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Date : 20030217

Dossier : IMM-2148-02

Référence neutre : 2003 CFPI 182

ENTRE :

                                                       NOE HERRERA HERNANDEZ

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                                 L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

Historique

[1]                 Noe Herrera Hernandez (le demandeur) est un ressortissant mexicain de 22 ans dont la demande de statut de réfugié a été rejetée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 26 mars 2002. M. Hernandez est homosexuel et travesti. Le tribunal a accepté ce fait et a estimé également que le demandeur était digne de foi. C'est un activiste au franc-parler qui défend les droits des gais, lesbiennes, travestis et transgenderistes, autant à Mexico qu'à Vancouver, où il s'est réfugié.

[2]                 Le tribunal a admis que le demandeur avait fait un exposé lors d'une conférence qui a eu lieu le 21 août, à Xalapa (Veracruz), activité organisée par le Partido de Avanzada Nacional (PAN), un parti politique.

[3]                 Dans son FRP, il a écrit :

                        [traduction]

À la conférence, je n'ai pas mâché mes mots. J'ai saisi l'occasion de dénoncer les mauvais traitements que la police inflige aux homosexuels et aux travestis qu'elle prend pour cible. J'ai critiqué le comportement de la police et sa façon de traiter les homosexuels en racontant mes expériences et celles d'homosexuels et de travestis que je connaissais. J'ai été le seul conférencier à critiquer ouvertement la police.

[4]                 Le tribunal a également constaté que la police avait mis son nom sur une liste et que deux jours plus tard, des agents de police l'avaient arrêté et, au dire du tribunal, « harcelé » .

[5]                 À la page 252 du dossier du tribunal, le demandeur a témoigné :

                        [traduction]

Ils ont vérifié mes papiers d'identité et ils ont cherché mon nom sur la liste ×× une liste de personnes recherchées qu'ils avaient et ils ont dit à voix basse : « C'est le pédé qui a fait rager le patron parce qu'il a parlé contre la police » . Ils m'ont passé les menottes, mis en captivité et ils ont dit : « Fait gaffe, parce que beaucoup de pédales ont disparu » . Ils ont disparu parce qu'ils ont été tués.

[6]                 Son avocat lui a demandé (dossier certifié, page 253) :

                        [traduction]

Mais, après... après que des agents de police vous ont menacé et frappé les testicules, avez-vous songé à essayer d'obtenir leur aide?


Ce à quoi le demandeur a répondu :

[traduction]

Bien sûr que non, ils m'auraient refusé toute assistance, comme ils l'avaient fait dans le passé et je me demandais : comment pourrais-je déposer une plainte contre des personnes à qui je demande de me protéger?

[7]                 Dans son FRP, le demandeur a écrit : [traduction] « j'ai pris cette menace très au sérieux parce que je savais que la police avait enlevé et battu des hommes gais, surtout des gais efféminés et travestis » .

[8]                 Le demandeur a témoigné que cette menace l'a incité à venir au Canada. Son frère, un agent de police subalterne, lui a dit que sur la liste [traduction] « figurait le nom de personnes disparues » (dossier certifié, page 253). Un autre agent de police et ami de son frère a dit à ce dernier à quel point le directeur de police était furieux des remarques du demandeur et ce dernier en a été informé.

[9]                 Pendant l'audience du tribunal, l'avocat du demandeur a poursuivi son interrogatoire (dossier certifié, page 253) et demandé à son client si son frère et ses oncles, lesquels étaient des agents de police, n'auraient pas pu intercéder en sa faveur. Le demandeur a témoigné qu'ils ne pouvaient pas l'aider parce qu'ils étaient soit à la retraite, soit des officiers subalternes.


[10]            Dans son FRP, le demandeur relate des voies de fait perpétrées contre lui en 1998 et auxquelles le passage fortuit d'une voiture de police aurait mis fin. Il précise que les agents de police avaient été hostiles envers lui. Le lendemain il s'est présenté au bureau du ministère public local, il a rempli un rapport dénonçant ses agresseurs et il a [traduction] « essayé de déposer une plainte parce que les agents de police n'étaient pas venu à mon secours. Les fonctionnaires ont pris note de l'agression, mais ils n'étaient pas intéressés par ma plainte contre les agents de police » .

[11]            En 1999, il affirme avoir été agressé et blessé par deux hommes qui l'on abandonné dans la rue. Il a signalé l'incident et des agents de police sont venus chez lui. Ils lui ont vite fait comprendre qu'ils avaient mieux à faire que de s'occuper de lui et qu'il avait eu ce qu'il méritait. Le demandeur a écrit dans son FRP :

[traduction]

Je n'ai plus déposé de plainte contre la police. Je savais par expérience qu'ils ne feraient rien pour moi.

[12]            Il a écrit dans son FRP ne pouvoir vivre en sécurité nulle part au Mexique [traduction] « parce qu'on voit tout de suite que je suis gai, en raison de mon physique et de mes façons, surtout comme travesti. Je crois donc que je serai ciblé et persécuté par la police partout au Mexique » .


Analyse et conclusions

[13]            J'ai examiné la transcription de l'audience ainsi que les deux dossiers déposés dans le cadre de la présente instance et j'en viens à la conclusion que la décision du tribunal doit être annulée parce que celui-ci a mal interprété le fondement des craintes du demandeur.

[14]            Même si je partage l'avis de l'avocat du ministre quand il déclare que l'espèce porte sur le degré de protection garanti par l'État, l'application de ce concept, tel qu'énoncé par la Cour suprême du Canada dans Ward c. Procureur général du Canada, [1993] 2 R.C.S. 689 (surtout en ce qui a trait à l'incapacité de l'État de fournir une protection ou à la réticence d'une personne à la solliciter) est influencée par divers facteurs, dont celui de savoir si l'agent de persécution est l'État ou s'il s'agit plutôt d'un intervenant non étatique.

[15]            Il se peut que la preuve ait été mal interprétée ou que l'on ait omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents, parce que l'ensemble de la preuve révèle le fondement des craintes du demandeur. Ce qui a précipité son départ du Mexique était la crainte d'être agressé ou tué par la police parce qu'il était un activiste bien en vue défendant les droits des homosexuels et qu'il critiquait publiquement le comportement de la police, et non pas la crainte d'être harcelé parce qu'il était un homosexuel comme les autres, un fait qui semble bien étayé dans la preuve documentaire. Il ne craignait pas non plus d'être persécuté par des intervenants non étatiques et de se voir refuser toute protection.


[16]            La preuve documentaire établit qu'au Mexique, plus une personne appartenant à un groupe controversé sur le plan politique s'insurge contre le gouvernement ou ses représentants gouvernementaux et les critique, plus les agents de police lui font violence. (Voir la page 186 du dossier certifié du tribunal, Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, octobre 1997.) Le profil du demandeur correspond exactement à cette description.

[17]            Quand il a déposé son FRP, le demandeur a invoqué deux motifs aux termes de la Convention :

(1) l'appartenance à un groupe social, notamment les « hommes mexicains homosexuels » et les « hommes mexicains travestis » ; et (2) ses opinions politiques.

[18]            Tel que je l'ai mentionné, en rendant sa décision, le tribunal a tenu pour acquis qu'au Mexique, les homosexuels étaient protégés par l'État. Il n'a pas tenu compte du fait que le demandeur était un activiste et il qu'il craignait d'être persécuté en raison de ses opinions politiques.


[19]            Pendant l'audience, la question de savoir si la décision du tribunal devait être annulée parce qu'elle ne tenait pas compte de tous les motifs aux termes de la Convention mis de l'avant par le demandeur concernant sa crainte d'être persécuté a été soulevée. Je fais remarquer que le motif ayant trait aux opinions politiques est mentionné indirectement au paragraphe 2 de l'argumentation du demandeur et c'est sur ce motif que l'avocat du demandeur base son argument voulant que les agents de police soient des agents de persécution.

[20]            À mon avis, le tribunal a commis une erreur fondamentale en omettant de tenir compte du fait que le demandeur avait peur de vivre au Mexique à cause de la police et de la façon dont ses agents traitaient, non pas l'ensemble des homosexuels, mais bien les activistes comme lui. Et cela s'avère vrai, que sa revendication soit envisagée du point de vue des opinions politiques ou de l'appartenance à un groupe social.

[21]            Il me suffit de me référer à quelques exemples où le tribunal n'a pas saisi toute la portée de la revendication du demandeur.

[22]            Premièrement, le tribunal a conclu à la page 12 du dossier certifié, que le demandeur [traduction] « s'exposera à d'autres actes discriminatoires et à des agressions possibles de particuliers dans leur communauté [Non souligné dans l'original] » .

[23]            Deuxièmement, le tribunal était d'avis que les agents de police n'avaient « harcelé » le demandeur qu'après qu'il eut parlé publiquement contre la police à la conférence du PAN dont le directeur de police était panéliste.

[24]            Troisièmement, le tribunal a conclu que le demandeur, en faisant référence à la liste, l'avait qualifiée de liste de [traduction] « fauteurs de trouble au sein de la communauté des travailleurs du sexe gais et travestis » . Le témoignage du demandeur allait beaucoup plus loin. Des personnes dont le nom figurait sur cette liste avaient été enlevées et tuées et cette information venait de son frère - un agent de police.

[25]            Quatrièmement, même si le demandeur a affirmé avoir eu une conversation avec le directeur de police pendant la pause à la conférence, je n'ai trouvé nulle part dans le dossier de référence indiquant que cet agent de police supérieur lui aurai dit que, s'il s'était adressé à lui directement, il se serait occupé de ses plaintes de mauvais traitement infligé par la police. Tout ce que l'on peut déduire du témoignage du demandeur est que le directeur de police lui en voulait d'avoir critiqué la police en public. Quoi qu'il en soit, cette conversation, pour ce qu'elle vaut, aurait eu lieu avant que le nom du demandeur soit mis sur la liste et qu'on le menace. Le tribunal ne peut nullement déduire, en se basant sur cette conversation, que les autorités supérieures de la police lui offraient une protection.

[26]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication du demandeur doit être réexaminée par un tribunal constitué différemment. Étant donné que la présente décision est basée sur la façon dont le tribunal a interprété la preuve en l'espèce, il n'y a pas de question à certifier.

     « F. Lemieux »                                     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 17 février 2003

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-2148-02

INTITULÉ :                              Noe Herrera Hernandez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 13 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :            Le juge Lemieux

DATE :                                      Le 17 février 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert J. Kincaid                                           POUR LE DEMANDEUR

Mme Sandra E. Weafer                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation                                 POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                 POUR DE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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