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Date : 20060303

Dossier : T‑552‑05

Référence : 2006 CF 284

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

BRYAN R. LATHAM

demandeur

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE, SON PRÉPOSÉ LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, ET LES REPRÉSENTANTS DE CE DERNIER, LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Bryan R. Latham, le demandeur, est un détenu qui relève du Service correctionnel du Canada (le SCC) et qui purge une peine d’une durée indéterminée à titre de délinquant dangereux. La durée de la peine que purgent les délinquants comme le demandeur n’étant pas définie, le délinquant a le droit de faire réviser sa peine par la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC ou la Commission) tous les deux ans, conformément au paragraphe 761(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. En vertu du paragraphe 140(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), le dossier du délinquant est révisé au cours d’une audience, à moins que le délinquant renonce à ce droit ou refuse d’assister à l’audience.

 

[2]        Il a été procédé à l’examen relatif à la 17e année de détention du demandeur au cours d’une audience tenue le 8 janvier 2002. L’audience de l’examen relatif à la 19année de détention du demandeur, prévue à l’origine pour le mois de décembre 2003, n’a été tenue que le 12 mai 2004. Au début de l’audience, le demandeur a informé la CNLC qu’elle avait perdu compétence quant à son dossier, étant donné qu’elle n’avait pas tenu l’audience prévue dans le délai de deux ans imposé par la loi. Le demandeur a alors quitté l’audience, en laissant derrière lui ses assistants. La CNLC a effectué l’examen prévu en son absence, compte tenu de son refus d’assister à l’audience, et a refusé d’accorder au demandeur une libération conditionnelle, dans une décision datée du 18 mai 2004.

 

[3]        Le demandeur a fait appel de la décision de la CNLC devant la section d’appel, et par une décision datée du 7 février 2005, l’appel a été rejeté. La section d’appel a déclaré ce qui suit :

 

  • la décision de la CNLC était [traduction] « raisonnable et reposait sur des éléments pertinents, fiables et convaincants »;

 

  • la CNLC n’a pas commis d’erreur de droit, ni violé les principes de la justice fondamentale;

 

  • la CNLC n’avait pas perdu compétence quant au dossier du demandeur.

 

[4]        Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel. Plus précisément, il sollicite une ordonnance annulant la décision de la section d’appel et un jugement déclarant que la CNLC et la section d’appel ont perdu compétence quant à son dossier. Il sollicite également une réparation aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B à la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte), à l’égard de son maintien en incarcération et de l’omission du SCC de lui communiquer ses arguments avant son audience devant la CNLC.

 

Les questions en litige

[5]        Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

 

  1. La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la CNLC n’avait pas perdu compétence d’examiner la peine du demandeur en raison de son omission de procéder à l’examen du cas du demandeur dans le délai prévu par le paragraphe 761(1) du Code criminel?

 

  1. La décision de la section d’appel est‑elle viciée par l’omission du SCC de divulguer intégralement et complètement les arguments avant l’examen de la CNLC?

 

  1. La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la CNLC avait respecté les principes énoncés à l’alinéa 101(1)b) de la LSCMLC et à la section 2.1.1 de la Politique?

 

  1. La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en omettant de conclure que la CNLC s’était fondée sur des renseignements erronés et inexacts contenus dans les dossiers du SCC?

 

  1. La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en omettant de conclure que la CNLC avait violé l’équité procédurale ou les principes de la justice fondamentale protégés par l’article 7 de la Charte en refusant d’entendre l’assistante du demandeur?

 

  1. La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en omettant de conclure que la CNLC avait violé l’équité procédurale ou les principes de la justice fondamentale protégés par l’article 7 de la Charte en omettant de divulguer adéquatement ses arguments?

 

Analyse

La norme de contrôle

[6]        Dans sa décision, la section d’appel décrit son rôle de la façon suivante :

[traduction]

La section d’appel a pour rôle de veiller à ce que la loi et les politiques de la Commission soient respectées, à ce que les règles de la justice fondamentale soient appliquées et que les décisions de la Commission soient fondées sur des éléments fiables et pertinents.

 

La section d’appel examine le processus décisionnel pour s’assurer qu’il a été équitable et que les garanties procédurales ont été respectées.

 

La section d’appel a le pouvoir de réviser la question du risque de récidive et de substituer sa propre appréciation à celle des décideurs initiaux, mais uniquement lorsqu’elle conclut que la décision était mal fondée et ne reposait pas sur les renseignements existants à l’époque où la décision a été prise.

 

 

[7]        La section d’appel est un tribunal administratif spécialisé et respecté dont les décisions doivent faire l’objet d’une déférence considérable de la part de la Cour. C’est ce que la Cour a souvent affirmé quant à la norme de contrôle qu’il y avait lieu d’appliquer à ses décisions (Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n° 241; Beaupré c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. 595; Ouellet c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n° 1924).

 

[8]        Par contre, pour les questions touchant la compétence de la section d’appel en matière d’examen, l’interprétation de dispositions légales ou l’allégation de violations de la justice naturelle, la décision doit être correcte. Si je comprends bien les questions soulevées par le demandeur, je dirais qu’un aspect au moins de chacune des questions qui doivent être abordées dans le cadre des questions en litige numérotées 1, 4, 5 et 6 fait partie de la catégorie à laquelle la décision correcte est applicable comme norme. Cependant, un très haut degré de déférence est dû aux conclusions de la section d’appel qui portent sur des faits particuliers. Cela veut dire que ces conclusions ne peuvent être annulées quand elles sont fondées sur les preuves.

 

Question en litige n° 1 : L’omission de procéder à un examen dans le délai de deux ans

[9]        Le demandeur soutient que la principale question que soulève la présente demande est de savoir si la CNLC a perdu sa compétence d’examiner sa demande de libération, parce qu’elle a omis de procéder à l’examen prévu dans le délai de deux ans fixé par la loi. Le demandeur soutient que la section d’appel a pour la même raison perdu compétence quant à son dossier.

 

[10]      Le demandeur soutient que le délai prévu par le paragraphe 761(1) est impératif. Si la Commission omet de procéder à l’examen dans le délai prévu par le Code criminel, ou subsidiairement reporte l’audience au‑delà des délais prévus par la LSCMLC et son règlement d’application (Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 (le Règlement)), la Commission n’a pas le pouvoir légal de procéder à l’examen d’un dossier. Le demandeur invoque Lyding c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1998), 213 A.R. 323 (B.R. Alb.), dans la mesure où cette décision énonce que le maintien en détention au‑delà de la date d’examen prévue est contraire à la LSCMLC et qu’il entraîne la perte de compétence de la Commission et la mise en liberté du délinquant.

 

[11]      Il y a lieu d’examiner ici le régime légal applicable à l’examen des peines à durée indéterminée.

 

a)      Le régime légal

[12]      Le délinquant qui se trouve dans la situation du demandeur, c’est‑à‑dire qui a été condamné à une peine à durée indéterminée, a le droit de faire examiner son dossier dans les deux ans de l’examen précédent, conformément au paragraphe 761(1) du Code criminel.

761. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission nationale des libérations conditionnelles examine les antécédents et la situation des personnes mises sous garde en vertu d’une sentence de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée dès l’expiration d’un délai de sept ans à compter du jour où ces personnes ont été mises sous garde et, par la suite, tous les deux ans au plus tard, afin d’établir s’il y a lieu de les libérer conformément à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

 

761. (1) Subject to subsection (2), where a person is in custody under a sentence of detention in a penitentiary for an indeterminate period, the National Parole Board shall, as soon as possible after the expiration of seven years from the day on which that person was taken into custody and not later than every two years after the previous review, review the condition, history and circumstances of that person for the purpose of determining whether he or she should be granted parole under Part II of the Corrections and Conditional Release Act and, if so, on what conditions [emphasis added].

 [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[13]      La LSCMLC décrit la constitution et les attributions de la CNLC et de la section d’appel, ainsi que la procédure que doivent suivre ces tribunaux administratifs. La CNLC a « toute compétence et latitude pour […] accorder une libération conditionnelle » (alinéa 107a)). Aux termes des articles 122 et 123, la Commission a le pouvoir d’examiner les demandes de semi‑liberté et de libération conditionnelle totale. Ces articles accordent également à la Commission le pouvoir d’ajourner l’examen de ces demandes, dans les limites précisées par le Règlement.

 

122. (1) Sur demande des intéressés, la Commission examine, au cours de la période prévue par règlement, les demandes de semi‑liberté.

 

122. (1) Subject to subsection 119(2), the Board shall, on application, at the time prescribed by the regulations, review, for the purpose of day parole, the case of every offender other than an offender referred to in subsection (2).

[…]

 

(3) Lors de l’examen, la Commission accorde ou refuse la semi‑liberté, ou diffère sa décision pour l’un des motifs prévus par règlement; la durée de l’ajournement doit être la plus courte possible compte tenu du délai réglementaire.

 

(3) With respect to a review commenced under this section, the Board shall decide whether to grant day parole, or may adjourn the review for a reason authorized by the regulations and for a reasonable period not exceeding the maximum period prescribed by the regulations.

[…]

 

123. (1) La Commission examine, aux fins de la libération conditionnelle totale et au cours de la période prévue par règlement, les dossiers des délinquants purgeant une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus qui ne relèvent pas d’une commission provinciale.

 

123. (1) Subject to subsection (2), the Board shall, at the time prescribed by the regulations, review, for the purpose of full parole, the case of every offender who is serving a sentence of two years or more and who is not within the jurisdiction of a provincial parole board.

[…]

 

(4) Lors de l’examen, la Commission soit accorde ou refuse la libération conditionnelle totale, soit accorde la semi‑liberté, soit diffère sa décision pour l’un des motifs prévus par règlement; la durée de l’ajournement doit être la plus courte possible, compte tenu du délai réglementaire.

 

(4) With respect to a review commenced under this section, the Board shall decide whether to grant full parole, or may grant day parole, or may adjourn the review for a reason authorized by the regulations and for a reasonable period not exceeding the maximum period prescribed by the regulations.

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[Emphasis added.]

 

[14]      Sauf dans certaines circonstances, les examens s’effectuent au cours d’une audience. Le paragraphe 140(1) de la LSCMLC énonce :

 

140. (1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d’être présent […]

 

140. (1) The Board shall conduct the review of the case of an offender by way of a hearing, conducted in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, unless the offender waives the right to a hearing in writing or refuses to attend the hearing . . .

 

[15]      Selon les articles 157 et 158 du Règlement, la Commission peut reporter l’examen des demandes de libération avec le consentement du délinquant et peut également les ajourner pour une période d’au plus deux mois, pour se donner le temps de recevoir tous les documents nécessaires.

 

[…]

 

157. (3) Avec l’accord du délinquant, la Commission peut reporter l’examen visant une mise en semi‑liberté.

 

157. (3) The Board may postpone a day parole review with the consent of the offender.

(4) La Commission peut ajourner, pour une période d’au plus deux mois, l’examen visant une mise en semi‑liberté lorsque, selon le cas, elle a besoin :

 

(4) The Board may adjourn a day parole review for a period of not more than two months where the Board requires

a) de plus de renseignements pertinents;

 

(a) further information relevant to the review; or

b) de plus de temps pour prendre une décision.

 

(b) further time to render a decision.

[…]

 

158. (3) Avec l’accord du délinquant, la Commission peut reporter l’examen visant une libération conditionnelle totale.

 

158. (3) The Board may postpone a full parole review with the consent of the offender.

(4) La Commission peut ajourner, pour une période d’au plus deux mois, l’examen visant une libération conditionnelle totale lorsque, selon le cas, elle a besoin :

 

(4) The Board may adjourn a full parole review for a period of not more than two months where the Board requires

a) de plus de renseignements pertinents;

 

(a) further information relevant to the review; or

b) de plus de temps pour prendre une décision.

 

(b) further time to render a decision.

[Non souligné dans l’original.]

 

[Emphasis added.]

 

 

 

 

[16]      Il n’existe pas de dispositions correctives édictant ce qu’il convient de faire lorsque le délai réglementaire n’est pas respecté.

 

b)      Les faits applicables au demandeur

[17]      Le demandeur soutient que le temps écoulé est de cinq mois. Cette période comprend deux parties : pendant la première partie, l’appelant a demandé des reports ou y a consenti et pendant la seconde, le temps écoulé était imputable au SCC ou à la CNLC.

 

[18]      Pour ce qui est des premiers reports, le dossier indique clairement que le demandeur a consenti à deux reports pour permettre au SCC de communiquer les documents nécessaires à la Commission et au demandeur. Le demandeur allègue aujourd’hui qu’il a été « contraint » de donner son accord à ces deux reports, mais il n’existe aucun élément de preuve montrant qu’il y a eu abus d’influence. Il semble que le demandeur ne soutient pas que la Commission ait perdu compétence sur son dossier pendant ces premiers ajournements, étant donné que ces reports ont été décidés conformément aux pouvoirs clairement exposés dans le Règlement (paragraphes 157(3) et 158(3)) et qu’ils font donc partie de la procédure d’examen des demandes de libération.

 

[19]      Les arguments que le demandeur présente ici visent la seconde partie du temps écoulé. Une audience a été commencée le 19 février 2004 et au cours de celle‑ci, la Commission a ajourné la séance pour une certaine durée dans le but de permettre au SCC de communiquer des documents à la Commission et au demandeur. La Commission n’a siégé à nouveau que le 12 mai 2004, soit près de trois mois plus tard. En plus de soutenir que la Commission ne pouvait tenir une audience une fois expiré le délai de deux ans prévu au paragraphe 761(1), le demandeur affirme également que la Commission a ajourné son examen plus longtemps que ne l’autorisent les paragraphes 157(3) et 158(3) du Règlement. Il affirme que la Commission a donc perdu compétence sur son dossier à l’expiration du délai de deux mois.

 

[20]      Le demandeur affirme que la Commission a excédé les pouvoirs que lui avait accordé le législateur, puisqu’il n’existe aucune disposition qui l’autorise à tenir une audience de libération conditionnelle au‑delà du délai de deux ans prévu par la loi. Si le demandeur a raison, il faut alors se poser un certain nombre de questions. Quel sera l’effet du dessaisissement sur la peine à durée indéterminée que purge le demandeur? Quel tribunal administratif ou judiciaire, s’il en est un, pourra alors examiner la peine du demandeur, de façon à l’adapter à sa situation et décider s’il conviendrait de le libérer? Le demandeur invoque l’arrêt Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, de la Cour suprême du Canada, pour soutenir qu’il devrait être mis en liberté, étant donné que la CNLC a perdu compétence sur sa demande de libération. S’il ne peut en être ainsi, il soutient que le pouvoir d’examiner sa demande de libération est dévolu à la Cour ou à une cour supérieure provinciale.

 

[21]      Malgré les observations sincères qu’a présentées le demandeur, je ne peux conclure comme il le souhaiterait que la CNLC et la section d’appel ont perdu compétence sur son dossier et qu’il appartient à la Cour ou à une autre cour supérieure de procéder à l’examen des circonstances de son incarcération à l’expiration de la période de deux ans. Je fonde cette réponse sur trois facteurs distincts. Premièrement, la Cour suprême a clairement exprimé l’opinion que la CNLC, en qualité de tribunal administratif spécialisé, est l’organe approprié pour superviser la mise en liberté et le maintien en détention des détenus condamnés à des peines de longue durée. Deuxièmement, le demandeur n’a pas démontré que sa peine était exagérément disproportionnée. Troisièmement, je ne pense pas que le législateur ait voulu les résultats proposés par le demandeur. Je vais maintenant examiner chacun de ces facteurs.

 

c)      Quel est le rôle de la CNLC et de la section d’appel?

[22]      Dans Steele, précité, au paragraphe 83, le juge Cory, parlant au nom de la Cour suprême, qui était unanime, a déclaré ce qui suit :

 

Il importe aussi que la mise en liberté d’une personne détenue depuis de nombreuses années soit surveillée par des experts dans ce domaine. Je souscris à l’observation suivante du juge Locke :

 

[traduction] Dans le cas des personnes condamnées à une peine d’une durée indéterminée qui ont passé de nombreuses années en prison, il est extrêmement souhaitable que leur mise en liberté, si elle a lieu, soit conditionnelle et assujettie à la surveillance de ceux qui ont de l’expérience en matière de libération conditionnelle ou de probation, et elle devrait être assortie d’une forme d’aide qui augmentera les chances pour ces personnes de s’adapter à leur nouveau milieu et, si possible, leurs chances de devenir autonomes et utiles dans la société. En vertu des dispositions législatives et administratives actuelles, il semble que cela ne peut se réaliser que si la mise en liberté est confiée à la Commission des libérations conditionnelles, conformément au pouvoir discrétionnaire qu’elle possède en vertu de l’art. 761 du Code criminel.

 

[23]      Dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, arrêt dans lequel la Cour suprême a déclaré que les peines à durée indéterminée n’étaient pas contraires à la Charte, le juge La Forest a également souligné l’importance du processus de libération conditionnelle :

 

Il est en outre évident qu’une enquête éclairée menée en vertu de l’art. 12 [de la Charte] doit porter d’abord et avant tout sur la façon dont se feront probablement sentir les effets du châtiment. Par conséquent, vu sous cet angle, le processus de libération conditionnelle revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d’adapter la peine à la situation de chaque délinquant [au paragraphe 48].

 

[24]      En résumé, les cours ne sont pas des experts dans ce domaine, comme le sont les membres du CNLC et de la section d’appel, et ce n’est que dans les cas exceptionnels où ces tribunaux administratifs s’écartent de leur mission que ces composantes essentielles du régime des peines à durée indéterminée perdent leurs compétence sur ces dossiers.

 

d)      La peine du demandeur est‑elle « exagérément disproportionnée »?

[25]      Quelle est la situation qui peut donner naissance à des circonstances aussi exceptionnelles? En réponse, je renvoie aux commentaires du juge Cory dans Steele, au paragraphe 80 :

 

Il arrivera très rarement qu’une cour de justice conclura qu’une peine est si exagérément disproportionnée qu’elle viole les dispositions de l’art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte [au paragraphe 80].

 

[26]      En se fondant sur les passages cités ci‑dessus, le demandeur soutient qu’une peine à durée indéterminée qui n’est pas adaptée à la situation du délinquant grâce aux examens que la Commission doit effectuer de façon appropriée devient une peine exagérément disproportionnée, qui viole les articles 7, 9 et 12 de la Charte (R. c. Lyons, ci‑dessus; Steele, ci‑dessus). Le demandeur fait remarquer qu’il est détenu depuis pratiquement 37 ans et qu’il n’existe plus au sein du système carcéral aucun programme de réhabilitation auquel il puisse participer.

 

[27]      Cette allégation nous oblige à examiner les faits de l’affaire Steele, ci‑dessus, qui ont amené la Cour suprême à conclure qu’il y avait lieu de libérer M. Steele.

 

[28]      Dans l’arrêt Steele, ci‑dessus, la Cour suprême a jugé que la CNLC avait pendant des années appliqué un critère juridique erroné lors de l’examen des demandes de libération de l’appelant. L’appelant n’avait commis aucun crime depuis sa première déclaration de culpabilité à l’âge de 18 ans. Il est vrai qu’il avait violé dans le passé les conditions de sa libération conditionnelle mais il s’agissait de fautes compréhensibles liées à la toxicomanie et à son « habitude de vivre en prison » et non pas à des tendances sexuelles ou criminelles violentes. L’appelant avait obtenu « l’effet positif maximal de l’emprisonnement » et son maintien en incarcération risquait d’amener une détérioration de sa situation. Les psychiatres qui l’avaient examiné recommandaient sa libération. Le facteur qui a joué un rôle essentiel dans Steele est que la CNLC n’avait pas évalué correctement la question de savoir si la libération de l’appelant causerait un risque indu à la société, en se fondant principalement sur des infractions disciplinaires mineures et explicables que le demandeur avait commises. Le juge Cory a déclaré au paragraphe 79 :

 

À cause de ces erreurs, le processus d’examen de la demande de libération conditionnelle n’a pas permis d’adapter la peine de Steele à la situation dans laquelle il se trouvait. La durée excessive de son incarcération est depuis longtemps devenue exagérément disproportionnée aux circonstances de l’espèce.

 

[29]      Les faits de l’affaire Steele diffèrent sensiblement des faits de la présente espèce, dans laquelle le demandeur a récidivé à plusieurs reprises pendant sa libération conditionnelle, ce qui l’a amené à être placé dans la catégorie de « délinquants dangereux » et condamné à une peine à durée indéterminée. Il semble que le demandeur ait retiré tout l’effet positif ou presque qu’il pouvait retirer des programmes offerts en prison et que ses examens psychologiques indiquent qu’il est peu probable qu’il puisse s’améliorer encore en détention, mais les mêmes examens mentionnent également que son risque de récidive est au moins modéré. J’estime que la principale différence qui existe entre l’espèce et l’affaire Steele, ci‑dessus, est qu’il n’existe ici aucun élément indiquant que la CNLC a constamment omis d’évaluer le risque de récidive que représente le demandeur. Par exemple, l’examen précédent dont a fait l’objet le demandeur en 2002 a été porté en appel devant la section d’appel et, finalement, examiné par la Cour. Il a été confirmé à tous les niveaux (voir Latham c. Canada, 2004 CF 1585, [2004] A.C.F. n° 1911 (QL)). Ni la CNLC, ni la section d’appel n’ont commis d’erreurs substantielles dans leur analyse de l’opportunité d’accorder la libération conditionnelle au demandeur.

 

[30]      En l’espèce, il est impossible d’affirmer que la peine que purge le demandeur est devenue exagérément disproportionnée pour la raison que la CNLC a tardé à tenir une audience à son sujet. C’est pourquoi la décision prise par la Cour suprême du Canada dans Steele, ci‑dessus, n’est pas applicable à la présente affaire.

 

e)      L’omission de respecter le délai de deux ans constitue‑t‑il une circonstance exceptionnelle?

[31]      Je reviens donc à l’examen de la question de savoir si l’omission de la part de la Commission d’effectuer l’examen de la 19e année de détention du demandeur constitue une circonstance exceptionnelle qui pourrait avoir pour effet de lui faire perdre compétence sur ce dossier.

 

[32]      Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’analyse à laquelle la Cour suprême a procédé dans Steele est pertinente. Le juge Cory a beaucoup insisté sur le fait que la Commission joue un rôle essentiel. La Commission est un élément nécessaire et essentiel du régime des peines à durée indéterminée.

 

[33]      La Commission joue non seulement un rôle essentiel dans le régime des peines à durée indéterminée mais elle constitue également un rempart contre la possibilité qu’une peine à durée indéterminée ne devienne exagérément disproportionnée. Considérée de cette façon, il est évident que la Commission ne devrait pas être privée de ses pouvoirs lorsqu’elle commet des erreurs de nature procédurale. Le pouvoir d’examiner la peine du demandeur et d’accorder ou de refuser la libération conditionnelle ne devrait pas passer à la Cour ou à une cour supérieure provinciale. Ce serait contraire à l’intention du législateur et priverait le demandeur d’une décision juste et équitable prise par une instance relativement experte, à savoir la CNLC.

 

[34]      La Cour d’appel de la Saskatchewan a été amenée à interpréter le paragraphe 761(1) par rapport aux mêmes faits. En plus des demandes de contrôle judiciaire présentées à la Cour, le demandeur a présenté une demande de bref d’habeas corpus à la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan. Sa demande a été rejetée le 25 juin 2004 (Latham c. Her Majesty the Queen, 2004 SKQB 292). Le 19 octobre 2004, la Cour d’appel a rejeté son appel (Latham c. Her Majesty the Queen, 2004 SKCA 141). Ces instances intéressent directement la présente, étant donné que ces juridictions étaient saisies de la même situation de fait qu’en l’espèce : l’omission de tenir au plus tard le 8 janvier 2005 l’examen relatif à la 19e année d’incarcération. Devant les deux juridictions, le demandeur a soutenu, comme il l’a fait devant moi, que l’omission de respecter le délai avait eu pour effet que la CNLC avait perdu compétence sur son dossier. La Cour d’appel a rejeté cet argument en déclarant ce qui suit :

 

[traduction] À notre avis, le fait de ne pas avoir tenu l’audience prévue n’a pas rendu la détention illégale. À notre avis, le législateur n’a pas pu vouloir que l’omission de la part de la Commission nationale des libérations conditionnelles de tenir l’audience dans le délai prévu aurait pour effet de rendre illégale la détention du délinquant en cause [au paragraphe 10].

 

[35]      Je souscris à sa conclusion. À mon avis, toute autre interprétation paralyserait le travail de la CNLC, même lorsqu’il s’agit d’erreurs de nature procédurale et non substantielle; un tel résultat serait absurde.

 

[36]      Je reconnais avec le demandeur que ni la LSCMLC ni le Règlement n’attribuent expressément à la CNLC le pouvoir d’effectuer un examen hors délai. Je conclus néanmoins que ce pouvoir découle implicitement du régime légal institué. Lorsqu’un détenu comme le demandeur purge une peine de durée indéterminée et que l’examen de sa détention n’est pas effectué dans le délai fixé par la loi, la meilleure solution est de tenir cette audience le plus tôt possible. Comme je l’ai expliqué plus haut, c’est la solution à préférer parce qu’elle confie l’examen de la détention du demandeur aux instances qui sont les mieux placées pour prendre une décision juste. Il découle de ces remarques que la section d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a déclaré que la CNLC [traduction] « n’avait d’autre solution que de poursuivre l’examen […] ne serait‑ce que pour éviter de perdre sa compétence sur votre dossier ».

 

[37]      Ma conclusion est fondée sur les circonstances particulières dont je suis saisie. Dans cette affaire, la Commission a ajourné son audience pour veiller à ce que le demandeur et elle‑même disposent de tous les documents nécessaires. Le demandeur soutient que la Commission a perdu compétence sur son dossier, en se fondant sur les déclarations des juges LeBel et Fish, au paragraphe 77 de May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, selon lesquelles les décisions administratives prises en violation de la Charte sont nulles pour défaut de compétence. L’arrêt May portait sur l’omission de divulguer des renseignements pertinents, mais le demandeur a soutenu que dans l’affaire May comme dans la présente les principes de la justice fondamentale ont été violés. Cet argument ne peut être retenu. Comme le défendeur l’a justement fait remarquer, la Commission a ajourné l’audience pour que le demandeur et elle‑même puissent recevoir tous les documents dont ils avaient besoin pour procéder à un examen équitable de la demande de libération. Dans les circonstances, il serait plus exact de dire que la Commission s’est inspirée des principes de justice fondamentale et les a concrétisés.

 

[38]      Le demandeur soutient également que la décision Lyding c. Canada (National Parole Board) (1998), 213 A.R. 323 (B.R. Alb.) s’applique ici. Dans cette affaire, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a décidé que le maintien en détention d’un détenu purgeant une peine à durée indéterminée au‑delà de la date prévue pour l’examen de sa libération conditionnelle avait eu pour effet de faire perdre à la Commission sa compétence sur le dossier et d’entraîner la libération du délinquant. Cependant, dans Armaly c. Canada (Parole Service), 2001 ABCA 280, la Cour d’appel a expressément infirmé la décision Lyding et jugé que les violations de règles procédurales n’ont pas toutes pour effet de faire perdre sa compétence à l’instance fautive. La cour a déclaré que le législateur n’avait pas voulu qu’une violation de la procédure entraîne la perte de la compétence, étant donné que la LSCMLC prévoit un régime complet d’examen des demandes de libération. La décision formulée dans Armaly est conforme au régime décrit par la Cour suprême dans Steele et Lyons, tous deux cités ci‑dessus, et s’avère bien préférable comme solution.

 

[39]      Pour ces motifs, je conclus que l’omission de la Commission de tenir une audience dans le délai prévu par la loi n’a pas eu pour effet de lui faire perdre sa compétence sur le dossier du demandeur. La conclusion de la section d’appel sur ce point était fondée.

 

Question en litige n° 2 : L’omission du SCC de divulguer certains renseignements

[40]      Le demandeur soutient que le SCC a violé les obligations légales qu’il avait envers lui et a nié les droits que l’article 7 de la Charte lui accorde, parce qu’elle a omis de lui communiquer tous les renseignements nécessaires avant l’audience de la CNLC.

 

[41]      Selon le demandeur, le SCC a violé les articles 24 et 25 de la LSCMLC, qui obligent le SCC à veiller à ce que le dossier de libération conditionnelle du demandeur contienne des renseignements à jour, exacts et complets et à fournir tous ces renseignements à la CNLC.

 

[42]      La principale faille de l’argument du demandeur est que la présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de la section d’appel et non pas les actes du SCC. Il existe une procédure de grief distincte, fondée sur les articles 24 et suivants de la LSCMLC, qui répond aux préoccupations du demandeur. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

 

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

 

25. (1) Aux moments opportuns, le Service est tenu de communiquer à la Commission nationale des libérations conditionnelles, aux gouvernements provinciaux, aux commissions provinciales de libération conditionnelle, à la police et à tout organisme agréé par le Service en matière de surveillance de délinquants les renseignements pertinents dont il dispose soit pour prendre la décision de les mettre en liberté soit pour leur surveillance.

 

 

25. (1) The Service shall give, at the appropriate times, to the National Parole Board, provincial governments, provincial parole boards, police, and any body authorized by the Service to supervise offenders, all information under its control that is relevant to release decision-making or to the supervision or surveillance of offenders.

 

 

[43]      Le demandeur doit utiliser la procédure de grief et ensuite, s’il n’est pas satisfait, demander le contrôle judiciaire de la décision définitive prise selon cette procédure (voir A.S.R. c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741, aux paragraphes 19 à 21; et par exemple Tehrankari c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. n° 495 (1re inst.) (QL)). Les documents fournis par le demandeur révèlent qu’il a eu recours à ce mécanisme et obtenu réparation. De plus, l’argument du demandeur ne concerne pas les conclusions qu’a tirées le SCC au cours du processus de grief mais uniquement l’effet qu’ont pu avoir les inexactitudes contenues dans son dossier sur les décisions de la CNLC et de la section d’appel. Comme je l’expliquerai plus loin, les prétendues inexactitudes que contenaient les renseignements sur lesquels s’est fondée la Commission ressortissent à la question de savoir si la section d’appel est arrivée à une décision manifestement déraisonnable.

 

[44]      Il en résulte que l’omission de la part du SCC de divulguer certains renseignements, comme l’allègue le demandeur, n’est pas pertinente dans la présente demande.

 

Question en litige n° 3 : Le respect des principes exposés à l’alinéa 101(1)b) de la LSCMLC et de la section 2.1.1 de la Politique

[45]      Le demandeur soutient qu’aucune preuve ne révèle que la Commission ait appliqué la section 2.1.1 de la Politique (une ligne directrice promulguée par la CNLC traitant des attributions des commissaires en matière d’examen) et l’alinéa 101b) de la LSCMLC pour décider si la peine du demandeur était devenue exagérément disproportionnée. Plus précisément, le demandeur signale que la CNLC et la section d’appel n’ont pas mentionné dans leurs motifs les commentaires qu’avait faits le juge qui avait prononcé sa peine.

 

[46]      L’alinéa 101b) de la LSCMLC énonce ce qui suit :

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are:

[…]

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender[.]

 

 

[47]      La section 2.1.1 de la Politique précise cette obligation. Le demandeur soutient sur ce point que la CNLC et la section d’appel ont omis de tenir compte de certains renseignements. Le dossier n’étaye pas cette affirmation.

 

[48]      La section d’appel a examiné la question de savoir si la CNLC avait omis de tenir compte de certaines preuves concernant la possibilité que la peine du demandeur soit disproportionnée et elle l’a examinée en détail. Je souscris pleinement à l’observation qu’a faite la section d’appel selon laquelle :

 

[traduction] le fait que la Commission n’ait pas expressément fait référence aux commentaires du juge sur la feuille de décision ne veut pas dire qu’elle n’a pas tenu compte de ces renseignements. En l’espèce, la Commission a clairement affirmé qu’elle avait soigneusement examiné tous les renseignements figurant au dossier.

 

[49]      Mes commentaires s’appliquent également à la décision de la section d’appel. Les motifs de la section d’appel montrent clairement, par leur qualité et leur caractère détaillé, que celle‑ci a examiné tous les éléments du dossier du demandeur. Je note, comme l’a fait la section d’appel, que cette même question a déjà été examinée par la Cour dans Latham c. Canada, 2004 CF 1585, [2004] A.C.F. n° 1911 (QL), une instance dans laquelle le demandeur contestait la décision de la section d’appel concernant l’examen relatif à sa 17e année de détention. Le juge O’Reilly a rejeté son argument dans les termes suivants au paragraphe 32 :

 

Bien entendu, les observations du juge chargé de la détermination de la peine ne sont pas hors de propos. La Commission a l’obligation de tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents et dignes de foi et il est évident que les observations du juge de procès revêtent normalement une certaine importance. En effet, les principes dont s’inspire la Commission font expressément état de l’importance « [d]es motifs et [d]es recommandations du juge qui a infligé la peine » (alinéa 101b) de la Loi sur le système correction et la mise en liberté sous condition). Toutefois, eu égard aux circonstances de l’espèce, je ne peux conclure que le défaut de signaler expressément ces remarques constitue en soi une analyse erronée de la disproportion. Je ne peux non plus conclure que cela équivaut nécessairement à une erreur donnant matière à révision.

 

[50]      Comme l’a fait le juge O’Reilly, je conclus que le défaut de signaler expressément les remarques du juge chargé de la détermination de la peine ne constitue pas une erreur entraînant révision.

 

Question en litige n° 4 : Le fait de se fonder sur les renseignements erronés et inexacts contenus dans les dossiers du SCC

[51]      Le demandeur soutient que la Commission et la section d’appel se sont fondées sur des renseignements inexacts fournis par le SCC et qu’elles ont mal interprété les preuves présentées et en sont arrivées à des conclusions erronées. Plus précisément, le demandeur soutient que ces instances se sont fondées sur les affirmations erronées suivantes :

 

(i)                  le demandeur a été [traduction] « déclaré coupable d’agressions sur des femmes 3 fois en Australie »;

 

(ii)                il ne pensait pas qu’il avait besoin d’être surveillé après sa libération;

 

(iii)               il a fait savoir qu’il ne serait pas nécessaire qu’il participe à d’autres programmes après sa libération;

 

(iv)       il représentait un risque élevé de récidive en matière d’infraction sexuelle selon un rapport psychologique daté du 6 janvier 2004.

 

[52]      D’après le demandeur, le SCC a maintenant modifié certaines parties de ces renseignements à la suite des griefs déposés par le demandeur. Une décision de troisième niveau rendue à la suite d’un grief a été prise en faveur du demandeur après le prononcé de la décision de la section d’appel.

 

[53]      J’ai examiné soigneusement les motifs formulés par la CNLC et par la section d’appel. Avant d’aborder les allégations particulières du demandeur, il convient de rappeler certains principes généraux. La CNLC et la section d’appel ne sont pas chargées de corriger les erreurs contenues dans les dossiers du délinquant mais ont pour rôle d’examiner toutes les preuves pertinentes et fiables qui leur sont présentées, conformément au paragraphe 25(1) et à l’alinéa 101b) de la LSCMLC (Tehrankari, ci‑dessus). Il est loisible à la Commission et à la section d’appel de ne pas se fonder sur des renseignements qui leur paraissent inexacts (Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1996), 192 N.R. 161 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 75 (QL), au paragraphe 32). Ni la CNLC ni la section d’appel n’ont pour mission de remettre en question les dossiers fournis par le SCC (A.S.R. c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), ci‑dessus). Comme je l’ai mentionné plus haut, pour la question en litige n° 2, l’exactitude de ces renseignements peut être contestée selon un autre processus, et elle l’a été en l’espèce. Dans la mesure où ces renseignements ont été modifiés, ils seront pris en compte pour le prochain examen concernant le demandeur.

 

[54]      On ne peut reprocher à la CNLC et à la section d’appel de s’être fondées sur les renseignements présentés, puisque ce n’est qu’après leur examen que le grief de troisième niveau qu’avait déposé le demandeur a débouché sur une décision favorable modifiant le contenu de son dossier. En outre, les décisions de la CNLC et de la section d’appel s’appuient sur de nombreux autres rapports, dont un bon nombre n’ont pas été contestés par le demandeur, qui étayent leur conclusion.

 

[55]      La section d’appel a examiné l’allégation du demandeur selon laquelle la CNLC avait jugé à tort qu’il ne pensait pas qu’il aurait besoin de surveillance ou de participer à d’autres programmes après sa libération. La section d’appel a conclu que ces conclusions étaient justifiées par les éléments figurant au dossier. Je suis convaincue que les conclusions de la section d’appel sur ce point étaient raisonnables, bien formulées et fondées sur le dossier dont elle disposait.

 

[56]      En outre, je ne peux souscrire à l’opinion selon laquelle la description des déclarations de culpabilité du demandeur en Australie utilisant les mots « agressions sur des femmes 3 fois) » plutôt que voies de fait simples est une erreur importante. Il n’était pas déraisonnable que la section d’appel conclue que, compte tenu de la nature sexuelle des voies de fait, l’erreur de description commise par la CNLC était de peu d’importance. Le juge O’Reilly a abordé cet aspect dans Latham c. Canada, ci‑dessus, et il a déclaré que cette différence de formulation était nettement insuffisante « pour mettre en doute l’essence des renseignements contenus dans ces documents ».

 

[57]      La section d’appel a déclaré que la CNLC s’était fondée sur un rapport psychologique daté du 6 janvier 2004 pour conclure que le demandeur constituait encore un risque élevé de récidive en matière d’infractions sexuelles. D’après les renseignements contenus dans le rapport, il était loisible à la section d’appel de confirmer la conclusion de la CNLC.

 

[58]      La section d’appel a affirmé que la Commission avait fondé sa décision sur un certain nombre de facteurs, qui ne sont pas tous contestés ici, et qui suffisaient à étayer la décision de la Commission. En outre, la section d’appel a elle‑même conclu que le demandeur n’était pas prêt à être libéré, en se fondant sur des rapports faisant état de comportements négatifs et rebelles de sa part.

 

[59]      Il ressort de l’examen du dossier auquel j’ai procédé que le demandeur n’a pas contesté la plupart des renseignements sur lesquels est fondée la conclusion de la section d’appel et, par conséquent, les contestations analysées ci‑dessus ne peuvent être retenues. La confirmation par la section d’appel de la décision de la CNLC était donc raisonnable et fondée sur le dossier.

 

Question en litige n° 5 : Le refus d’entendre l’assistante du demandeur

[60]      Comme je l’ai noté plus haut, le demandeur a quitté la salle au tout début de l’audience du 12 mai 2004. Son assistante est demeurée dans la salle et la CNLC a effectué son examen sans tenir d’audience. Le demandeur a soutenu devant la section d’appel et devant la Cour que la CNLC aurait dû autoriser son assistante à parler en son nom et que l’omission de lui permettre de participer à l’audience constitue une violation de la justice naturelle et des droits à l’équité procédurale que lui reconnaît l’article 7 de la Charte.

 

[61]      Dans sa décision, la section d’appel a fait remarquer que l’assistant avait le droit d’assister à l’audience pourvu que le délinquant y assiste. La section d’appel a conclu que [traduction] « étant donné que vous n’avez pas assisté à l’audience et qu’il n’y a pas eu en fait d’audience, votre assistante a perdu cette qualité et ne pouvait être autorisée à s’adresser à la Commission ». Je souscris à cette conclusion.

 

[62]      Les dispositions applicables de la LSCMLC sont les paragraphes 140(7) et (8) :

 

140. (7) Dans le cas d’une audience à laquelle assiste le délinquant, la Commission lui permet d’être assisté d’une personne de son choix, sauf si cette personne n’est pas admissible à titre d’observateur en raison de l’application du paragraphe (4).

 

140. (7) Where a review by the Board includes a hearing at which the offender is present, the Board shall permit the offender to be assisted by a person of the offender's choice unless the Board would not permit the presence of that person as an observer pursuant to subsection (4).

(8) La personne qui assiste le délinquant a le droit :

 

(8) A person referred to in subsection (7) is entitled

a) d’être présente à l’audience lorsque le délinquant l’est lui‑même;

 

(a) to be present at the hearing at all times when the offender is present;

b) de conseiller le délinquant au cours de l’audience;

 

(b) to advise the offender throughout the hearing; and

c) de s’adresser aux commissaires au moment que ceux‑ci choisissent en vue du bon déroulement de l’audience.

 

 

(c) to address, on behalf of the offender, the members of the Board conducting the hearing at times they adjudge to be conducive to the effective conduct of the hearing.

 

 

[63]      Les termes de la loi sont clairs et non équivoques. Le droit d’être assisté n’est accordé que « dans le cas d’une audience à laquelle assiste le délinquant ». En l’espèce, en l’absence du demandeur, il n’y avait pas d’« audience » au sens de l’article 140 de la LSCMLC. La CNLC a effectué son examen sans tenir d’audience. Il en résulte que l’assistante n’avait aucun statut et n’avait donc pas le droit de représenter le délinquant en son absence. La section d’appel a correctement interprété les dispositions légales en question et n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission n’avait pas violé l’équité procédurale en refusant d’entendre l’assistante du demandeur.

 

[64]      De plus, dans les circonstances de la présente affaire, je ne peux admettre que cette restriction viole les droits du demandeur en matière d’équité procédurale que lui accorde l’article 7 de la Charte. Le demandeur a eu la possibilité de participer à l’audience mais il a volontairement écarté cette possibilité en quittant la salle d’audience. La CNLC a affirmé dans sa décision que le demandeur avait déclaré : [traduction] « Je m’en vais. C’est à vous de décider ce que vous voulez faire. » Il a quitté ses assistants [traduction] « qui étaient assis là apparemment sans savoir ce que vous faisiez ». À mon avis, le demandeur a eu la possibilité de présenter ses arguments mais a choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité.

 

Question en litige n° 6 : La divulgation de documents

[65]      Le demandeur soutient que la Commission a violé son droit d’être informé des faits qui lui étaient reprochés, ce qui constitue une violation des principes de justice fondamentale, en omettant de lui communiquer les renseignements nécessaires comme l’exige le paragraphe 141(1) de la LSCMLC. Le demandeur soutient qu’il n’a reçu copie d’un rapport du service de police daté du 3 juillet 1971 et d’un rapport d’étape sur le rendement, daté du 15 mai 2002, qu’après l’audience de la CNLC.

 

[66]      La section d’appel a conclu, en se fondant sur une « Mise à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer », que les documents en question avaient été transmis au demandeur dès 2002 et 2003. Je note que la section d’appel a mentionné que la liste de vérification pertinente était datée du 12 février 2004 alors que selon ma lecture du dossier, la liste pertinente est en fait datée du 16 mars 2004. Il s’agit là toutefois d’une erreur sans conséquence. Je note également que la « Déclaration sur les garanties procédurales » n’a pas été signée par le demandeur mais que l’employé du SCC chargé de communiquer ces renseignements a coché la case et indiqué la date en inscrivant :

 

[traduction] Le délinquant refuse d’accuser réception des documents énumérés dans la Liste de vérification des renseignements à communiquer mais une copie de ces documents a néanmoins été remise au délinquant.

 

[67]      J’estime qu’il était loisible pour la section d’appel de préférer ce document aux simples allégations du demandeur et il était donc raisonnable que la section d’appel conclue que les documents pertinents avaient été communiqués au demandeur. Étant donné qu’il y avait eu divulgation des renseignements, l’affirmation selon laquelle le droit du demandeur d’être informé des faits qui lui étaient reprochés avait été violé n’est pas fondée.

 

Conclusion

[68]      En conclusion, la décision de la section d’appel ne contient, d’après moi, aucune erreur. Aspect essentiel, l’omission de la part de la CNLC de procéder à un examen dans le délai de deux ans prévu par le paragraphe 761(1) n’a donc pas eu pour effet, dans les circonstances, de lui faire perdre compétence sur le dossier. Pour ce qui est des autres erreurs alléguées, je suis convaincue que la section d’appel a correctement interprété les dispositions légales applicables et a pris sa décision en se fondant sur l’ensemble des preuves dont elle disposait. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens aux défendeurs.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑552‑05

 

 

INTITULÉ :                                       BRYAN R. LATHAM c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 JANVIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Bryan R. Latham

 

           POUR LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

 

Rochelle Wempe

 

           POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

           POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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