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                                                                                                                                  Date : 19980828

                                                                                                                       Dossier : IMM-4691-97

Entre :

                             WANNAKU RALALAGE AJITH LAKWIJAYA JINADASA,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge NADON

1           Le demandeur cherche en l'espèce à faire annuler la décision en date du 10 octobre 1997, par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa revendication du statut de réfugié au Canada.

2           La décision de la Commission est fondée sur ses conclusions selon lesquelles l'histoire du demandeur n'était pas crédible à nombre d'égards. Le demandeur conteste plusieurs de ces conclusions. Avant d'examiner ces conclusions de la Commission en matière de crédibilité, je dois rappeler que la revendication du demandeur fut entendue à Toronto le 23 avril 1997 par deux membres de la Commission, Eva Allman et Enrique M. Caspelldi. Dans la décision qu'il rendit seul le 10 octobre 1997, M. Caspelldi fait savoir que Mme Allman était tombée gravement malade le 3 juin 1997 et n'avait pu reprendre le travail. Par suite, M. Caspelldi a appliqué le paragraphe 63(2) de la Loi sur l'immigration pour rendre la décision de la Commission. Dans sa demande d'autorisation d'agir en contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé la question de la compétence de la Commission dans ces circonstances. Selon ses conclusions écrites, un seul membre de la Commission ne pouvait, sans son consentement, se prononcer sur sa revendication du statut de réfugié. À l'ouverture de l'audience cependant, son avocat m'a informé qu'il renonçait à cet argument.

3           J'en viens maintenant à la question de crédibilité. Voici la conclusion tirée par la Commission en pages 8 et 9 de sa décision :

            [TRADUCTION]

Vu les invraisemblances dans l'histoire du demandeur, vu l'absence de preuves concluantes sur ce qu'il avait connu au Sri Lanka et vu le profil du demandeur, examiné supra, le tribunal conclut qu'il n'y a raisonnablement aucun risque de persécution s'il devait retourner au Sri Lanka.

4           Je conviens avec M. Lehrer, l'avocat du demandeur, que certaines conclusions de la Commission sont discutables, mais cela ne suffit pas pour que j'intervienne et annule sa décision. Il s'agit en l'espèce d'un cas auquel s'appliquent parfaitement les conclusions tirées par le juge Joyal dans Miranda c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 63 F.T.R. 81. Il y a lieu de se rappeler que cette dernière décision a été rendue peu de temps après que le législateur eut transféré la compétence en matière de réfugiés de la Cour d'appel à la Section de première instance. Dans ses motifs brefs mais « éclairés » , le juge Joyal a défini le critère à observer par la Cour pour examiner une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin de décider s'il y a lieu ou non d'intervenir. Je ne peux que partager ses conclusions. Comme indiqué supra, ses motifs sont brefs; je les reproduirai donc dans leur intégralité :

[1] Le juge Joyal : Les présents motifs s'ajoutent à l'ordonnance et aux brefs motifs que j'ai prononcés oralement à la fin de l'audience sur cette demande de contrôle judiciaire.

[2] Nul doute que l'avocat du requérant a habilement exposé les éléments essentiels auxquels doit s'en tenir la Commission de l'immigration et du statut de réfugié lorsqu'elle connaît d'une demande de statut de réfugié. Tout comme lui, j'estime qu'un demandeur éconduit qui s'adresse à la Cour afin d'obtenir un contrôle judiciaire bénéficie néanmoins d'une protection suffisante lorsqu'on s'éloigne de ces éléments de même que des théories formulées par la Cour d'appel fédérale. Comme nous le savons, la Cour d'appel a rendu une pléthore d'arrêts dans lesquels elle a annulé les décisions de la Commission ou de tribunaux chargés d'examiner le minimum de fondement des demandes.

[3] Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on peut les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.

[4] J'ai lu les notes sténographiques des dépositions des témoins devant la Commission et j'ai entendu les arguments des deux avocats. Bien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue. Et, à mon avis, aucune erreur de ce genre n'a été commise.

[5] S'il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d'erreurs lorsqu'ils examinent des décisions des tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a été saisie d'un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque douze erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la Cour a déclaré qu'elle avait trouvé dix-huit erreurs dans les directives du juge mais que, en l'absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

[6] C'est ce que j'essaie de démontrer en l'espèce. On peut examiner la décision de la Commission et ensuite l'évaluer en fonction de la preuve se trouvant dans les notes sténographiques et des déclarations faites par le requérant pour tenter de justifier son objectif ainsi que ses craintes subjectives de persécution.

[7] Me fondant sur cette analyse, je considère que les conclusions tirées par la Commission sont fondées compte tenu de la preuve. Certes, il est toujours possible qu'on ne s'entende pas sur la preuve; un tribunal différemment constitué pourrait également rendre une décision contraire. Quelqu'un d'autre pourrait tirer une conclusion différente. C'est notamment le cas lorsque la personne qui rend la décision souscrit à un système de valeurs différent. Toutefois, malgré l'exposé approfondi de l'avocat du requérant, je n'arrive pas à saisir le genre d'erreur qu'aurait pu faire la Commission dans sa décision et qui justifierait mon intervention. À mon avis, la décision de la Commission est tout à fait compatible avec la preuve.

[8] La Section de première instance de la Cour commence tout juste à exercer sa compétence dans ce domaine du contrôle judiciaire et je crois qu'elle tentera de s'en tenir aux directives élaborées par la Cour d'appel. C'est évidemment facile à dire mais pas toujours facile à appliquer dans certains cas particuliers. J'espère que les avocats ne perdront pas de vue ce point dans les cas où la Section de première instance exerce cette nouvelle compétence.

5           Tout comme le juge Joyal dans Miranda, j'estime qu'au regard des preuves produites en l'espèce, les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables. Durant un long échange des plus intéressants avec M. Lehrer, il m'est apparu que ces mêmes preuves pourraient engager à une vue de l'affaire, différente de celle de la Commission. Je conclus cependant que la sienne est loin d'être déraisonnable. En conséquence, je ne toucherai pas à sa décision.

6           Pour parvenir à cette conclusion, je me suis également guidé sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315, affaire centrée sur les conclusions d'invraisemblance tirées par la Commission. Le juge Décary, prononçant le jugement de la Cour, a fait l'observation suivante en pages 316 et 317 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

7           Dans ce passage, le juge Décary pose sans équivoque que celui qui conteste la décision de la Commission doit démontrer que les inférences tirées par celle-ci « ne pouvaient pas raisonnablement l'être » . La décision Aguebor, à mon avis, ne fait que confirmer le critère défini par le juge Joyal dans Miranda. Malheureusement pour le demandeur, il ne m'a pas convaincu que les conclusions d'invraisemblance tirées par la Commission « ne pouvaient pas raisonnablement l'être » .

8           Par ces motifs, le demandeur est débouté de son recours en contrôle judiciaire.

                                                                                                                             Signé : Marc Nadon            

                                                                                              _______________________________

                                                                                                                                                     Juge                      

Toronto (Ontario),

le 28 août 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :                        IMM-4691-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Wannaku Ralalage Ajith Lakwijaya Jinadasa

                                                            c.

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :    Jeudi 27 août 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE NADON

LE :                                                      Vendredi 28 août 1998

ONT COMPARU:

M. Douglas Lehrer                                            pour le demandeur

Mme Andrea Horton                                           pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Douglas Lehrer et Vandervennen Lehrer            pour le demandeur

Avocats

45, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario)

M4Y 1W6

M. Morris Rosenberg                            pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                          Date : 19980828

                                               Dossier : IMM-4691-97

Entre :

WANNAKU RALALAGE AJITH LAKWIJAYA JINADASA,

                                                                  demandeur,

                                      - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                    défendeur.

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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