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Date : 20030606

Dossier : IMM-3904-02

Référence : 2003 CFPI 714

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), LE VENDREDI 6 JUIN 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                                        JUN YAN FU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire est déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et elle porte sur une décision de l'agent des visas Larry Penn de l'Ambassade du Canada à Beijing, République populaire de Chine [l'agent des visas]. Cette décision, datée du 12 juin 2002, a été transmise à Jun Yan Fu [le demandeur] le 2 juillet 2002, et elle rejetait la demande de visa de résident permanent présentée par ce dernier.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 5 janvier 1965 dans la ville de Nanjing, province de Jiangsu, République populaire de Chine.

[3]                 En avril 2000, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en vertu de la Classification nationale des professions en tant que de programmeur [CNP 2163.0].

[4]                 À la requête du demandeur, sa demande a été transférée du consulat général à Hong Kong à l'ambassade à Beijing en mars 2001.

[5]                 Dans sa demande, le demandeur indiquait qu'il parlait « correctement » l'anglais et qu'il le lisait et l'écrivait « couramment » .

[6]                 Le 9 mai 2000, la demande a été appréciée de façon préliminaire par un employé du ministère Citoyenneté et Immigration Canada [MCIC]. Ce fondant sur cette sélection administrative, l'employé du MCIC a conclu que le demandeur pourrait recevoir 70 points d'appréciation, savoir le nombre de points requis pour obtenir un visa d'immigrant en vertu de la Loi sur l'immigration [la Loi] (c'est cette loi qui a été utilisée par l'agent des visas) et du Règlement sur l'immigration [le Règlement].


[7]                 Suite à cette évaluation provisoire, le MCIC a suggéré au demandeur de se présenter à l'examen de l'International English Language Testing System [IELTS], qui est administré de façon indépendante par le British Council, afin de confirmer sa propre appréciation de ses connaissances linguistiques.

[8]                 La pratique courante du MCIC est d'informer les demandeurs à qui on suggère l'examen IELTS que le traitement de leur demande pourrait être facilité au vu de leurs résultats, mais qu'ils n'avaient pas l'obligation de s'y présenter ou d'en transmettre les résultats.

[9]                 Vers janvier 2001, le MCIC a reçu les résultats de l'examen IELTS du demandeur. Ces résultats sont exprimés sur une échelle de 0 à 9. Les résultats du demandeur étaient les suivants : 4,5 pour l'écoute; 4,5 pour la lecture; 4 pour l'écriture; et 3 pour l'expression orale. Son résultat global était de 4,0. En vertu de l'annexe I du Règlement, ces résultats correspondent à « difficilement » pour la lecture et l'écriture, et à « pas du tout » pour l'expression orale.

[10]            Le MCIC a déterminé qu'une entrevue de sélection était nécessaire pour apprécier la demande.


[11]            Le 10 juin 2002, après avoir terminé un examen de lecture en anglais, le demandeur a poursuivi son entrevue avec une agente de l'immigration, Mme Olga Proleeva. Mme Proleeva n'était pas une agente désignée et elle n'était pas autorisée à rejeter une demande de visa. Par conséquent, lorsque Mme Proleeva a constaté que le demandeur pourrait ne pas recevoir assez de points d'appréciation pour obtenir un visa, elle a quitté la salle d'entrevue avec l'interprète et elle s'est adressée à l'agent des visas pour lui exposer ses conclusions provisoires.

[12]            Après avoir examiné les notes prises par Mme Proleeva lors de l'entrevue et en avoir discuté avec elle, l'agent des visas a interviewé le demandeur avec l'aide de l'interprète.

[13]            Comme les parties semblent ne pas être d'accord quant aux détails de l'entrevue, il est important de résumer leurs différences.

[14]            Dans son affidavit, le demandeur soutient qu'au cours de l'entrevue, l'agent des visas semblait examiner son dossier et qu'il lui a dit qu'il ne pouvait obtenir plus de deux points pour sa connaissance de l'anglais et qu'il n'avait pas suffisamment de points pour se qualifier. Il a ajouté qu'il devrait améliorer ses compétences en anglais et présenter une nouvelle demande. Le demandeur ne se souvient pas que Mme Proleeva ou l'agent des visas lui aurait communiqué leurs préoccupations au sujet de sa demande.


[15]            L'agent des visas soutient qu'il a apprécié le demandeur au vu des facteurs précisés à l'annexe I du Règlement et qu'il a dit au demandeur que s'il l'interviewait après l'entrevue initiale avec Mme Proleeva, c'est qu'il avait des préoccupations au sujet de sa demande et des réponses qu'il avait données aux questions. L'agent des visas soutient notamment qu'il a dit au demandeur qu'il avait des préoccupations au sujet de ses connaissances linguistiques et du facteur personnalité.

[16]            L'agent des visas soutient que c'est pour lui une pratique courante que de présenter ses préoccupations aux demandeurs au cours des entrevues, afin de leur donner l'occasion de réagir à ses préoccupations et de lui présenter des renseignements additionnels.

[17]            De plus, les parties ne sont pas d'accord quant à la durée de l'entrevue. Dans leurs affidavits respectifs, le demandeur soutient qu'elle n'a duré que quelques minutes alors que l'agent des visas soutient qu'elle a duré au moins de 10 à 15 minutes.

[18]            Le 12 juin 2002, l'agent des visas a envoyé une lettre de refus au demandeur, l'informant du fait qu'il avait terminé son appréciation de la demande et qu'il n'était pas convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi et du Règlement. Par conséquent, l'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente.

[19]            Le demandeur a reçu la lettre de refus le 2 juillet 2002.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur en tenant compte des résultats de l'examen IELTS en appréciant la capacité du demandeur à écrire l'anglais?


2. L'agent des visas a-t-il abdiqué sa compétence en déléguant l'appréciation et le processus de décision à un autre agent des visas?

3. L'agent des visas a-t-il donné naissance à une crainte raisonnable de partialité en arrivant à sa décision de rejeter la demande?

ANALYSE

La norme de contrôle

[20]            Il faut tout d'abord déterminer quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de l'agent des visas. Dans Al-Rifai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1703, le juge Beaudry déclare ceci :

[par. 29] Je fais miens les principes dégagés dans les arrêts Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.) (QL) et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, dans lesquels il a été statué que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des agents des visas est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[par. 30] Pour ce qui est des moyens de fond invoqués par le demandeur, il est important de signaler que la capacité de la Cour d'intervenir dans les décisions des agents des visas est très limitée, comme la Cour l'a rappelé à plusieurs reprises. Dans le jugement Skoruk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1220, le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel) souligne que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives comportant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi est celui qui a été posé dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité. Si le pouvoir discrétionnaire est exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle, le tribunal n'interviendra pas. Cette norme s'applique aux décisions des agents des visas.


[21]            Dans l'arrêt Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 351, la Cour d'appel fédérale a confirmé cette norme de contrôle. Voici ce que déclare le juge Linden à ce sujet :

[par. 6] Suivant la jurisprudence de notre Cour, la norme de contrôle applicable à ce type de décision administrative correspond au critère énoncé dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, selon lequel les cours ne devraient pas intervenir « [l]orsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi » (voir : Skoruk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1220; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 330; Al-Rifai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1236; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 312).

[22]            Notre Cour a jugé que les décisions des agents des visas sont de nature discrétionnaire. Le fait que la Cour aurait pu arriver à une conclusion différente au vu de la preuve ne l'autorise pas à intervenir à la légère face à une décision discrétionnaire. Par conséquent, il appert que la norme de contrôle applicable à la décision de l'agent des visas est celle de la décision manifestement déraisonnable.

1.          L'agent des visas a-t-il commis une erreur en tenant compte des résultats de l'examen IELTS en appréciant la capacité du demandeur à écrire l'anglais?

[23]            Le demandeur soutient qu'en s'appuyant sur le résultat de son examen IELTS, au lieu d'apprécier sa capacité à écrire l'anglais, l'agent des visas a commis une erreur portant sur la compétence. Il fonde cet argument sur l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1982) 2 C.F. 205 (C.A.F.) [Muliadi] et sur Valentinov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 258 (C.F. 1re inst.) [Valentinov].


[24]            Dans l'arrêt Muliadi, précité, on avait refusé au demandeur un visa d'admission au Canada en tant que résident permanent à titre d'immigrant indépendant dans la catégorie entrepreneur en raison d'une évaluation défavorable de son projet d'entreprise qui avait été fournie par la Small Business Operations Division du ministère provincial de l'Industrie de l'Ontario à la demande de l'agent des visas. La Cour a décidé que le rapport aurait dû être communiqué à l'appelant pour qu'il ait la possibilité d'essayer de corriger toute erreur et d'informer l'agent des visas du fait qu'on n'avait formulé aucune demande de renseignements auprès de l'entreprise.

[25]            Valentinov, précité, porte aussi sur le contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas de ne pas accorder de visa d'admission au Canada aux demandeurs. Dans cette affaire, tout juste avant l'entrevue l'adjoint administratif de l'agente des visas a fait subir deux tests au demandeur en vue de déterminer à quel point il pouvait lire, écrire et comprendre l'anglais. Dans son affidavit, l'agente des visas déclare avoir examiné les remarques de son adjoint portant sur la façon dont le demandeur avait lu le texte avec succès. Le demandeur a reçu 69 points d'appréciation. Le juge Gibson a conclu comme suit :

[par. 10] Cela dit, je conclus que rien n'autorise un agent des visas à déléguer la responsabilité qui lui incombe en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration. La personne chargée de prendre une décision, telle l'agente des visas en l'espèce, qui délègue sa responsabilité légale ou une partie de celle-ci sans en avoir le pouvoir commet une erreur de compétence. [Voir note 5]

Note 5 : Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205, à la p. 218 (C.A.)


[par. 11] Je ne puis conclure autrement, vu les faits de l'espèce et tel qu'il ressort clairement, à première vue, de l'affidavit de l'agente des visas, que cette dernière a délégué, sans en avoir le pouvoir, son obligation d'apprécier la capacité de M. Valentinov de lire l'anglais. Vu les circonstances, la décision de l'agente des visas se fonde sur une erreur de compétence et elle doit être déclarée invalide, malgré le fait que l'agente des visas serait probablement parvenue au même résultat si elle avait elle-même apprécié la capacité de M. Valentinov de lire l'anglais.

[26]            Dans Tekotev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 267 [Tekotev], le juge Rothstein a conclu que la décision prise dans Valentinov, précité, pouvait être distinguée parce que la preuve démontrait que l'agente des visas avait examiné le test de lecture directement avec le demandeur. Il déclare ceci :

[par. 9] Compte tenu des faits particuliers de l'espèce, je conviens avec l'intimé que l'affaire Valentinov se distingue de l'espèce. En l'espèce, l'agente des visas a examiné avec le requérant le résultat de son test de compréhension de l'écrit. Même s'il existait une délégation irrégulière lorsque l'adjoint personnel a fait subir au requérant le test de compréhension de l'écrit et consigné les erreurs qu'il a commises, cette erreur a été corrigée par le fait pour l'agente des visas d'examiner ce test de compréhension de l'écrit directement avec le requérant. Cet examen fait directement avec le requérant suffit à constituer une évaluation par l'agente des visas de la capacité du requérant de lire l'anglais.

[par. 10] Pour ce qui est du deuxième argument du requérant, savoir qu'on lui a refusé la possibilité de détromper l'agente des visas de ses malentendus, aucune jurisprudence se rapportant aux circonstances de l'espèce n'a été citée. Quoi qu'il en soit, en examinant les tests de compréhension de l'écrit et d'expression écrite avec le requérant et en se réunissant avec lui pour évaluer sa capacité de parler l'anglais, l'agente des visas a donné au requérant amplement la possibilité de la détromper de tout malentendu qu'elle peut avoir eu relativement à sa connaissance de l'anglais.

                                                                                                                                      [je souligne]

[27]            En l'espèce, contrairement à l'affaire Tekotev, précitée, le demandeur soutient que c'est le fait que l'agent des visas s'est appuyé sur les résultats de l'examen IELTS, plutôt que sur les résultats du test de lecture qu'on lui a administré au cours de l'entrevue, qui donne naissance à une erreur portant sur la compétence.


[28]            Comme on le trouve mentionné dans les notes STIDI, c'est en mai 2000 qu'on a suggéré au demandeur de subir l'examen IELTS. Le demandeur a rempli la formule pour l'examen IELTS et payé les droits y afférents le 9 septembre 2000, ou vers cette date, et il a subi l'examen le 11 novembre 2000, ou vers cette date. Les résultats de l'examen ont été connus le 24 novembre 2000, ou vers cette date. Le consulat général du Canada à Hong Kong a reçu les résultats le 18 avril 2001, suite à quoi le dossier du demandeur a été référé à l'ambassade à Beijing.

[29]            Comme je l'ai déjà mentionné, les résultats du demandeur étaient les suivants : 4,5 pour l'écoute; 4,5 pour la lecture; 4 pour l'écriture; et 3 pour l'expression orale. Son résultat global était de 4,0. En vertu de l'annexe I du Règlement, ces résultats correspondent à « difficilement » pour la lecture et l'écriture, et à « pas du tout » pour l'expression orale.

[30]            On peut lire ceci dans les notes STIDI :

[traduction]

J'AI ACCEPTÉ L'IELTS COMME UNE ÉVALUATION CORRECTE DE LA CAPACITÉ D'ÉCRIRE...

[31]            Dans Tekotev, précité, le juge Rothstein a pu rejeter la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente des visas suite au fait qu'elle avait examiné le test de lecture directement avec le demandeur, ce qui lui a permis de distinguer l'affaire de Valentinov, précitée. La question n'est pas aussi claire en l'espèce.


[32]            Je considère qu'il n'est pas possible pour moi de déterminer si l'agent des visas a effectivement revu l'examen IELTS directement avec le demandeur.

[33]            De toute façon, je considère que cette question n'est pas pertinente, pour le motif suivant. Même si l'agent des visas avait apprécié la capacité d'écrire du demandeur comme « couramment » (plutôt que « difficilement » ), ce qui lui aurait donné cinq crédits (deux pour l'expression orale, zéro pour la lecture et trois pour l'écriture) en vertu de l'alinéa 3b) du facteur connaissance de l'anglais de l'annexe I de la Loi, le demandeur aurait toujours eu droit à deux points d'appréciation.

[34]            En fait, si l'agent des visas avait revu l'examen IELTS et ses résultats avec le demandeur, comme c'était le cas dans Tekotev, précité, ou s'il n'avait pas tenu compte de l'examen IELTS mais avait soumis le demandeur à un autre test, d'une façon ou d'une autre et quel qu'aient été les résultats du demandeur pour l'écriture, il aurait toujours eu le même nombre de points d'appréciation.

[35]            Je suis donc d'avis qu'un autre agent des visas ne pourrait arriver à une autre conclusion différente. En conséquence, la déclaration suivante du juge Linden, J.C.A., dans l'arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 433, s'applique tout à fait à la présente espèce :


Dans certains cas, l'insuffisance des conclusions tirées par la section du statut est telle que l'affaire doit lui être renvoyée pour nouvelle instruction. Cependant, comme le juge MacGuigan l'a fait remarquer dans Ramirez, supra, cette Cour peut confirmer la décision de la section du statut, malgré les erreurs commises par le tribunal, si « aucun tribunal correctement instruit, utilisant la méthode d'interprétation appropriée, n'aurait pu parvenir à une conclusion différente » (pages 323 et 324). Je conclus, à la lumière de la norme énoncée dans cet arrêt, qu'il n'est pas nécessaire de renvoyer l'affaire à la section du statut pour nouvelle instruction, par ce motif qu'aucun tribunal correctement instruit ne pourrait manquer de conclure qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que l'appelant avait commis des crimes contre l'humanité.

2.          L'agent des visas a-t-il abdiqué sa compétence en déléguant l'appréciation et le processus de décision à un autre agent des visas?

[36]            Le demandeur soutient qu'au moins en ce qu'il s'agit de l'évaluation de son anglais et du facteur personnalité, c'est Mme Proleeva qui l'a faite plutôt que l'agent des visas. Ce faisant, l'agent des visas aurait en fait délégué la compétence que lui confère la loi.

[37]            Dans Silion c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) 173 F.T.R. 302, [1999] A.C.F. no 1390 [Silion], le juge MacKay déclare ceci :

[par. 10] Cette affaire se rapporte à la décision de refuser de délivrer un visa. La décision a clairement été prise par l'agent des visas, comme celui-ci le déclare dans son affidavit. Cela est étayé par l'affidavit de l'API ainsi que par le propre affidavit de la demanderesse, qui reconnaît que lorsqu'elle a été informée du rejet de sa demande, on lui a dit que c'était l'agent d'immigration qui avait pris la décision et non l'API.

[par. 11] Il s'agit essentiellement d'une décision administrative, que l'agent des visas a prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la présente affaire ou de toute autre affaire, il n'est pas nécessaire que l'agent des visas ait une entrevue personnelle avec la personne qui demande un visa. Dans certaines circonstances, l'omission de le faire pourrait être inéquitable, mais je ne suis pas convaincu que ce soit ici le cas. Dans ce cas-ci, l'API a eu une entrevue avec la demanderesse et a rendu compte du résultat de l'entrevue. Ce compte rendu a été examiné par l'agent des visas, qui a pris la décision. Le traitement des demandes et les comptes rendus y afférents par des membres du personnel font bien souvent normalement partie du processus administratif et il n'est pas surprenant que ce processus ait ici été suivi. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'agent des visas a rendu une décision judiciaire ou quasi judiciaire, qui pourrait donner lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision y afférente, ou à l'inverse que celui qui rend la décision doit entendre le demandeur.


[38]            La décision Chin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2002) 223 F.T.R. 214, [2002] A.C.F. no 1296, porte sur une demande de contrôle judiciaire du rejet par un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration d'une demande de résidence permanente au Canada. En rejetant la demande de contrôle, le juge Heneghan a confirmé les commentaires précités du juge MacKay et ajouté ceci :

[par. 21] Je suis d'avis, en me fondant sur la jurisprudence précédemment mentionnée, que la décision faisant l'objet du contrôle en l'espèce ne donne pas lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision. Il s'agit d'une décision administrative prise dans l'exercice d'un grand pouvoir discrétionnaire, semblable aux circonstances de l'affaire Silion, précitée. À mon avis, la procédure adoptée en l'espèce respecte l'équité procédurale.

[39]            Au vu de cette jurisprudence, je ne vois rien dans la conduite de l'agent des visas qui indiquerait qu'il n'a pas exercé sa compétence. Bien que je suis d'avis que l'agent des visas aurait dû indiquer que les notes STIDI précitées avaient été rédigées lors de l'entrevue de Mme Proleeva avec le demandeur, le fait qu'il les a lues et qu'il en a discuté avec Mme Proleeva pour ensuite interviewer le demandeur personnellement vient confirmer que c'est lui qui a pris la décision ultime quant au rejet de la demande.

[40]            Le demandeur soutient que Mme Proleeva a fait beaucoup plus que simplement collecter des renseignements pour l'agent des visas. Selon lui, les notes STIDI suivantes démontrent que c'est elle qui a fait l'appréciation et est arrivée à la conclusion, ce qui aurait dû être fait par l'agent des visas :

[traduction]


J'AI EXPLIQUÉ AU RE QUE JE DOIS TENIR COMPTE DE LA MOTIVATION, DE L'INGÉNIOSITÉ, DE L'ESPRIT D'INITIATIVE, DE LA FACULTÉ D'ADAPTATION ET D'AUTRES QUALITÉS SEMBLABLES POUR DÉTERMINER SI LE RE A LA PERSONNALITÉ REQUISE POUR RÉUSSIR SON INSTALLATION (ÉCONOMIQUE) AU CANADA. ...

...

AU VU DU DEGRÉ DE CONNAISSANCE ET DE PRÉPARATION QUI RESSORT DES RÉPONSES ET DES DOCUMENTS PRÉSENTÉS AU COURS DE L'ENTREVUE, JE CONSIDÈRE QUE L'OCTROI DE TROIS POINTS D'APPRÉCIATION POUR LA PERSONNALITÉ REFLÈTE CORRECTEMENT VOS CHANCES DE RÉUSSIR VOTRE INSTALLATION (ÉCONOMIQUE) AU CANADA.

... J'ARRIVE À LA CONCLUSION QUE VOTRE CONNAISSANCE LIMITÉE DU CANADA DÉMONTRE UN MANQUE D'INGÉNIOSITÉ ET D'ESPRIT D'INITIATIVE DANS LES RECHERCHES PORTANT SUR LE PAYS OÙ VOUS VOULEZ VOUS INSTALLER.

...

POUR CES MOTIFS, J'AI DES PRÉOCCUPATIONS QUANT À VOTRE CAPACITÉ DE VOUS ADAPTER AVEC SUCCÈS À L'ENVIRONNEMENT CANADIEN.

...

[41]            Toutefois, les notes STIDI qui suivent le texte précité ont été rédigées par l'agent des visas :

[traduction]

J'AI PARLÉ AU RE ET DÉTERMINÉ QU'IL A LA CAPACITÉ DE PARLER CORRECTEMENT. QUE SA CAPACITÉ DE LECTURE EST DIFFICILEMENT AU VU DE SON TEST DE LECTURE, IL A OBTENU LA NOTE 1/10, ET NON COURAMMENT/CORRECTEMENT COMME IL L'AVAIT INDIQUÉ, LE RE NE PEUT COMPRENDRE UN DOCUMENT DE NATURE GÉNÉRALE ET NON ABSTRAIT.

IL OBTIENDRA AU PLUS 2 POINTS POUR LES COMPÉTENCES LINGUISTIQUES.

LE RE N'EST PAS BIEN PRÉPARÉ À L'ENTREVUE ET, ME FONDANT SUR UN EXAMEN DE LA MOTIVATION, INGÉNIOSITÉ, ESPRIT D'INITIATIVE, FACULTÉ D'ADAPTATION ET AUTRES QUALITÉS SEMBLABLES POUR DÉTERMINER SI LE RE A LA PERSONNALITÉ REQUISE POUR RÉUSSIR SON INSTALLATION, 3 POINTS D'APPRÉCIATION REFLÈTENT CORRECTEMENT CETTE CAPACITÉ.


LA DEMANDE EST REJETÉE AUX POINTS.

[42]            Comme on le trouve dans le Mémoire additionnel du défendeur, même si Mme Proleeva était une agente de l'immigration, elle n'était pas une agente d'immigration désignée et elle n'était pas autorisée à rejeter une demande de visa lorsqu'un demandeur ne recevait pas suffisamment de points d'appréciation.

[43]            Selon ce que je comprends, il semble qu'en un tel cas Mme Proleeva devait « référer » l'affaire à un agent d'immigration dûment autorisé, comme c'est le cas de l'agent des visas en l'espèce, ce dernier devant alors signer la décision.

[44]            La prétention du demandeur voulant que les notes STIDI ont été rédigées par Mme Proleeva n'est pas pertinente. Au cours du contre-interrogatoire de l'agent des visas sur son affidavit, il a mentionné le fait que Mme Proleeva avait inscrit les notes prises au cours de l'entrevue avec le demandeur dans un document Word Perfect, l'agent des visas les insérant lui-même dans le STIDI après son entrevue avec le demandeur.

[45]            Le passage suivant du contre-interrogatoire de l'agent des visas sur son affidavit vient confirmer qu'il n'a pas manqué à son obligation d'équité procédurale ni entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans le cadre du processus de décision (page 10) :

[traduction]


M. TANACK :        Bon. Maintenant, lorsque vous avez inséré les notes de l'agente Proleeva dans le STIDI et que vous y avez ajouté vos initiales, aviez-vous l'intention d'adopter ces notes comme si elles avaient été les vôtres? Je veux dire est-ce que vous aviez l'intention que - que, vous savez, la façon dont elle avait mené l'entrevue, vous étiez satisfait de la façon dont elle avait mené l'entrevue et de ses commentaires tels qu'on les trouve dans ses notes?

...

R                                Je suppose que je les avais adoptées comme des renseignements qu'elle avait collectés.

M. TANACK :        Bon. Dans ces notes, elle exprime souvent ses opinions. Avez-vous adopté aussi ces opinions?

R                                Non. Lorsque j'apprécie une demande je me fais ma propre opinion.

[46]            On ne peut prétendre que l'agent des visas n'a pas abordé l'entrevue avec un esprit ouvert, sans être influencé par les opinions, conclusions et évaluations de Mme Proleeva. Après avoir discuté du dossier du demandeur avec Mme Proleeva, l'agent des visas n'a pas seulement examiné le dossier; il a aussi interviewé le demandeur.

[47]            Je ne considère pas que l'agent des visas devait, au cours de son entrevue avec le demandeur, examiner chaque renseignement déjà transmis à Mme Proleeva.


[48]            Il me semble évident que parmi les préoccupations principales de l'agent des visas on trouve celles qui portent sur les connaissances de l'anglais du demandeur. Mme Proleeva et l'agent des visas semblent avoir été d'accord pour dire que le demandeur parlait l'anglais « correctement » . Toutefois, lors de son test de lecture, le demandeur a répondu correctement à une question sur 10. J'ai examiné ce document et, au vu des réponses du demandeur, il me semble clair, comme c'était le cas pour l'agent des visas, que le demandeur ne pouvait comprendre les éléments constitutifs d'un texte de nature générale.

[49]            S'agissant des contradictions entre la preuve des parties au sujet de l'entrevue, j'ai bien peur que la preuve du demandeur ne soit pas cohérente. Dans son affidavit, il soutient que la partie de l'entrevue avec l'agent des visas n'a duré que [traduction] « quelques minutes » et qu'à la fin de l'entrevue, l'agent des visas lui a dit qu'il devrait améliorer ses compétences en anglais et présenter une nouvelle demande.

[50]            Toutefois, voici ce que le demandeur a déclaré lors du contre-interrogatoire sur son affidavit :

[traduction]

Q              Vous souvenez-vous de la longueur de l'entrevue?

R              Plus de 20 minutes.

...

Q              Dans ce paragraphe, vous déclarez que l'agente a quitté la pièce et qu'elle est revenue avec un homme blanc, l'agent, est-ce bien le cas?

R              Oui.

Q              Bon. L'entrevue avait duré combien de temps jusqu'à ce moment-là?

R              La moitié du temps - plus de 20 minutes. Le test [de lecture] a pris à peu près 10 minutes et ensuite la discussion [avec Mme Proleeva] a duré à peu près de 10 à 15 minutes.

...

Q              Lorsque l'agente a quitté la pièce, ..., combien de temps a-t-elle été absente?


R              Pas plus de cinq minutes.

...

Q              Vous a-t-elle dit pourquoi elle quittait la pièce?

R              Elle a dit qu'elle voulait discuter de la question avec une autre personne

...

Q              Maintenant, vous avez déclaré que l'agent a été dans la pièce pendant à peu près la moitié de l'entrevue; est-ce bien le cas?

R              Il n'était pas présent pendant la majeure partie du temps. Il est entré et il est resté à peu près cinq minutes. Il est simplement venu me donner sa décision.

[51]            Au vu du contre-interrogatoire du demandeur on peut conclure que : l'entrevue complète, savoir avec Mme Proleeva et avec l'agent des visas, a duré plus de 40 minutes, dont 10 minutes ont été occupées par le test de lecture de l'anglais; la portion de l'entrevue conduite par Mme Proleeva a duré de 10 à 15 minutes et elle s'est alors rendue voir l'agent des visas pendant à peu près cinq minutes. Par conséquent, la portion de l'entrevue conduite par l'agent des visas doit avoir duré entre 10 et 20 minutes.

[52]            Je suis donc convaincu que dans cette période de 10 à 20 minutes l'agent des visas a pu obtenir l'information requise pour prendre une décision quant à l'à-propos d'autoriser l'immigration du demandeur au Canada.


[53]            En fait, la présente espèce n'est pas comparable à l'arrêt Muliadi, précité, où la décision de rejeter la demande avait été prise par une personne autre que l'agent des visas. Dans cet arrêt, le juge Stone a déclaré que :

Deuxièmement, la preuve qui nous a été soumise laisse fortement entendre que la décision de rejeter la demande de l'appelant a été prise par un fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario en non par l'agent des visas. Cette preuve ressort du paragraphe 3m) de l'affidavit de l'appelant daté du 25 février 1984. Il se rapporte à ce qui s'est produit pendant l'entrevue de l'appelant avec l'agent des visas, en décembre 1982. L'appelant y déclare :

M. Lukie m'a immédiatement informé que ma demande était rejetée; pour expliquer ce rejet, il m'a montréun télex que lui avait fait parvenir ce que j'ai compris être la province de l'Ontario et dans lequel ma demande était rejetée. Je lui ai demandé pourquoi il m'avait convoqué à une entrevue s'il n'entendait pas faire une appréciation, et il a dit qu'il était sympathique à ma cause mais qu'il était désoléparce que, comme la décision avait étéprise par les autorités qui avaient envoyéle télex, il ne pouvait rien faire . . . L'entrevue m'a convaincu que ce n'est pas lui qui a pris la décision (ou qui a fait l'appréciation) mais plutôt la personne ou les autorités qui ont transmis le télex, et qu'il n'avait aucune autorité ou pouvoir discrétionnaire sur la question.

Ainsi que je l'ai déjà mentionné, cette preuve n'a étécontredite en aucune manière par les intimés.

Il va sans dire que la décision sur la demande devrait être prise par l'agent des visas et qu'elle ne pouvait être déléguée de la manière précédemment décrite. Il semble que l'agent a permis qu'elle soit prise par le fonctionnaire de l'Ontario de qui il a reçu les renseignements relatifs à la viabilitédu projet d'entreprise de l'appelant. Bien qu'il ait été habilité à recevoir des renseignements de cette source sur ce sujet, il n'en demeure pas moins qu'il avait le devoir de trancher la question conformément à la Loi et au Règlement. Il a donc commis une grave erreur en permettant que la décision soit prise par le fonctionnaire du gouvernement de l'Ontario au lieu de la rendre lui-même ainsi qu'il devait le faire. Cela étant, je pense que l'appel doit également être accueilli sur ce moyen.


[54]            De toute façon, Je considère qu'après avoir examiné les notes de Mme Proleeva, l'agent des visas n'a pas seulement interviewé le demandeur, mais qu'il a aussi fait état de ses préoccupations au sujet de la compétence du demandeur en anglais et de sa personnalité avant de prendre une décision sur sa demande.

[55]            Par conséquent, selon moi l'agent des visas a correctement exercé sa compétence.

3.          L'agent des visas a-t-il donné naissance à une crainte raisonnable de partialité en arrivant à sa décision de rejeter la demande?

[56]            Le critère approprié pour la détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré, en dissidence, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires àce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. ... »

[57]            Ce commentaire a été appliqué en droit de l'immigration notamment par le juge Lutfy, alors à la Section de première instance, dans Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1560 (C.F. 1re inst.), comme on peut le voir au paragraphe 4 :

[par. 4] ...

... Dans l'arrêt Mohammad c. Canada, [1989] 2 C.F. 363 (C.A.F.), le juge Heald a souligné (p. 380) que le critère en est un d'une « ... personne bien renseignée qui examinerait la question en profondeur de façon réaliste et pratique... » lorsqu'il a tentéde déterminer si la conduite d'un arbitre en matière d'immigration soulevait une crainte raisonnable de partialité, compte tenu des déclarations que certains ministres avaient formulées à la Chambre des communes. ...


[par. 5] Les principes de justice naturelle et dquité procédurale s'appliquent à la rencontre que l'agente des visas a tenue avec le requérant. Au cours de ce genre d'entrevue, l'agent(e) des visas est appelé(e) à déterminer si la partie requérante sera en mesure de stablir avec succès au Canada et il s'agit d'une responsabilité importante. Il(Elle) doit se comporter avec la dignité voulue pour favoriser un échange ouvert et équitable, même dans des circonstances qui doivent parfois être difficiles et éprouvantes. Il convient également de souligner que, pour de nombreux requérants, notamment ceux dont les cultures sont sensiblement différentes de celles de la personne qui représente le Canada, ces entrevues sont stressantes. Dans l'ensemble, lorsqu'une personne interrogée ne se comporte pas bien, l'agent(e) des visas doit demeurer calme pour faire en sorte que la rencontre se déroule bien. L'agent(e) des visas préside l'entrevue. À titre de personne appelée à rendre une décision, l'agent(e) des visas est tenu(e) de fournir, dans la mesure du possible, un environnement calme au cours de l'entrevue pendant laquelle la partie requérante tente de prouver qu'elle respecte les critères de sélection.

[58]            De plus, le juge Gibson a conclu ceci, dans Manabat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 712 :

[par. 13] L'avocat de la demanderesse a soutenu qu'un examen des notes du STIDI amènerait une personne informée, qui considérerait la question de façon réaliste et pratique et qui y aurait réfléchi, à conclure que la décision examinée a étéessentiellement prise par des adjoints aux programmes qui n'avaient pas le pouvoir de rendre une décision, et non par l'agent des visas qui avait les notes des agents des programmes en main lorsqu'il a examiné le dossier ainsi qu'une ébauche de la lettre de refus. En conséquence, a-t-on soutenu, on pouvait raisonnablement craindre que l'agent des visas était partial en fonction des avis qui lui étaient donnés.

[par. 14] Au contraire, l'avocate du défendeur a renvoyé à l'affidavit de l'agent des visas produit à lgard de cette question et à la transcription de son contre-interrogatoire portant sur cet affidavit et a soutenu que je devrais accepter l'assurance assermentée de l'agent des visas selon laquelle il a apprécié de façon indépendante la demande de la demanderesse et a pris sa propre décision qui, par hasard, correspondait exactement à la position adoptée par les adjoints aux programmes. L'avocate a soutenu que, étant donné les pressions placées sur les agents des visas à l'ambassade du Canada à Manille, le recours aux adjoints aux programmes pour aider à la gestion d'une charge de travail très lourde ntait que raisonnable et que, par conséquent, une personne informée, qui considérerait la question de façon réaliste et pratique et qui y aurait réfléchi, ne croirait pas que l'agent des visas, consciemment ou inconsciemment, n'aurait pas rendu une décision équitable.


[par. 15] Je préfère la position mise de l'avant au nom du défendeur. Les stratégies adoptées par l'ambassade du Canada à Manille afin de gérer la charge de travail en matière d'immigration étaient, et j'en suis convaincu, tout à fait raisonnables. Je ne vois aucune raison pour mettre en doute l'assurance donnée par l'agent des visas selon laquelle il, et lui seul, a pris la décision qui est examinée en l'espèce. En outre, je conclus qu'on ne pouvait raisonnablement croire qu'il était partial en le faisant.

[59]            De plus, comme il s'agit ici d'une décision administrative, je considère que l'extrait des motifs du juge MacKay dans Silion, précité, que j'ai déjà cité, est particulièrement pertinent en l'espèce :

[par. 11] Il s'agit essentiellement d'une décision administrative, que l'agent des visas a prise dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la présente affaire ou de toute autre affaire, il n'est pas nécessaire que l'agent des visas ait une entrevue personnelle avec la personne qui demande un visa. Dans certaines circonstances, l'omission de le faire pourrait être inéquitable, mais je ne suis pas convaincu que ce soit ici le cas. Dans ce cas-ci, l'API a eu une entrevue avec la demanderesse et a rendu compte du résultat de l'entrevue. Ce compte rendu a été examiné par l'agent des visas, qui a pris la décision. Le traitement des demandes et les comptes rendus y afférents par des membres du personnel font bien souvent normalement partie du processus administratif et il n'est pas surprenant que ce processus ait ici été suivi. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'agent des visas a rendu une décision judiciaire ou quasi judiciaire, qui pourrait donner lieu à l'application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision y afférente, ou à l'inverse que celui qui rend la décision doit entendre le demandeur.

[60]            En l'espèce, je suis d'avis qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que la conduite de l'agent des visas ne justifie pas une crainte raisonnable de partialité.

[61]            Je partage l'avis du défendeur que le simple fait que l'agent des visas a examiné les notes de Mme Proleeva avant de prendre sa décision sur la demande et que sa propre appréciation de la personnalité du demandeur peut tout simplement avoir été la même que Mme Proleeva ne justifie pas qu'on conclue à une crainte raisonnable de partialité.


                                           ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'aura pas de question certifiée.

             « Pierre Blais »             

          Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRAL DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-3904-02

INTITULÉ :              JUN YAN FU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 3 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                    Le 6 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Dennis Tanack                                                POUR LE DEMANDEUR

Mme Sandra Weafer                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Can-Achieve Consultants Ltd.                                        POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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