Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050119

Dossier : IMM-3673-04

Référence : 2005 CF 77

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                  CHI ZIN KOK

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision prise le 30 mars 2004 (la décision) par le directeur des admissions de Citoyenneté et Immigration Canada (le directeur), qui lui refusait une réhabilitation.


LES FAITS

[2]                Le demandeur, Chi Zin Kok, également appelé Ka Kwok, également appelé Kelvin Kok, est un ressortissant de la République populaire de Chine. Il est né le 5 septembre 1956, en Chine.

[3]                Il a utilisé trois noms indistinctement depuis son arrivée au Canada en 1986.

[4]                Le demandeur est illégalement entré à Hong Kong depuis la Chine en août 1981. Il s'est ensuite rendu illégalement par bateau à Taïwan en 1982. À Taïwan, il a été arrêté parce que les autorités le soupçonnaient d'être un espion communiste. Il a été détenu à Taïwan de juillet 1982 à avril 1984. En 1984, il a été renvoyé à Hong Kong. Il a été soupçonné à Hong Kong dans une affaire de vol à main armée et de meurtre. En 1984, il était arrêté à Hong Kong. Il a été reconnu coupable et condamné, mais son appel a été accueilli, et il a été acquitté le 18 janvier 1985 de toutes les accusations qui pesaient contre lui.

[5]                Il est retourné à Hong Kong en avril 1985 en traversant à la nage une rivière. Il a acheté une fausse carte d'identité de Hong Kong. Le 8 août 1985, une descente a eu lieu au domicile d'un ami et le demandeur a été interrogé par la police. Il a produit la fausse carte d'identité. Après vérification, on a constaté que la carte était un faux.

[6]                Le 16 août 1985, le demandeur était reconnu coupable à Hong Kong de deux violations de l'Ordonnance de Hong Kong sur l'immigration. La première infraction était le fait pour lui d'être resté à Hong Kong sans l'autorisation du directeur de l'immigration, après y avoir débarqué illégalement. Il a été condamné à un emprisonnement de neuf mois. Il a aussi été accusé de possession d'une fausse carte d'identité de Hong Kong, infraction pour laquelle il a aussi été condamné à un emprisonnement de neuf mois. Il a bénéficié d'une confusion des peines imposées. Après sa mise en liberté, il est retourné en Chine le 4 mars 1986.

[7]                Le 29 octobre 1986, le demandeur est venu au Canada à la faveur d'un faux passeport. À son arrivée, il a détruit le passeport et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention à Vancouver en produisant une carte d'identité de travail chinoise.

[8]                Le 18 septembre 1987, le demandeur a été interrogé par un agent principal d'immigration à propos de sa revendication.

[9]                Le 8 mars 1988, le demandeur a été arrêté et accusé de complot visant à faire le trafic d'héroïne. Il a été jugé à Toronto. Les preuves étant insuffisantes, il a été blanchi. Puis il est retourné à Vancouver le 23 août 1989.

[10]            En juin 1992, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en invoquant des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée en 1995, et sa demande ultérieure d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée en janvier 1997.

[11]            Le 24 juin 1996, CIC faisait tenir une enquête en vertu du paragraphe 27(3) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, afin d'établir si le demandeur était une personne qui avait été reconnue coupable d'une infraction correspondant à l'article 368 du Code criminel du Canada, celle qui consiste à user d'un document contrefait. L'infraction commise par le demandeur a été considérée comme une infraction dont la qualification ne relevait pas de cette disposition. L'auteur d'une infraction prévue par l'article 368 est coupable soit d'un acte criminel, auquel cas il est passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[12]            La seconde infraction du demandeur, le fait d'être resté à Hong Kong sans l'autorisation du directeur de l'immigration, a été jugée comme une infraction correspondant au paragraphe 94(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration (l'ancienne Loi). L'infraction actuelle, celle que prévoit l'article 124 de la LIPR, est punissable, par mise en accusation, d'une amende maximale de 50 000 $ ou d'un emprisonnement maximal de deux ans, ou punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d'une amende maximale de 10 000 $ ou d'un emprisonnement maximal de six mois.

[13]            Le 23 septembre 1996, un arbitre de l'immigration du Canada concluait que le demandeur était une personne non admissible, et une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle fut prononcée contre lui.

[14]            En août 2001, le demandeur a présenté une autre demande de résidence permanente au Canada fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et appuyée par le parrainage de son épouse. L'épouse du demandeur, Ka Won (Wanda) Chan, est citoyenne canadienne. Ils ont eu ensemble trois enfants.

[15]            Le 7 juin 2002, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié refusait au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[16]            Le 23 février 2003, le demandeur présentait à Citoyenneté et Immigration Canada une demande de réhabilitation.

[17]            Le 25 avril 2003 et le 8 mai 2003, le demandeur et son avocat se sont présentés à des entrevues avec un conseiller en immigration à propos du parrainage de l'épouse et de la demande de réhabilitation.

[18]            Par décision en date du 30 mars 2004, le directeur a rejeté la demande de réhabilitation présentée par le demandeur. C'est cette décision qui est l'objet de la demande de contrôle judiciaire.

Décision contestée

[19]            Les motifs du directeur de refuser la demande de réhabilitation sont les suivants :

[TRADUCTION]

Motifs du refus :

J'ai lu la recommandation de l'agente Andrea Barker et les conclusions rédigées par l'avocat de M. Kok, Darryl Larson, et par son associée, Maureen Kilpartick. Après examen de ces documents, je suis d'avis que M. Chi Zin (Kelvin) Kok n'a pas prouvé qu'il s'est réhabilité après ses condamnations criminelles.

Je reconnais qu'il s'est intégré dans la collectivité, qu'il mène une vie stable et qu'il occupe un emploi permanent et bien rémunéré. Je reconnais aussi que ses trois enfants canadiens réussissent bien au Canada.

Je crois aussi que les actes qui ont conduit aux condamnations prononcées à l'étranger ont sans doute été la conséquence de sa volonté de quitter la RPC. Toutefois, ce sont les actes du demandeur postérieurs à son arrivée au Canada qui ne me convainquent pas qu'il s'est réhabilité.

M. Kok est arrivé au Canada le 29 octobre 1986 et il a indiqué aux fonctionnaires, au point d'entrée, un faux nom et une fausse date de naissance, en leur remettant une fausse carte d'identité de travail. Au Canada, il a eu plusieurs occasions de nous faire connaître sa véritable identité et sa date de naissance exacte, mais il a montré une volonté constante de donner de fausses informations aux représentants du ministère au cours d'une période de dix ans. Ce n'est qu'en mai 2001 (environ 15 ans après son admission au Canada) que M. Kok a rempli un Formulaire de renseignements personnels pour la CISR, en utilisant le nom Ka Kok, et en indiquant comme date de naissance le 5 septembre 1956. En mai 2003, alors que M. Kok était interrogé par l'agente Barker, il a dit que, s'il n'avait pas révélé sa véritable identité et sa véritable date de naissance avant le 15 mai 2001, c'était parce qu'il ne pensait pas qu'il pourrait être accepté comme citoyen canadien s'il disait la vérité. À mon avis, cette affirmation est révélatrice et montre une intention manifeste de tromper.


Vu les renseignements contradictoires que M. Kok a fournis à ce ministère en ce qui concerne son identité, sa date de naissance, les condamnations et accusations dont il a été l'objet, enfin les pays où il a habité avant d'arriver au Canada, je crois qu'il subsiste des doutes suffisants sur sa crédibilité personnelle pour qu'on lui refuse maintenant la réhabilitation qu'il demande.

[20]            À la suite de cette entrevue, le demandeur a été considéré, dans une lettre en date du 30 mars 2004, comme une personne décrite dans l'alinéa 36(2)b) de la LIPR, dont voici le texte : « Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants : être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales » .

Points litigieux

[21]            Le demandeur soulève quatre points :

a)          le directeur a-t-il commis une erreur sujette à révision parce qu'il n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents?


b)          le directeur a-t-il commis une erreur sujette à révision parce qu'il s'est fondé sur des renseignements contradictoires fournis à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour mettre en doute la crédibilité du demandeur, et cela après avoir admis que les infractions d'immigration commises par le demandeur à Hong Kong avaient été motivées par la volonté du demandeur de fuir la RPC?

c)          le directeur a-t-il commis une erreur sujette à révision parce qu'il ne s'est pas demandé si les infractions d'immigration dont le demandeur a été reconnu coupable à Hong Kong avaient des équivalents en droit canadien?

d)          le directeur a-t-il manqué à son obligation d'équité envers le demandeur?

Arguments

Éléments de preuve pertinents

[22]            Selon le demandeur, le directeur n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents, en particulier sa conversion au christianisme. Le demandeur dit que les motifs du directeur ne font aucun cas de sa foi ni de l'importance de sa religion.

[23]            Le défendeur relève que, dans la lettre envoyée au demandeur, le directeur dit que [traduction] « la requête du demandeur, ses documents à l'appui et ses arguments, en date du 19 décembre 2003, ont été examinés avec minutie et bienveillance » . Dans ses motifs, le directeur mentionne l'intégration du demandeur dans la collectivité ainsi que la stabilité de son mode de vie.

[24]            Invoquant la décision Thamber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 332, et la décision Malicia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 235, le demandeur affirme aussi que le directeur n'a pas tenu compte de la période qui s'est écoulée sans qu'il soit de nouveau reconnu coupable. Le demandeur dit que, lorsque le directeur a rendu sa décision le 30 mars 2004, près de 19 années s'étaient écoulées depuis qu'il avait été condamné.

[25]            Le défendeur rétorque que, si la demande de réhabilitation a été refusée, c'est parce que le demandeur a toujours fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes de l'immigration durant tout le temps qu'il a passé au Canada, de 1985 à 2001. Le défendeur dit que le demandeur a donné de faux noms et de faux renseignements à CIC, ainsi qu'à la CISR, et qu'il a négligé de révéler sa véritable identité jusqu'à ce que divers agents d'immigration le mettent au pied du mur. Le défendeur dit que les raisons qu'avait le demandeur de mentir à Hong Kong n'excusent pas son manque de franchise envers des autorités canadiennes de l'immigration.


Conclusions contradictoires

[26]            Le demandeur affirme aussi que le directeur est arrivé à des conclusions contradictoires. Puisque le directeur croyait que les actes qui avaient conduit aux condamnations du demandeur à l'étranger avaient sans doute été motivés par sa volonté de fuir la RPC, alors les condamnations auraient dû être considérées comme des condamnations administratives et non pénales. Selon le demandeur, la turpitude morale qui normalement accompagne la perpétration d'une infraction criminelle, même si elle n'est sans doute pas totalement absente, est fortement réduite lorsqu'il s'agit d'une infraction administrative. Puis le demandeur fait valoir que ses actes subséquents au Canada ont été jugés exempts de turpitude morale. Ce sont là des conclusions contradictoires.

[27]            Le défendeur réaffirme que la conclusion du directeur était fondée sur le manque de franchise du demandeur envers les autorités canadiennes de l'immigration, et non sur ce qui est arrivé à l'étranger. Il n'est pas logique de prendre les conclusions se rapportant aux condamnations du demandeur à l'étranger, puis de les associer au temps qu'il a passé au Canada. Le défendeur fait aussi valoir que le demandeur cherche à faire réévaluer la preuve par la Cour. Le poids qu'il convient d'accorder à la preuve relève du pouvoir discrétionnaire du directeur et, à moins que sa conclusion ne soit déraisonnable, il n'appartient pas à la Cour de la modifier (voir la décision Tawfik c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 835 (C.F. 1re inst.)).


Craintes excusables

[28]            Puis le demandeur affirme qu'il a contrevenu aux lois de Hong Kong sur l'immigration parce qu'il craignait de retourner dans son pays d'origine. Il dit que, en raison de la même crainte qu'il avait de retourner en RPC, il n'a pas révélé sa véritable identité ou ses renseignements personnels aux autorités canadiennes de l'immigration. Il soutient que la communication de tels renseignements l'aurait empêché d'obtenir la citoyenneté canadienne et, finalement, aurait entraîné son renvoi vers la RPC. Selon le demandeur, puisque la crainte qu'il avait à Hong Kong et celle qu'il avait au Canada sont les mêmes (celle de retourner en RPC), l'une et l'autre devraient conduire au même résultat.

[29]            Le défendeur affirme encore une fois que le demandeur cherche simplement à faire réévaluer la preuve par la Cour. Il relève que la Cour ne devrait pas intervenir lorsque le pouvoir discrétionnaire du directeur est exercé d'une manière raisonnable (décision Tawfik).

[30]            Puis le demandeur fait valoir, d'une manière un peu déroutante, que puisque les actes qu'il a commis au Canada et ceux qu'il a commis à l'étranger résultent de la même crainte, ceux qu'il a commis au Canada, de même que la non-communication d'informations aux fonctionnaires canadiens de l'immigration, ne sont pas de véritables infractions. Selon le demandeur, le directeur confond turpitude morale et criminalité pure et simple. Le demandeur souligne qu'il n'a été l'objet d'aucune condamnation criminelle depuis 1985.


[31]            Le défendeur fait valoir que les actes du demandeur à l'endroit des autorités canadiennes de l'immigration intéressent directement le point de savoir s'il s'est réhabilité après les condamnations prononcées contre lui à Hong Kong, condamnations qui résultaient d'infractions liées à l'immigration. Selon le défendeur, la preuve pertinente a été prise en compte et la Cour ne devrait pas modifier le poids que lui a accordé le directeur. La décision du directeur était à ce chapitre tout à fait raisonnable.

Absence de prise en compte de la question de l'équivalence

[32]            Le demandeur affirme que les infractions dont il a été reconnu coupable à l'étranger n'équivalaient pas à des infractions en droit canadien. L'équivalence doit être fondée sur les lignes directrices de CIC en matière de réhabilitation. Il dit que, s'il n'y a pas d'infraction canadienne équivalente, alors il n'y a pas lieu d'ordonner le renvoi du Canada d'une personne reconnue coupable d'une infraction à l'étranger. Il dit que le directeur devait tenir compte des équivalences et que la décision n'en fait pas état. Cette omission constitue une erreur sujette à révision.


[33]            Le défendeur observe que l'équivalence des condamnations prononcées à Hong Kong contre le demandeur a été évaluée deux fois : une fois par un arbitre de l'immigration, qui a prononcé contre le demandeur une mesure de renvoi; et une seconde fois par un conseiller en immigration à propos de la demande de réhabilitation. Pour ladite demande, le conseiller a estimé qu'une infraction correspondait au paragraphe 94(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, ou à l'article 124 de la LIPR, et que l'autre correspondait à l'alinéa 122(1)a) de la LIPR. Ainsi, selon le défendeur, un constat d'équivalence est implicite dans les motifs du directeur, et il est raisonnable de penser que le directeur a accepté les constats d'équivalence faits par l'arbitre de l'immigration et le conseiller en immigration.

[34]            Le défendeur soutient que, même si l'équivalence des condamnations prononcées contre le demandeur n'est pas clairement expliquée, le directeur n'était pas tenu dans ses motifs de faire état expressément de toute la preuve documentaire. Le fait qu'il n'ait pas mentionné toute la preuve ne signifie pas qu'il n'en a pas tenu compte. Selon le défendeur, il est sous-entendu dans la décision que l'équivalence a été acceptée par le directeur. Partant, le demandeur n'a pas établi que le directeur a commis une erreur (voir Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.), et Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).

Obligation d'équité

[35]            Finalement, selon le demandeur, le directeur a manqué à son obligation d'équité en se fondant sur les conclusions de l'arbitre de l'immigration sans toutefois mentionner ces conclusions.


[36]            Le demandeur dit qu'il avait le droit de recevoir l'intégralité des motifs d'une décision administrative qui a sur sa vie de grandes répercussions. Il dit que le contenu de l'obligation d'équité varie selon l'importance de la décision pour ceux ou celles qu'elle concerne (voir les arrêts suivants : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Kane c. University of British Columbia, [1980] 1 R.C.S. 1105).

[37]            Selon le demandeur, il faut, lorsqu'on détermine le contenu de l'obligation d'équité, tenir compte des attentes légitimes de celui qui conteste la décision (arrêt Baker; arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.F.)). Il dit qu'il était en droit de s'attendre à ce que tous ses arguments (y compris une lettre de 28 pages et un recueil de documents renfermant 60 onglets et décrivant sa vie au Canada) soient étudiés et commentés par le directeur. Le demandeur soutient qu'aucun des points soulevés par lui n'a été commenté par le directeur dans sa décision. Il affirme aussi que le directeur ne s'est pas exprimé sur les points soulevés par l'arbitre de l'immigration.

[38]            Le demandeur fait valoir que le directeur aurait dû être « réceptif, attentif et sensible » aux facteurs pris en compte (arrêt Baker). Selon lui, le directeur a manqué à son obligation d'équité [traduction] « parce qu'il a totalement mis de côté la preuve du demandeur, et cela sans explication raisonnable » .


Norme de contrôle

[39]            Selon le demandeur, la norme de contrôle qui est applicable ici est celle de la décision raisonnable simpliciter (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Thamber; Ho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 482; et Lo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1596). Dans l'arrêt Southam, le juge Iacobucci définit ce qu'est une décision raisonnable simpliciter :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

Analyse

[40]            Le fond de la décision du directeur est que, bien que le demandeur se soit intégré dans la collectivité, qu'il mène une vie stable et qu'il occupe un emploi permanent et bien rémunéré, les duperies auxquelles il s'est livré entre 1986 et 2001 à l'endroit des autorités canadiennes de l'immigration suscitent suffisamment de doutes sur la crédibilité personnelle du demandeur pour que lui soit refusée une réhabilitation.

[41]            Le demandeur trouve que c'est là une conclusion injustifiée, parce que les délits dont il a été reconnu coupable à Hong Kong (possession d'une fausse carte d'identité de Hong Kong et séjour illégal à Hong Kong) résultaient de tentatives légitimes d'échapper aux violations des droits de la personne commises en RPC et peuvent difficilement être considérés comme des actes moralement répréhensibles, vu l'époque et l'endroit où ils ont été commis. Le demandeur n'a été l'objet d'aucune condamnation pénale depuis 1985, et la manière dont il a été traité entre les mains des fonctionnaires de l'immigration de Hong Kong et de Taïwan explique son peu d'empressement à faire confiance au personnel canadien de l'immigration lorsqu'il est arrivé au Canada en 1986, craignant alors d'être encore une fois renvoyé en RPC.

[42]            Le directeur reconnaît d'ailleurs que [traduction] « les actes qui ont conduit aux condamnations prononcées à l'étranger ont sans doute été la conséquence de sa volonté de quitter la RPC » .

[43]            Le directeur est parfaitement sincère lorsqu'il dit que, s'il n'a pas la certitude que le demandeur est réhabilité, c'est en raison des « actes du demandeur postérieurs à son arrivée au Canada » . Le demandeur avait entre autres donné des renseignements contradictoires sur son identité, sa date de naissance, et sur les condamnations prononcées contre lui et les accusations portées contre lui dans d'autres pays.

[44]            Nul ne prétendra que le demandeur avait raison de se livrer à telles duperies à l'endroit de l'immigration canadienne, et le Canada doit exiger de ceux qui demandent sa protection une franchise absolue. Cependant, la décision du directeur concernait uniquement le point de savoir si le demandeur était réhabilité en mars 2004. À l'époque, il existait de solides circonstances atténuantes qui militaient en faveur du demandeur, à savoir :

1.          il n'avait été reconnu coupable d'aucune infraction depuis 1985 à Hong Kong;

2.          les infractions dont il avait été reconnu coupable à Hong Kong étaient pleinement compatibles avec le cas d'une personne qui tentait de fuir la RPC;

3.          les duperies auxquelles il s'était livré à l'endroit des fonctionnaires de l'immigration au Canada après son arrivée en 1986 étaient elles aussi compatibles avec le cas d'une personne dont le véritable dessein n'est pas de commettre une infraction criminelle ou un acte moralement condamnable, mais plutôt de rester en dehors de la RPC;


4.          les épreuves subies par le demandeur en RPC, à Hong Kong et à Taïwan n'étaient guère susceptibles de générer une franchise totale de sa part envers les personnes en situation d'autorité, et les mensonges et faux-fuyants auxquels il a recouru au Canada sont, encore une fois, parfaitement compatibles avec le cas d'une personne qui garde un très mauvais souvenir de ses rapports passés avec les autorités de l'immigration d'autres pays;

5.          le demandeur s'est bien intégré à la vie canadienne. Il a une famille et trois enfants nés au Canada. Il mène une vie stable et occupe un emploi permanent et bien rémunéré;

6.          à la suite de difficultés familiales, il semble avoir compris qu'il était mal pour lui de chercher à duper les autorités canadiennes, même si sa conduite était motivée par la crainte de retourner en RPC;

7.          depuis 2001, il semble s'être amendé et avoir été honnête avec l'immigration canadienne.

[45]            Le directeur reconnaît évidemment, d'une manière très générale dans sa décision, certaines de ces circonstances atténuantes. Mais les éléments significatifs que le directeur avait devant lui, et qui consistaient en pièces justificatives venant de personnes qui avaient connu le demandeur au Canada et qui avaient travaillé avec lui, militaient en faveur d'une réhabilitation. D'autres points importants méritent d'être signalés : le demandeur n'a été reconnu coupable d'aucune infraction depuis 1985 et, entre 2001 et 2004, il a trouvé un engagement religieux et a exprimé des remords pour sa conduite passée.


[46]            Il me semble que, eu égard aux circonstances atténuantes qui militaient en faveur du demandeur, le directeur aurait dû aller au-delà du constat général qui apparaît dans sa décision. Je ne crois pas qu'il s'agisse ici d'une simple question d'appréciation. Si d'importants aspects n'ont pas été traités, cela donne à penser qu'ils n'ont pas véritablement été pris en compte. Non pas qu'une prise en compte de ces points doive nécessairement conduire à une conclusion autre, mais le directeur aurait dû être influencé par la solide preuve documentaire qui favorisait une réhabilitation, par la longue période qui s'était écoulée depuis la dernière condamnation (19 ans) et par l'évolution marquée de l'attitude du demandeur et de ses rapports avec les autorités canadiennes de l'immigration, évolution qui semble s'être produite en 2001, puis par les remords qu'il a exprimés et par le fait qu'il a reconnu ses actes répréhensibles.

[47]            La présente affaire est, à mon sens, plus proche de la décision Malicia, dans laquelle Mme la juge Snider avait fait droit à la demande parce que les facteurs pertinents n'avaient pas été pris en compte, qu'elle ne l'est de la décision que j'ai rendue dans l'affaire Cheung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 935 (C.F. 1re inst.), dans laquelle j'avais estimé que tous les facteurs pertinents avaient été étudiés et adéquatement appréciés. En l'espèce, la décision du directeur ne me convainc pas que des éléments fort importants qui n'appuyaient pas sa conclusion finale ont été considérés ou, s'ils l'ont été, alors je me demande pourquoi le directeur a estimé qu'ils étaient moins importants que les facteurs négatifs.


[48]            En outre, la décision du directeur ne dit rien sur la question de l'équivalence entre les infractions commises à Hong Kong et les infractions commises au Canada. Le défendeur dit que cela n'était pas nécessaire parce que l'équivalence avait déjà été évaluée deux fois : une fois par un arbitre de l'immigration, qui avait estimé que le demandeur était non admissible au Canada en vertu du sous-alinéa 19(2)(a.1)l) de l'ancienne loi, puis par un conseiller en immigration, qui avait estimé que l'infraction consistant à rester à Hong Kong sans autorisation équivalait à l'infraction prévue par le paragraphe 94(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration et par l'alinéa 124(1)a) de la LIPR. Le conseiller en immigration avait aussi jugé que l'infraction de possession d'une fausse pièce d'identité de Hong Kong équivalait à l'infraction prévue par l'alinéa 122(1)a) de la LIPR.

[49]            Le défendeur dit qu'il est implicite dans la décision du directeur que l'équivalence a été acceptée par le directeur.

[50]            Le directeur dit que [traduction] « j'ai lu la recommandation de l'agente Andrea Baker et les conclusions rédigées par l'avocat de M. Kok... » et que [traduction] « après examen de ces documents, je suis d'avis que [le demandeur] n'a pas prouvé qu'il s'est réhabilité après ses condamnations criminelles » , mais c'est là une autre de ces situations troublantes où la Cour doit se demander si un constat de nature générale est suffisant pour disposer d'un point déterminant.

[51]            En l'espèce, je ne crois pas que ce soit suffisant, parce que le demandeur avait expressément fait valoir que les infractions commises à Hong Kong n'avaient pas d'équivalents en droit canadien et que, si le directeur estimait qu'il suffisait de s'en rapporter à des conclusions antérieures selon lesquelles des équivalences existaient, alors il aurait dû le dire et expliquer pourquoi il n'y avait pas lieu d'étudier davantage les arguments du demandeur. Autrement dit, c'était là un point déterminant, le demandeur s'étant fermement élevé contre les équivalences, et ce point aurait dû être traité et réglé expressément dans la décision du directeur.

[52]            Quelle que soit la norme de contrôle, je crois que la décision du directeur ne repose pas sur des bases fermes et qu'elle doit être renvoyée pour réexamen.

[53]            Si les avocats veulent que soit certifiée une question grave de portée générale, alors ils sont invités à signifier et déposer leurs conclusions en ce sens dans un délai de sept jours après avoir reçu les présents motifs. Chacune des parties aura ensuite trois jours pour signifier et déposer une réponse aux conclusions de la partie opposée. Après cela, une ordonnance sera rendue.

                                                                                  « James Russell »            

                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   IMM-3673-04

INTITULÉ :                  Chi Zin Kok c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Warren Puddicombe                                          POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Group                                               POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.