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                                                                                                                                             Date: 20000714

                                                                                                                                          Dossier: T-849-00

Entre:

                                                 CATHY KIRBY ET SAMUEL KIRBY

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                  ET

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                   et

                                          LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

                                                           ET DU NORD CANADIEN

                                                                                   et

                                       LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES

                                                           ET DU NORD CANADIEN

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]         La Cour est saisie en l'espèce d'une requête des défendeurs en vertu des alinéas 221(1) a), b), c) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) dirigée à l'encontre de la déclaration d'action déposée par les demandeurs.

[2]         À l'audition, les défendeurs ont laissé tomber l'alinéa 221(1)a). À l'étude, il m'apparaît de plus que seul l'alinéa 221(1)f) soit applicable en l'espèce.


[3]         Dans son essence, l'attaque portée par les défendeurs est à l'effet que le principe de la chose jugée fait en sorte que l'on doit voir l'action des demandeurs en cette Cour comme un abus de procédure puisque cette action constituerait simplement un deuxième volet d'une cause d'action mue entre les mêmes parties, en les mêmes qualités, en Cour supérieure. L'action présente en cette Cour serait donc une plaidoirie par étapes, ce que dénonce vigoureusement la jurisprudence.

[4]         À mon avis, les défendeurs ont raison de voir ainsi la situation.

[5]         L'essentiel des faits à la base du contentieux entre les demandeurs et les défendeurs est le suivant.

[6]         Suite à un accident, M. Norman Kirby, un autochtone, s'est trouvé à être considéré en avril 1986 comme mentalement incapable et à tomber sous la compétence du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) au sens de l'article 51 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, telle qu'amendée. Cet article se lit dans sa partie pertinente comme suit:



51.(1) Subject to this section, all jurisdiction and authority in relation to the property of mentally incompetent Indians is vested exclusively in the Minister.

(2) Without restricting the generality of subsection (1), the Minister may

(a) appoint persons to administer the estates of mentally incompetent Indians;

(b) order that any property of a mentally incompetent Indian shall be sold, leased, alienated, mortgaged, disposed of or otherwise dealt with for the purpose of

(i) paying his debts or engagements,

(ii) discharging encumbrances on his property,                                                    (iii) paying debts or expenses incurred for his maintenance or otherwise for his benefit, or

(iv) paying or providing for the expenses of future maintenance; and

(c) make such orders and give such directions as he considers necessary to secure the satisfactory management of the estates of mentally incompetent Indians.

       51. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la compétence à l'égard des biens des Indiens mentalement incapables est attribuée exclusivement au ministre.

(2) Sans que soit limitée la portée générale du paragraphe (1), le ministre peut:

a) nommer des personnes pour administrer les biens des Indiens mentalement incapables;

b) ordonner que tout bien d'un Indien mentalement incapable soit vendu, loué, aliéné, hypothéqué, qu'il en soit disposé ou que d'autres mesures soient prises à son égard aux fins, selon le cas:

(i) d'acquitter ses dettes ou engagements,

(ii) de dégrever ses biens,

(iii) d'acquitter les dettes ou les dépenses subies pour son entretien ou autrement à son avantage,

(iv) d'acquitter les frais de l'entretien ultérieur ou d'y pourvoir;

c) prendre les arrêtés et donner les instructions qu'il juge nécessaires pour assurer l'administration satisfaisante des biens des Indiens mentalement incapables.


[7]         Les demandeurs en leur qualité d'administrateurs des biens de Norman Kirby, statut qu'ils ont obtenu en mai 1997, ont entrepris en novembre 1998 une action en Cour supérieure contre, entre autres, les défendeurs.

[8]         Dans cette action en Cour supérieure, les demandeurs se sont évertués surtout à reprocher aux défendeurs leur négligence dans l'administration des biens de Norman Kirby et, plus particulièrement, d'avoir été négligents et d'avoir tardé à procéder à la nomination des demandeurs comme administrateurs des biens de Norman Kirby.

[9]         Or, au moment d'entreprendre cette action en Cour supérieure, la preuve révèle sans l'ombre d'un doute que les demandeurs disposaient d'un deuxième volet relié à leur cause d'action contre les défendeurs en raison de la juridiction du ministre sur la personne de Norman Kirby. Ce deuxième volet est à l'effet que les défendeurs auraient été négligents en n'entreprenant pas eux-mêmes des mesures en vue de recouvrer des sommes qui appartenaient à Norman Kirby et qui auraient été dilapidées, vraisemblablement avec la collusion de la mère et du frère de Norman Kirby, avant la nomination des demandeurs à titre d'administrateurs.

[10]       Au paragraphe 14 de leur déclaration d'action devant cette Cour, les demandeurs soutiennent que ce volet et les faits qui l'entourent ne sont pas identiques à ceux soulevés en Cour supérieure et c'est pourquoi, doit-on comprendre, les demandeurs se sont estimés justifiés d'entreprendre leur action devant cette Cour où ils exploiteraient ce volet sous une lumière différente.

[11]       Les demandeurs n'ont soumis aucune preuve quant aux raisons qui ont fait qu'ils n'ont pas inclus ce volet - tel qu'ils l'expriment maintenant devant cette Cour - dans leur action en Cour supérieure. Tel que mentionné précédemment, il est clair à l'esprit de la Cour que les demandeurs disposaient de toute l'information pour procéder de façon complète en Cour supérieure.

[12]       C'est là la situation que les défendeurs dénoncent comme étant de la plaidoirie par étapes et partant un abus de procédure.

[13]       Il est clair à mon sens que lorsqu'ils ont entrepris leur action en Cour supérieure, les demandeurs étaient parfaitement en mesure et se devaient d'inclure dans leur action l'ensemble des éléments ou volets qu'ils pouvaient reprocher aux défendeurs quant aux diverses responsabiltés échouant au ministre de par l'article 51 de la Loi sur les Indiens. La Cour ne peut que présumer qu'ils ont délibérement choisi de ne pas exploiter à fond ce deuxième volet en Cour supérieure et maintenant qu'il y a chose jugée quant à l'action en Cour supérieure entre les parties (l'action contre les défendeurs ayant été rejetée suite à une requête de leur part en vertu de l'article 75.1 du Code de procédure civile), les demandeurs ne peuvent procéder en Cour fédérale.

[14]       De fait, le jugement en rejet en Cour supérieure n'est pas réellement pertinent. Ayant choisi de procéder en premier lieu en Cour supérieure, les demandeurs se devaient dès lors d'y inclure toutes leurs causes d'action découlant de l'article 51. Même si la Cour supérieure avait rejeté la requête des défendeurs en irrecevabilité, je ne considère pas que les demandeurs auraient pu à quelque moment par après loger leur action présente devant cette Cour puisque les principes de litispendance et d'abus de procédure auraient été applicables dans la même mesure.

[15]       Dans l'arrêt Apotex Inc. et al. v. Merck & Co., Inc., décision non publiée du 28 avril 1999, dossier de la Cour T-2869-96, la Cour, aux paragraphes 23, 24 et 25, a tenu les propos suivants qui trouvent à mon avis application en l'espèce:

[23]          In Singh v. Canada (1996), 123 F.T.R. 241, this Court made the following comments:

There is a plethora of jurisprudence which supports the defendant's complaint herein to the effect that: if a party to litigation could have raised an issue before a competent tribunal, that party fails to raise the issue at the peril of being estopped on the basis of res judicata when purporting to raise that same issue in subsequent litigation in which the same adversary is engaged. The above mentioned party's practice was roundly condemned by the Alberta Court of Appeal in Re Abacus Cities Ltd., [1988] 1 W.W.R. 78 at p. 85 when it held that "* * * no litigant can be permitted to litigate issues by instalment."

That Court of Appeal made reference to the judgment of the Supreme Court of Canada in Maynard v. Maynard, [1951] S.C.R. 346 at pp. 358/9, [1951] 1 D.L.R. 241, where the Supreme Court adopted a passage from Green v. Weatherill, [1929] 2 Ch. 213 at pp. 221/22, as follows:

* * * the Court requires the parties to that litigation to bring forward their whole case and will not (except under special circumstances) permit the same parties to open the same subject of litigation in respect of matter which might have been brought forward as part of the subject in contest, but which was not brought forward only because they have from negligence, inadvertence or even accident, omitted part of their case. The plea of res judicata applies, except in special cases, not only to points upon which the Court was actually required by the parties to form an opinion and pronounce a judgment, but to every point which properly belonged to the subject of litigation and which the parties, exercising reasonable diligence, might have brought forward at the time.

...


[24]          In Borley v. Canada (Fraser River Harbour Commission) (1995), 92 F.T.R. 275, the Court struck out a statement of claim on the basis that the issues had already been dealt with, and to the extent that they were not brought forward, they ought to have been.

[25]          From this, it is apparent that the application of the doctrine of res judicata does not depend on whether the parties actually raised the issue or issues in previous proceedings, but rather whether the parties could have done so. Should a party choose to drop certain issues for reasons of tactics, strategies, or otherwise, the party seals its fate with regard to those decisions. Parties must bring forward their whole case, and will not be permitted to litigate by instalments in piecemeal fashion. It is a principle of law and also of policy that there be finality to court decisions: see also Grandview v. Doering, [1976] 2 S.C.R. 621 at 634 and 636. Parties to litigation must be able to rely on the finality of final judgments so that they can adjust their affairs, if necessary, and conduct themselves accordingly.

[16]       Pour ces motifs, cette requête des défendeurs sera accueillie. Toutefois, il m'apparaît qu'il soit suffisant en l'espèce qu'elle le soit avec les dépens réguliers prévus à la règle 407.

Richard Morneau

                   protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 14 juillet 2000


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:


T-849-00

CATHY KIRBY ET SAMUEL KIRBY

                                                                      Demandeurs

ET

SA MAJESTÉ LA REINE

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

et

LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

                                                                        Défendeurs


LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 10 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 14 juillet 2000

ONT COMPARU:


Me Benito Aloé

pour les demandeurs


Me Chantal Sauriol

Me Virginie Cantave

pour les défendeurs


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Rouleau Doss d'Amours

Montréal (Québec)

pour les demandeurs


Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour les défendeurs


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