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Date : 20030127

Dossier : IMM-1-02

Référence neutre : 2003 CFPI 78

ENTRE :

                                                                                   

                                              PUSHPARAJAH KANAGASABAPATHY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

ET

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


  • [1]                 La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) d'une décision en date du 6 décembre 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision en question et renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué.
  • [2]                 Le demandeur, un Tamoul âgé de 52 ans et citoyen du Sri Lanka, est né, a résidé et a élevé sa famille à Trincomalee, dans la province de l'Est du Sri Lanka. Sa femme et ses deux enfants vivent au Canada depuis 1997, année où ils ont revendiqué avec succès le statut de réfugiés au sens de la Convention.
  
  • [3]                 Le demandeur affirme qu'en 1988, il a été arrêté et détenu pendant une semaine par le Front de libération du peuple de l'Eelam (le Front) qui le soupçonnait d'abriter des Tigres tamouls. En 1990, deux personnes de la parenté de sa femme ont été arrêtées par l'armée et on ignore toujours où elles se trouvent. Les Tigres ont extorqué de l'argent au demandeur et à sa femme en 1991 en raison de leur effort de guerre. Le demandeur avait terminé un contrat de travail de deux ans à Dubaï et était revenu à Trincomalee et il avait ouvert une épicerie. Sa femme a été détenue une fois par les Tigres, pendant quatre jours, et a été forcée à exécuter de durs travaux.
  • [4]                 En 1995, lorsque les Tigres ont attaqué les forces de sécurité, le demandeur et sa famille se sont enfuis de la maison à la recherche d'un lieu sûr. Les Tigres ont forcé le demandeur à creuser des abris fortifiés et ils ont ordonné à sa femme de leur fournir des repas.
  
  • [5]                 En novembre 1996, l'armée a arrêté le demandeur, l'a détenu pendant trois mois et l'a battu, car elle le soupçonnait d'avoir prêté main-forte aux Tigres. Sa femme a obtenu sa mise en liberté et, en février 1997, ils se sont rendus à Colombo avec leurs deux enfants, dans l'intention de quitter le Sri Lanka. Ils ont communiqué avec un agent à la maison de chambres où ils logaient. Deux jours après leur arrivée, le demandeur et sa femme ont été arrêtés par la police, qui les soupçonnait d'être des partisans des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les LTTE), et ils ont été détenus pendant cinq jours. Après avoir versé un pot-de-vin, le demandeur a été libéré à la condition qu'il se présente à la police chaque vendredi.
  • [6]                 En mars 1997, le demandeur et sa famille se sont réfugiés chez l'agent et, le 4 mars 1997, ils ont tenté de s'enfuir au Canada. Sa femme et ses enfants ont réussi à s'enfuir du Sri Lanka et ont présenté des revendications du statut de réfugié qui ont été accueillies. Quant au demandeur, il a été intercepté et interrogé à l'aéroport de Colombo, mais a été autorisé à prendre un vol ultérieur à destination de Singapour où lui et l'agent ont été détenus pendant dix jours avant d'être relâchés. Ils se sont ensuite rendus à Bangkok et en Chine où ils sont demeurés pendant 14 mois. En mai 1998, alors qu'il tentait de quitter Bangkok, le demandeur a été expulsé vers le Sri Lanka, ayant été trouvé en possession de faux documents.
  

  • [7]                 À son arrivée, le demandeur aurait été détenu à l'aéroport puis, pendant deux semaines, à Negombo, où il a été interrogé et brutalisé. L'agent a obtenu sa mise en liberté en versant un pot-de-vin et on a ordonné au demandeur de retourner à Trincomalee, ce qu'il a fait. Chaque fois que surgissait un problème entre les forces de sécurité et les Tigres, le demandeur était arrêté lors des rafles qui s'ensuivaient, emmené à des camps de fortune et agressé.
  • [8]                 Sa femme a tenté de le parrainer et il s'est présenté en 1999 pour une entrevue au Haut-Commissariat du Canada à Colombo, mais n'a jamais reçu de réponse ni obtenu de résultat de cette visite.
  
[9]                 En février 2000, à la suite d'un incident au cours duquel des militaires ont été tués, il a été emmené au camp militaire Fort, à Trincomalee, car on le soupçonnait d'avoir collaboré avec les Tigres. Pendant sa détention, qui a duré près d'un mois, il a été interrogé, battu et on lui a plongé la tête dans un seau d'eau. Après avoir versé un pot-de-vin et fait prendre ses empreintes digitales et sa photographie, il a été relâché à la condition qu'il se présente tous les deux jours au camp militaire. Les Tigres ont immédiatement menacé de l'assassiner s'il obtempérait, alors il s'en est abstenu. Il s'est rendu clandestinement à Trincomalee et, avec l'aide de l'agent, il a réussi à se rendre à Colombo sans problème. Ils ont passé une nuit à Colombo, puis l'agent a réussi à le faire sortir du pays.

  • [10]            Le demandeur est arrivé au Canada le 29 avril 2000 et il a revendiqué le statut de réfugié du fait des opinions politiques qui lui étaient imputées et de son appartenance à un groupe social, en l'occurrence les Tamouls provenant de l'Est du Sri Lanka. Il a identifié les forces de sécurité sri-lankaises, dont l'armée et la police, de même que les LTTE comme les agents de persécution qu'il craignait.
  • [11]            La revendication du statut de réfugié du demandeur a été entendue le 26 avril et le 28 août 2001. Le tribunal de la SSR a rejeté sa revendication au motif que le demandeur n'était pas crédible et qu'il « n'a tout simplement pas pu mettre les choses au clair » . Le tribunal a fondé sa conclusion sur les nombreuses incohérences et contradictions qu'il avait relevées dans le témoignage du demandeur, de même que dans sa preuve écrite et l'entrevue concernant la demande de parrainage, en ce qui concerne tous les aspects de sa revendication. Il serait trop long d'essayer de résumer toutes les inférences et conclusions tirées par le tribunal, que celui-ci a exposées en détail dans sa décision de 27 pages. Voici donc les conclusions les plus importantes que le tribunal a tirées.
  
  • [12]            Premièrement, le demandeur s'est présenté au Haut-Commissariat du Canada le 25 mars 1999 pour une entrevue. Il a expliqué que sa femme était prestataire d'aide sociale et qu'il n'avait vu ni sa femme ni ses enfants depuis 1994. Pourtant, sa femme affirmait avoir vécu au Sri Lanka entre 1994 et 1997. De plus, le demandeur affirmait dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il avait aidé sa femme et ses enfants à quitter le Sri Lanka en 1997. Interrogé à l'audience, le demandeur n'a pas été en mesure de fournir d'explications satisfaisantes au sujet de cette contradiction.
  • [13]            Lors de son entrevue sur le statut de réfugié, dans le but d'expliquer les contradictions relevées entre ses déclarations à son entrevue au Haut-Commisariat et son témoignage lors de l'audience relative à sa revendication du statut de réfugié, le demandeur a affirmé qu'il ne parlait pas l'anglais, mais qu'il pouvait parler l'anglais dans la mesure où l'interlocuteur se limitait à lui demander son nom. Toutefois, dans sa demande de résidence permanente, il avait indiqué qu'il parlait couramment l'anglais, alors qu'à l'entrevue, il avait affirmé qu'il parlait l'anglais. À l'audience, il a d'abord dit qu'il n'avait pas répondu aux questions que lui avait posées l'agent des visas à Colombo et, lorsque son propre avocat lui a signalé qu'il avait bel et bien répondu à certaines questions, le demandeur s'est borné à dire qu'il avait seulement répondu aux questions qu'il avait comprises. Il a ajouté que des connaissances qui avaient déjà passé une telle entrevue l'avaient informé que la personne menant l'entrevue essayerait de déterminer « s'il était réellement marié » avec la répondante. Le tribunal a rejeté ces explications et a fait remarquer que le demandeur avait lui-même utilisé des expressions anglaises familières et que ses réponses aux questions étaient tout à fait pertinentes, indépendamment de leur degré de véracité.
  

  • [14]            Par ailleurs, en réponse aux questions du représentant du ministre, le demandeur a déclaré que, même si on lui avait proposé d'être accompagné d'un interprète, il n'en avait rien fait parce que des amis et des parents expérimentés en la matière lui avaient dit qu'il n'obtiendrait un visa que s'il s'adressait à ces personnes en anglais. Lorsque le tribunal lui a demandé s'il croyait qu'il était raisonnable de penser que le Haut-Commissariat lui offrirait la possibilité d'avoir un interprète, mais lui refuserait son visa s'il en avait un, il n'a pas répondu à la question, se contentant de dire qu'il voulait quitter le pays à tout prix et par tous les moyens et que cela pouvait expliquer les divergences constatées dans sa demande de visa, son témoignage de vive voix et son FRP.
  • [15]            Dans son formulaire de demande, le demandeur a affirmé à deux reprises que les renseignements fournis étaient [TRADUCTION] « véridiques, complets et exacts » . À l'audience, en réponse à la question : [TRADUCTION] « Avez-vous dit la vérité lorsque vous avez rempli votre formulaire de demande de visa d'immigrant » , il a répondu : [TRADUCTION] « Autant que je sache, j'ai dit la vérité » . Toutefois, lorsqu'on lui a rappelé les contradictions relevées au sujet de ses études, sa détention et sa facilité à s'exprimer en anglais, il a déclaré : [TRADUCTION] « Je pensais qu'autant que je sache, les renseignements étaient suffisants [...] »
  

  • [16]            Au cours de l'entrevue qui s'est déroulée au Haut-Commissariat, lorsqu'on lui a demandé pourquoi il était parti de son plein gré de Dubaï, le demandeur a répondu qu'après l'expiration de son contrat de travail de deux ans, il avait demandé une augmentation de salaire qui lui avait été refusée, et que, comme il ne faisait pas assez d'argent, il était revenu au Sri Lanka. Dans le témoignage qu'il a donné lors de l'audience portant sur son statut de réfugié, le demandeur a affirmé que sa compagnie lui avait dit de retourner au Sri Lanka. Il a ajouté qu'il avait « pensé aller dans un autre pays, mais qu'il n'avait pas assez de temps pour faire des démarches à cette fin et n'a eu d'autre choix que de retourner au Sri Lanka » . Lorsque le tribunal lui a demandé pourquoi il n'avait pas donné cette réponse au Haut-Commissariat, il a éludé la question en disant qu'il n'avait pas prévu se faire interroger à ce sujet.
  • [17]            Le demandeur a expliqué que le frère de sa femme avait été arrêté par la police en 1997 alors que dans son FRP, il déclarait que son beau-frère avait été arrêté le 16 juillet 1990. Confronté à cette contradiction, le demandeur a répondu que l'incident avait dû se produire en 1996. Il n'a pas pu fournir d'explications satisfaisantes pour expliquer les contradictions de son témoignage. De plus, lorsque le tribunal lui a demandé à quel moment il avait finalement quitté le Sri Lanka, il a d'abord dit que c'était en 1999, puis en avril 2001. Invité à expliquer ces contradictions, il a dit que parfois il arrivait à se souvenir des dates, mais qu'il était très nerveux au cours de la précédente séance, ce qui expliquait pourquoi il pensait que son beau-frère avait été arrêté en 1997 ou en 1996. Le tribunal a estimé insatisfaisante son explication.
  

  • [18]            Le demandeur a obtenu un passeport en septembre 1998 à Colombo. Il a d'abord témoigné qu'il ne pouvait se rappeler combien de temps il était resté à Colombo pour obtenir le formulaire de demande, seulement qu'il avait habité chez une personne qu'il connaissait du temps où il vivait dans sa région d'origine. Il a dit qu'il ne s'était pas enregistré à la police parce que ce n'était pas vraiment une exigence légale et que l'enregistrement était nécessaire seulement si la personne y séjournait plus d'une semaine. Lorsque le tribunal lui a fait remarquer que, selon la preuve documentaire, il était obligatoire en 1998 pour les Tamouls venant à Colombo du nord et de l'est de s'enregistrer immédiatement, le demandeur a répondu que cela dépendait de la situation qui régnait et que c'était l'ami chez qui il habitait qui lui avait dit cela. Le tribunal a estimé peu plausible que le demandeur ait pu se trouver à Colombo à au moins deux reprises sans s'enregistrer à la police et, après avoir communiqué avec la police, qu'il n'ait pas été invité à présenter son enregistrement de séjour à Colombo ni n'ait eu d'autres problèmes avec les policiers.
  • [19]            Les exemples précités ne sont que quelques-unes des contradictions, incohérences, invraisemblances et explications évasives ou trompeuses présentées par le demandeur. Comme il avait conclu que le demandeur manquait généralement de crédibilité, le tribunal a appliqué cette conclusion à tous les aspects principaux de sa revendication. Le tribunal a conclu que le demandeur n'avait fourni aucune preuve convaincante ou crédible sur laquelle il aurait pu se fonder pour conclure que l'un ou l'autre des belligérants au Sri Lanka avait intérêt à persécuter le demandeur.
  
  • [20]            Tout en déclarant qu'il n'était pas tenu de le faire, le tribunal a poursuivi en concluant, sur le fondement de la preuve documentaire, que le demandeur ne correspondait pas au profil des personnes les plus à risque au Sri Lanka. Étant un Tamoul âgé de 52 ans, le demandeur ne faisait pas partie du groupe le plus à risque. Le tribunal a fait remarquer qu'il ressortait de la preuve documentaire que les jeunes hommes tamouls originaires du nord ou de l'est du pays étaient ceux qui risquaient le plus d'être ciblés par les forces de sécurité.
  • [21]            Les questions en litige dans la présente demande peuvent se résumer de la façon suivante :
  

1)                    Le tribunal de la SSR a-t-il commis une erreur en concluant que la preuve du demandeur n'était pas crédible ou digne de foi?

2)                    Le tribunal de la SSR a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve pour se prononcer sur le fondement objectif de la crainte du demandeur?

3)                    Le tribunal de la SSR a-t-il commis une erreur en ne tirant pas de conclusions appropriées sur la question de la persécution, plus particulièrement en ne tenant pas compte des principes posés par notre Cour conjointement avec les lignes directrices données par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) pour se prononcer sur la crainte de persécution des civils non combattants dans des situations de guerre civile?


  • [22]            Tant que le statut de réfugié au sens de la Convention ne lui a pas été reconnu au sens de l'article 2 de la Loi, c'est au revendicateur qu'il incombe d'établir par des preuves claires et convaincantes le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en l'espèce repose sur la prémisse que le tribunal de la SSR aurait dû considérer que son témoignage était crédible parce que ses déclarations ne renfermaient aucune contradiction ou invraisemblance interne « significative » .
  • [23]            L'appréciation de la crédibilité du revendicateur constitue un aspect essentiel de la fonction juridictionnelle de la SSR. Elle ne serait pas en mesure de s'acquitter de cette tâche à l'audience si elle ne pouvait apprécier la crédibilité du témoignage du revendicateur et tirer des conclusions défavorables à ce sujet en se fondant sur les contradictions et les incohérences de la version donnée par le revendicateur ou sur le fait que son témoignage est tout simplement invraisemblable. Ainsi, lorsque la SSR tire de telles conclusions défavorables et qu'elle les motive de façon non ambiguë, notre Cour ne doit pas intervenir, même si l'on peut concevoir que la preuve aurait pu conduire à une conclusion différente, à moins que la SSR n'ait commis une erreur flagrante (Lin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 263 (QL) (C.F. 1re inst.); Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (QL) (C.A.F.)).
  

  • [24]            De plus, pour que l'erreur de fait reprochée donne ouverture au contrôle judiciaire, la conclusion de fait du tribunal doit être véritablement erronée, la conclusion doit être arbitraire ou ne pas tenir compte des éléments de preuve présentés et, finalement, la décision doit se fonder sur la conclusion erronée (Rohm and Haas Can. Ltd. c. Tribunal antidumping, (1978), 91 D.L.R. (3d) 212 (C.A.F.); Kuang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1157 (QL) (C.F. 1re inst.)). Ayant examiné l'ensemble de la preuve, les prétentions des parties et le dossier certifié du tribunal, je suis convaincu qu'aucune de ces trois conditions n'est respectée en l'espèce. En fait, bien que certaines des conclusions de fait tirées par le tribunal puissent être contestables, il n'en demeure pas moins qu'il lui était raisonnablement loisible, au vu du dossier, de tirer bon nombre de ses autres conclusions qui, dans l'ensemble, pouvaient justifier son évaluation négative de la crédibilité.
  • [25]            Le demandeur soutient que la SSR a « fabriqué » des preuves en concluant qu'il s'était contredit en déclarant d'abord que c'était sa femme qui avait dactylographié son formulaire de demande de visa pour ensuite affirmer que le formulaire avait été dactylographié par une connaissance. C'est une allégation très sérieuse. Voici les extraits de la transcription de l'audience qui nous intéressent (dossier certifié du tribunal, aux pages 325 et 326) :
  

[TRADUCTION]

L'AVOCAT :                           Avez-vous dactylographié ce formulaire vous-même?

LE REVENDICATEUR :       Non. C'est quelqu'un d'autre.

L'AVOCAT :                           Savez-vous qui?

LE REVENDICATEUR :        C'est ma femme.

L'AVOCAT :                           Pardon. C'est votre femme qui l'a dactylographié?

LE REVENDICATEUR :        Non, c'est la mienne.

L'AVOCAT :                           (inaudible) Savez-vous qui l'a dactylographié?

LE REVENDICATEUR :        C'est une de mes connaissances qui l'a dactylographié pour moi.

  

[26]       Mon interprétation de la transcription n'appuie pas l'argument du demandeur. Les réponses du demandeur ( « C'est ma femme... Non, c'est la mienne » ) montrent qu'il est tout à fait possible qu'il ait effectivement pensé que l'avocat lui demandait de quelle demande de visa il parlait, bien qu'il y ait beaucoup de confusion sur ce point. Bien que le tribunal ait pu mal comprendre ce que le demandeur voulait effectivement dire lorsqu'il a répondu, je crois que cette erreur a été faite en toute bonne foi. On ne doit pas accuser à la légère le tribunal d'avoir « fabriqué » des preuves en l'absence d'indication claire en ce sens.

[27]       Le demandeur soutient par ailleurs que la SSR a commis une erreur en analysant les notes prises à Colombo et en ne tenant pas compte de son témoignage. Il vaut la peine de signaler que le demandeur a admis que les déclarations qu'il avait faites lors de son entrevue au Haut-Commissariat n'étaient pas entièrement véridiques. Aucune objection n'a été formulée au sujet de l'admissibilité des notes de l'agent des visas à l'audience sur le statut de réfugié et de toute façon, la SSR n'est assujettie à aucune règle de preuve stricte. Certes, on ne saurait reprocher au tribunal du SSR de s'en être remis aux notes de l'agent des visas pour illustrer les contradictions et les invraisemblances qu'il avait relevées entre le témoignage donné par le demandeur à l'audience et son témoignage lors de son entrevue sur la demande de parrainage (Jumriany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 683 (QL) (C.F. 1re inst.)). Le fait que le demandeur ait lui-même reconnu l'existence de contradictions n'empêchait pas la SSR de contester sa crédibilité et de fonder sa décision sur l'ensemble de la preuve administrée.


[28]       D'ailleurs, la décision du tribunal de contester la crédibilité du demandeur en ce qui concerne tous les aspects de sa revendication était appuyée par pas moins de dix autres conclusions au sujet de la crédibilité. Le tribunal a en effet fait remarquer que, dans ses rapports avec les autorités canadiennes de l'immigration, le demandeur avait présenté des éléments de preuve contradictoires au sujet de la dernière fois qu'il avait vu sa femme et ses enfants et au sujet de sa capacité de parler l'anglais. Il avait également présenté des éléments de preuve contradictoires au sujet de son départ de Dubaï, de la date de l'arrestation de son beau-frère, de ses présumées détentions, de son départ du Sri Lanka et de son séjour à Colombo. De plus, le tribunal a conclu que les déclarations du demandeur au sujet des conditions d'enregistrement à Colombo contredisaient la preuve documentaire, que son témoignage au sujet des présumées conditions de sa remise en liberté l'obligeant à se présenter aux autorités était incohérent et que le témoignage qu'il avait donné au sujet de ses études était contradictoire. Aucune de ces conclusions que la SSR a tirées au sujet de la crédibilité n'ont été sérieusement contestées, si tant est qu'elle ont été attaquées.

[29]       Malheureusement, je ne partage pas l'opinion du demandeur lorsqu'il affirme que le tribunal s'est attardé à des détails insignifiants de son témoignage pour pouvoir le discréditer. Dans sa décision, le tribunal a reconnu que le demandeur avait peut-être fait quelques erreurs à cause de la nervosité, mais il importe surtout de noter que, malgré cette nervosité, le tribunal n'a tout simplement pas cru le demandeur. À mon avis, les conclusions du tribunal satisfont aux exigences posées dans les arrêts Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) et Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.) en identifiant clairement les aspects du témoignage du demandeur qui étaient incompatibles et en appuyant ses conclusions par des exemples tirés de la preuve. Contrairement à la situation en cause dans l'affaire Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1431 (QL) (C.F. 1re inst.), je ne suis pas convaincu qu'en relevant des failles ou des défauts dans la preuve, le tribunal a fait preuve de zèle au point de commettre une erreur de droit ou de fait justifiant l'intervention de notre Cour.


[30]       Le tribunal de la SSR a conclu que le manque de crédibilité du demandeur ressortait de tout le récit qu'il a donné et je suis convaincu que le dossier justifiait amplement cette conclusion. Il est de jurisprudence constante que la manque de crédibilité du revendicateur peut, compte tenu des aspects essentiels de son récit, donner lieu à une conclusion générale qu'il n'existe pas d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui appuient sa revendication : Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244 (C.A.F.); Songue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (QL) (C.F. 1re inst.)).

[31]       En ce qui concerne l'argument du demandeur suivant lequel le tribunal n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve documentaire sur la situation du respect des droits de la personne au Sri Lanka pour justifier sa conclusion au sujet de l'absence de fondement objectif de la crainte du demandeur, je suis d'avis que, dans la mesure où le témoignage du demandeur a de façon générale été jugé non crédible, une telle évaluation n'est même pas nécessaire (Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1568 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 4; Ockana-Owani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1490 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 5)).

[32]       Compte tenu de ma décision sur la première question soulevée dans la présente demande, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres points litigieux.

[33]       En conséquence, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

« P. Rouleau »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 27 janvier 2003

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                     IMM-1-02

  

INTITULÉ :                                    PUSHPARAJAH KANAGASABAPATHY c. MCI

  

DATE DE L'AUDIENCE :          le 12 décembre 2002

  

LIEU DE L'AUDIENCE :            Toronto (Ontario)

   

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE ROULEAU

  

DATE DES MOTIFS :                  le 27 janvier 2003

   

COMPARUTIONS :

Me Kumar Sriskanda                                                                     pour le demandeur        

Me Deborah Drukarsh                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kumar Sriskanda                                                                     pour le demandeur

Avocat et procureur

3852, avenue Finch Est, bureau 209

Scarborough (Ontario) M1T 3T9

                                   

Tél. : (416) 321-9739

Fax : (416) 321-9651

Ministère de la Justice                                                        pour le défendeur                          

130, rue King Ouest, bureau 3400

C.P. 36

Toronto (Ontario)    MX5 1K6

Tél. : (416) 952-7262           


Date : 20030127

Dossier : IMM-1-02

OTTAWA (Ontario), le 27 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                                                                   

                                              PUSHPARAJAH KANAGASABAPATHY

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

ET

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

  

[1]                 La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

« P. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

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