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Date : 20200313


Dossier : IMM-3098-19

Référence : 2020 CF 375

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SAMUEL WELDAY HAILE

SAMRAWIT WELDAY HAILE

(REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, SELMAWIT EMAN GHIDE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Samuel Welday Haile et sa sœur, Mme Samrawit Welday Haile, représentée par sa tutrice à l’instance, Mme Selmawit Eman Ghide (collectivement, les demandeurs), sollicitent le contrôle judiciaire de deux décisions d’un agent d’immigration (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya.

[2]  Monsieur Samuel Welday Haile (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire, dans le dossier numéro IMM-3098-19, de la décision par laquelle sa demande de résidence permanente au Canada, au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, aux termes des articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), et de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), respectivement, a été rejetée.

[3]  Madame Samrawit Welday Haile (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire, dans le dossier numéro IMM-3097-19, de la décision par laquelle sa demande de résidence permanente au Canada, au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, a également été rejetée.

[4]  Aux termes d’une ordonnance datée du 3 décembre 2019, le protonotaire Aalto a ordonné que les deux demandes de contrôle judiciaire soient réunies, en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et que le dossier numéro IMM-3098-19 soit désigné en tant que dossier principal.

[5]  Les demandeurs sont des citoyens de l’Érythrée, et ils sont frère et sœur. Dans une lettre datée du 27 mai 2016, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) a déterminé qu’ils ont été reconnus comme des réfugiés par le gouvernement éthiopien. Le 25 juillet 2017, ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada.

[6]  Dans une décision datée du 20 mars 2019, l’agent a rejeté la demande du demandeur au motif que son témoignage n’était pas crédible, et que, de toute manière, les éléments permettant d’établir qu’il serait exposé à un risque s’il retournait en Érythrée n’étaient pas suffisants.

[7]  Dans une décision aussi datée du 20 mars 2019, l’agent a rejeté la demande de la demanderesse au motif que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir une crainte de subir un préjudice en Érythrée ou l’existence d’un tel risque.

[8]  Les demandeurs font maintenant valoir que les décisions sont déraisonnables parce que l’agent n’a pas tenu compte de leur statut de réfugié en Éthiopie, ou des risques auxquels ils seraient exposés en Érythrée.

[9]  Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent sur sa crédibilité était déraisonnable.

[10]  En outre, la demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, à son égard, car elle ne l’avait pas invoqué.

[11]  Les demandeurs soutiennent de plus que l’agent a porté atteinte à leurs droits à l’équité procédurale parce qu’il s’est appuyé sur des connaissances spécialisées concernant la situation de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie, sans leur donner la possibilité d’y répondre. Ils font également valoir que le fait pour l’agent de ne pas avoir saisi de notes au moment de l’entrevue a entraîné un manquement à l’équité procédurale.

[12]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) fait valoir que les décisions étaient raisonnables et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale dans les deux cas.

[13]  Le défendeur soulève également une objection préliminaire relativement à certains paragraphes de l’affidavit que le demandeur a produit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et de l’affidavit que Mme Eman Ghide a produit à l’appui de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Il fait valoir que ces paragraphes constituent des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à l’agent.

[14]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a réexaminé la norme de contrôle applicable aux décisions administratives. Elle a précisé que l’application à ce type de décisions de la norme de la décision raisonnable se présume, sauf dans deux cas : lorsque la volonté du législateur ou la primauté du droit exige le contraire. Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[15]  La Cour suprême du Canada a confirmé la teneur de la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[16]  D’après l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[17]  L’arrêt Vavilov, précité, n’a pas modifié l’approche qui s’applique aux questions d’équité procédurale, par exemple au manquement à la justice naturelle, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339).

[18]  Après avoir examiné le dossier certifié du tribunal (le DCT) et les arguments des parties, écrits et de vive voix, j’estime qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale du fait que l’agent savait que la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie avait été rouverte et qu’il en avait tenu compte.

[19]  De même, je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale du fait que l’agent a saisi ses notes dans le Système mondial de gestion des cas après l’entrevue.

[20]  La conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur est fondée sur des divergences dans les éléments de preuve qu’il a présentés concernant sa détention par les autorités érythréennes.

[21]  Je me fonde sur le jugement Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 548, où la Cour a fait remarquer que les conclusions défavorables quant à la crédibilité n’entraînent pas toutes le rejet de la demande.

[22]  À mon avis, la même observation s’applique en l’espèce.

[23]  Le demandeur n’a pas nié avoir présenté des éléments de preuve contradictoires sur sa détention en Érythrée. Il a donné une explication, mais l’agent ne l’a pas acceptée. Toutefois, dans le cadre de la demande de protection présentée par le demandeur, cette conclusion défavorable concernant la crédibilité, bien que raisonnable, n’est pas déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire.

[24]  À mon avis, après avoir examiné le DCT, l’agent n’a pas raisonnablement tenu compte de la reconnaissance par le HCR du statut de réfugié du demandeur en Éthiopie. L’agent n’a fait que brièvement allusion à ce fait, et n’a pas évalué le risque d’une manière prospective. Cette manière de traiter un fait pertinent rend la décision déraisonnable compte tenu du critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[25]  Je renvoie aux jugements Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, et Teweldbrhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 371, où la Cour a souligné que bien que la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR ne soit pas déterminante, il s’agit d’un facteur important qu’un agent est obligé de prendre en compte. L’agent n’est pas lié par la reconnaissance faite par le HCR, mais il doit fournir les raisons pour lesquelles il est parvenu à une conclusion différente.

[26]  Je renvoie également au jugement Canagasuriam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1488 (C.F. 1re inst.), dans lequel la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 11 :

Dans l’affaire Ghorvei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)1, le juge en chef adjoint Jerome a écrit, à la p. 153 :

Dans le rapport sur le « danger », il n’était pas fait mention de la désertion du requérant, qui s’était joint à l’ennemi, soit l’Iraq, de son activisme politique en Iran, ou du fait que le HCNUR avait conclu qu’il était un réfugié. La ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces facteurs, qui sont clairement pertinents dans ce type de détermination.

Bien que les faits de la présente affaire soient manifestement différents de ceux dont le juge en chef adjoint était saisi, je suis convaincu que l’on pourrait dire la même chose en l’espèce, en procédant par analogie. L’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte du fait que le demandeur s’est vu reconnaître le statut de réfugié protégé par le HCNUR. Dans son analyse, il ne tient pas compte de ce fait et ne s’efforce pas de faire une distinction à ce sujet. Je suis convaincu que l’agent des visas a commis une erreur de droit lorsqu’il a omis de faire une telle distinction. En outre, il est de droit constant que le concept de la « crainte fondée de persécution » est anticipatoire. Bien que l’existence d’éléments de preuve établissant que la personne a déjà été persécutée ne soit pas nécessairement déterminante lorsqu’il s’agit de savoir si la crainte d’être persécutée qu’éprouve la personne si elle devait être renvoyée au pays qu’elle craint est fondée, il s’agit d’un facteur qui mérite d’être considéré […]

[27]  En l’espèce, la décision de l’agent ne révèle pas une prise en compte raisonnable du risque prospectif en ce qui concerne la demanderesse, ni de la reconnaissance du statut de réfugié faite par le HCR.

[28]  Il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre argument soulevé par la demanderesse.

[29]  Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire seront accueillies, les décisions seront annulées, et les affaires seront renvoyées à un agent différent afin qu’il statue de nouveau.

[30]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3098-19

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies, les décisions sont annulées et les affaires sont renvoyées à un agent différent afin qu’il statue de nouveau.

Le présent jugement est déposé dans le dossier numéro IMM-3098-19, et il en sera versé une copie dans le dossier numéro IMM-3097-19.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3098-19

 

INTITULÉ :

SAMUEL WELDAY HAILE, SAMRAWIT WELDAY HAILE (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, SELMAWIT EMAN GHIDE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

lE 13 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Liyusew Kidane

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Teklemichael Ab Sahlemariam

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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