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Date : 20030416

Dossier : IMM-5490-02

Référence neutre : 2003 CFPI 441

Toronto (Ontario), le mercredi 16 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

ESMAIL HEMMATI KUMAR SOPHLY

                                                                                                                                                     demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Esmail Hemmati Kumar Sophly (le demandeur), un citoyen de l'Iran, est arrivé au Canada en septembre 2000 et a revendiqué le statut de réfugié au motif qu'il craignait avec raison d'être persécuté par les autorités iraniennes du fait de ses opinions politiques. Dans une décision rendue le 19 septembre 2002, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                 La crédibilité et le bien-fondé ont été les questions déterminantes soulevées dans la revendication du demandeur devant la Commission. La Commission a conclu que la preuve n'avait pas la crédibilité et la fiabilité qui lui auraient permis de décider que la crainte de persécution du demandeur était bien-fondée. S'appuyant sur l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il était très peu probable que le demandeur serait persécuté pour l'un des motifs prévus par la Convention s'il retournait en Iran.

La question en litige

[3]                 La question en litige soulevée dans la présente demande peut être formulée de la manière suivante :

1.         Les conclusions de fait et les conclusions en matière de crédibilité tirées par la Commission étaient-elles manifestement déraisonnables?


Analyse

[4]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la décision de la Commission, prise dans son ensemble, n'était pas manifestement déraisonnable. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

La norme de contrôle    


[5]                 Les questions de la crédibilité et de la valeur probante des éléments de preuve sont des questions qui relèvent particulièrement de la compétence de la Commission (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)). Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est la décision manifestement déraisonnable, ce qui signifie que les conclusions quant à la crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne doivent pas être tirées de façon arbitraire ou fondées sur des conclusions de fait erronées (Aguebor, précité). Même si la Cour aurait tiré une conclusion différente en se fondant sur la preuve, la décision de la Commission ne devrait pas être infirmée à moins qu'elle l'ait rendue de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été soumis (Grewal c. Canada (Ministre de la l'Emploi et de l'Immigration), [1983] F.C.J. No 129 (C.A.) (QL) ; Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL); Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 560 (1re inst.) (QL); Tao c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1993] A.C.F. no 622 (1re inst.) (QL)).

[6]                 Le demandeur prétend que la décision contient 28 erreurs. Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis qu'un certain nombre des prétentions du demandeur sont manifestement erronées en ce qu'elles constituent une mauvaise interprétation de la décision de la Commission ou qu'elles sont contredites par les éléments de preuve contenus dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Quant aux autres prétendues erreurs, j'ai choisi d'analyser directement celles qui sont au coeur de la décision de la Commission ou qui auraient pu être effectivement des erreurs.

La relation politique existant entre le demandeur et Ali


[7]                 La relation qu'il entretenait avec Ali Shamlou (Ali), un activiste étudiant, est un facteur important dans la cause du demandeur. La Commission a conclu que les autorités ne s'intéressaient pas au demandeur en raison de la relation politique qu'il entretenait avec Ali et que les deux hommes étaient de simples connaissances et non pas des amis. La Commission a fondé cette conclusion, entre autres, sur une contradiction dans le témoignage du demandeur concernant la fréquence de ses rencontres avec Ali. Le demandeur a prétendu qu'il n'y avait aucune contradiction

  

[8]                 Après avoir examiné le dossier, je suis d'avis que le témoignage du demandeur quant à la relation qu'il entretenait avec Ali n'était pas cohérente et étaye la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur et Ali n'étaient que de simples connaissances et non pas des amis.

[9]                 Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur en se concentrant sur le point de vue subjectif du demandeur quant à la relation qu'il entretenait avec Ali, plutôt que sur la perception qu'avait les autorités de cette relation. À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure que les autorités ne s'intéresseraient pas au demandeur en raison de la relation qu'il entretenait avec Ali. Selon le témoignage du demandeur, cette relation n'était pas très étroite. Le demandeur a déclaré qu'il n'avait pas vu Ali très souvent, qu'il ne savait pas grand-chose sur lui et qu'il ne s'occupait pas beaucoup de questions étudiantes ou politiques.


[10]            Le demandeur prétend qu'aucune preuve n'étayait la conclusion de la Commission selon laquelle lui et Ali avaient été, tout au plus, participé de façon marginale dans la réunion de décembre 1997 et qu'ils n'étaient pas perçus comme une menace par l'université ou les forces de sécurité. Le demandeur prétend également que le fait que la Commission acceptait de croire que lui et Ali s'intéressaient aux questions étudiantes et qu'ils avaient participé aux efforts déployés pour attirer l'attention des autorités universitaires sur ces questions étayait manifestement la conclusion qu'il y avait un risque. Cette déclaration, selon le demandeur, contredisait la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'avait pas retenu l'attention des autorités iraniennes.

[11]            Je suis d'accord avec le défendeur quant à sa prétention selon laquelle il était loisible à la Commission de conclure comme elle l'a fait, compte tenu du dossier. À mon avis, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n'était pas perçu comme une menace par les autorités, compte tenu de son faible engagement dans les questions étudiantes. Le fait que la Commission ait accepté de croire que le demandeur s'intéressait aux questions étudiantes n'est pas incompatible avec cette conclusion.

[12]            Enfin, le demandeur prétend que la question de savoir s'il était bien informé sur le Parti travailliste communiste iranien (PTCI) n'était pas une question en litige étant donné qu'il a été arrêté en raison des liens qu'on croyait qu'il avait noués avec Ali et non pas en raison de sa participation effective à ce parti politique. À mon avis, un examen de la décision de la Commission ne révèle pas que la Commission ait fait grand cas de ses connaissances sur le PTCI et, par conséquent, le demandeur n'a pas soulevé d'erreur dans cette prétention.

L'évasion du demandeur de l'hôpital


[13]            Le demandeur a décrit un incident important au cours duquel il aurait prétendument été amené dans un centre de détention où il aurait été battu et interrogé pendant une semaine. Vers la fin de cette semaine, le demandeur est tombé inconscient et a dû être transporté à l'hôpital. Il a repris conscience dans un lit d'hôpital, puis il s'est rendu compte qu'il se trouvait dans une salle pénitentiaire verrouillée, à l'hôpital Sepah Pasdaran Hospital Tabriz, où il avait reçu sa formation. Il a réussi à s'enfuir de cet hôpital.

[14]            La Commission a conclu que le demandeur a prétendu faussement avoir été arrêté le 16 août 2000 et s'être évadé par la suite de l'hôpital. La Commission a fondé cette conclusion sur l'incohérence du témoignage du demandeur concernant le gardien et la durée de son inconscience ainsi que sur ses conclusions quant au peu de vraisemblance que le demandeur ait pu être inconscient pendant une période de temps aussi longue sans que cela ait eu de répercussions sur sa santé intellectuelle, physiologique, mentale et médicale et que la salle pénitentiaire ait pu être laissée sans surveillance et déverrouillée.

[15]            Après examen du dossier, compte tenu du témoignage du demandeur, je suis convaincu qu'il était loisible à la Commission de conclure comme elle l'a fait sur ce point. La Commission a relevé un certain nombre d'incohérences et de manquements à la vraisemblance dans le récit d'évasion du demandeur. Il n'était pas manifestement déraisonnable que la Commission conclue que le récit d'évasion du demandeur n'était pas crédible.


Les brûlures de cigarette

[16]            Le demandeur note un certain nombre d'erreurs dans la conclusion de la Commission quant aux brûlures de cigarette qu'il a prétendu avoir reçues alors qu'il était en détention. Le Dr Bock a fait mention de ces brûlures dans son rapport que le demandeur a d'ailleurs déposé à l'appui de sa prétention.

[17]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en omettant d'examiner le rapport du Dr Block (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.) (QL)), en relevant des contradictions qui n'existaient pas vraiment (Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 968 (C.A.) (QL) et en tirant une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait omis de mentionner les détails quant aux brûlures lors de son témoignage de vive voix alors que ces détails figuraient dans le récit fait dans le FRP qu'il avait déposé devant la Commission.

[18]            Le demandeur a notamment renvoyé à la conclusion suivante tirée par la Commission :


On retrouve une autre contradiction dans le rapport médical, dans lequel le Dr Block déclare ce qui suit [TRADUCTION] « à un moment donné, il s'est évanoui et a été hospitalisé, et il m'a dit que lorsqu'il a repris connaissance, il avait remarqué que la brûlure à son bras était couverte d'ampoules et qu'elle avait été nettoyée avec une solution de Betadine. [...] » [...] La preuve présentée par le revendicateur au cours de l'audience ne fait nullement mention de ces détails sur la blessure infligée à son bras gauche, ni du traitement médical de la brûlure et des ampoules. Le revendicateur a plutôt affirmé que lorsqu'il avait repris conscience, il était resté étendu sans bouger ni ouvrir les yeux pendant plus d'une heure jusqu'à ce que son garde quitte la chambre, et qu'il en a alors profité pour s'enfuir.

[19]            Selon moi, le problème que pose la conclusion d'incohérence tirée par la Commission est qu'elle n'a pas été portée à l'attention du demandeur. Il s'agit vraisemblablement d'une erreur. Toutefois, il ressort clairement de la décision rendue par la Commission qu'elle ne s'est pas vraiment fondée sur cette incohérence pour tirer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité.

Les incohérences dans le témoignage du demandeur

[20]            La Commission a décelé un certain nombre d'incohérences entre le témoignage donné par le demandeur au point d'entrée (PDE) et dans son FRP et son témoignage de vive voix. Notamment, au PDE, le demandeur a déclaré qu'il avait été déclaré coupable de propagande antigouvernementale et avait été condamné à une peine de dix ans. Le demandeur a nié avoir fait cette déclaration. Il a affirmé qu'il avait dit à l'agent que s'il se faisait prendre, il serait condamné à une telle peine et attribue les erreurs et les incohérences au fait qu'il n'y avait pas d'interprète. La Commission a estimé que cette explication n'était pas satisfaisante, au vu des notes très détaillées prises au PDE qui mentionnaient que le demandeur comprenait l'anglais et qu'il avait consenti à engager la procédure sans interprète.


[21]            Selon le demandeur, la Commission a également commis une erreur en admettant comme crédible les notes prises au PDE alors qu'elles étaient manifestement peu fiables en raison de l'absence d'un interprète.

[22]            Je ne suis pas d'accord avec le demandeur. Au PDE le demandeur a été capable de fournir à l'agent d'immigration des renseignements détaillés. Certains de ces renseignements sont conformes aux faits mentionnés dans le FRP du demandeur. En outre, il ressort de l'affidavit du demandeur qu'il comprend l'anglais, car il a été capable de relever une erreur de traduction faite par l'interprète lors de l'audience.

[23]            Même si la Commission s'est trompée en utilisant l'incohérence existant entre les notes prises au PDE et le reste du témoignage du demandeur pour étayer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, il ne s'agit pas d'une erreur susceptible de révision. La conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission était fondée sur un certain nombre d'incohérences, de contradictions et de manquements à la vraisemblance contenus dans le témoignage du demandeur et les incohérences existant entre les notes prises au PDE et le reste du témoignage du demandeur n'étaient pas un élément fondamental de sa conclusion.


Conclusion

[24]            Après avoir examiné cette décision dans son ensemble ainsi que les habiles arguments de l'avocat du demandeur concernant les quelque 28 erreurs qui auraient été commises, je suis incapable de conclure que la décision était manifestement déraisonnable. Il ne s'agit pas d'un cas analogue à celui de la décision Abdul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 260, [2003] F.C.J. No. 352 (Q.L.), dans laquelle le tribunal a commis de graves erreurs en rapport avec chacune des trois conclusions clés quant à la crédibilité. Au contraire, dans la présente cause, compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, la Commission pouvait raisonnablement tirer presque toutes les conclusions auxquelles elle est parvenue et, sur toutes les questions les plus importantes, il lui était loisible de tirer les conclusions qu'elle a tirées.

[25]            Je ne peux accepter les affirmations faites par le demandeur selon lesquelles la Commission a omis de mentionner un bon nombre de ses explications dans sa décision. Le tribunal a mentionné directement ou indirectement ses explications dans ses motifs en rapport avec toutes ses conclusions clés.

Question certifiée

[26]            Les parties n'ont soumis aucune question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

La Cour ordonne que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'a été soumise à la certification.

   « Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B, Trad. A.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-5490-02

INTITULÉ :                                           ESMAIL HEMMATI KUMAR SOPHLY

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le mardi 15 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                        Le mercredi 16 avril 2003

COMPARUTIONS :             

Alp Debreli                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alp Debreli                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocat

6, rue Adelaide Est

Bureau 710

Toronto (Ontario)

M5C 1H6

Morris Rosenberg                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                                                                                                            


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         Date : 20030416

        Dossier : IMM-5490-02

ENTRE :

ESMAIL HEMMATI KUMAR SOPHLY

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

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