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Date : 20031031

Dossier : IMM-5117-02

Référence : 2003 CF 1272

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER                               

ENTRE :

                                                          MARTIN CORONADO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Martin Coronado est un citoyen mexicain âgé de 26 ans. Son père, sa mère et son seul frère ont immigré au Canada en tant que résidents permanents en septembre 2001. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre a refusé de le relever de l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant pour des motifs d'ordre humanitaire [paragraphe 25(1)] de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


Les faits

[2]                M. Coronado n'a pas obtenu le statut de résident permanent comme les autres membres de sa famille parce que, lorsque sa demande a été étudiée en même temps que celle de son père, il a été constaté qu'il ne répondait pas à la définition de « personne à charge » , car il avait interrompu ses études quelques mois avant son entrevue avec l'agent d'immigration chargé d'examiner la demande de la famille.

[3]                Lors de son entrevue, qui a eu lieu en juin 2001, son père a été avisé par l'agent en question qu'il était possible que son fils Martin puisse suivre la famille au Canada muni d'un visa d'étudiant. L'agent a toutefois expliqué que, dans cette hypothèse, le demandeur serait obligé de retourner au Mexique après ses études.

[4]                M. Coronado a suivi ce conseil et a présenté une demande de visa d'étudiant à l'ambassade du Canada au Mexique. Malgré le fait qu'il avait été admis comme étudiant à temps plein en histoire à l'université Carleton d'Ottawa, sa demande a été refusée le 21 novembre 2001 parce qu'il a été constaté qu'il n'avait pas suffisamment de liens avec le Mexique pour garantir qu'il y retournerait après avoir obtenu son diplôme. Il a été informé de ce refus environ deux mois après que les autres membres de sa famille furent partis pour le Canada.

[5]                Les décisions prises au sujet de sa demande de résidence permanente et de son visa d'étudiant n'ont pas été contestées.

[6]                Le 22 novembre 2001, Martin Coronado est venu au Canada comme visiteur. Ce statut l'autorisait à séjourner au Canada jusqu'au 22 mai 2002. Le 18 février 2002, il a réclamé la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la Loi. Sa demande a été rejetée à la suite de l'entrevue à laquelle il a été reçu le 9 septembre 2002.

[7]                Dans les motifs joints à sa lettre du 17 septembre 2002, l'agent d'immigration reconnaît que, sauf pour une période d'environ trois mois pendant laquelle il avait étudié en Allemagne, M. Coronado avait passé toute sa vie avec sa famille et qu'il dépendait financièrement de son père dans une large mesure. Il reconnaît aussi que la principale raison pour laquelle M. Coronado avait demandé une dispense était qu'il voulait réaliser le rêve que les membres de sa famille avaient caressé toute leur vie de vivre à l'étranger.

[8]                Pour apprécier la demande de M. Coronado, l'agent d'immigration se concentre de toute évidence sur la question de savoir s'il s'exposerait à des difficultés inhabituelles ou injustifiées s'il devait poursuivre sa vie d'adulte dans un autre pays que celui où réside sa famille. Pour ce faire, l'agent tient compte des mêmes critères que ceux dont on se sert pour évaluer l'intérêt supérieur de l'enfant (bien que ces critères ne s'appliquent pas strictement au demandeur).

[9]                L'agent d'immigration examine notamment l'âge de M. Coronado, comment il a par le passé subvenu à ses propres besoins, la nature de ses emplois antérieurs, son aptitude à parler plusieurs langues, sa capacité de retourner au Mexique en raison de sa citoyenneté mexicaine, ses liens avec la population canadienne et mexicaine, la situation au Mexique, ses possibilités d'y faire des études et le fait que, compte tenu de son âge et de sa bonne santé, il n'a pas besoin de quelqu'un pour s'occuper de lui.

[10]            Au sujet du rêve des membres de la famille de vivre ensemble au Canada, l'agent d'immigration rappelle que, lorsque les membres de sa famille sont venus s'installer au Canada, ils étaient conscients du fait que leur fils Martin n'y serait admis qu'en tant qu'étudiant.

[11]            Il estime aussi qu'en date du 21 novembre 2001, M. Coronado et les membres de sa famille savaient qu'il ne serait pas possible pour lui d'étudier au Canada et il relève qu'aucun élément de preuve ne permettait de penser que la famille avait envisagé la possibilité de s'établir dans un autre pays ou de rentrer au Mexique pour vivre avec leur fils. Il se penche ensuite sur la question des difficultés économiques auxquelles serait exposé le père de M. Coronado (qui est depuis devenu un résident permanent canadien) s'il devait payer les études de son fils au Mexique plutôt qu'au Canada. À l'aide des pièces produites par M. Coronado à l'entrevue, et notamment des relevés bancaires et des états financiers de son père en date du 31 août 2002, il se déclare convaincu que la famille possède des ressources financières suffisantes et que le demandeur n'éprouverait pas des difficultés financières inhabituelles.


[12]            L'agent d'immigration déclare également ce qui suit :

[TRADUCTION] Je constate qu'il est attaché à sa famille étant donné qu'il a toujours vécu avec elle et qu'il serait plus facile pour lui de continuer sa vie d'adulte avec leur aide. J'ai tenu compte du degré de dépendance de M. Coronado envers ses parents, Francisco Javier Coronado et Concepcion Vargas.

Questions en litige

[13]            M. Coronado affirme que l'agent d'immigration a enfreint les principes de justice naturelle et d'équité procédurale : i) en ne donnant pas à son père la possibilité de se faire entendre; ii) en ne mettant pas à jour les renseignements financiers versés au dossier et en ne vérifiant pas directement auprès de ses parents les véritables répercussions financières de son éventuel retour au Mexique.

[14]            M. Coronado soutient par ailleurs que l'agent d'immigration a ignoré et mal interprété les éléments de preuve dont il disposait et qu'il a méconnu le fait que la réunion des familles constitue un des principaux objectifs expressément énumérés dans la Loi. De surcroît, l'agent n'a pas tenu compte des difficultés émotives et psychologiques importantes que les membres de sa famille subiraient s'il devait retourner au Mexique.


Analyse

Norme de contrôle

[15]            Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle qui s'applique aux décisions des agents d'immigration fondées sur des raisons d'ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable simpliciter (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 43 (en ligne QL), aux paragraphes 11 et 12, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (en ligne QL), aux paragraphes 62 et 63, Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1125 (en ligne QL) et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] A.C.S. no 17 (en ligne QL), aux paragraphes 47 et 55).

[16]            La Cour examine aussi la décision pour s'assurer qu'elle n'est pas entachée d'une erreur de droit ou que l'agent n'a pas enfreint les principes de justice naturelle et d'équité procédurale. En pareil cas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[17]            L'obligation d'agir avec équité exige que l'on accorde la possibilité de faire valoir son point de vue à toute personne dont les droits sont touchés de façon importante par la décision.

[18]            Faut-il en conclure, comme le soutient M. Coronado, que l'agent était tenu d'accorder à ses parents la possibilité de se faire entendre dans le cadre d'une entrevue? Je ne le crois pas.


[19]            Il est acquis aux débats que le père et la mère de M. Coronado savaient qu'ils pouvaient faire valoir leur point de vue par écrit. Ce droit est expliqué dans le chapitre du Guide de l'immigration intitulé « Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires » (IP-5), un document que le demandeur cite explicitement dans son mémoire :

Les demandeurs adultes peuvent présenter des observations faites par des membres de leur famille ou en leur nom pour exposer leurs vues

[20]            M. Coronado et les membres de sa famille étaient représentés par un avocat et, en fait, le père de M. Coronado a exercé ce droit lorsqu'il a écrit le 27 janvier 2002 une lettre appuyant la demande de son fils. Dans sa lettre, le père de M. Coronado n'insiste pas sur les difficultés émotives ou psychologiques qu'entraînerait un refus et il ne laisse pas entendre qu'il ne lui serait pas possible de subvenir aux besoins de son fils si ce dernier devait retourner au Mexique.

[21]            La Cour relève également que le demandeur a présenté les états financiers de son père pour la période se terminant le 31 août 2002 (c'est-à-dire à peine quelques jours avant son entrevue du 9 septembre 2002) et qu'il n'a pas informé l'agent d'immigration que la situation financière de son père était sur le point de changer sensiblement au cours des mois suivants. Dans sa lettre de janvier, le père de M. Coronado avait mentionné que sa maison était louée mais qu'elle devait être vendue sous peu. À l'entrevue, M. Coronado a confirmé à l'agent d'immigration que la maison qui se trouvait au Mexique était louée.


[22]            Finalement, le père et la mère de M. Coronado accompagnaient effectivement ce dernier lors de l'entrevue du 9 septembre 2002 et, lorsqu'on leur a demandé d'attendre dans le couloir, ils n'ont jamais sollicité d'entrevue personnelle.

[23]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), _1999_ 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (en ligne QL), le juge L'Heureux-Dubé déclare ce qui suit, au paragraphe 34 :

En l'espèce, l'appelante a eu la possibilité d'exposer par écrit, par l'entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d'elle, et de présenter à l'appui de sa demande des [...] documents [...] Compte tenu de tous les facteurs pertinents pour évaluer le contenu de l'obligation d'équité, le fait qu'il n'y a pas eu d'audience ni d'avis d'audience [page 844] ne constituait pas, selon moi, un manquement à l'obligation d'équité procédurale envers Mme Baker dans les circonstances, particulièrement en raison du fait que plusieurs des facteurs militaient en faveur d'une norme plus souple. La possibilité qui a été offerte à l'appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l'obligation d'équité en l'espèce.

[24]            Notre Cour a rappelé que l'agent d'immigration saisi d'une demande fondée sur des considérations humanitaires n'est pas tenu de recevoir le demandeur en entrevue (voir le jugement Carreiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 342, [2002] A.C.F. no 449 (en ligne QL).

[25]            Tout comme dans l'affaire Carreiro, précitée, l'agent d'immigration ne s'est fondé sur aucun élément de preuve extrinsèque pour en arriver à sa décision. Il s'en est tenu aux éléments de preuve présentés par le demandeur et par son père.

[26]            Dans ces conditions, il n'existe selon moi aucune raison qui justifierait l'imposition d'une obligation plus stricte que celle qui a été jugée satisfaisante dans les décisions Baker et Carreiro, précitées. Il aurait été bienveillant de la part de l'agent d'immigration de rencontrer le père et la mère qui étaient de toute évidence disponibles le 9 septembre 2002, mais son défaut de le faire ne constitue pas une erreur qui justifierait l'infirmation de sa décision.

[27]            Je suis convaincue qu'il n'était pas nécessaire de mettre à jour les renseignements financiers fournis par M. Coronado à son entrevue. Les pièces ne portaient pas de date et on n'a pas signalé à l'agent que la situation financière risquait de changer radicalement au cours des prochains mois.

[28]            Je ne suis pas convaincue que l'agent d'immigration a mal interprété la preuve ou qu'il a accordé une importance exagérée à l'âge de M. Coronado pour conclure qu'il ne subirait pas de difficultés inhabituelles. L'agent a de toute évidence tenu compte de nombreux autres facteurs que son âge (voir le paragraphe 9). Il a également tenu compte de l'attachement émotif de M. Coronado à sa famille.

[29]            Je conviens que l'agent doit aussi être sensible et attentif aux intérêts des parents de M. Coronado et j'estime qu'il en était conscient en l'espèce.

[30]            L'agent s'est interrogé sur les incidences financières de sa décision sur la famille, ainsi que sur le seul autre aspect soulevé par M. Coronado, en l'occurrence les répercussions que son retour au Mexique aurait sur le rêve que caressaient les membres de la famille de vivre ensemble au Canada. Il a apprécié ces facteurs à la lumière des autres éléments d'information dont il disposait, notamment le fait que ce n'était que récemment que les membres de cette famille avaient immigré au Canada et qu'à leur arrivée, ils étaient conscients du fait que M. Coronado ne pourrait pas les suivre. Il convient toutefois de signaler que la décision de l'agent d'immigration ne signifie pas que M. Coronado ne pourra jamais rejoindre sa famille au Canada.

[31]            L'agent n'était pas tenu de mentionner explicitement le concept de la réunion des familles dans sa décision. Je ne suis d'ailleurs pas convaincue qu'il n'en a pas tenu compte.

[32]            La Cour ne peut réévaluer ces facteurs et substituer sa propre opinion à celle de l'agent, vu que celui-ci n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention.

[33]            M. Coronado a proposé la question suivante à certifier :


Lorsqu'un agent d'immigration estime qu'un facteur ou une question déterminée (par exemple, la situation financière du père de M. Coronado), influencera sensiblement sa décision, a-t-il l'obligation de s'assurer que les renseignements contenus au dossier sont à jour à cet égard?

[34]            Ainsi que je l'ai déjà dit, cette question ne permettrait pas de trancher l'appel en l'espèce. En tout état de cause, cette question est beaucoup axée sur les faits et elle n'est pas une question d'intérêt général.

[35]            La Cour estime que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question d'intérêt général n'est certifiée.

            « Johanne Gauthier »            

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5117-02

INTITULÉ :                                       Martin Coronado c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 14 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                     LE 31 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Me Pierre Bourget                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Catherine Lawrence                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Pierre Bourget                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Bourget & Bourget

Avocats

177, rue Gamelin

Hull (Québec) J8Y 1W1

Ministère la Justice - Section du contentieux civil                       POUR LE DÉFENDEUR

284, rue Wellington

Ottawa (Ontario) K1A OH8

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