de leurs interactions avec les utilisateurs ultimes. C'est précisément la raison pour laquelle le Parlement a décidé d'adopter le paragraphe 23(9.1) de la Loi.

[29]       Les deux volets du critère ne peuvent être appliqués simultanément dans une transaction entre le fabricant et un revendeur, et le revendeur devient donc responsable du paiement de la taxe d'accise si l'utilisation projetée du bien en litige lors de la revente est incompatible avec l'utilisation projetée qui a permis, à l'origine, d'exonérer la vente du paiement de la taxe d'accise de 0,04 $ par litre. En outre, bien que ceci n'ait aucune conséquence directe sur le litige, le paragraphe 23(9.1) de la Loi s'appliquerait également aux consommateurs dont l'utilisation de l'huile à chauffage exonéré de taxe ne répond pas au critère de l' « utilisation de fait » lorsqu'ils détournent le combustible du réservoir d'une chaudière pour faire fonctionner un moteur à combustion diesel.

[30]       Enfin, en dépit des prétentions valables à l'effet contraire de l'avocat de la demanderesse, la version française du paragraphe 23(9.1) n'est pas ambiguë ni de portée moindre que la version anglaise. L'identité du débiteur de la taxe d'accise ("the person who sells or appropriates the fuel" dans la version anglaise) est « l'acheteur ou l'importateur [qui] vend ou affecte le combustible » . Le pronom personnel « il » dans la version française de la phrase « au moment où il vend ou affecte le combustible » vise simplement « l'acheteur ou l'importateur » . En l'espèce, « l'acheteur » ("purchaser" en anglais) est la demanderesse, à qui il incombe donc de payer la taxe d'accise. L'interprétation stricte du libellé du paragraphe 23(9.1) préconisée par l'avocat de la demanderesse va à l'encontre de l'approche adoptée par le juge Gonthier pour interpréter la législation fiscale dans l'arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corporation Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la page 17 :

Il ne fait plus de doute [...] que l'interprétation des lois fiscales devrait être soumise aux règles ordinaires d'interprétation. Driedger, à la p. 87 de son volume Construction of Statutes (2e éd. 1983), en résume adéquatement les principes fondamentaux: [traduction] « . . . il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur". Primauté devrait donc être accordée à la recherche de la finalité de la loi, que ce soit dans son ensemble ou à l'égard d'une disposition précise de celle-ci. Ce passage de Mme Vivien Morgan, dans son article intitulé « Stubart: What the Courts Did Next » (1987), 35 Can. Tax J. 155, aux pp. 169 et 170, résume adéquatement mon propos:

[traduction] Toutefois, il y a eu un net changement [après Stubart] dans la résolution d'ambiguïtés. Dans le passé, on recourait souvent aux maximes selon lesquelles toute ambiguïté dans une disposition fiscale doit être résolue en faveur du contribuable et toute ambiguïté dans une disposition prévoyant une exemption doit être résolue en faveur de Sa Majesté. De nos jours, une ambiguïté est habituellement résolue ouvertement en tenant compte de l'intention du législateur. [Je souligne.]

L'approche téléologique fait clairement ressortir qu'il n'est plus possible, en matière fiscale, de réduire les principes d'interprétation à des présomptions en faveur ou au détriment du contribuable ou encore à des catégories bien circonscrites dont on saurait si elles requièrent une interprétation libérale, stricte ou littérale. Je renvoie au passage du juge en chef Dickson, précité, lorsqu'il souligne que la recherche de la finalité de la loi ne signifie pas pour autant qu'une disposition précise ne doive plus faire l'objet de restrictions. En somme, c'est l'interprétation téléologique qui permettra d'identifier l'objectif qui sous-tend une disposition législative spécifique et le texte de loi dans son ensemble. Et c'est l'objectif en question qui dictera, dans chaque cas, si une interprétation stricte ou libérale est appropriée ou encore si c'est le fisc ou le contribuable qui sera favorisé.

[31]       Au cours de l'audience, l'avocat de la demanderesse a cité la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur dans l'affaire Georges Beaulieu c. M.R.N., AP-92-204, dans laquelle on a jugé que les mots « à des fins » « indiquent clairement qu'il doit y avoir intention frauduleuse dans une certaine mesure » pour déclencher l'application d'une disposition semblable de la Loi. En toute déférence, je ne peux souscrire à l'interprétation qui a été faite de l'expression « à des fins » par le Tribunal canadien du commerce extérieur, et je ne peux relever aucune exigence implicite d'intention frauduleuse dans le libellé du paragraphe 23(9.1) de la Loi.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté, avec dépens au défendeur.

« Michel Beaudry »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Thanh Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-549-04

INTITULÉ :                                        W.O. STINSON AND SONS LTD.

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       Le 24 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Michael Kaylor                          POUR LA DEMANDERESSE

Jacques Savary                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LAPOINTE ROSENSTEIN                POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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