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Date : 20041103

Dossier : IMM-1819-02

Référence : 2004 CF 1548

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE ELEANOR R. DAWSON

ENTRE :

                                             LUCY EASTWOOD DENTON-JAMES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 3 avril 2002, la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté l'appel de Mme Denton-James interjeté à l'encontre d'une décision d'un agent des visas. Celui-ci avait refusé la demande parrainée de résidence permanente présentée par Scott Denton-James, le mari de Mme Denton-James, parce qu'on a conclu qu'il était visé par les divisions 19(1)f)(iii)(B) et 19(1)e)(iv)(C) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (les dispositions législatives pertinentes), et qu'il était aussi non admissible.

[2]                Les dispositions législatives pertinentes rendent non admissibles « [les personnes] dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles : [...] sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée : [...] à des actes de terrorisme » et « celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles : [...] sont membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle : [...] commettra des actes de terrorisme » . L'agent des visas avait conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Denton-James avait été ou était membre de Combat 18 et qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que cette organisation se livrait ou s'était livrée à des actes de terrorisme ou qu'elle commettrait des actes de terrorisme.

[3]                Lors de l'appel, le tribunal a examiné tant le dossier public que le dossier confidentiel dont avait disposé l'agent des visas. Des éléments de preuve additionnels ont également été présentés au tribunal. Celui-ci a rejeté l'appel, estimant que M. Denton-James était bel et bien visé par les dispositions législatives pertinentes et qu'il n'existait pas de raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée à l'égard de cette décision.

La décision du tribunal


[4]                Combat 18 est connu comme une organisation d'extrême droite, militant pour la suprématie blanche. Le chiffre 18 correspond à la position numérique dans l'alphabet des initiales d'Adolf Hitler. Le tribunal a conclu que « les objectifs de Combat 18 et son recours à la violence, comme le dossier l'établit, visant des populations civiles non blanches et non hétérosexuelles précises, sont illégaux et terroristes par nature. Les documents établissent qu'il y a des motifs raisonnables de croire que Combat 18 est ou était une organisation terroriste » .

[5]                Abordant la question de l'adhésion à l'organisation, le tribunal a écrit :

Sur la question de l'adhésion d'une personne à une organisation, j'ai examiné la jurisprudence de la Cour fédérale, notamment les arrêts Chiau c. Canada (M.C.I.), Canada (M.C.I.) c. Mahjoub et Ahani c. Canada. Comme pour le terme « terrorisme » , le terme « membre » doit également recevoir une interprétation non restrictive. On ne saurait limiter la qualification de « membre » aux personnes qui adhèrent effectivement ou formellement à une organisation, avec participation active aux activités illégales, ni aux membres porteurs de cartes dont le nom figure sur le rôle de l'organisation, la carte et le rôle étant clairement établis et admis en preuve. [Renvois omis.]

[6]                En analysant la preuve dont il disposait, le tribunal a fait remarquer que celle-ci « éman[ait] d'une diversité de sources indépendantes, notamment ses propres déclarations faites à divers représentants et les documents confidentiels mis à la disposition de la Section d'appel » . Le tribunal a ensuite examiné le témoignage rendu devant lui par M. Denton-James et il a examiné à fond ce qui a été qualifié de comptes rendus différents que celui-ci avait fournis relativement à sa connaissance de divers membres de Combat 18 et à ses relations avec ces derniers. Le tribunal a ensuite conclu :


Pour les raisons présentées ci-dessous, je conclus à l'existence de motifs raisonnables de croire que le requérant est ou était membre de Combat 18, un groupe dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'il se livre ou se livrait à des actes de terrorisme : le requérant a fait des déclarations incohérentes aux représentants pendant la période pertinente, il a admis avoir eu des relations avec des membres de Combat 18 pendant une période prolongée commencée en 1994, il a admis qu'il frayait avec des groupes d'extrême droite pendant son adolescence, il a reconnu avoir recommencé à participer aux activités de ces groupes après son renvoi de l'Armée britannique et avoir maintenu ses relations avec des membres de Combat 18 au moins jusqu'en 1996 (si l'on se fie à sa déclaration, il aurait communiqué avec Charlie Sargent pour la dernière fois en 1996), il a été évasif à l'audience sur les questions cruciales de ses communications personnelles avec le chef du groupe; j'ai également consulté l'information confidentielle divulguée à la Section d'appel. [Renvois omis.]

Les erreurs alléguées

[7]                Mme Denton-James allègue que, en rendant sa décision, le tribunal a commis des erreurs de droit :

1.         dans son interprétation du mot « adhésion » ;

2.          dans ses conclusions de fait relativement à l'adhésion;

3.          en concluant que la preuve était suffisante pour justifier une conclusion selon laquelle Combat 18 s'était livré à des actes de terrorisme ou qu'il était susceptible d'en commettre.

[8]                Lors de sa plaidoirie, l'avocat de Mme Denton-James a retiré l'argument selon lequel le tribunal avait commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de raisons d'ordre humanitaire justifiant l'exercice de la compétence discrétionnaire du tribunal.

Analyse

(i)          Le tribunal a-t-il commis une erreur dans son interprétation du mot « adhésion » ?

(ii)         Le tribunal a-t-il commis une erreur dans ses conclusions de fait relativement à l'adhésion?


[9]                Mme Denton-James fait valoir que les motifs du tribunal ne comportent aucune analyse du mot « membre » et qu'il n'est pas possible de voir comment le tribunal a appliqué ou défini ce mot. En plus, Mme Denton-James fait valoir que la preuve n'était pas suffisante pour justifier une conclusion quant à l'adhésion. Elle affirme que la preuve démontrait que son mari connaissait plusieurs membres de Combat 18, qu'il les fréquentait, qu'il avait visité le chef à deux reprises et qu'il lui avait téléphoné une fois à partir du Canada. Il n'y avait aucune preuve de l'existence d'un but commun ou d'activités communes.

[10]            Bien que Mme Denton-James reconnaisse que, selon la jurisprudence, il faut donner une interprétation large au mot « membre » , elle fait valoir qu'il doit tout de même exister un lien entre l'adhésion de la personne et la responsabilité pour les actes de l'organisation. Elle affirme que rien dans la jurisprudence ne justifiait une conclusion selon laquelle l'adhésion peut être fondée sur une amitié douteuse avec des individus qui sont membres de l'organisation, en l'absence d'une preuve que la personne participait activement, ou contribuait de quelque façon, aux travaux courants de l'organisation. Enfin, Mme Denton-James fait valoir que le tribunal a commis une erreur de droit parce qu'il n'a pas expliqué le fondement de sa conclusion, qu'il n'a fourni aucune analyse de la jurisprudence pour étayer sa conclusion et qu'il n'a pas fourni d'éclaircissements sur la raison pour laquelle il a conclu que son mari était un membre de Combat 18.

[11]            J'ai d'abord trouvé que ce dernier argument était très convaincant. Toutefois, après avoir examiné de plus près la jurisprudence pertinente, je suis convaincue qu'il n'y a pas eu d'erreur de la part du tribunal.

[12]            En ce qui a trait à l'interprétation du mot « membre » , comme l'a signalé à juste titre le tribunal, la jurisprudence établit clairement qu'il faut interpréter ce mot d'une façon libérale, sans restriction aucune. Voyez, par exemple, la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101 (C.F.), dans laquelle le juge Rothstein a écrit ce qui suit aux paragraphes 49 à 52 :

49. Cette association étroite est-elle celle d'un membre pour l'application de la division 19(1)f)(iii)(B)? Le défendeur donne à ce mot une interprétation restrictive. Les ministres l'interprètent d'une façon libérale. Le défendeur affirme qu'il ne suffit pas qu'une personne ait noué des liens d'amitié avec d'autres membres d'une organisation pour que sa qualité de membre soit établie. Il affirme qu'avant de devenir membre d'une organisation du genre mentionné dans la division 19(1)f)(iii)(B), l'individu en cause commence par appuyer une cause. Avec le temps, s'il existe une confiance mutuelle, l'individu peut devenir membre d'un noyau central qui s'est engagé envers l'organisation et qui se consacre à promouvoir ses objectifs. Le défendeur soutient que le mot « membre » figurant dans la division 19(1)f)(iii)(B) ne s'applique qu'aux personnes qui font partie du noyau de l'organisation. Il affirme en outre que la qualité de membre, au sens de cette disposition, s'applique à une organisation qui se livre au terrorisme. Si un individu joint l'organisation après que cette dernière a mis fin à ces activités, les dispositions en question ne s'appliquent pas.

50. Les ministres soutiennent que le mot « membre » n'est pas ambigu, qu'il a une portée illimitée et qu'il faut lui attribuer son sens ordinaire. Ils citent la déposition que le directeur de la politique interne du ministère de l'Emploi et de l'Immigration a faite devant un comité parlementaire en 1992, à savoir que l'intention du législateur, en rédigeant la division 19(1)f)(iii)(B) (et d'autres dispositions) était de donner une définition large, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ayant le pouvoir discrétionnaire d'exclure la personne en cause de l'application de la disposition si, à son avis, cela n'était pas préjudiciable à l'intérêt national.

51. Je ne me fonde pas sur l'opinion du rédacteur ou de son conseiller pour interpréter cette loi, mais ma conclusion, qui est fondée sur le contexte des dispositions en question, est que le mot « membre » doit être interprété au sens large.


52. Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d'immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n'existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut, si cela n'est pas préjudiciable àl'intérêt national, exclure un individu de l'application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu'il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d'une façon libérale, sans restriction aucune. Je ne souscris pas à l'avis selon lequel une personne n'est pas un membre au sens de la disposition si elle a adhéré à l'organisation une fois que cette dernière a mis fin àses activités terroristes. Si le fait qu'une personne est membre a peu d'importance, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de l'exclure de l'application de la disposition.

[13]            Dans la décision Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), le juge Dubé a rejeté la position selon laquelle le mot « membre » exigeait une adhésion effective ou formelle, avec participation active. Être « membre » s'entend plutôt du fait « d'appartenir » . En appel, la Cour d'appel fédérale, dont l'arrêt est cité plus loin, a déclaré que, en assimilant la qualité de « membre » à l' « appartenance » , le juge Dubé avait conclu à juste titre que le mot « membre » devrait être défini largement.

[14]            Le tribunal a donc bien exposé le critère applicable en droit pour l'adhésion. Le tribunal s'est appuyé sur un certain nombre de facteurs qu'il a énumérés lorsqu'il a déterminé qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Denton-James était membre de Combat 18, dont notamment les renseignements confidentiels. Si l'on considère le contenu des renseignements confidentiels, je n'ai aucun doute que la conclusion du tribunal n'était pas simplement fondée sur une amitié douteuse avec des membres de l'organisation.

[15]            Dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit aux paragraphes 56 et 57 :

56. Peut-être serait-il difficile de défendre la décision de l'agent des visas sur ces aspects en se fondant uniquement sur le dossier public, mais, si l'on considère le contenu des affidavits secrets, il ne fait aucun doute que toute signification un tant soit peu vraisemblable du mot « membres » figurant à l'alinéa 19(1)c.2) de la Loi autorise la conclusion selon laquelle l'agent avait des motifs raisonnables de croire que M. Chiau était membre de la triade.

57. Il n'est donc pas nécessaire ou utile d'en dire davantage sur le sens du mot « membres » aux fins de l'alinéa 19(1)c.2). Cependant, en assimilant la qualité de « membre » à l' « appartenance » à une organisation criminelle, le juge de première instance a conclu à juste titre que, dans ce contexte, le mot devrait être défini largement. [...]

[16]            En l'espèce, l'examen des renseignements confidentiels me convainc également que, quel que soit le sens plausible du mot « membre » , l'agent des visas et le tribunal avaient des motifs raisonnables de croire que M. Denton-James était ou avait été membre de Combat 18.

(iii)       Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en concluant que la preuve était suffisante pour justifier une conclusion selon laquelle Combat 18 s'était livré à des actes de terrorisme ou qu'il était susceptible d'en commettre?

[17]            Mme Denton-James invoque le passage suivant de l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 98 :

[...] le terme « terrorisme » [...] inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque » . [...]


[18]            Mme Denton-James fait valoir qu'il s'agit du critère que le tribunal aurait dû appliquer. Elle ajoute que, bien que les objectifs et les activités de Combat 18 puissent être décrits comme violents, illégaux et criminels, ce ne sont pas des activités « terroristes » visées par la définition formulée par la Cour suprême du Canada.

[19]            Mme Denton-James ne conteste pas la nature violente de Combat 18. Les activités de Combat 18 ne peuvent pas être prises en considération isolément des objectifs du groupe. Pour en venir à sa conclusion, le tribunal s'est appuyé sur une quantité considérable de documents concernant les objectifs et les activités de Combat 18. Si on replace la nature violente de l'organisation dans le contexte des objectifs du groupe, y compris l' « anéantissement des populations non blanches, métisses et homosexuelles » , je suis convaincue que la conclusion du tribunal, selon laquelle Combat 18 se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme, était conforme à la définition du terrorisme formulée dans l'arrêt Suresh et qu'elle n'était pas manifestement déraisonnable.

[20]            Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Certification d'une question

[21]            Le ministre a proposé les questions suivantes en vue de la certification :


[traduction]

Suivant le paragraphe 350(5) de la LIPR, le nouvel examen d'une décision de la SAI, rendue avant le 28 juin 2002 et annulée par la Cour après cette date, doit-il être effectué dans le cadre de l'ancienne Loi sur l'immigration ou de la LIPR?

Si le nouvel examen d'une décision de la SAI est effectué dans le cadre de la LIPR, le paragraphe 64(1) et l'article 196 constituent-ils un empêchement prévu par la loi à une nouvelle audition de la présente affaire par la SAI?

[22]            À mon avis, ces questions constituent une contestation indirecte de la décision interlocutoire de la juge Snider, laquelle a jugé que la présente affaire n'était pas théorique du fait que le tribunal serait empêché de procéder à une nouvelle audition de la demande en raison de l'application des articles 64 et 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Dans le cadre de la présente demande, je n'ai pas été saisie des effets de ces articles et cela n'est pas pertinent, vu ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[23]            Je suis convaincue que le présent dossier ne soulève aucune question et aucune ne sera certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                      « Eleanor R. Dawson »             

Juge     

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1819-02

INTITULÉ :                                           LUCY EASTWOOD DENTON-JAMES

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                       POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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