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Date : 20030523

Dossier : IMM-2809-01

Référence : 2003 CFPI 646

OTTAWA (ONTARIO), le 23 mai 2003

En présence de Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

                                                                INDRANIL NANDA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le demandeur fait appel d'une mesure d'exclusion prise à son encontre par un arbitre. En appel, il a contesté la validité de cette mesure et, à titre subsidiaire, a soutenu que, pour des considérations humanitaires, il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

[2]                 Jugeant que la mesure en question était valide, la SAI a conclu à l'absence de raisons humanitaires qui feraient obstacle au renvoi de l'intéressé.

Antécédent

[3]                 Le demandeur est un ressortissant indien de 28 ans. En octobre 1993, à Montréal, il a épousé une citoyenne canadienne du nom de Amishi Nanda. Il avait, à ce moment-là, 19 ans et sa femme, 16 ans. Bien que les parents de Mme Nanda fussent tout à fait opposés à ce mariage, ils y ont finalement consenti. Suite à leurs épousailles, Mme Nanda a continué ses études au Canada pendant que son mari poursuivait des études supérieures en Suisse. Tant le mari que sa femme se sont, à diverses reprises, mutuellement rendu visite, lui au Canada et elle, à son tour, en Suisse et en Inde.

[4]                 En 1997, Mme Nanda a secrètement parrainé le demandeur afin qu'il vienne la rejoindre au Canada. Il a obtenu un visa d'immigrant délivré à Paris (France) le 10 mai 1999. Une cérémonie de mariage traditionnelle était prévue pour le 9 juillet 1999 en Inde après quoi, le couple devait se rendre au Canada et y arriver le 15 juillet 1999. Postérieurement à l'arrivée de sa mère en Inde, et deux jours avant la cérémonie projetée, Mme Nanda a disparu et, depuis lors, son mari ne l'a plus revue.


[5]                 Peu avant le 15 juillet 1999, Mme Nanda a pris contact avec des agents de l'immigration pour leur dire son intention de retirer ou de révoquer le parrainage de son mari. À l'arrivée de celui-ci au Canada, le 15 juillet 1999, un représentant de l'immigration lui a fait part de certaines préoccupations au sujet de son établissement; le traitement de sa demande de visa de résidence permanente fut alors remis au 24 juillet 1999. Le 16 juillet 1999, Mme Nanda a adressé par télécopieur au CIC les motifs de révocation de son parrainage, alléguant qu'elle avait enduré, des années durant, des violences tant physiques que psychologiques de la part de son mari.

[6]                 Le 24 juillet 1999, l'agent d'immigration a constaté un changement de circonstances postérieures à l'octroi du visa, en l'occurrence, le retrait de la demande de parrainage. Il a donc rédigé un rapport aux termes de l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) concluant à l'inadmissibilité du candidat en application de l'alinéa 19(2)d) de la Loi.

[7]                 Suite à une enquête en date du 18 mai 2000, un arbitre a pris une mesure d'exclusion contre le demandeur.

La décision objet de contrôle

[8]                 En appel, la SAI a jugé que, nonobstant l'octroi d'un visa d'immigration au demandeur, les autorités compétentes avaient le droit de déterminer s'il était toujours admissible au Canada. En outre, le demandeur était tenu d'aviser l'agent examinateur, au point d'entrée, de tout changement important survenu à sa situation maritale, notamment la disparition de son épouse, qui aurait donné lieu à une enquête.


[9]                 Elle a également signalé que même si le demandeur avait été admis le 15 juillet 1999, l'omission par lui de révéler les changements importants concernant son mariage ou son parrainage aurait entraîné son renvoi du Canada pour fausse représentation.

[10]            Quant aux raisons d'ordre humanitaire que le demandeur invoque pour être autorisé à s'établir au Canada, la SAI a conclu que selon toute vraisemblance, le demandeur avait exercé des violences physiques sur sa femme. Elle a jugé également que même en l'absence d'une telle conclusion, les éléments de fait ne prouvent pas l'existence de considérations humanitaires justifiant l'annulation de la mesure d'exclusion ni le sursis au renvoi du demandeur du Canada. La SAI a indiqué que celui-ci n'avait pas de liens familiaux au Canada et que toute sa famille se trouvait en Inde où elle était bien établie et en mesure de lui offrir son soutien. Quant à l'indignité qui le frapperait en raison de l'échec de son mariage et de son renvoi du Canada, la SAI a déterminé que le demandeur n'a pas réussi à établir, au soutien de cet argument, qu'au regard de l'échec matrimonial, les hommes ne sont pas flétris comme les femmes.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Le demandeur soulève les points suivants:

1.         La conclusion de la SAI disant que le demandeur avait exercé des violences sur sa femme était-elle manifestement déraisonnable?


2.         La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de la jurisprudence concernant le retrait de parrainage lorsqu'un visa est délivré?

3.         Le refus de la SAI d'exercer sa compétence en équité à la lumière des preuves incontestées de préjudice était-il justifié dans les circonstances?

Question 1: La conclusion de la SAI disant que, selon toute vraisemblance, le demandeur avait exercé des violences sur sa femme était-elle manifestement déraisonnable?

[12]            En plus de la lettre que Mme Nanda a adressée par télécopieur le 16 juillet 1999, les pièces documentaires soumises à la SAI consistaient en un certain nombre de lettres adressées par elle au demandeur, à un(e) proche ami(e), à ses beaux-parents et à la police ainsi que son journal personnel, une lettre de sa part à son beau-père, une lettre de son père à celui de son mari, une lettre d'un médecin en Inde et une lettre de la police.

[13]            Les preuves fournies de vive voix à l'audience comprenaient les témoignages du demandeur et de sa mère, celui d'un individu pour qui le demandeur travaillait bénévolement et celui d'un travailleur social. Le demandeur a témoigné disant qu'il n'avait jamais exercé de violences sur son épouse et sa mère a déclaré qu'elle n'avait à aucun moment été témoin de la violence alléguée.

[14]            En tirant sa conclusion, la SAI a formulé les observations suivantes:

-Mme Nanda a fourni des détails dignes de foi sur les sévices que lui a infligés son mari;

-les notes portées dans son journal révèlent qu'elle était partagée entre sa famille et le demandeur, et bien qu'elle aimât son mari et qu'elle ait passé outre aux voeux de ses parents, celui-ci ne lui faisait pas confiance;

-elle a demandé à son mari de lui pardonner le mal qu'elle lui faisait en disant qu'elle était responsable de tout;

-la lettre de la police indienne présentée par le demandeur attestant qu'il n'avait fait l'objet d'aucune accusation ni condamnation ne prouvait pas l'absence de violence au foyer, du fait que, dans sa lettre à la police, Mme Nanda demandait simplement de quitter l'Inde en sécurité;

-la lettre du médecin de famille en Inde, que le demandeur a présentée, attestant qu'il n'avait jamais soigné Mme Nanda pour une blessure grave ou légère, n'établissait pas que celle-ci n'avait pas été maltraitée étant donné que, dans sa lettre du 16 juillet 1999, elle a déclaré n'avoir pas avoué au médecin les actes de violence qu'elle avait subis; de plus, bon nombre de ces actes avaient eu lieu en Suisse;


-les deux témoins convoqués par le demandeur à l'audience n'avaient pas une connaissance de première main de la vie intime du demandeur; et

-le compte rendu de Mme Nanda au sujet des actes de violence est détaillé et foncièrement logique.

[15]            Le demandeur soutient qu'à la lumière des preuves fournies à la SAI, il est manifestement déraisonnable de conclure à la violence conjugale. Sa mère et lui-même ont témoigné sous serment que cette prétendue violence n'avait jamais eu lieu. Les motifs de la SAI n'indiquent pas que leur crédibilité était mise en doute, ni la raison du rejet de leur témoignage. Bien que la SAI ait jugé que la déclaration de Mme Nanda au sujet des violences exercées contre elle étaient foncièrement logique, son témoignage non solennel était réfuté par celui donné sous serment.

[16]            Le demandeur signale en particulier l'allégation de Mme Nanda selon qui des actes de violence ont été commis une fois en présence de la mère du demandeur et, une autre fois, au vu de sa mère et de toute la famille. La mère du demandeur a témoigné qu'elle n'avait jamais assisté à des actes de violence quelconques. En outre, bien que Mme Nanda ait avoué dans sa lettre du 16 juillet 1999 avoir menti à son médecin en Inde au sujet de l'origine de ses blessures, celui-ci a déclaré qu'il ne l'avait jamais soignée pour des blessures graves ou légères.

[17]            Le demandeur soutient qu'il ressort clairement de la preuve documentaire que les parents de sa femme ont persisté dans leur opposition à leur union qu'ils ont essayé de briser, ce que confirme le fait que Mme Nanda ait parrainé son mari à l'insu de ses propres parents.

[18]            Il note également que dans la longue lettre intime adressée à son ami(e), elle signale les nombreuses qualités de son mari sans faire mention de sévices quelconques. Par ailleurs, ni son journal personnel ni les lettres versées au dossier, sauf celle du 16 juillet 1999, ne font état d'actes de violence.

[19]            Il mentionne également qu'il est significatif que Mme Nanda ait demandé par lettre à la police un sauf-conduit pour quitter l'Inde, sans déposer une plainte pour voies de fait. Il est également significatif, aux yeux du demandeur, que tout juste avant la cérémonie du mariage, son épouse et lui-même projetaient, tout heureux, ce qu'ils allaient faire à leur arrivée au Canada. Cependant, lorsque sa mère est arrivée en Inde pour la célébration, Mme Nanda a été lui rendre visite puis a disparu.

[20]            Le défendeur considère que les motifs détaillés de la SAI indiquent qu'elle a attentivement analysé les éléments de preuve et qu'elle a tiré une conclusion raisonnable.


[21]            Je reconnais que les questions de violence au foyer sont complexes et il n'est pas rare que les victimes de cette sorte de sévices inventent des explications pour les blessures qu'elles présentent. Il n'est pas rare non plus qu'elles s'attribuent la responsabilité de ce qui leur arrive. Je reconnais aussi les défis que pose le processus d'enquête dans un cas comme celui-ci. En raison, toutefois, de la gravité de ce genre d'allégations et des conséquences qui en découlent pour les présumés victimes et agresseurs, la preuve doit être soigneusement examinée.

[22]            La SAI a relevé que l'épouse a fourni, au sujet des voies de fait, des détails plausibles et foncièrement logiques. À titre d'exemple, elle s'est reportée au journal de Mme Nanda où elle écrit qu'elle a toujours des ennuis pour avoir dit [traduction] « quelque chose que je ne pensais pas réellement » , pour n'avoir pas tourné [traduction] « une phrase correctement » et pour avoir parlé d'une façon qui irrite son mari. Dans sa lettre à l'agent d'immigration, elle a déclaré avoir été battue parce qu'elle [traduction] « discutait ou justifiait ses actes fautifs ou bien parce qu'il n'aimait pas ma façon d'exprimer mon point de vue, l'expression de mon visage et le mouvement de mes mains qui l'irritaient et le provoquaient » .

[23]            Je suis d'accord avec la SAI pour dire que ces deux écrits concordent l'un avec l'autre. Cependant, Mme Nanda parle dans la même lettre de ses visites au médecin en Inde en ces termes:

[Traduction] Chaque fois que j'ai consulté le médecin... je lui ai menti en disant que je suis tombée dans la salle de bain et me suis fait mal en heurtant le robinet ou quelque histoire de ce genre. Il me répondait que j'étais la seule patiente qui se faisait mal très souvent et qu'il faudrait faire attention. Je dois aussi prendre des injections parce que j'ai faussement dit au médecin qu'un objet métallique, comme le robinet, m'avait blessée, du fait que je présentais des plaies ouvertes.


[24]            Comme on l'a vu précédemment, le même médecin dont parle Mme Nanda a déclaré qu'il ne l'avait jamais traitée pour des blessures graves ou légères. La SAI en a conclu que ladite lettre ne prouvait pas l'absence de sévices exercés sur l'épouse du simple fait qu'elle n'avait pas été franche avec le médecin. Toutefois, les histoires qu'elle racontait au médecin avaient trait aux causes des blessures et non à leur existence. Étant donné que Mme Nanda a déclaré qu'elle avait dû inventer des explications pour justifier ses nombreuses blessures et qu'elle a reçu des injections, il est clair que le médecin avait certainement constaté son état; et pourtant, il déclare dans sa lettre ne l'avoir jamais soignée pour des lésions.

[25]            Dans la même lettre, Mme Nanda a relaté des cas de violence perpétrés devant sa belle-mère qui, elle, a nié sous serment avoir assisté à l'un quelconque de ces incidents.

[26]            À eux seuls, ces deux exemples soulèvent de sérieuses questions quant à la véracité des allégations. Bien que j'accepte le point de vue de la SAI disant que la lettre du 16 juillet 1999 donne un aperçu détaillé des cas de violence et qu'elle semble, à première vue, digne de foi, ce n'est autre qu'un témoignage non solennel dans des circonstances qui n'offrent aucune possibilité de mettre la crédibilité à l'épreuve. Bien que la lettre du médecin ne soit pas, elle aussi, un témoignage solennel, elle jette le doute sur l'exactitude du compte rendu des allégations. En outre, le témoignage donné sous serment par la mère du demandeur réfute expressément certaines de ces allégations. Dans ce dernier cas, la SAI n'a donné aucune raison justifiant la préférence accordée à un témoignage non solennel par opposition à un autre donné sous serment.

[27]            Compte tenu du fait que la décision de la SAI s'appuyait entièrement sur un témoignage non solennel dont on n'a pas eu la possibilité de vérifier l'exactitude, et compte tenu également de l'autre témoignage qui ébranle les allégations de violence, je suis d'avis que la conclusion tirée par la SAI est manifestement déraisonnable. Le défendeur soutient, pour sa part, que même en l'absence d'une telle conclusion, les faits de l'espèce ne justifient pas l'octroi d'un redressement équitable.

[28]            La SAI a jugé que l'inconduite passée, notamment la violence conjugale, était un élément pertinent pour déterminer si un redressement équitable devait être consenti aux termes de l'alinéa 70(3)b) de la Loi. Elle a noté que cette inconduite [traduction] « ne suscite pas chez une personne censée » le désir d'accorder au demandeur ce redressement que la Loi prévoit » . Partant de cette déclaration, il m'est impossible d'affirmer que le fait d'avoir conclu à l'existence de sévices n'a pas pesé sur la SAI au regard du redressement équitable.

[29]            Étant donné que ma conclusion sur le sujet est déterminante, je n'aborderai pas les deux autres questions.

[30]            L'avocat a soumis une question pour fins de certification; elle ne sera pas certifiée cependant du fait qu'elle ne se rapporte pas à ma décision.

[31]            Pour les susdits motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire renvoyée, pour nouvel examen, à un tribunal différemment constitué.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 18 mai 2001 est infirmée et l'affaire est renvoyée, pour nouvel examen, à un tribunal différemment constitué.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

                                                                            « Dolores M. Hansen »                

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    IMM-2809-01

INTITULÉ :                   INDRANIL NANDA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 12 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Madame le juge Dolores M. Hansen

DATE DES MOTIFS :                                     le 23 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Oborne Barnwell                                             POUR LE DEMANDEUR

Mme Pamela Larmondin                                       POUR LE DÉFENDEUR

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