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Date : 19990505


Dossier : T-1948-95


ENTRE :


HAROLD RUGGLES,


demandeur,


- et -


FORDING COAL LIMITED et

JUDY PAULHUS,


défenderesses,

ET ENTRE :


FORDING COAL LIMITED,


demanderesse reconventionnelle,


- et -


HAROLD RUGGLES,


défendeur reconventionnel.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

CONTEXTE

[1]      La présente action concerne une demande en matière de violation de droit d"auteur et une demande reconventionnelle similaire. Le demandeur disposerait d"un droit d"auteur à l"égard de documents publicitaires immobiliers et d"un film vidéo qu"il a préparés afin de vendre un bloc d"immeubles en copropriété appartenant à Fording Coal Ltd. (Fording) et situés à Elkford (Colombie-Britannique). Fording a subséquemment décidé de vendre elle-même le reste des immeubles en copropriété. Les défenderesses se sont servi des documents préparés par M. Ruggles, du moins dans la mesure où, ainsi qu"il ressort maintenant, Fording a copié les documents publicitaires et a inséré le nom de Mme Paulhus, l"une des défenderesses, dans les documents que cette dernière a distribués afin d"annoncer et de vendre le reste des immeubles en copropriété.

[2]      Après avoir découvert que le nom de Mme Paulhus était inséré dans les copies des documents qu"il avait préparés et, peut-être pour d"autres motifs qui ne sont pas particulièrement pertinents, M. Ruggles a désigné Fording et Mme Paulhus comme défenderesses.

[3]      Les interrogatoires préalables ont eu lieu à la fin de novembre et au début de décembre 1998. À un certain moment entre la fin de ces interrogatoires et une évaluation objective tenue le 27 janvier 1999, le demandeur a décidé qu"il convenait de se désister de l"action introduite contre Mme Paulhus. Toutefois, le demandeur n"a pas agi avec célérité à l"égard de ce désistement, un débat s"étant engagé sur la question de savoir si cela pouvait se faire sans dépens. La renonciation aux dépens s"est avérée impossible. En conséquence, le 10 mars 1999, Mme Paulhus a présenté une requête en jugement sommaire pour faire rejeter l"action engagée contre elle. Avant l"audition de la requête, M. Ruggles s"est désisté de l"action engagée contre Mme Paulhus. Toutefois, à la suite de cette requête, il restait une réclamation pour les dépens sur la base avocat-client ou, subsidiairement, les dépens à l"échelon le plus élevé du tarif de la Cour.

[4]      M. Ruggles a déposé un affidavit en réponse à la requête en réclamation des dépens. Il a été contre-interrogé sur cet affidavit, ce qui nous mène à la première question, soit celle de savoir si Mme Paulhus pourrait déposer un autre affidavit après le contre-interrogatoire de M. Ruggles.

ANALYSE

Dépôt d"affidavits après le contre-interrogatoire

[5]      La règle 84(2) dispose :

La partie qui a contre-interrogé l"auteur d"un affidavit déposé dans le cadre d"une requête ou d"une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l"autorisation de la Cour.

Cette disposition est similaire à l"ancienne règle 332.1(6) des Règles de la Cour fédérale .

[6]      Les règles relatives au dépôt d"un affidavit supplémentaire après le contre-interrogatoire sont énoncées par le juge Dubé dans Guylaine Côté c. La Reine , jugement non publié daté du 27 mai 1992 dans le dossier T-1206-89. Citant la règle 332.1(6), le juge Dubé a examiné différentes affaires antérieures et conclu que cette jurisprudence faisait ressortir trois critères à satisfaire pour obtenir l"autorisation de la Cour :

  1. )      l"information comprise dans l"affidavit était-elle disponible avant l"interrogatoire en question?
  2. )      les faits établis par l"affidavit supplémentaires sont-ils pertinents au litige?
  3. )      le dépôt de l"affidavit supplémentaire peut-il causer un préjudice grave aux autres parties?

Le libellé de ces critères n"indique pas s"il faut en satisfaire un seul ou l"ensemble. Toutefois, il ressort clairement de cette décision que les trois critères doivent être pris en considération et soupesés. Je passe maintenant aux affidavits en cause.

[7]      Les affidavits de MM. Jones et Noonan, que les défenderesses cherchent à déposer en réponse au contre-interrogatoire de M. Ruggles sur son affidavit, ne satisfont pas tous les critères établis dans l'affaire Côté c. La Reine, précitée. Dans son affidavit, M. Ruggles indique que la désignation de Mme Paulhus comme défenderesse résulte du fait que son nom apparaissait sur les copies des documents qu"il avait préparés. En contre-interrogatoire, M. Ruggles a fait allusion aux conversations qu"il avait eues avec MM. Jones et Noonan, après avoir vu les documents qui portaient atteinte à son droit d"auteur, et selon lesquelles il se demandait ce que Mme Paulhus faisait avec ses documents. Les affidavits de MM. Jones et Noonan sont concis et soigneusement rédigés. Tout en reconnaissant que M. Ruggles lui avait parlé de l"utilisation par Fording des documents en cause, M. Jones nie que le nom de Mme Paulhus ait été prononcé au cours de ces conversations et ajoute que rien n"indique que cette dernière était responsable de la reproduction ou de la préparation du film vidéo en cause. M. Noonan dit qu"il ne se souvient d"aucune conversation mais ajoute catégoriquement - et il y a ici une incohérence - qu"il n"a pas discuté de la participation de Mme Judy Paulhus à la préparation ou à l"utilisation du film vidéo. Je passe maintenant à l"application des critères établis dans la décision Coté .

[8]      Pour ce qui est du premier de ces critères, les documents mentionnés dans les affidavits ont toujours été disponibles et auraient pu faire partie de la requête originale en réclamation des dépens de Mme Judy Paulhus. Deuxièmement, les affidavits ne sont que d"une utilité marginale car, d"après ce qu"il y est mentionné, rien ne justifiait de ne pas désigner initialement Mme Judy Paulhus comme défenderesse. En fait, comme le nom de Mme Paulhus figure sur les documents copiés et comme il est possible qu"elle ait pu agir indépendamment de Fording, il aurait bien pu être négligent de ne pas la désigner comme défenderesse et de ne rien faire d"autre jusqu"à ce qu"il soit établi que Fording était responsable de la mention de son nom sur les documents et de l"utilisation par elle de ces derniers dans le cadre de la vente des immeubles en copropriété appartenant à Fording. Troisièmement, en ce qui a trait au préjudice, les affidavits de MM. Jones et Noonan devraient faire l"objet d"un contre-interrogatoire pour établir, notamment, si les conversations alléguées par M. Ruggles, mais que nient MM. Jones et Noonan, ont eu lieu à un autre moment car, dans une conversation entre M. Ruggles et des employés de Fording, il aurait été tout à fait naturel de discuter du sujet dont il a été question d"après M. Ruggles. Un autre contre-interrogatoire et d"autres affidavits ajouteraient peu aux questions véritables à trancher, soit les dépens auxquels Mme Paulhus a droit.

[9]      Vu tout ce qui précède, particulièrement l"incidence minime des affidavits de MM. Jones et Noonan, et compte tenu du montant peu élevé qui est en cause, les défenderesses ne sont pas autorisées à déposer les affidavits de MM. Jones et Noonan.

Droit de Mme Paulhus aux dépens

[10]      D"après les faits dont disposait initialement le demandeur, soit que Mme Paulhus était chargée des ventes d"immeubles en copropriété, que le nom de cette dernière figurait sur les documents publicitaires, y compris le film vidéo sur lequel M. Ruggles prétend détenir un droit d"auteur et que Mme Paulhus utilisait les documents dans le cadre d"une campagne de vente, il convenait tout à fait de désigner Mme Paulhus comme défenderesse1. À ce stade, il n"y a aucune preuve de mauvaise foi : comme l"indique le contre-interrogatoire sur son affidavit, il se peut que M. Ruggles ait eu des doutes sur la qualité de Mme Paulhus pour agir à titre d"agent immobilier, mais cela ne dénote pas de la mauvaise foi ou un abus de procédure. M. Ruggles a peut-être fait des déclarations et certainement envoyé une lettre au chef de la direction de Fording, peut-être dans le feu de l"action, lettre assurément inopportune, mais cela n"empêche pas qu"il avait une bonne raison, à l"époque, de désigner Mme Paulhus comme défenderesse parce que son nom était mentionné dans les documents publicitaires et qu"elle utilisait ces documents.

[11]      J"ai aussi examiné la question de savoir si les actes de procédure auraient dû donner quelque avertissement que ce soit à M. Ruggles indiquant que Mme Paulhus aurait dû être écartée plus tôt de cette action. La question du rôle de Mme Paulhus à l"égard de la prétendue violation des droits d"auteur, qui a été soulevée dans la déclaration, ne trouve pas de réponse dans la défense ni dans la défense modifiée, sauf par une dénégation générale et l"assertion que les défenderesses n"ont pas utilisé les documents en cause. Cette dénégation relative à l"utilisation est maintenue même dans la défense modifiée du 29 mars 1999, malgré le fait évident que Fording Coal et que Mme Paulhus, qui était apparemment au service de Fording, ont tous deux utilisé le film vidéo et les autres documents publicitaires.

[12]      Mme Paulhus a subi un interrogatoire préalable, et un affidavit supplémentaire renfermant les documents qu"elle a produits a été déposé. Il ressort de son témoignage lors de l"interrogatoire préalable qu"elle n"a pas copié les documents sur lesquels M. Ruggles revendique un droit d"auteur et que c"est une autre personne de la société Fording qui les a reproduits. Cet interrogatoire a eu lieu en novembre 1998. Ainsi, le dépôt du désistement de la demande contre Mme Paulhus le 30 mars 1999 s"est fait avec un retard certain, mais léger.

[13]      Il se peut très bien que le désistement dont il a été question à l"évaluation objective de cette question à laquelle la Cour a procédé à Calgary le 27 janvier 1999 ait finalement été précipité par le dépôt, au début de mars 1999, d"un avis de requête pour faire écarter Mme Paulhus comme défenderesse, au moyen d"une procédure sommaire.

[14]      Comme il était raisonnable que Mme Paulhus soit constituée partie défenderesse dans le cadre de la présente instance jusqu"à son interrogatoire préalable, qu"elle soit représentée par le même avocat que Fording et que sa cause fasse partie intégrante de celle de Fording, les seuls dépens additionnels réels visent la préparation et la participation à l"interrogatoire préalable, la communication de ses propres documents et la préparation de documents en vue d"un jugement sommaire. J"appuie cette conclusion sur le fait que les défenderesses étaient représentées par un avocat et, pour la majeure partie de l"instance, traitées comme une seule partie. Voir à cet égard Southern Property Rentals Ltd. v. Delight Touche Inc. , un jugement daté du 12 février 1999 dans lequel le juge Hembroff de la Cour du Banc de la Reine de l"Alberta a conclu que :

[TRADUCTION] Il serait étrange de laisser entendre que deux parties, représentées dans le cadre de la même poursuite par le même avocat et faisant valoir la même thèse, ne devraient pas être traitées de la même façon pour ce qui est des dépens. (Page 3)

[15]      La présente espèce est différente des décisions The Kastner c. Painblanc, celle du juge Richard, tel était alors son titre, publiée dans (1995), 60 C.P.R. (3d) 174 et celle du juge Hugessen de la Cour d"appel fédérale, datée du 24 février 1995 dans le dossier A-39-94, et sur lesquelles la défenderesse se fonde pour faire majorer le montant. Dans les décisions The Kastner , le juge Richard a accordé une majoration de dépens en raison de la lourde charge de travail nécessaire pour faire rejeter l"action. Le juge Hugessen a majoré les dépens relatifs à la préparation et à l"audition parce qu"il a conclu à un abus. Aucun des juges n"a accordé la totalité des dépens sur la base avocat-client qui étaient sollicités.

[16]      Dans la présente instance, il n"y a pas de preuve véritable d"abus. La préparation des documents en vue de faire rejeter l"action était importante mais il ne s"agissait pas d"une tâche trop lourde ou trop complexe. Les dépenses se situent à l"intérieur d"une fourchette habituelle, sauf dans la mesure des dépens engagés en raison du retard du demandeur à se désister de l"action contre Mme Paulhus.

[17]      Ainsi, sont en cause tous les dépens concernant Mme Paulhus et gaspillés entre l"interrogatoire de Mme Paulhus et le désistement. Étant donné que cette requête est en grande partie accessoire à l"objet de l"action, il ne convient pas d"exiger des parties qu"elles fassent taxer les dépens. En fonction du tarif B de la Cour fédérale, j"accorde à Mme Paulhus, pour l"interrogatoire préalable sur les documents, la préparation de l"interrogatoire préalable et la participation de l"avocat à l"interrogatoire préalable, la somme de 1 000 $. Il ne s"agit pas d"une indemnité, ce qui ressort clairement du tarif qu"applique la Cour fédérale. De plus, selon toute vraisemblance, une certaine partie du processus d"interrogatoire préalable était commune. Il s"agit des dépenses nécessaires dans le cadre de la poursuite et, comme je l"ai dit, il n"y a pas lieu de les taxer sur une base spéciale quelconque. Les coûts gaspillés " et il s"agit d"une question distincte " concernaient la préparation des documents en vue de l"obtention d"un jugement sommaire. Il n"est nullement justifié de ne pas taxer ces dépens d"une manière habituelle car les défenderesses n"ont pas établi que M. Ruggles a fait preuve de malveillance ou de mauvaise foi, mais simplement de lenteur à se désister de l"action contre Mme Paulhus. La préparation de la requête en jugement sommaire relève de l"article 5 du tarif B de la Cour fédérale. J"accorde donc cet article, au milieu de la colonne 4, fixé à 600 $. Mme Paulhus étant maintenant écartée de la présente instance, il convient que ces dépens lui soient accordés, à titre de règlement complet de sa réclamation en dépens, dans un délai raisonnable.

[18]      Vu le succès partagé à l"égard de la présente requête, les dépens suivront l"issue de la cause.


                     (Signé) " John A. Hargrave "

                         Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 5 mai 1999



Traduction certifiée conforme :


Richard Jacques, LL. L.


     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DATE D"AUDIENCE :          5 mai 1999
NO DU GREFFE :          T-1948-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Harold Ruggles

                     c.

                     Fording Coal Limited et Judy                      Paulhus


LIEU DE L"AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE

DE M. LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

en date du 5 mai 1999



ONT COMPARU :

Benjamin Bullock              pour le demandeur
Doug Mills                  pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Huckvale & Co.

Lethbridge (Alberta)          pour le demandeur

Burnet, Duckworth & Palmer                     

Calgary (Alberta)              pour les défenderesses
__________________

1Voir l"affidavit de Mme Judy Paulhus déposé le 10 mars 1999, aux paragraphes 6 et 7 quant à l"utilisation qu"elle a faite des brochures et du film vidéo en cause.

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