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Date : 20051129

Dossier : IMM-888-05

Référence : 2005 CF 1606

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

JOY RONBINAH NDAGIRE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision du 27 janvier 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission  ») a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’elle n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée. La demanderesse affirme être lesbienne et originaire de l’Ouganda, où elle a eu une liaison avec une de ses élèves. L’homosexualité est illégale en Ouganda. La liaison qu’elle a eue avec son élève a aggravé la situation.

LES FAITS

 

[2]               La demanderesse, une citoyenne de l’Ouganda née en 1979, prétend craindre avec raison d’être persécutée par la police ougandaise parce qu’elle est lesbienne et que l’homosexualité est illégale.

 

[3]               En 1997, il a été découvert que la demanderesse, qui faisait alors ses études secondaires, avait une relation intime avec sa petite amie à l’école de filles Nabisunsa. Elle a été arrêtée et placée en garde à vue par la police pendant trois jours. Elle prétend avoir été violée et battue par la police avant d’être libérée.

 

[4]               Après des études universitaires, la demanderesse a travaillé comme enseignante à l’école secondaire de Katikamu, en Ouganda, de janvier 2002 à février 2004. Pendant cette période, elle a entretenu une relation homosexuelle avec une élève de 19 ans. Elle affirme qu’en novembre 2003, un collègue enseignant a découvert qu’elle avait des relations sexuelles avec cette élève. Il a menacé la demanderesse de la dénoncer à la police si elle refusait d’avoir des relations sexuelles avec lui.

 

[5]               La demanderesse a eu avec lui des relations sexuelles contre son gré pendant 12 semaines, jusqu’au 20 février 2004, date à laquelle elle s’est enfuie à Entebbe, en Ouganda. Elle a alors appris que l’élève avait admis avoir eu des relations sexuelles avec elle et qu’elle avait été congédiée. À ce moment-là, les « autorités » étaient à sa recherche.

[6]               La demanderesse s’est rendue au Kenya pour obtenir un visa canadien de visiteur, puis est retournée en Ouganda avant de partir pour le Canada. Elle est arrivée à Vancouver le 17 juin 2004, est allée à Toronto et a présenté une demande d’asile.

 

LA DÉCISION

 

[7]               La Commission a rejeté la demande au motif que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée en Ouganda.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Deux questions se posent en l’espèce :

1.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable quant à la crédibilité?

 

2.         La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’agir équitablement en faisant, avant l’audience, des commentaires qui témoignent d’une partialité réelle ou suscitent une crainte raisonnable de partialité?

 

 


ANALYSE

 

Question no 1 : La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable quant à la crédibilité?

 

[9]               La demanderesse prétend que la conclusion générale de la Commission relative à la crédibilité est manifestement déraisonnable. Plus précisément, elle fait valoir que la Commission a commis une erreur :

 (i)        en concluant qu’elle n’était pas recherchée par les autorités ougandaises;

 

(ii)        en concluant qu’elle a faussement déclaré le Kenya, plutôt que l’Ouganda, comme pays de départ;

 

(iii)       en tirant une conclusion défavorable parce qu’elle a admis avoir menti dans sa demande de visa canadien de visiteur;

 

(iv)       en tirant une conclusion défavorable de son comportement à l’audience;

 

(v)        en concluant que la lettre d’emploi n’était pas crédible;

 

(vi)       en jugeant non vraisemblable que la demanderesse, en tant que lesbienne, ait des relations sexuelles avec un homme pour stimuler le développement de sa poitrine;

 

(vii)      en jugeant non vraisemblable que la demanderesse continue d’avoir des relations sexuelles contre son gré pendant 12 semaines;

 

(viii)           en jugeant non vraisemblable que la demanderesse coure le risque de subir d’autres préjudices physiques en ayant une deuxième liaison homosexuelle avec une élève;

 

(ix)              en tirant une conclusion défavorable concernant la crainte subjective de persécution du fait que la demanderesse est retournée en Ouganda après son voyage au Kenya.

 

 

 

[10]           Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer le bien-fondé des conclusions de fait de la Commission. La Cour interviendra si ces conclusions sont manifestement déraisonnables, mais n’infirmera pas des conclusions raisonnables même si elles sont différentes de celles qu’elle aurait elle-même formulées. (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, paragraphes 4 et 5; (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Il incombe aux demandeurs d’établir qu’a été rempli un des quatre critères suivants, dont j’ai fait état dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 4 :

[…]

 

1. la Commission n'a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n'était pas crédible;

 

2. les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

 

3. la décision était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas autorisées par la preuve; ou

 

4. la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

 

(i)         Demanderesse non recherchée par les autorités ougandaises

[11]           La demanderesse affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’était pas recherchée en Ouganda repose sur des conjectures et n’est pas fondée sur des éléments de preuve. La Commission a conclu que la demanderesse n’aurait pas obtenu de passeport si elle avait été recherchée par le gouvernement de l’Ouganda. Elle a aussi trouvé invraisemblable le fait que la demanderesse ait été capable de retourner en Ouganda sans difficulté en avril 2004 après son voyage au Kenya et de quitter le pays à destination du Canada en septembre 2004 sans se faire interroger ou arrêter. La Cour conclut que la Commission n’a pas tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable à cet égard parce qu’il lui était loisible d’arriver à sa conclusion en se fondant sur la preuve produite.

 

(ii)        Pays de départ

[12]           La Commission a commis une erreur flagrante en concluant que la demanderesse avait à tort donné le Kenya, et non l’Ouganda, comme pays de départ. La première question de la demande de visa canadien de visiteur (« VCV »), le formulaire IMM 5474, vise à savoir dans quel pays la personne s’est rendue d’abord à partir de son pays d’origine. La demanderesse a répondu correctement le Kenya. Par conséquent, la Cour estime qu’il s’agit d’une conclusion de fait manifestement déraisonnable.

 

(iii)       Aveu de faux renseignements dans la demande de visa de visiteur

[13]           La demanderesse a admis avoir menti aux autorités canadiennes dans sa demande de VCV au sujet des dates où elle a fréquenté l’université, mais elle fait valoir qu’à en juger d’après la décision Fajardo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993) 157 N.R. 392 (C.A.F.), la Commission ne peut pas conclure qu’elle n’était pas crédible parce qu’elle a admis avoir menti dans sa demande de VCV. Dans la décision Fajardo, la demanderesse prétendait vouloir entrer au Canada pour visiter le pays, et non pour faire une demande d’asile. Dans le cas qui nous occupe, il ressort de la simple lecture des motifs que la Commission a conclu à la volonté de la demanderesse d’induire en erreur les autorités canadiennes, mais a fait observer que la question des études universitaires n’était ni pertinente ni déterminante. La Cour conclut que la Commission n’aurait pas dû tirer une conclusion défavorable pour cette raison. Il est établi qu’une personne peut devoir mentir pour obtenir un visa canadien qui lui permettra de présenter une demande d’asile à son arrivée au Canada.

 

(iv)       Lettre d’emploi

[14]           La Commission a accordé très peu de valeur probante à la lettre d’emploi de l’école secondaire de Katikamu, qu’elle a jugée non crédible parce que la date tamponnée était incompatible avec l’entrée en fonction de la demanderesse en janvier 2002. La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle a donné une explication raisonnable, à savoir qu’il y avait une erreur sur le tampon.  La Commission a rejeté l’explication, la trouvant non crédible. Il était loisible à la Commission de juger cet élément de preuve non crédible.

 

(v)        Développement de la poitrine

[15]           La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en trouvant invraisemblable qu’elle ait eu, tout en étant lesbienne, des relations sexuelles avec un homme dans le but de stimuler le développement de sa poitrine. Plus précisément, elle prétend que la Commission n’a pas pris en considération les normes sociales touchant le développement de la poitrine en Ouganda et qu’elle a imposé des normes nord-américaines non pertinentes fondées sur la logique et la raison en concluant au caractère invraisemblable de la preuve. Il n’y a cependant rien dans le dossier ou les motifs de la Commission qui trahit un raisonnement non pertinent. La Cour serait peut-être arrivée à une conclusion différente, mais il était loisible à la Commission de tirer sa conclusion, qui n’est pas manifestement déraisonnable.

 

(vi)       Relations sexuelles contre son gré avec un collègue

[16]           Il était loisible à la Commission de conclure, au vu de la preuve, que la demanderesse s’était laissé agresser sexuellement et humilier pendant 12 semaines plutôt que de « demander un congé » (de l’école) ou de « prendre un autre arrangement », et cette conclusion n’est pas manifestement déraisonnable.

 

(vii)      Risque de subir d’autres préjudices physiques

[17]           Il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse ne risquerait pas tout ce qu’elle a pour entretenir une autre liaison avec une élève, après avoir été arrêtée, torturée et violée la première fois par la police, et cette conclusion n’est pas manifestement déraisonnable.

 

(viii)     Pas de crainte subjective de persécution

[18]           Il était loisible à la Commission de conclure, au vu de la preuve, que le retour de la demanderesse en Ouganda après son voyage au Kenya va à l’encontre de sa présumée crainte subjective de persécution.

 

Conclusions relatives à la crédibilité

[19]           Les principales conclusions de la Commission sont les suivantes :

1.       la demanderesse n’était pas recherchée par la police ou les « autorités » de l’Ouganda;

2.       la demanderesse n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée en Ouganda, autrement elle n’y serait pas retournée après son voyage au Kenya.

 

[20]           Il était loisible à la Commission, au vu de la preuve, d’arriver à ces conclusions relatives à la crédibilité, et celles-ci ne sont pas manifestement déraisonnables. Le constat erroné selon lequel la demanderesse a donné un faux renseignement sur le pays de départ et la conclusion non pertinente selon laquelle la demanderesse voulait induire en erreur les autorités ne suffisent pas à infirmer les principales conclusions de la Commission.

 

Question no 2 :  La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’agir équitablement en faisant, avant l’audience, des commentaires qui témoignent d’une partialité réelle ou suscitent une crainte raisonnable de partialité?

 

[21]           La demanderesse affirme que les commentaires, formulés par la Commission avant l’audience, selon lesquels son FRP ressemblait à celui d’une autre personne ont suscité une crainte raisonnable de partialité. Au vu du dossier, l’avocate de la demanderesse s’est adressée à la Commission au sujet des commentaires préalables à l’audience. Le tribunal a répondu qu’il ne disposait pas des faits nécessaires pour conclure que les FRP étaient identiques et douteux. Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, comme suit :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?"

 

Le tribunal n’a pas tiré une conclusion défavorable à l’égard de la demanderesse en raison de la similitude de son FRP avec celui d’une autre personne. Il n’y a aucune preuve sur laquelle une personne bien renseignée se fonderait pour conclure raisonnablement à une crainte raisonnable de partialité à l’encontre de la demanderesse. La Commission a accordé à la demanderesse une audience complète et juste et a justifié sa conclusion de non-crédibilité par une série de motifs. De plus, le fait de ne pas avoir soulevé la question de la partialité pendant l’audience et demandé au membre de la Commission de se récuser exclut le règlement ultérieur de cette question. Voir la décision Narty c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 120, paragraphe 11, du juge Denault.  Le demandeur ne peut pas attendre la décision pour invoquer la partialité. Il doit manifester son opposition le plus tôt possible au moyen d’une requête demandant que le membre de la Commission se récuse.

 

CONCLUSION

 

[22]           Il était loisible à la Commission de conclure, au vu de la preuve, que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée. La Commission a rendu sa décision en s’acquittant de son obligation d’agir équitablement, sans susciter une crainte raisonnable de partialité.

 

[23]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à faire certifier. Aucune question n’est certifiée.

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

 

 

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

JUGE

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lucie Boisvenue, trad.a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-888-05

 

INTITULÉ :                                       JOY RONBINAH NDAGIRE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 NOVEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 NOVEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS

 

Janice Chung

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Marina Stefanovic

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Janice Chung

Avocate

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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