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Date : 20030423

Dossier : IMM-944-02

OTTAWA (Ontario), le 23 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                                             NAWAZ AHMAD

                                                                                                                                        demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

[1]                 La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                 « P. Rouleau »                

JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20030423

Dossier : IMM-944-02

Référence : 2003 CFPI 471

ENTRE :

                                                             NAWAZ AHMAD

                                                                                                                                        demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 30 janvier 2002, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant la demande à un tribunal différemment constitué.


[2]                 Le demandeur est un citoyen pakistanais âgé de 46 ans qui vient initialement de Sialkot. Il est marié et est le père de cinq enfants. Juste avant de s'enfuir du Pakistan, il travaillait dans l'industrie de la construction, dans la région de Sialkot.

[3]                 Le demandeur est musulman chiite de naissance et membre actif de sa collectivité religieuse. Il allègue avoir été victime de discrimination au travail à cause de ses antécédents chiites. Il affirme que le climat d'intolérance et le cycle de violence contre la collectivité chiite lui rendaient la vie difficile; il allègue avoir également été victime de discrimination sociale étant donné, par exemple, que des rumeurs circulaient à son sujet et qu'on l'accusait d'adultère. Enfin, ses enfants faisaient l'objet de discrimination à l'école à cause de leurs antécédents religieux.

[4]                 Cet environnement général a contraint le demandeur et sa famille à s'installer à Sialkot, ville située à une vingtaine de milles. Le demandeur a choisi cette ville parce qu'une importante minorité chiite était établie à cet endroit.


[5]                 Le demandeur allègue que l'organisation connue sous le nom de Sipah-e Sahaba Pakistan (la SSP) forçait les Chiites à lui verser de l'argent à des fins de protection. De fait, au mois d'octobre 1998, des hommes de main de la SSP seraient entrés chez le demandeur et auraient cassé des meubles afin de lui extorquer de l'argent ainsi qu'à sa famille. Son fils aurait refusé de se conformer et ils seraient partis sans prendre d'argent après avoir proféré des menaces.

[6]                 Au mois d'octobre 1998, le fils du demandeur a commencé une campagne en vue de mobiliser les Chiites en imprimant des affiches et même en se plaignant aux autorités policières au sujet du harcèlement dont sa famille était victime. Le demandeur allègue que quelques jours plus tard, l'Agence des enquêtes criminelles (l'AEC) a effectué une descente à la résidence du chef de la SSP et a procédé à son arrestation et au recouvrement d'armes illégales. En guise de représailles, la SSP aurait menacé la famille du demandeur.

[7]                 Le 9 novembre 1998, le fils du demandeur a été tué pendant une présumée attaque à laquelle la SSP s'était livrée contre l'Imam Bargah local et deux autres Chiites ont également été blessés. Le demandeur allègue que même s'il a déposé une plainte, les autorités policières n'ont pas enquêté sur l'affaire.

[8]                 Au mois de mars 1999, le chef de la SSP qui avait été arrêté a été mis en liberté; il aurait menacé le demandeur en lui faisant savoir que s'il poursuivait ses activités, il subirait le même sort que son fils. Le demandeur allègue avoir essayé de chercher de l'aide auprès de la presse, mais il a apparemment fait face à de la réticence. Il aurait également rencontré des personnes haut placées au sein du service de police et du gouvernement, lesquelles auraient promis de l'aider. Toutefois, elles n'ont rien fait.

[9]                 À la suite du coup militaire du général Pervez Musharraf, au mois d'octobre 1999, le demandeur a tenté de déclencher ou de rouvrir l'enquête relative à l'assassinat de son fils. Il aurait donc envoyé à l'équipe chargée de la surveillance des cellules de l'armée, au mois de janvier 2000, une demande écrite dans laquelle il aurait mentionné le nom du chef de la SSP qui avait été arrêté, M. Aslam, à l'égard du crime.

[10]            Au mois d'avril 2000, le cas du fils du demandeur a été renvoyé aux autorités policières locales; on a demandé au demandeur de fournir des preuves montrant que le chef de la SSP était en cause dans le meurtre de son fils. Selon l'enquête, la seule preuve disponible était que le fils du demandeur avait été victime d'actes fortuits de violence par le passé. Ce résultat a extrêmement déçu le demandeur.

[11]            Le 16 juin 2000, la SSP est censément entrée chez le demandeur et aurait menacé de le tuer ainsi que sa famille s'ils ne quittaient pas la région. La famille du demandeur s'est donc installée à Lahore, au Pakistan.

[12]            Enfin, le 10 juillet 2000, la police a effectué une descente chez le demandeur; elle voulait l'arrêter, un dirigeant de la SSP ayant été atteint d'un coup de feu. Le demandeur croyait que la police collaborait avec la SSP; il a décidé de quitter le Pakistan afin de solliciter une protection à l'étranger.

[13]            Le demandeur allègue craindre avec raison d'être persécuté pour des motifs religieux par les hommes de main de la SSP et par la police au Pakistan.

[14]            Le tribunal de la SSR a constaté de nombreuses contradictions et de nombreuses incohérences dans l'histoire du demandeur. Il a rejeté la revendication pour le motif que le demandeur n'était pas crédible, en particulier en ce qui concerne l'histoire de l'assassinat de son fils.

[15]            Le tribunal de la SSR a noté que la preuve documentaire révélait que l'appareil de sécurité de l'État et la police luttent contre les groupes criminels religieux tels que la SSP. La preuve montrait également que de nombreux dirigeants et travailleurs de la SSP avaient été arrêtés par l'appareil de sécurité de l'État par le passé, l'État tentant de réprimer la violence sectaire. Plus particulièrement, depuis que l'État avait interdit les activités politiques publiques au mois de mars 2000, des activistes et dirigeants de la SSP avaient été arrêtés pour avoir organisé des rassemblements religieux et pour avoir prononcé des discours faisant appel à la violence. En outre, le tribunal a noté que la preuve documentaire établissait que depuis le coup militaire, au mois d'octobre 1999, les groupes armés religieux sont surveillés étant donné qu'ils représentent une menace pour l'État du Pakistan lui-même.


[16]            Le tribunal a dit que cette preuve documentaire ainsi que le témoignage présenté par le demandeur lui-même au sujet de l'arrestation du chef de la SSP au mois d'octobre 1998 révélaient que la police s'en prend à la SSP et tente de l'écraser. Le tribunal a conclu que l'affirmation du demandeur selon laquelle la police cherche à l'arrêter parce qu'on avait censément tiré sur un dirigeant de la SSP est invraisemblable et n'est pas étayée par la preuve documentaire objective et en partie par les propres allégations du demandeur.

[17]            En se fondant sur ces conclusions et sur le fait que le demandeur n'avait pas présenté de preuve crédible et digne de foi, le tribunal de la SSR a conclu que l'histoire du demandeur, quant aux principaux éléments de la revendication, n'était pas crédible. Par conséquent, le demandeur n'avait pas réussi à démontrer qu'il craignait avec raison d'être persécuté par la SSP et par la police au Pakistan.

[18]            Le demandeur affirme que la décision du tribunal de la SSR est principalement fondée sur des conclusions relatives au manque de crédibilité, lesquelles étaient de leur côté fondées sur des inférences qui n'étaient pas étayées par la preuve et avaient été faites en l'absence de quelque élément de preuve, ou encore étaient fondées sur des conclusions de fait erronées.

[19]            J'ai minutieusement examiné les arguments écrits des parties et le dossier certifié du tribunal ainsi que la preuve documentaire; je suis convaincu que le tribunal n'a pas commis d'erreur dans son appréciation générale de la crédibilité du demandeur et de la preuve que celui-ci a présentée.

[20]            Je note qu'à l'audience, le demandeur a amplement eu l'occasion de clarifier son histoire et d'expliquer les incohérences relevées dans son témoignage oral et dans son témoignage écrit. Toutefois, comme le montrent les motifs du tribunal et la transcription, le demandeur a uniquement ajouté à la nature incohérente de son témoignage. Sur ce point, le demandeur ne peut pas remettre vaguement en question la traduction des questions posées par le tribunal en vue de tenter de minimiser l'effet des réponses qu'il a données à l'audience. Dans ces conditions, je ne puis conclure au caractère déraisonnable de la conclusion que le tribunal a tirée sur ce point.

[21]            Je suis d'accord pour dire que la conclusion que le tribunal a tirée au sujet du comportement du demandeur était manifestement déraisonnable. De fait, si la position du tribunal était retenue, cela mènerait à la conclusion absurde selon laquelle une personne qui a vécu des événements traumatisants par le passé doit absolument manifester une certaine émotion en relatant ces événements, à défaut de quoi sa crédibilité pourrait être remise en question. Dans certains cas, cela pourrait constituer un facteur à prendre en compte pour apprécier la crédibilité d'une personne, mais il peut difficilement être soutenu que des cris ou un débordement d'émotions sont nécessaires pour qu'il soit possible de conclure qu'un revendicateur est crédible.


[22]            En l'espèce, le tribunal a indûment mis l'accent sur le fait que le demandeur ne s'est pas montré émotif en relatant les événements se rapportant au décès de son fils pour conclure qu'il ne croyait pas que le fils du demandeur avait été tué. Toutefois, le tribunal n'a fait aucun cas de la preuve documentaire précise pertinente étayant les allégations du demandeur. Il s'agissait du certificat de décès du fils du demandeur, du rapport postérieur au décès ainsi que d'un article publié dans un journal[1].

[23]            À mon avis, la preuve sur laquelle le demandeur s'est fondé ne remet pas en question le bien-fondé de la décision que le tribunal a rendue en se fondant sur une appréciation de la preuve documentaire. Le demandeur n'a signalé aucun document montrant que les services de police pakistanais font semblant de surveiller la SSP alors qu'en fait, ils coopèrent avec cette organisation. Un examen attentif de la preuve documentaire démontre plutôt que, depuis le coup militaire du mois d'octobre 1999, le gouvernement s'est efforcé de réprimer l'extrémisme religieux et que la police a accéléré les mesures de répression contre les membres de plusieurs groupes religieux extrémistes[2]. Toutefois, malgré l'interdiction gouvernementale dont sont frappés les groupes qui se livrent à des assassinats sectaires, la violence entre les groupes sunnites et chiites rivaux existe encore depuis 1999, de sorte qu'on peut se demander si le gouvernement est en mesure d'empêcher la violence sectaire et religieuse.


[24]            Dans ses motifs, le tribunal a mentionné plusieurs documents indiquant que la police prend réellement des mesures de répression contre les organisations radicales telles que la SSP. L'un de ces documents, intitulé [TRADUCTION] « Mise à jour sur le terrorisme, Pakistan : des dirigeants et travailleurs de la SSP sont arrêtés à Faislabad » , en date du 8 octobre 2000, indique que de nombreux activistes et dirigeants de la SSP ont été arrêtés pour avoir organisé un rassemblement religieux sans autorisation et pour avoir prononcé des discours incitant à la violence dans un bazar, à Faisalabad, le 6 octobre 2000[3]. À mon avis, le témoignage du demandeur selon lequel la police coopérait avec la SSP ou, du moins favorisait cette organisation, contredit entièrement ses propres allégations, à savoir que la police avait arrêté le principal dirigeant de la SSP qui aurait censément été responsable de la persécution dont le demandeur était victime et l'avait détenu pendant environ quatre mois. En outre, ce témoignage n'est pas étayé par la preuve documentaire.

[25]            À mon avis, le tribunal pouvait à bon droit se fonder sur la preuve documentaire plutôt que sur la preuve présentée par le demandeur et il n'était pas tenu de signaler expressément les éléments de la preuve documentaire sur lesquels il pouvait se fonder : Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.F.); Vassilieva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1323 (QL) (C.F. 1re inst.).


[26]            Si le tribunal conclut, comme il l'a ici fait, que la revendication d'un demandeur, y compris les faits précis dont il est fait mention dans certains documents personnels, n'est clairement pas crédible, il ne commet pas d'erreur en n'expliquant pas pourquoi il n'a pas accordé de valeur probante aux documents qui étayent censément les allégations jugées non crédibles : Hamid c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (QL) (C.F. 1re inst.); Songue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (QL) (C.F. 1re inst.); et Syed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 597 (QL) (C.F. 1re inst.). En outre, les documents personnels du demandeur, tout en étant pertinents pour ce qui est du décès de son fils, ne sont pas concluants en ce qui concerne les circonstances du décès et les auteurs du crime. À mon avis, ils n'influent pas sur le coeur de l'appréciation que le tribunal a effectuée au sujet de la revendication du demandeur.

[27]            Compte tenu des remarques qui précèdent, j'estime que la conclusion générale que le tribunal a tirée au sujet du manque de crédibilité de la revendication du demandeur est tout à fait raisonnable et ne justifie pas l'intervention de la Cour. Par conséquent, même s'il était reconnu que le tribunal a commis une erreur en ne croyant pas que le fils du demandeur avait été tué, le témoignage du demandeur renferme de nombreuses contradictions et de nombreuses incohérences, ce qui laisse planer un doute sérieux sur les circonstances dans lesquelles son fils a été tué et sur le fait que la police ne veut pas l'aider à trouver les auteurs du crime.

[28]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                   « P. Rouleau »            

                                                                                                                                                  JUGE                     

OTTAWA (Ontario)

Le 23 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-944-02

INTITULÉ :                                                               NAWAZ AHMAD

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 8 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                                            le 23 avril 2003

COMPARUTIONS:

Jean François Bertrand                                               POUR LE DEMANDEUR

Michel Synnott                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bertrand Deslauriers                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] Dossier du tribunal, pages 42, 50, 52 à 57.

[2] Dossier du demandeur, pages 41 et 42.

[3] Dossier du tribunal, page 86.

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