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Date : 20020627

Dossier : IMM-4003-01

Référence neutre : 2002 CFPI 723

Toronto (Ontario), le jeudi 27 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                             YUSUF KAYA      

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a, le 24 juillet 2001, jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                          Le demandeur est un citoyen turc qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en raison d'une crainte de persécution fondée sur son ethnie et sa religion en tant que Kurde Alevi, sur ses opinions politiques en tant que membre du parti politique HADEP et en tant que membre d'un groupe social, à savoir sa famille, qui serait très active au sein de l'HADEP.

[3]    La SSR a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention puisqu'il n'a fourni aucune preuve convaincante ou irrécusable indiquant qu'il serait victime de persécution en Turquie en raison de son profil politique ou de son appartenance à cette famille.

[4]    Le demandeur réclame le présent contrôle judiciaire pour divers motifs. La première question soulevée est de savoir s'il y a eu manquement à l'équité en matière de procédure au cours de l'audience en raison de l'incompétence de l'interprète. À mon avis, cette allégation est bien fondée et l'interprétation fautive a entraîné une erreur de fait importante sur laquelle la SSR a basé sa conclusion quant à la crédibilité. Compte tenu de la gravité de cette erreur, j'estime qu'il n'y a pas lieu de traiter les autres questions soulevées.


[5]             Le droit aux services d'un interprète fait partie de l'obligation d'équité et constitue un droit qui est également inscrit à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertésde 1982. Dans l'arrêt Mohammadian c. M.C.I., [2001] A.C.F. no 916, la Cour d'appel fédérale a confirmé le droit à des services continus, précis, convenables, impartiaux et simultanés d'interprétation au cours d'une audience devant la SSR. En l'espèce, le demandeur a prouvéque cette norme n'a pas été respectée.

[6]                 Dans son affidavit à l'appui du présent contrôle judiciaire, le demandeur a fait les déclarations suivantes en ce qui concerne la traduction :

[traduction] Au cours de l'audience pour la détermination de mon statut de réfugié, l'interprète utilisait souvent beaucoup de mots turcs mêlés à des mots kurdes. Je pouvais comprendre ce que l'interprète me disait, mais je n'avais aucune idée à l'époque que l'interprète commettait des erreurs dans la traduction des questions qui m'étaient demandées et de mes réponses. Je pensais qu'il en faisait une bonne traduction. C'est seulement lorsque j'ai parlé avec Suleyman Goven qui avait écouté les bandes magnétiques que j'ai pris connaissance du problème.

(Dossier du demandeur, page 85)

[7]                 L'affidavit de Suleyman Goven fournissait des preuves précises de l'interprétation et de la traduction fautives :

[traduction] Je parle couramment le kurde et l'anglais. Je parle aussi couramment le turc. J'ai servi d'interprète à des avocats en matière d'immigration dans plusieurs revendications du statut de réfugié présentées par des Kurdes et des Turcs.

J'ai écouté les bandes de l'audience à laquelle le demandeur a participé. La première bande était tout à fait inaudible. J'ai écouté la deuxième et je confirme qu'elle était audible. D'après les informations que j'ai pu recueillir en écoutant les bandes, l'interprète n'est pas de langue maternelle kurde. Sa langue maternelle serait plutôt le turc. Pendant toute l'audience, il parlait en kurde et y entremêlait du turc. Jamais il n'a informé la Commission qu'il passait du turc au kurde. Par conséquent, il me semble très clair que, au cours de l'audience, il y a eu une rupture totale de communication entre le demandeur et l'interprète, rupture qui a mené à un grand nombre de malentendus et de contresens.

Il ne m'est pas possible de relever toutes les erreurs commises par l'interprète au cours de l'audience, toutefois j'aimerais en souligner quelques-unes.

L'une des choses qui ont préoccupé grandement les membres de la Commission est le fait que le demandeur a dit qu'il s'était occupé de « relations publiques » . M. Kaya s'est servi de mots turcs pour décrire ses activités, soit des mots « halka iliskiler » . La traduction appropriée de ces termes serait « avoir affaire avec des gens » . Cela ne veut pas dire relations publiques.


Par conséquent, lorsque le commissaire a demandé à l'interprète de confirmer que le demandeur avait utilisé les mots « relations publiques » , il l'a confirmé et a de plus aggravé l'erreur en faisant ainsi croire que le demandeur essayait d'embellir ses activités aux yeux des membres de la Commission.

(Dossier du demandeur, aux pages 137 et 138)

[8]                 Il appert de ces éléments de preuve que le demandeur n'était pas au courant des erreurs et n'a pas pu en prendre connaissance avant que le travail de l'interprète ne soit vérifié par une personne parlant couramment les trois langues. Donc, le fait pour le demandeur de ne pas avoir présenté d'objection au moment de l'audience ne peut pas être considéré comme une renonciation à ses droits.

[9]                 Le défendeur ne conteste pas l'exactitude de cette traduction, mais il soutient plutôt que ces erreurs ne sont pas importantes. Je ne suis pas d'accord. L'un des éléments clés de la conclusion tirée par la SSR relativement à la crédibilité était l'utilisation, par le demandeur, de l'expression « relations publiques » pour décrire ses fonctions au sein de l'HADEP. La SSR a conclu que l'utilisation de cette expression sophistiquée constituait un embellissement et une indication que le demandeur avait été préparé à faire ses déclarations.

[10]            Les défauts de traduction contrevenaient au droit aux services d'un interprète qualifié, défauts qui, à leur tour, ont mené à une erreur de fait importante sur laquelle a été fondée la conclusion défavorable de la SSR quant à la crédibilité. En raison de la preuve fournie par le demandeur, la décision ne peut pas être maintenue.


                                           ORDONNANCE

1.                    Par conséquent, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             IMM-4003-01

INTITULÉ :                                                        YUSUF KAYA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                               

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE JEUDI 27 JUIN 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE CAMPBELL            

DATE :                                                                LE JEUDI 27 JUIN 2002

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                                                                 pour le demandeur

Patricia MacPhee                                                              pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Waldman & Associés                           pour le demandeur

Avocats

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20020627

                Dossier : IMM-4003-01

Entre :

YUSUF KAYA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                     

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