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Date : 20030303

Dossier : IMM-3796-01

Référence neutre : 2003 CFPI 269

ENTRE :

                                                              LEON BROWN,

représenté par son tuteur à l'instance,

CARMEN BROWN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande visant l'obtention d'une ordonnance déclarant que l'expulsion du demandeur en Jamaïque violerait les principes de justice fondamentale.

[2]                 Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Il a été admis au Canada à titre de résident permanent en 1979, lorsqu'il avait 14 ans. Il réside au Canada depuis lors.

[3]                 Le demandeur a fait l'objet d'un certain nombre de déclarations de culpabilité au criminel. La dernière déclaration de culpabilité remonte au mois de juin 1993.

[4]                 Depuis environ ce moment-là, le demandeur est soigné par un psychiatre et des travailleurs sociaux s'occupent de son cas.

[5]                 Le demandeur est schizophrène; il est atteint d'une déficience mentale modérée. Il est tombé mentalement malade en 1983 et il a alors fait l'objet d'un diagnostic de schizophrénie. Il a été arrêté pour la première fois en 1984.

[6]                 La maladie dont le demandeur est atteint peut être traitée au moyen de la clozapine.

[7]                 Michel A. Lapointe, médecin, directeur, Services médicaux outre-mer, Région internationale, a déclaré ce qui suit au nom du défendeur :

[TRADUCTION] À la suite de votre demande, j'aimerais confirmer qu'il existe un autre médicament antipsychotique à part la CLOZAPINE qui a été prescrite à M. Brown, à l'hôpital Belleview, à Kingston, en Jamaïque, à savoir le SEROQUEL (fumarate de quétiapine). [...]

Le demandeur sera envoyé à l'hôpital Bellevue.

[8]                 Les trois frères du demandeur ont été expulsés en Jamaïque. L'un des frères, qui était atteint d'une maladie mentale, est décédé dans des circonstances violentes suspectes. Un autre frère est disparu en Jamaïque. Le troisième frère est traité à l'hôpital Bellevue.


[9]                 Le demandeur a présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, qui a été approuvée en principe le 5 décembre 2001. Par conséquent, conformément à l'article 233 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), il est sursis à l'exécution de la mesure de renvoi dont le demandeur fait l'objet tant qu'il ne sera pas statué sur la question de savoir si le statut de résident permanent doit lui être octroyé. Selon l'avocat du défendeur, s'il est décidé de ne pas octroyer le statut de résident permanent à cause d'une interdiction de territoire pour criminalité et pour motifs sanitaires, il est toujours possible de recommander de délivrer un permis de séjour temporaire au demandeur.

Le point litigieux

[10]            Une déclaration devrait-elle être faite?

Analyse et décision

[11]            Le demandeur affirme qu'il a droit à une déclaration portant que son expulsion en Jamaïque violerait les principes de justice fondamentale.

[12]            Le défendeur affirme que la demande de déclaration est prématurée et, subsidiairement, si elle n'est pas prématurée, que la déclaration ne devrait pas être accordée.

[13]            Dans l'arrêt Canada c. Solosky, [1980] 1 R.C.S. 821, aux pages 830 à 833, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit :

Le jugement déclaratoire est un recours qui n'est pas restreint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des personnes ayant un lien juridique dont découle une « véritable question » à trancher concernant leurs intérêts respectifs.

Les principes qui guident le tribunal dans l'exercice de sa compétence en matière de jugement déclaratoire ont été maintes fois exposés. Dans une affaire ancienne Russian Commercial and Industrial Bank v. British Bank for Foreign Trade Ltd., [1921] 2 A.C. 438, où les parties à un contrat ont demandé une aide pour l'interpréter, la Cour a affirmé qu'un jugement déclaratoire peut être accordé lorsque des questions réelles, et non fictives ou théoriques, sont soulevées. Lord Dunedin a formulé le critère suivant (à la p. 448):

[TRADUCTION] La question doit être réelle et non théorique, celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit pouvoir présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un ayant un intérêt véritable à s'opposer à la déclaration sollicitée.

Dans Pyx Granite Co. Ltd. v. Ministry of Housing and Local Government, [1958] 1 Q.B. 554, (inf. [1960] A.C. 260, pour d'autres motifs), lord Denning décrit la nature du jugement déclaratoire en ces termes (p. 571):

[TRADUCTION] ... s'il existe une question de fond que quelqu'un a un intérêt réel à soulever, et quelqu'un d'autre à s'y opposer, alors le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de la résoudre par voie de jugement déclaratoire, ce qu'il fera si c'est justifié.

La compétence du tribunal de rendre des jugements déclaratoires a encore été énoncée, en termes très généraux, dans l'arrêt Pharmaceutical Society of Great Britain v. Dickson, [1970] A.C. 403 (Ch. L.). Dans cette affaire, le requérant sollicitait un jugement portant qu'une proposition de la société pharmaceutique, advenant son adoption, outrepasserait les objets de la société et constituerait une limitation injustifiée du commerce. Lord Upjohn s'est exprimé en ces termes dans son jugement, à la p. 433:


[TRADUCTION] Une personne dont la liberté d'action est contestée peut toujours s'adresser au tribunal afin de faire éclaircir ses droits et sa situation, toujours sous réserve, bien entendu, du droit du tribunal dans l'exercice de sa discrétion judiciaire, de refuser le redressement demandé dans les circonstances de l'affaire.

L'arrêt Mellstrom v. Garner, [1970] 1 W.L.R. 603, a été cité en Cour d'appel fédérale à l'appui de la proposition que les tribunaux n'accordent pas de jugements déclaratoires sur des questions concernant le futur. Un comptable agréé, ancien associé des défendeurs, y demandait un jugement déclaratoire sur la bonne interprétation de la convention de dissolution de la société. Le demandeur voulait savoir si, vu une clause de la convention, solliciter pour son compte des clients ou des affaires des « associés restants » constituait une violation de la convention. Le lord juge Karminski a conclu que les jugements déclaratoires sur des questions concernant le futur doivent être abordés avec beaucoup de réserve. Puisque ni le demandeur ni les défendeurs n'avaient violé les dispositions de la clause en question ni cherché à le faire, il ne servait à rien d'accorder le jugement déclaratoire. La requête a été rejetée. Cette affaire est très différente de la présente affaire.

Comme le laisse entendre Hudson dans son article intitulé « Declaratory Judgments in Theoretical Cases: The Reality of the Dispute » (1977), 3 Dal.L.J. 706:

[TRADUCTION] Le jugement déclaratoire est de nature discrétionnaire et les deux facteurs qui vont influencer le tribunal dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire sont l'utilité du redressement, s'il est accordé, et la probabilité dans ce cas qu'il puisse régler les questions en litige entre les parties.

Le premier facteur vise la « réalité du litige » . Il est clair qu'un jugement déclaratoire n'est normalement pas accordé lorsque le litige est passé et est devenu théorique ou lorsque le litige n'est pas encore né et ne naîtra probablement pas. Toutefois, comme Hudson le souligne, il faut faire la distinction entre d'une part un jugement déclaratoire qui vise des droits « futurs » et des droits « hypothétiques » et, d'autre part, un jugement déclaratoire qui peut être [TRADUCTION] « applicable sur-le-champ » lorsqu'il détermine les droits des parties au moment de la décision ainsi que les implications et conséquences indissociables de ces droits, ce qu'on appelle les « droits futurs » . (p. 710)

En l'espèce, il ne fait aucun doute qu'il existe entre les parties un litige réel et non un litige hypothétique. Le jugement déclaratoire sollicité attaque directement et maintenant l'ordre de censure du directeur de l'institution de Millhaven. Cet ordre, tant qu'il reste en vigueur, du passé au présent et dans l'avenir, est contesté. Le fait qu'un jugement déclaratoire accordé aujourd'hui ne puisse réparer les maux passés ou puisse toucher aux droits futurs, ne prive pas le recours de son utilité potentielle dans la solution du litige découlant de l'ordre permanent du directeur.

Une foi admis qu'il existe un litige réel et qu'accorder un jugement est discrétionnaire, alors la seule autre question à résoudre est de savoir si le jugement déclaratoire est à même de régler, de façon pratique, les questions en l'espèce.


Les mêmes principes généraux sont énoncés par Lozar Sarna, auteur de l'ouvrage intitulé The Law of Declaratory Judgments (Toronto: Carswell, 1998) aux pages 22 à 29.

[14]            En l'espèce, le demandeur a été frappé d'une mesure d'expulsion le 30 septembre 1997. La date du renvoi du demandeur en Jamaïque avait été fixée, mais un sursis à l'exécution a été accordé par une ordonnance de la Cour, en attendant qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire a depuis lors été rejetée.

[15]            Toutefois, le demandeur a présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire le 3 août 2001 ou vers cette date. Il a reçu une approbation de principe de sa demande le 5 décembre 2001. En vertu de l'article 233 de la LIPR, il est sursis à l'exécution de la mesure de renvoi (la mesure d'expulsion) dont le demandeur fait l'objet tant qu'il n'est pas statué sur la question de savoir si le statut de résident permanent doit lui être octroyé. En vertu de cette disposition, le demandeur ne peut pas être renvoyé en Jamaïque tant qu'il n'aura pas été statué sur la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.


[16]            Le demandeur a certes le droit de présenter une demande en vue d'obtenir une déclaration, à un moment donné, mais il s'agit réellement de savoir si la demande est prématurée. Une mesure d'expulsion a été prise, mais il est sursis à son exécution par application de la loi tant qu'il n'aura pas été statué sur la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Je suis d'avis que la déclaration, si elle était accordée, n'aurait aucun effet pratique étant donné que le demandeur peut être expulsé si sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est rejetée et que, de toute façon, le demandeur ne peut pas être expulsé tant qu'il ne sera pas statué sur la question de la résidence permanente. Il ne servirait à rien d'accorder maintenant une déclaration.

[17]            À l'heure actuelle, on ne sait pas trop si le demandeur sera renvoyé en Jamaïque.

[18]            Pour les motifs susmentionnés, la demande visant l'obtention d'une déclaration est rejetée.

[19]            Étant donné les conclusions que j'ai tirées, je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de la demande.

[20]            Les parties disposent d'un délai d'une semaine pour soumettre une question grave de portée générale pour que je l'examine aux fins de la certification et d'une semaine supplémentaire pour présenter des arguments au sujet de toute question proposée.

« John A. O'Keefe »

Juge

Vancouver (C.-B.),

le 3 mars 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-3796-01

INTITULÉ :                                                                     LEON BROWN, représenté par son tuteur à l'instance, CARMEN BROWN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le mercredi 11 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le lundi 3 mars 2003

COMPARUTIONS :

Mme Krassina Kostadinov                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen Gold                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés                                        POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg, c.r.                                               

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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