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Date : 20060309

Dossier : IMM‑3995‑05

Référence : 2006 CF 302

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

PARVIZ NADJAT

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision de l’agente de l’examen du risque avant renvoi (l’agente) datée du 9 mai 2005 (la décision), dans laquelle l’agente a établi que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté, torturé ou tué ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Iran.

 

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, Parviz Nadjat, est un citoyen iranien. Il est né le 1er mai 1943 et est membre du groupe ethnique azari.

[3]               Il est arrivé une première fois au Canada en 1997, mais est retourné en Iran parce que sa demande de résidence permanente avait été rejetée. Il est revenu au Canada en mars 1999 et a déposé dès son arrivée une demande d’asile.

[4]               Dans sa demande d’asile, le demandeur déclarait qu’il avait été arrêté par les autorités iraniennes en février 1999 pour avoir bu de l’alcool dans sa boulangerie. Il a été détenu, s’est vu imposer une amende et a reçu 50 coups de fouet sur le dos.

[5]               Le demandeur allègue qu’après sa libération, cette épreuve l’a amené à faire partie d’un groupe kurde opposé au régime au pouvoir en Iran et à fournir à ce groupe du pain provenant de sa boulangerie.

[6]               Le demandeur a déclaré qu’il avait fui l’Iran lorsqu’il a vu que les autorités iraniennes avaient fait une descente dans le lieu de réunion du groupe kurde auquel il appartenait et parce qu’il craignait d’être dénoncé par ceux qui avaient été arrêtés.

[7]               La demande du demandeur a été rejetée par la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) le 15 décembre 1999. Dans ses motifs, la SSR a déclaré qu’elle croyait l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été arrêté et fouetté par les autorités iraniennes, mais qu’elle ne trouvait pas crédible la preuves qu’il avait présentée à l’appui de sa demande et selon laquelle il avait adhéré à un groupe d’opposition kurde. Le demandeur n’a pas demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la SSR.

[8]               En mars 2000, le demandeur a présenté une demande de dispense en vue d’obtenir l’autorisation de demander la résidence permanente au Canada pour des motifs humanitaires. Il a présenté d’autres observations à l’appui de sa demande jusqu’en juillet 2004, mais il n’a produit aucune preuve concernant sa santé mentale. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté sa demande le 22 avril 2005. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de CIC.

[9]               Le demandeur a demandé au départ la révision du refus de sa revendication dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) en décembre 1999. Sa demande a été traitée comme une demande d’ERAR au moment où la nouvelle loi est entrée en vigueur.

[10]           Le demandeur a présenté ses dernières observations à l’appui de sa demande d’ERAR le 1er mai 2005. Il a produit des éléments de preuve concernant sa santé mentale sous la forme de deux rapports psychologiques décrivant la détérioration de sa santé mentale et les traumas qu’il a subis aux mains des autorités iraniennes. Ces rapports établissent un lien entre son état psychologique actuel et la torture à laquelle il avait été soumis auparavant et la perspective de retourner en Iran.

 

LA DÉCISION ATTAQUÉE

 

[11]           Dans ses motifs, l’agente a pris acte de l’état psychologique actuel du demandeur et n’a pas contesté l’existence d’une peur subjective d’être persécuté, torturé ou tué ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Iran. Elle a néanmoins conclu que la crainte subjective qu’éprouvait le demandeur n’était pas fondée sur l’existence objective d’un danger.

[12]           L’agente a tiré les conclusions importantes suivantes :

a)         Il n’y avait pas de preuve susceptible d’étayer l’argument du demandeur selon lequel il ferait personnellement l’objet de discrimination en raison de son appartenance au groupe ethnique azari;

b)         Il n’existait pas de preuve probante susceptible d’appuyer l’allégation du demandeur selon lequel des membres du groupe d’opposition kurde avaient été arrêtés ou que les autorités iraniennes recherchaient activement le demandeur en raison de sa participation aux activités de ce groupe en 1999;

c)         Même si le demandeur avait été fouetté en 1999, il n’y avait pas de preuve laissant croire qu’il subirait d’autres peines pour avoir consommé de l’alcool s’il retournait en Iran;

d)         Il n’existe pas suffisamment de preuve pour établir que le demandeur risquait d’être torturé ou maltraité pour avoir quitté l’Iran illégalement;

e)         Il n’existe pas suffisamment de preuve concernant les antécédents du demandeur en matière de traitement psychologique;

f)          La santé mentale actuelle du demandeur n’a pas pour effet de relier sa demande à un motif mentionné dans la Convention ou de démontrer qu’il risque d’être torturé ou tué ou de subir des peines ou traitements cruels et inusités.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

 

[13]           Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent ainsi :

95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

 

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

 

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

 

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

 

(2) A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

 

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

 

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

 

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

 

(d) the person has voluntarily become re‑established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

108(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

 

108(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

 

108(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

 

108(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

 

108(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[14]           L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) se lit ainsi :

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7.  Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération l’exception fondée sur des « raisons impérieuses » à l’alinéa 108(1)e), qui porte sur la perte de l’asile en raison d’un changement de la situation, dans les circonstances de la présente affaire?

 

2.                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’exercer ses pouvoirs et de décider si le fait de renvoyer le demandeur en Iran constituait une peine cruelle et inusitée au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi?

 

 

LES ARGUMENTS

 

1.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération l’exception fondée sur des « raisons impérieuses » à l’alinéa 108(1)e), qui porte sur la perte de l’asile en raison d’un changement de la situation, dans les circonstances de la présente affaire?

 

            La norme de contrôle

 

                        Le demandeur

 

[16]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à une décision d’ERAR, considérée globalement, est celle de la décision raisonnable simpliciter. (Figurado c. Canada (Solliciteur général) (C.F.), 2005 CF 347 (1re inst.); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274 (1re inst.); Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39 (1re inst.); Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1826 (1re inst.))

 

                        Le défendeur

 

[17]           Le défendeur n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle applicable.

 

            L’exception fondée sur des raisons impérieuses

 

                        Le demandeur

 

[18]           Le demandeur reconnaît qu’il n’a pas présenté d’argument au sujet de l’applicabilité de l’exception fondée sur des « raisons impérieuses » à l’alinéa 108(1)e), qui prévoit la perte d’asile en cas de changement de la situation, dans les observations qu’il a faites à l’agente. Il soutient néanmoins aujourd’hui qu’il ne lui appartenait pas de soulever directement la question des raisons impérieuses pour que soit examinée la possibilité d’appliquer cette exception. (Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 457 (C.A.F.); Mai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 142 (1re inst.))

[19]           Le demandeur affirme que les cinquante coups de fouet qui lui ont été infligés par les autorités iraniennes constituent de la torture et que l’expérience de la torture qu’il a connue antérieurement, combinée à la détresse psychologique dont il souffre actuellement à la perspective d’être expulsé vers l’Iran, constituent des « raisons impérieuses » aux fins de l’alinéa 108(1)e) de la Loi.

[20]           Le demandeur soutient que les conclusions positives à l’égard de sa crédibilité qu’a tirées l’agente au sujet de son affirmation selon laquelle il avait été torturé et de la preuve médicale qu’il a présentée pour établir que sa santé mentale s’était détériorée l’obligeaient à examiner la question de savoir s’il existait des raisons impérieuses dans la présente affaire. (Arguello‑Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 635; Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 251; et Yamba)

[21]           Le demandeur cite la décision Mai à l’appui de l’argument selon lequel l’omission de l’agente d’examiner de façon appropriée si la torture ou les traitements ou peines cruels antérieurs constituaient des raisons impérieuses est une question grave.

[22]           Le demandeur affirme qu’en omettant d’examiner s’il y avait lieu d’appliquer aux faits de l’espèce la disposition de la Loi relative aux raisons impérieuses, l’agente a commis une erreur sujette à révision.

                        Le défendeur

 

[23]           Le défendeur soutient que l’interprétation de l’alinéa 108(1)e) de la Loi que propose le demandeur n’est pas la bonne et que cette disposition n’a pas pour effet de créer un moyen indépendant d’accorder l’asile.

[24]           Le défendeur soutient que l’alinéa 108(1)e) s’applique uniquement aux demandeurs à qui la qualité de réfugié a déjà été reconnue, et que l’emploi du mot « ensuite » dans la définition de « personne protégée » au paragraphe 95(2) de la Loi confirme cette interprétation.

[25]           À l’appui de cet argument, le défendeur cite l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.), dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que l’examen de l’existence de raisons impérieuses aux termes du paragraphe 2(3) de l’ancienne Loi sur l’immigration n’est exigé que lorsqu’il est établi que le demandeur était visé par la définition de réfugié au sens de la Convention à un moment donné, mais qu’il n’est plus visé par cette définition en raison d’un changement de situation.

[26]           Le défendeur affirme que la jurisprudence de la Cour postérieure à Hassan (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1044 (1re inst.), Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. J.R.D., 2001 CFPI 421 (1re inst.), Ogbebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 490 (1re inst.), Perger c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 551, Mbarde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 609 (1re inst.)) établit clairement que deux conditions préalables doivent être remplies avant que l’on puisse procéder à une analyse des « raisons impérieuses » :

a)         Le demandeur doit établir qu’il aurait été visé, à un moment donné, par la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Il n’est pas exigé que le demandeur se soit vu reconnaître la qualité de réfugié, mais la crainte qu’éprouve le demandeur à l’idée de retourner dans son pays doit être liée à un risque objectif de persécution, de torture, de mort ou de peine cruelle et inusitée;

b)         Il faut constater que le demandeur ne répond plus à la définition de réfugié au sens de la Convention en raison d’un changement de situation.

 

[27]           Le défendeur cite également Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 771, dans lequel la juge Carolyn Layden‑Stevenson a écrit ce qui suit au paragraphe 5 :

Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d’abord conclure qu’il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d’exister (en raison d’un changement de la situation dans le pays). C’est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l’ancien pays était à ce point épouvantable que l’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l’État.

 

 

[28]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que les deux conditions préalables nécessaires pour déclencher une analyse des « raisons impérieuses » étaient remplies. Le fait qu’il ait été fouetté avant qu’il se soit enfui de l’Iran ne veut pas nécessairement dire qu’il est visé par la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger et sa demande d’asile n’a jamais été refusée parce qu’il y avait eu un changement de situation.

[29]           Le défendeur conclut en affirmant que l’alinéa 108(1)e) de la Loi n’est pas applicable aux faits de l’espèce; par conséquent, l’agente n’a pas commis d’erreur en omettant de l’examiner.

 

2.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’exercer ses pouvoirs et de décider si le fait de renvoyer le demandeur en Iran constituait une peine cruelle et inusitée au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi?

 

                        Le demandeur

 

[30]           Le demandeur soutient que le traumatisme psychologique qu’il subirait s’il était renvoyé en Iran constituerait une peine cruelle et inusitée et une violation de l’article 7 de la Charte. (Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, R. c. Morgentaler, [1988] 1. R.C.S. 30, États‑Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283)

[31]           Il soutient également que la probabilité qu’il subirait un traumatisme psychologique s’il était renvoyé en Iran constitue un risque objectif, que l’agente a omis de prendre en considération lorsqu’elle a limité son analyse des risques à la probabilité qu’il serait arrêté à nouveau.

                        Le défendeur

 

[32]           Le défendeur soutient que l’agente a examiné la question de savoir si la santé mentale du demandeur constituait un risque au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi, mais a estimé que les preuves n’établissaient pas que sa crainte subjective justifiait l’octroi au demandeur d’une protection aux termes de l’alinéa 97(1)b).

[33]           Le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agente d’en arriver à la conclusion que les conséquences d’un renvoi ne constituaient pas un risque au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi.

[34]           Le défendeur cite la décision Sman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 891, à l’appui de cet argument. Dans cette affaire, la Cour a rejeté l’argument du demandeur selon lequel ses craintes irrationnelles et subjectives faisaient présumer que ses craintes reposaient sur une base objective. Au paragraphe 22, le juge Denis Pelletier a écrit ce qui suit :

[…] le point litigieux ne se rapporte pas à la crainte subjective du demandeur puisque, dans sa décision, la SSR décide effectivement qu’il n’existe aucun fondement objectif permettant de craindre la persécution dans l’avenir. La revendication doit donc être rejetée, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il existe une crainte subjective de persécution.

 

 

[35]           Le défendeur cite également des affaires dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des Nations Unies contre la torture ont rejeté des arguments semblables au sujet du prétendu effet psychologique que pouvait avoir un renvoi. (Cruz Varas c. Suède, (20 février 1991), affaire no 46/1990/237/307 (C.E.D.H.), G.R.B. c. Suède (2 juin 1997), communication no 83/1997 (C.N.U.C.T.), B.S.S. c. Canada (7 mars 2001), communication no 183/2001 (C.N.U.C.T.))

 

ANALYSE

 

 

            Les raisons impérieuses

 

 

[36]           Le défendeur dit que l’analyse des « raisons impérieuses » aux termes du paragraphe 108(4) de la Loi n’était pas nécessaire, compte tenu des faits de l’affaire.

[37]           D’après le défendeur, cela vient du fait que le libellé du paragraphe 108(4) indique clairement qu’il s’agit là d’une exception à la disposition relative à la perte d’asile que l’on trouve à l’alinéa 108(1)e), de sorte que le paragraphe 108(4) ne crée pas un moyen indépendant d’octroyer l’asile pour « des raisons impérieuses ».

[38]           Aux termes du paragraphe 108(4), une personne cesse d’être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger lorsque les raisons à l’origine de la crainte de persécution ou du besoin d’être protégé n’existent plus. Le défendeur soutient qu’étant donné que le paragraphe 108(4) crée une exception à l’alinéa 108(1)e), l’exception n’est applicable que lorsque l’asile a déjà été accordé. Le défendeur affirme que cette interprétation est étayée par la définition de « personne protégée » au paragraphe 95(2), dans lequel l’utilisation du mot « ensuite » reflète l’intention que la disposition relative à la perte d’asile du paragraphe 108(1) – et, par déduction nécessaire, l’exception aux dispositions relatives à la perte d’asile découlant de raisons impérieuses prévue au paragraphe 1084(4) – ne s’applique que si l’asile a déjà été accordé.

[39]           Le défendeur fait remarquer que l’arrêt Hassan de la Cour d’appel fédérale, qui traite du paragraphe 2(3) de l’ancienne Loi sur l’immigration en son paragraphe 3, étaye cette analyse du paragraphe 108(4) de la Loi. Qui plus est, les principes énoncés dans Hassan ont été appliqués dans de nombreuses affaires postérieures, ce qui indique clairement que deux conditions préalables doivent être remplies avant qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse des raisons impérieuses :

a.                   Le demandeur doit démontrer qu’il a été visé, à un moment donné, par la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger (même s’il n’est pas nécessaire qu’il ait effectivement obtenu cette qualité);

b.                  Il faut qu’il ait été décidé que la personne ne répond plus à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en raison d’un changement de situation.

 

[40]           À l’appui de sa position, le défendeur invoque le par. 6 de Singh, le par. 17 de J.R.D., le par. 35 d’Ogbebor, le par. 15 de Perger et le par. 49 de Mbarbe.

[41]           Le défendeur cite également les par. 5 et 6 de Brovina pour affirmer que la situation n’a pas changé avec la Loi, de sorte que le paragraphe 108(4) constitue toujours une exception à la disposition relative à la perte d’asile et que les principes énoncés dans Hassan continuent à s’appliquer.

[42]           Le défendeur soutient également que cette approche est conforme à celle qu’ont retenue d’autres pays qui ont adopté l’exception « des raisons impérieuses » à l’article 1c(5) de la Convention relative au statut des réfugiés.

[43]           Comme le fait remarquer le défendeur, le demandeur ne peut répondre aux conditions exigées par la jurisprudence applicable parce qu’il n’a jamais été décidé qu’il avait la qualité de réfugié ou de personne à protéger. Le fait qu’il ait été fouetté avant de quitter l’Iran ne suffit pas à lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne protégée.

[44]           En outre, la demande d’asile du demandeur n’a pas été rejetée en raison d’un changement de situation; cette demande n’a jamais reposé sur une base objective.

[45]           Le demandeur répond à cet argument que le fait que l’agente ait admis qu’il avait été fouetté veut dire que le demandeur a effectivement subi une persécution atroce et épouvantable mais que, de toute façon, il existe une jurisprudence favorable à l’application de principes humanitaires plus larges dans le contexte du paragraphe 108(4) de la Loi.

[46]           En particulier, le demandeur se fonde sur la décision prononcée par le juge Luc Martineau dans Suleiman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1125, pour montrer que la Cour a reconnu qu’il fallait adopter une approche humanitaire plus généreuse dans l’application du paragraphe 108(4). Le demandeur attire l’attention de la Cour sur les paragraphes suivants des motifs du juge Martineau dans Suleiman :

16. Il ne faut pas oublier que le paragraphe 108(4) de la Loi renvoie seulement à « des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs ». Il ne requiert pas qu’il soit tranché qu’un tel acte ou une telle situation est « atroce » et « épouvantable ». En effet, diverses circonstances peuvent enclencher l’application de l’exception à l’égard des « raisons impérieuses ». La question est celle de savoir si en prenant en compte l’ensemble de la situation, c’est‑à‑dire les motifs d’ordre humanitaire et les circonstances inhabituelles ou exceptionnelles, il serait erroné de rejeter une demande ou de faire une déclaration selon laquelle les raisons pour demander l’asile n’existent plus par suite du changement de circonstances. Les « raisons impérieuses » sont examinées au cas par cas. Chaque cas est un « cas d’espèce ». En pratique, cela signifie que chaque cas doit être évalué et tranché selon son bien‑fondé compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée par les demandeurs. Comme il a été statué dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 254 N.R. 388, au paragraphe 6 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 457 (C.A.F.), dans tous les cas dans lesquels la Commission conclut qu’un demandeur a subi de la persécution dans le passé, elle est tenue, lorsqu’il y a eu un changement dans la situation du pays dans une mesure suffisante pour éliminer la source de la crainte du demandeur, d’examiner la question de savoir si la preuve présentée prouve qu’il existe des « raisons impérieuses ».

 

Note 2 : À cet égard, comme l’a déclaré M. le juge Rouleau dans la décision Elemah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1123, au paragraphe 28 (C.F. 1re inst.) (QL), 2001 CFPI 779 (C.F. 1re inst.) : Dans cet arrêt, la Cour n’a pas établi un critère exigeant que la persécution atteigne un degré tel qu’on puisse la qualifier d’« atroce » et d’« épouvantable ». Plutôt, la Commission doit considérer de façon approfondie toute la preuve documentaire et orale, notamment la nature des incidents de torture et les rapports médicaux fournis par les parties pour évaluer, comme le prévoit la Loi, s’il existe des « raisons impérieuses » de ne pas le renvoyer. M. le juge MacKay dans la décision Kulla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1347, au paragraphe 6 (C.F. 1re inst.) (QL), a formulé d’une manière similaire la question qui doit être traitée par la Commission lorsque l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » est soulevée.

 

17. Par conséquent, il serait dangereux d’énumérer toutes les circonstances qui peuvent justifier l’application de l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » ou d’établir un critère strict (notamment fondé sur le degré d’atrocité). Cependant, en plus des directives générales qui sont contenues dans le Guide ou qui résultent de l’arrêt Obstoj et de la jurisprudence, les commentaires de James C. Hathaway, à la page 204, fournissent une certaine orientation :

 

            [traduction]

            La clause d’exemption contenue dans la Convention n’est pas [...] structurée pour fournir une réparation humanitaire générale fondée sur des facteurs comme la situation familiale ou la déficience, mais se concentre carrément sur des circonstances impérieuses qui sont liées à la persécution subie dans le passé. Atle Grahl‑Madsen a proposé que l’existence d’une distance psychologique entre la réfugiée et son ancienne patrie, l’impopularité soutenue des opinions ou des caractéristiques personnelles de la réfugiée dans le pays d’origine ou la coupure des liens familiaux, sociaux ou autres entre la réfugiée et son pays d’origine sont les sortes de préoccupations qui justifient l’exemption de retourner dans son pays. Au contraire, des motivations essentiellement économiques ou des considérations personnelles ne sont pas suffisantes.

 

18. Les commentaires suivants extraits du livre Immigration Law and Practice, vol. 1, de Lorne Waldman, au paragraphe 8.94, sont également utiles :

 

                        [traduction]

            Lorsqu’un réfugié souffre d’un traumatisme psychologique constant qui résulte de la persécution qu’il a subie dans le passé, et qui dans son esprit a un lien avec le pays d’origine, la cessation n’est pas assurée si le rapatriement peut entraîner pour le réfugié des souffrances psychologiques. C=est cette considération qui amène Goodwin‑Gill à prétendre que la clause devrait être appliquée libéralement. De la même façon, si les partisans de l’ancien régime de persécution constituent une menace au bien‑être physique ou psychologique du réfugié dans le pays d’origine, la cessation n’aura pas lieu.

 

19. Le degré d’anxiété que vit un demandeur d’asile lorsqu’il pense qu’il sera forcé de retourner d’où il vient dépend de l’état de sa santé (force) mentale. La question à poser à l’égard des « raisons impérieuses » est la suivante : Le demandeur devrait‑il être exposé à la toile de fond qu’il a quittée même si les acteurs principaux peuvent ne plus être présents ou ne plus jouer les mêmes rôles? La réponse ne réside pas tellement dans un fait concluant, déterminant et établi, mais plutôt plus dans l’étendue de la douleur intérieure ou de la douleur de l’âme à laquelle un demandeur serait assujetti. La décision, comme toutes les décisions de nature impérieuse, doit s’appuyer sur l’opinion selon laquelle c’est l’état d’esprit du demandeur qui crée le précédent – pas nécessairement le pays, les conditions, ni l’attitude de la population, même si ces facteurs peuvent jouer un rôle. En outre, cette opinion ne comprend pas l’imposition de concepts occidentaux à un phénomène subtil qui trouve sa source dans l’individualité de la nature humaine, une individualité qui est unique et qui s’est développée dans un environnement social et culturel tout à fait différent. Par conséquent, il devrait également être tenu compte de l’âge du demandeur, de ses antécédents culturels et de ses expériences sociales antérieures. La capacité de résister à des conditions défavorables dépendra d’un nombre de facteurs qui diffèrent d’un individu à un autre.

 

                        […]

 

22. Bien qu’elle ait reconnu que M. Suleiman souffre du syndrome de dépression clinique et d’anxiété post‑traumatique, la Commission a omis, en raison de sa conclusion selon laquelle la norme élevée établie dans l’arrêt Obstoj, précité, n’a pas été satisfaite, de trancher la question de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire et de la gravité de la persécution subie dans le passé, le rapatriement en Tanzanie lui causerait des souffrances psychologiques excessives au point de constituer des « raisons impérieuses » qui justifieraient que les demandeurs refusent de se réclamer de la protection de leur pays. Bien que l’arrêt Obstoj, précité, et la décision Hassan, précitée, mentionnent des « circonstances exceptionnelles », comme j’ai expliqué précédemment, il ne s’agit aucunement d’une invitation à appliquer l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » d’une manière systématique ou sans tenir compte des effets sur un demandeur et sa famille de la persécution subie dans le passé. Dans la présente affaire, la Commission a conclu que la preuve présentée par les demandeurs était digne de foi. Cette preuve, qui par elle‑même et de façon objective peut ne pas être jugée suffisamment grave pour constituer des « raisons impérieuses », peut en fait, selon la situation particulière du demandeur et de sa famille compte tenu de l’état dans lequel ils se trouvent, être néanmoins perçue comme suffisamment grave pour projeter une image d’anxiété qui ferait qu’il serait déraisonnable de concevoir la possibilité d’un retour au pays. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que j’exprime une opinion définitive, du moins à première vue, à l’égard de la mort d’un cousin et de l’essentiel des mauvais traitements précédemment décrits, ces faits peuvent certainement, dans l’esprit du demandeur principal, constituer des difficultés excessives à supporter compte tenu de son état fragile. Par conséquent, la Commission aurait dû faire un examen approfondi de cette preuve afin d’effectuer une évaluation appropriée à l’égard du paragraphe 108(4) de la Loi.

 

 

[47]           Je ne pense pas que la décision du juge Martineau dans l’affaire Suleiman soit applicable aux faits de la présente espèce ou indique que les règles exposées dans Hassan et la jurisprudence postérieure aient été modifiées.

[48]           Cela s’explique par le fait que les questions soulevées dans la présente affaire n’étaient pas soumises au juge Martineau dans Suleiman. Dans cette affaire, la Commission avait effectivement examiné l’applicabilité de l’exception fondée sur « des raisons impérieuses » prévues au paragraphe 108(4). Autrement dit, dans Suleiman, la Commission avait reconnu que les demandeurs concernés avaient été persécutés mais, comme le juge Martineau l’a déclaré, « la Commission a conclu, compte tenu des changements dans les conditions du pays, que la crainte de persécution des demandeurs n’est pas objectivement bien fondée […] ». Dans Suleiman, la Commission a procédé conformément à la jurisprudence établie et a effectué une analyse des raisons impérieuses parce qu’elle avait conclu [traduction] « que la demande d’asile (ou de personne protégée) était valide et que les motifs sur lesquels reposait la demande n’existaient plus (en raison d’un changement dans les conditions du pays) ».

[49]           La seule question en litige devant le juge Martineau dans Suleiman était de savoir si la Commission, en décidant que l’exception fondée sur des raisons impérieuses n’était pas applicable dans cette affaire, avait adopté une approche trop restrictive et avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le critère établi dans l’arrêt Obstoj requiert que la persécution soit d’un niveau tel qu’elle puisse être qualifiée d’« atroce » et d’« épouvantable » pour que l’exception à l’égard des « raisons impérieuses » entre en jeu. Autrement dit, le juge Martineau examinait la gravité de la persécution antérieure exigée dans un cas où la Commission avait reconnu qu’il y avait eu persécution mais avait refusé d’accorder l’asile en raison d’un changement de situation dans ce pays.

[50]           À mon avis, la décision Suleiman ne modifie aucunement la jurisprudence de la Cour qui découle de l’arrêt Hassan et qui exige que le demandeur ait eu droit, à un moment donné, à la qualité de réfugié, mais que les motifs à l’origine de sa demande n’existent plus.

[51]           Toutes les citations de M. Hathaway et de M. Waldman que l’on trouve dans Suleiman indiquent clairement que les raisons impérieuses (quel que puisse être le niveau des atrocités requis) doivent être liées à une persécution antérieure et visent des situations dans lesquelles, pour citer M. Waldman », [traduction] « un réfugié souffre d’un traumatisme psychologique constant qui résulte de la persécution qu’il a subie dans le passé […] ». Les citations partent de l’hypothèse selon laquelle il doit y avoir eu perte d’asile avant qu’il y ait lieu de procéder à une analyse des raisons impérieuses.

[52]           En l’espèce, même si la Commission a reconnu que le demandeur avait été fouetté par les autorités iraniennes, la Commission n’a pas conclu que cette reconnaissance lui donnait droit à la qualité de réfugié s’il n’y avait pas eu de changement dans les circonstances. Le demandeur soutient uniquement que le traumatisme psychologique découlant des coups de fouet reçus et du traitement qu’il a subi de la part des autorités iraniennes doit donner lieu à une analyse des raisons impérieuses aux termes du paragraphe 108(4), en tant que moyen distinct d’obtenir l’asile, plutôt que comme une exception qui ne doit être examinée que lorsqu’il a été établi que la persécution antérieure est suffisante pour reconnaître à la personne en cause la qualité de réfugié mais qu’il n’est pas possible de la lui accorder parce que les « raisons à l’origine de la demande d’asile n’existent plus ».

[53]           Le demandeur dit que le traitement qu’il a subi aux mains des autorités iraniennes doit entraîner cette conséquence. Mais il a déjà présenté une demande d’asile et l’on peut présumer que si cela avait été le cas, les motifs de la SSR auraient reflété cette position. En cas de désaccord, le demandeur aurait demandé le contrôle judiciaire de cette décision, ce qu’il n’a pas fait.

[54]           La décision d’ERAR qui est examinée dans le cadre de la présente demande ne contient aucune constatation en ce sens, ce qui explique pourquoi le paragraphe 108(4) n’a jamais été mentionné. Pour cette raison, je ne pense pas que l’on puisse dire que l’agente ait commis une erreur relativement au paragraphe 108(4). La décision d’ERAR et celle de la SSR indiquent clairement que la situation n’a pas changé en Iran et que le demandeur n’a aucune crainte objective d’être persécuté et n’a pas besoin d’être protégé. L’approche adoptée par l’agente sur ce point était la bonne. Il n’y a pas eu d’erreur sujette à révision.

            Le risque au sens de l’alinéa 97(1)b) de la Loi

 

[55]           Le demandeur soutient ensuite que [traduction] « tout comme l’agent d’ERAR a omis d’examiner si la santé mentale du demandeur déclenchait l’application de la disposition relative aux raisons impérieuses, l’agente a agi de la même façon en ce qui concerne l’alinéa 97(1)b) de la LIPR ».

[56]           Le demandeur soutient que la preuve médicale présentée à l’agente mentionnait que la détérioration de sa santé mentale était directement liée à son expulsion et non pas au fait qu’il pourrait être à nouveau arrêté ou torturé en Iran. Il se plaint du fait que l’agente n’ait tenu aucunement compte de cette preuve, ni de cet aspect.

[57]           Le demandeur affirme également que la preuve médicale concernant la détérioration de sa santé et du risque qu’il se suicide s’il retournait en Iran portaient sur la notion de risque objectif puisque ce sont des risques auxquels il ferait face en Iran, même si la détérioration de sa santé mentale et les risques de suicide ont trait à son expulsion.

[58]           L’examen de la décision auquel j’ai procédé m’amène à conclure que l’agente a examiné attentivement la preuve médicale, mais que les craintes du demandeur ne reposaient sur aucun fondement objectif. Une demande présentée aux termes de l’article 97 exige que le risque de torture, la menace à la vie ou le risque de traitements ou de peines cruels et inusités allégué repose sur une base objective. Voir Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.A.F. 1 au par. 33.

[59]           Le demandeur cherche à établir une base objective pour sa crainte en disant que de bonnes raisons et une preuve médicale solide appuient une demande aux termes de l’alinéa 97(1)b), compte tenu de la détérioration de sa santé. Autrement dit, la crainte qu’il éprouve à l’égard de son expulsion en soi suffit à établir l’existence d’un risque objectif même si, objectivement parlant, il n’existe aucun motif de craindre un retour en Iran.

[60]           Cela voudrait dire qu’aux termes de l’alinéa 97(1)b), une crainte subjective, même si elle n’est pas justifiée par une raison objective, constitue une crainte objective si le demandeur éprouve à l’égard de risques non objectifs une crainte telle que sa santé s’en détériore.

[61]           Je ne pense pas que ce soit là l’objet ou l’intention de l’alinéa 97(1)b). Le demandeur soutient que l’expulsion peut à elle seule déclencher l’application de l’alinéa 97(1)b), quels que soient les risques objectifs qu’il court en Iran. Cela voudrait dire en fait que le demandeur peut bénéficier de l’application de l’alinéa 97(1)b) s’il court un risque en raison de ses propres craintes, même si ces craintes sont dépourvues de toute objectivité. Je ne pense pas que l’économie générale de la Loi, l’intention de l’alinéa 97(1)b) ou la jurisprudence au sujet de l’existence nécessaire d’un risque objectif dans le cadre de l’article 97 permet de tirer une telle conclusion. Je pense que l’agente a évalué de façon appropriée la preuve médicale ainsi que le risque au sens de l’alinéa 97(1)b) conformément à la jurisprudence de la Cour.

            Conclusion

 

[62]           J’estime que les faits de la présente affaire soulèvent des considérations d’ordre humanitaire importantes. Le demandeur a 62 ans et la preuve médicale présentée montre que son état général s’est vraiment détérioré et que sa santé mentale est mauvaise. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer, la Loi prévoit différentes procédures qui sont régies par des objectifs et des considérations différents. Voir, par exemple, Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.), aux par. 16 et 17; et Serri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2 décembre 1997), dossier IMM‑2193‑96 (C.F.), aux par. 16 et 17.

[63]           Les faits de la présente demande indiquent que le demandeur a réellement besoin de demeurer au Canada à cause de sa santé mentale déclinante et non pas à cause du risque objectif qu’il courrait en Iran. Le but du processus d’ERAR est de décider si le demandeur ferait face à une crainte justifiée d’être persécuté ou à un risque reposant sur des faits objectifs s’il retournait en Iran. Voir Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 516, aux par. 1 et 14 à 16; et Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, au par. 70.

[64]           Il serait peu judicieux d’élargir les objectifs du processus d’ERAR et de déformer la jurisprudence qui s’est développée sur ce point pour tenter de tenir compte de considérations qui méritent qu’on s’y attache mais qui seraient peut‑être traitées au moyen d’autres dispositions et processus de la Loi.

[65]           Les avocats sont invités à signifier et à déposer leurs observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs d’ordonnance. Chacune des parties disposera d’une autre période de trois jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de la partie adverse, à la suite de quoi une ordonnance sera rendue.

 

 

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3995‑05

 

 

INTITULÉ :                                       PARVIZ NAJDAT

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shane Molyneaux

 

POUR LE DEMANDEUR

Scott Nesbitt

R. Keith Reimer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin Cannon & Associates

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Bureau régional de Vancouver

POUR LE DÉFENDEUR

 

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