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Date : 20200403


Dossier : IMM‑859‑19

Référence : 2020 CF 485

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

TOLULOPE ADEYINKA DUYILE

OLUWAKEMI EUNICE DUYILE

JADESOLA DANIELLE DUYILE

MOYINOLUWA RHODA DUYILE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire est présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Elle vise la décision rendue le 8 janvier 2019 [la décision], par laquelle une agente du Haut‑commissariat du Canada au Ghana a rejeté la demande de résidence permanente des demanderesses.

[2]  Les demanderesses demandent que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[3]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

A.  Contexte

[4]  La demanderesse principale est Tolulope Adeyinka Duyile. Elle vit avec ses trois enfants au Nigéria, lesquels sont visés par la présente demande. Tout au long du présent jugement, je ne ferai référence qu’à la demanderesse, car la demande de contrôle judiciaire vise une décision concernant sa relation avec Olubode Duyile [M. Duyile], qui a le statut de réfugié au Canada et qui est le père de ses enfants. M. Duyile et la demanderesse ne sont pas légalement mariés, mais la demanderesse et ses enfants portent son nom.

[5]  M. Duyile est un réfugié au Canada qui s’est vu conférer l’asile en raison du risque auquel il est exposé au Nigéria parce qu’il est homosexuel. Après avoir obtenu l’asile, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada qui visait la demanderesse et ses trois enfants. M. Duyile est le père de ces enfants.

B.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Aux termes de l’article 176 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], la demande de résidence permanente de certaines personnes protégées peut viser, outre le demandeur, tout « membre de sa famille ». Selon le paragraphe 1(3) du RIPR, le terme « membre de la famille » désigne le conjoint de fait d’une personne et tout enfant qui est à sa charge. Cependant, l’article 4 du RIPR prévoit que le conjoint de fait d’un demandeur sera considéré comme tel seulement si la relation des conjoints de fait est authentique.

[7]  Une agente au Ghana a interrogé la demanderesse le 8 janvier 2019 et a conclu que cette dernière ne remplissait pas les conditions applicables pour être incluse dans la demande de M. Duyile parce que leur prétendue union de fait n’était pas authentique.

[8]  La demanderesse a présenté un certain nombre d’éléments de preuve différents pour appuyer sa demande, dont des pièces d’identité, des captures d’écran de conversations par messages textes, des relevés d’appels téléphoniques et d’autres documents divers concernant la demanderesse et ses enfants.

[9]  D’après les notes du Système mondial de gestion des cas, l’agente a interrogé la demanderesse et a énoncé les préoccupations suivantes au sujet de l’authenticité de sa prétendue union de fait :

  • la relation avait été interrompue;
  • la relation n’était pas monogame et il se peut que M. Duyile entretienne des relations avec d’autres personnes au Canada;
  • il y a peu d’éléments de preuve qui établissent que M. Duyile paie le loyer de la demanderesse comme il a été affirmé;
  • les éléments de preuve concernant les communications entre la demanderesse et M. Duyile sont de mauvaise qualité et peu substantiels;
  • la demanderesse en sait peu sur le passé de M. Duyile;
  • la demanderesse ne savait pas que M. Duyile avait deux enfants au Canada;
  • la demanderesse et M. Duyile n’ont pas de projets à long terme ensemble.

[10]  La demanderesse a eu l’occasion de répondre à ces préoccupations. Cependant, l’agente a rejeté sa demande en raison de la preuve limitée qui lui a été présentée. L’agente a souligné que la relation [traduction] « manquait de profondeur et d’engagement ». Elle a également mis fin à l’examen des demandes des enfants à charge parce que la demanderesse avait déclaré qu’elle en avait la garde et qu’elle ne les laisserait pas vivre au Canada sans elle.

III.  Questions en litige et norme de contrôle applicable

[11]  La demanderesse soutient qu’un certain nombre d’erreurs ont été commises, mais, en général, elle affirme que les conclusions de l’agente découlent d’une appréciation [traduction] « abusive et arbitraire » de l’ensemble de la preuve et que l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale. Elle prétend que bon nombre des conclusions de l’agente sont déraisonnables.

[12]  Le défendeur soutient que la décision était raisonnable.

[13]  Dans ses observations complémentaires, le défendeur a également fait valoir que l’ancien demandeur – M. Duyile – n’avait pas qualité pour présenter la demande, mais ce problème a été corrigé dans l’ordonnance rendue le 15 janvier 2020 par le juge Pentney, qui a ordonné la modification de l’intitulé afin qu’il inclue seulement les noms des demanderesses. Par conséquent, cette question n’est plus en litige.

[14]  Deux questions sont soulevées :

A.  La décision était‑elle raisonnable?

B.  La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?

[15]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je conviens que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable. Cette norme est désormais la norme de contrôle présumée et je ne vois en l’espèce aucune exception qui permettrait de réfuter cette présomption (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[16]  Les questions d’équité procédurale continuent de commander l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

IV.  Positions des parties

A.  La décision était‑elle raisonnable?

(1)  Position de la demanderesse

[17]  La demanderesse a fait plusieurs allégations tout au long de son argumentation. Par exemple, elle prétend que l’agente a rendu, entre autres choses, sa décision sans tenir compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, a formulé des hypothèses et a tiré des inférences injustifiées.

[18]  La demanderesse allègue que l’agente a commis des erreurs à plusieurs égards : elle a fait fi de certains éléments de preuve, dont ceux démontrant que ses enfants étaient visés par la décision; elle n’a pas dûment tenu compte des éléments de preuve documentaires [traduction] « convaincants », à savoir les photos d’elle et de M. Duyile; elle a conclu à tort qu’ils n’étaient pas conjoints de fait; elle a indûment tenu compte des messages textes que s’étaient échangés les parties; elle a conclu à tort que la demanderesse [traduction] « en savait peu sur le demandeur et son passé »; elle a commis une erreur en ne tenant pas compte des demandes des enfants parce que la demanderesse en avait la garde complète et ne les quitterait jamais; elle n’a pas pris en considération l’intérêt supérieur des enfants. La demanderesse n’a cité aucun précédent judiciaire pendant son argumentation.

(2)  Position du défendeur

[19]  Le défendeur soutient que la demanderesse cherche à faire soupeser à nouveau la preuve. Pour appuyer sa thèse selon laquelle cette intention ne donne pas ouverture à un contrôle judiciaire, il cite l’arrêt Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346, A‑987‑84 (CAF).

[20]  En ce qui concerne les arguments de la demanderesse selon lesquels l’agente aurait dû tenir compte de ses enfants en rendant sa décision, le défendeur soutient que les enfants ne sont pas un facteur déterminant dans l’évaluation de l’authenticité d’une union. Il fait également valoir que la demanderesse a elle‑même dit à l’agente qu’elle avait la garde complète de ses enfants et qu’elle n’en partageait pas la garde avec M. Duyile. Compte tenu des renseignements dont elle disposait, l’agente n’a raisonnablement pas vu la nécessité de traiter les demandes des enfants.

[21]  Enfin, le défendeur affirme que la requête formulée par la demanderesse pour que soit réalisée une [traduction] « analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant » est sans fondement. La demanderesse a en effet déclaré qu’elle ne connaissait aucune difficulté au Nigéria et que ses enfants avaient toujours vécu avec elle.

B.  La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?

(1)  Position de la demanderesse

[22]  La demanderesse prétend que l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle a mal compris ses éléments de preuve et ne lui a pas donné l’occasion de dissiper ses doutes.

(2)  Position du défendeur

[23]  Le défendeur soutient que la demanderesse a eu droit à une entrevue et qu’elle a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agente. Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale.

V.  Analyse

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[24]  Après avoir examiné la décision ainsi que les éléments dont disposait l’agente et les arguments présentés par les deux parties, je suis d’avis que la décision était raisonnable.

[25]  Le paragraphe 4(1) du RIPR est ainsi libellé :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

[26]  Compte tenu des observations du défendeur, je suis convaincu que la majorité des arguments avancés par la demanderesse ne visaient qu’à demander une nouvelle appréciation de la preuve et à exprimer des désaccords quant aux conclusions de l’agente. Ces arguments ne sont pas suffisants pour prouver qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise (Vavilov, au par. 125). Je parle ici principalement des arguments de la demanderesse en ce qui concerne les photographies et les messages textes soumis ainsi que ses réponses lors de son entrevue. L’agente semble avoir pris en compte et soupesé les éléments de preuve après les avoir examinés, et c’est tout ce qu’elle était tenue de faire. Les notes de l’agente sont assez détaillées et décrivent le processus qu’elle a suivi pour rendre sa décision.

[27]  Je ne vois rien qui suggère que l’agente n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. De plus, le fait que la demanderesse et M. Duyile ont eu des enfants n’est pas suffisant pour établir l’existence d’une relation authentique. Il ne s’agit que de l’un des nombreux facteurs dont l’agente devait tenir compte. La demanderesse n’a cité aucun précédent à l’appui de la nécessité de réaliser une analyse de [traduction] « l’intérêt supérieur de l’enfant » puisqu’il a été conclu que son union de fait n’était pas authentique.

[28]  Je suis quelque peu en désaccord avec les commentaires figurant à la fin des notes de l’agente en ce qui concerne le fait qu’elle a mis fin à l’examen des demandes des enfants. L’agente a écrit ce qui suit : [traduction] « Il sera mis fin à l’examen des demandes des enfants à charge dans le présent dossier, car la demanderesse a la garde des enfants et ne les laisserait pas vivre au Canada sans elle ». Le seul élément de preuve tendant à démontrer que la demanderesse avait la garde de ses enfants est son témoignage à l’audience, où elle a déclaré que ses enfants [traduction] « avaient toujours vécu avec elle et elle voudrait toujours vivre avec ses enfants ». L’agente aurait peut‑être pu demander des précisions sur la nature juridique des modalités de garde. Or, les éléments de preuve dont disposait l’agente indiquaient que la demanderesse ne voulait pas être séparée de ses enfants; il était donc raisonnablement loisible à l’agente de supposer que la demanderesse ne consentait pas à ce que les demandes de ses enfants soient traitées séparément de la sienne (Sati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1625, au par. 4).

[29]  Toutefois, je suis d’avis que les déclarations de l’agente à cet égard n’ont pas entaché sa décision dans son ensemble, qui portait sur l’authenticité de la relation entre la demanderesse et M. Duyile. Puisque l’agente a conclu que ces derniers n’étaient pas conjoints de fait, la demanderesse n’a jamais été considérée comme un membre de la famille de M. Duyile au sens de l’alinéa 176(2)a) de la LIPR.

B.  La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?

[30]  Le défendeur m’a convaincu qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La demanderesse a été en mesure de se présenter à une entrevue et de répondre aux préoccupations de l’agente. Dans ces circonstances, rien de plus n’était exigé.

VI.  Conclusion

[31]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[32]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et, à mon avis, la présente affaire n’en soulève aucune.

[33]  Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑859‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’avril 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑859‑19

INTITULÉ :

TOLULOPE ADEYINKA DUYILE, OLUWAKEMI EUNICE DUYILE, JADESOLA DANIELLE DUYILE ET MOYINOLUWA RHODA DUYILE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 4 mars 2020

jugement et motifs :

le juge FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 3 avril 2020

COMPARUTIONS :

Simeon Oyelade

pour les demandeRESSES

 

Mommi Goswami

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simeon Oyelade

Avocat

North York (Ontario)

 

pour les demandeRESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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