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Date : 20050203

Dossier : T-1046-04

Référence : 2005 CF 173

Ottawa (Ontario), le 3 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                             SIMONE SHERMAN

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                            L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Simone Sherman (la demanderesse) occupait un poste de vérificatrice du commerce électronique auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). La demanderesse s'est blessée à la main et au bras droits le 21 février 1994, blessure décrite par son médecin traitant comme un [traduction] « accident de travail touchant les éléments musculosquelettiques des deux membres supérieurs, des épaules et du cou » . La demanderesse a cessé de travailler le 18 juillet 1994 pour se remettre de son accident et a repris son travail le 18 décembre 1995. À son retour, elle n'a travaillé que quatre heures par jour dans un poste peu exigeant sur le plan physique. C'est alors qu'a commencé un différend apparemment interminable entre la demanderesse et son employeur au sujet des points suivants :

-           le type de travail qu'elle était en mesure d'accomplir;

-           le poste qu'elle pouvait occuper;

-           les efforts que l'employeur devait faire pour l'accommoder;

-           le nombre des heures de travail qu'elle pouvait accomplir;

-           le montant du traitement auquel elle avait droit.

[2]                La demanderesse a présenté plusieurs demandes à la Commission des accidents du travail (CAT) (dont le nom est devenu depuis la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail mais qui sera désignée, pour plus de commodité dans les présents motifs, sous le sigle CAT) et des griefs aux termes de la convention collective applicable. Il est inutile d'examiner en détail la nature de ces demandes et griefs (dont plusieurs sont toujours à l'étude). Qu'il suffise de dire que les principales questions en litige entre la demanderesse et l'ADRC ne sont toujours pas réglées. L'ADRC a licencié la demanderesse le 28 août 2000.


[3]                La demanderesse a déposé un grief au sujet de son licenciement, grief qui n'a pas été retenu, et elle a ensuite présenté à l'égard de son congédiement une demande de révision par un tiers indépendant comme le prévoient les lignes directrices sur la façon de présenter et de traiter une demande de révision par un tiers indépendant (Lignes directrices relatives aux demandes de révision) adoptées par l'ADRC conformément à la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, art. 54 (la LADRC). Après 19 jours d'audience, le réviseur indépendant (le réviseur) a décidé le 25 février 2003 que l'ADRC avait omis de prendre des mesures d'adaptation à l'égard de la demanderesse et que celle-ci avait été licenciée injustement. Il a par conséquent ordonné la réintégration de l'employée à la date du 28 août 2000. Voici les parties essentielles de cette décision :

[TRADUCTION]

Par conséquent, j'ordonne que Mme Simone Sherman soit réintégrée dans son poste d'origine en qualité de vérificatrice SVCE, à la date du 28 août 2000. Il y a également lieu de noter qu'il découle de mes conclusions que les obligations qu'avait l'employeur de prendre des mesures d'adaptation pour que Mme Sherman occupe ce poste n'ont pas été remplies et que, par conséquent, ces obligations demeureront en vigueur après sa réintégration.

Je conclus également que cette réintégration doit s'accompagner du versement de tous les salaires et avantages auxquels aurait eu droit Mme Sherman si elle n'avait pas été mise à pied et avait continué de travailler à titre de vérificatrice au sein de l'ADRC après le 28 août 2000.

[4]                L'interprétation de cette décision en ce qui concerne la rétroactivité du traitement a suscité un différend entre la demanderesse et son employeur. Le 6 janvier 2004, le représentant de la demanderesse a écrit au réviseur pour lui poser les deux questions suivantes :

[TRADUCTION]

Nous vous demandons d'apporter les précisions suivantes à votre décision :

1.              Votre intention était-elle que Mme Sherman ait droit à un salaire rétroactif calculé en fonction de quatre heures par jour et non de 7,5 heures par jour (c.-à-d. un salaire correspondant à une journée de travail complète)?

2.             Devait-elle faire l'objet d'une évaluation des capacités fonctionnelles avant de reprendre le travail?

[5]                Le réviseur a demandé à l'ADRC s'il avait le pouvoir de fournir ces précisions. Selon l'affidavit déposé par le représentant syndical de la demanderesse, le bureau de gestion des litiges de l'ADRC a fait savoir au réviseur qu'il était libre de le faire, mais qu'il ne serait pas rémunéré pour ce travail. Ni la demanderesse ni la défenderesse n'ont présenté d'observations au réviseur. Le réviseur a fourni les précisions demandées le 5 février 2004. Les voici :

[TRADUCTION]

J'ai également conclu que la réintégration dans son poste d'origine devait s'accompagner du versement de « tous les salaires et avantages auxquels aurait eu droit Mme Sherman si elle n'avait pas été licenciée et avait continué de travailler à titre de vérificatrice auprès de l'ADRC après le 28 août 2000 » .

Vous vous souvenez peut-être, pour avoir examiné le procès-verbal de l'audience, que les éléments présentés indiquaient que le poste initial ou de départ de Mme Sherman était celui de vérificatrice du commerce électronique auprès de l'ADRC, qui était manifestement un poste à temps plein, malgré les mesures d'adaptation temporaires qui ont amené cette personne à travailler pendant un nombre d'heures réduit avant son licenciement. Par conséquent, elle doit être réintégrée dans son poste initial qui était un poste à temps plein et le salaire rétroactif et les avantages doivent être calculés en conséquence.

[6]                Le 1er mars 2004, l'ADRC a versé à la demanderesse un salaire rétroactif calculé sur la base de quatre heures de travail par jour. Le 3 mars 2004, son syndicat a déposé un grief pour demander que ce salaire soit calculé sur la base de 7,5 heures de travail par jour. Le 6 avril 2004, l'avocat de son syndicat a demandé officiellement un salaire rétroactif intégral à partir du 28 août 2000. L'avocat de l'ADRC a envoyé une lettre officielle de rejet le 6 mai 2004, dans laquelle il soutenait que le salaire rétroactif de la demanderesse pendant la période où elle avait été mise à pied devait être calculé sur la base de quatre heures par jour. La demanderesse a reçu jusqu'à maintenant un salaire rétroactif de quatre heures par jour.


LA RÉPARATION DEMANDÉE

[7]                Le 18 octobre 2004, la demanderesse a présenté la présente demande d'ordonnance de mandamus dans laquelle elle souhaitait obtenir ce qui suit :

1.        une ordonnance de mandamus obligeant l'ADRC à lui verser un salaire rétroactif à partir du 28 août 2000, calculé en fonction d'un travail à temps plein, avec intérêts;

2.        l'attribution de dépens sur la base procureur-client, compte tenu de la mauvaise foi dont a fait preuve la défenderesse.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]                La présente requête soulève les questions en litige suivantes :

1.         L'ADRC est-elle légalement tenue de verser à la demanderesse un salaire rétroactif calculé sur la base de 7,5 heures de travail par jour?

2.         La demanderesse peut-elle exercer un autre recours approprié?

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[9]                Les parties pertinentes des articles 50, 51, 52 et 54 de la Loi sur l'ADRC énoncent :

50. L'Agence est un employeur distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.


51. (1) Par dérogation aux paragraphes 11(2) et (3) et à l'article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'Agence peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel :

a) déterminer les effectifs qui lui sont nécessaires et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

b) déterminer les besoins en matière de formation et perfectionnement de son personnel et en fixer les conditions de mise en oeuvre;

c) assurer la classification des postes et des employés;

d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit ses employés, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

e) prévoir les primes susceptibles d'être accordées aux employés pour résultats exceptionnels ou réalisations méritoires dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que pour des inventions ou des idées pratiques d'amélioration;

f) établir des normes de discipline et fixer les sanctions pécuniaires et autres, y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être infligées pour manquement à la discipline ou inconduite et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

g) prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

h) déterminer et réglementer les indemnités à verser aux employés soit pour des frais de déplacement ou autres, soit pour des dépenses ou en raison de circonstances liées à leur emploi;

i) prendre les autres mesures qu'elle juge nécessaires à la bonne gestion de son personnel, notamment en ce qui touche les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent paragraphe.

(2) Le commissaire, pour le compte de l'Agence, inflige les sanctions, y compris le licenciement et la suspension, visées à l'alinéa (1)f) et procède au licenciement ou à la rétrogradation visés à l'alinéa (1)g).

53. (1) L'Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l'Agence.


54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

Exclusion

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

[10]            Le passage pertinent des Lignes directrices relatives aux demandes de révision énonce :

Le réviseur doit :

-                autoriser uniquement les parties en conflit à participer au processus. Celles-ci peuvent toutefois être accompagnées ou représentées par une personne de leur choix. Le réviseur aura l'option d'adresser ou de demander une réponse de n'importe laquelle des personnes impliquées directement au processus de révision. Chaque cas est considéré comme une question à caractère privé entre les parties en cause;

-                appliquer les principes régissant l'équité procédurale (c.-à-d. le droit d'être entendu, etc.);

-                se conformer aux lois régissant l'Agence et ses employés;

-                déterminer la pertinence des renseignements fournis par les parties. Le réviseur n'a pas le pouvoir d'assigner un témoin. Les parties peuvent être tenues d'étayer leurs arguments au moyen de documents et elles devraient être prêtes à partager leurs documents à l'avance, à la discrétion du réviseur. Dans le cas de la révision d'une demande liée à un processus de sélection en dotation, le réviseur doit uniquement tenir compte des événements ayant trait à l'étape du placement, et non à ceux qui se rattachent aux étapes de l'évaluation ou de la sélection préliminaire;

-                s'assurer que des mesures raisonnables sont prises pour accommoder les personnes handicapées et que le choix de la langue du plaignant est respecté;

-               demander à des experts internes de fournir des interprétations de la Politique, au besoin. Ces interprétations doivent être mises à la disposition des parties en conflit;

-                examiner chaque cas en fonction de son bien-fondé et non en fonction de décisions antérieures ou de précédents. Cela dit, le réviseur doit étudier les décisions antérieures pertinentes, lorsqu'il y a lieu;


-                informer les parties des répercussions que pourrait avoir la décision sur le fait de ne pas agir de bonne foi dans le cadre du processus, comme par exemple ne pas fournir la documentation de la façon convenue, ne pas se présenter, ou cacher des éléments de preuve;

-                rendre une décision le plus vite possible, à la lumière des renseignements fournis;

-               rendre une décision écrite exécutoire, qui inclut une justification raisonnée, dans les 10 jours civils suivant le dernier échange d'information entre les parties et le réviseur. Le rapport doit être envoyé au BGD, par voie électronique de préférence, pour distribution aux parties en conflit (y compris aux représentants, le cas échéant, et au conseiller local en ressources humaines), au Commissaire adjoint responsable, et au service de la Direction générale des ressources humaines pertinent.

La décision écrite doit inclure les renseignements suivants : les noms et lieux de travail des parties, la nature de la question ou des allégations, la décision prise y compris toute mesure corrective, la justification raisonnée de la décision, et un résumé du processus utilisé. La décision doit inclure un rappel aux parties de ne pas divulguer des renseignements personnels au sujet d'autres personnes, et ne pas contenir des informations confidentielles d'affaire telles que des renseignements au sujet des payeurs de taxe. Il n'est pas nécessaire d'inclure une transcription détaillée de l'audience.

-                consulter les parties relativement à la nature des mesures correctives envisagées avant de prendre une décision définitive. La gamme des mesures correctives possibles est détaillée à l'annexe III.

Annexe III                               Gamme de mesures correctives

Mesure

Gamme des mesures correctives

Dotation

- ordonner la correction de l'erreur dans le processus

- recommander la révocation de la nomination faite

- recommander qu'un autre gestionnaire participe à la prise de décision

Cessation d'emploi ou rétrogradation de nature non disciplinaire

- ordonner la réintégration de l'employé ou son retour au groupe et au niveau de classification antérieur

- décréter une obligation de tenir compte

- ordonner le paiement du traitement et des avantages perdus

Licenciement involontaire

- ordonner la correction de l'erreur dans le processus

- ordonner la réintégration de l'employé (il ne s'agit pas d'un cas de création d'emploi)

- ordonner le paiement du traitement et des avantages perdus, ainsi que le remboursement de toutes les indemnités versées par suite du licenciement

- recommander qu'un autre gestionnaire participe à la prise de décision

[Non souligné dans l'original.]

ANALYSE

QUESTION N ° 1 :    L'ADRC est-elle légalement tenue de verser à la demanderesse un salaire rétroactif calculé sur la base de 7,5 heures par jour?

[11]            La défenderesse soutient qu'elle n'est aucunement tenue légalement de le faire pour les raisons suivantes :

a)          le réviseur n'a pas pu ordonner dans sa décision initiale la réintégration et le versement d'un salaire rétroactif calculé pour 7,5 heures de travail par jour, parce qu'il n'avait pas le pouvoir de le faire aux termes du processus de révision;

b)          les précisions apportées par la suite par le réviseur sont dépourvues d'effet juridique parce qu'il était dessaisi de l'affaire;

c)          à titre subsidiaire, les précisions apportées par la suite par le réviseur n'ont aucun effet parce qu'elles ont été fournies en violation de l'équité, sans donner à la défenderesse la possibilité de présenter des observations.


[12]            Pour obtenir une ordonnance de mandamus, le demandeur doit remplir les sept critères énoncés dans Apotex c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, au paragraphe 45 :

(i)             il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public;

(ii)            l'obligation doit exister envers le requérant;

(iii)           il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

(A)           le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

(B)            il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

(iv)          le requérant n'a aucun autre recours;

(v)           l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

(vi)           dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé;

(vii)         compte tenu de la « balance des inconvénients » , une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

Les parties reconnaissent que dans la présente demande, le litige porte sur les critères (i) et (iv).

[13]            Pour décider s'il existe une telle obligation, il convient tout d'abord d'examiner l'ensemble des lois encadrant le fonctionnement de l'ADRC.

[14]            L'ensemble des lois à l'égard des ressources humaines de l'ADRC est relativement simple. La Loi sur l'ADRC constitue l'ADRC en un employeur distinct et énonce les pouvoirs que possède l'ADRC dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Les articles 51 et 54 montrent très clairement que l'ADRC « élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés » . De plus, l'ADRC « peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel... prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur » .

[15]            L'ADRC a, conformément à la Loi, adopté les Lignes directrices relatives aux demandes de révision qui attribuent au réviseur le pouvoir de réviser le licenciement ordonné pour des motifs non disciplinaires (voir le passage cité au paragraphe 10 ci-dessus). Si le réviseur rend une décision favorable à un demandeur, il peut alors ordonner des mesures correctives qui peuvent comprendre une ordonnance de réintégration de l'employé, une ordonnance décrétant l'obligation de tenir compte des lésions de l'employé et une ordonnance de paiement du traitement et des avantages perdus. (Voir l'annexe III citée au paragraphe 10 ci-dessus).

[16]            En l'espèce, le réviseur a rendu une ordonnance de réintégration, ordonné la poursuite des efforts déployés pour accommoder la demanderesse et ordonné le versement rétroactif des salaires et avantages sociaux. L'ADRC a accepté la décision du réviseur et a commencé à la mettre en oeuvre, conformément à l'interprétation qu'elle lui donnait.


[17]            Lorsque les parties se sont opposées sur le sens de la décision, l'ADRC n'a pas contesté la demande de précisions et elle n'a pas non plus soutenu que le réviseur n'avait pas le pouvoir d'en fournir; elle s'est simplement opposée à le rémunérer pour ces services supplémentaires. Il semble que l'Agence n'avait pas le pouvoir d'autoriser la rémunération de ces services supplémentaires. (Voir dossier de la demanderesse, à la page 10).

[18]            Je ne vois pas comment l'on peut soutenir que le réviseur n'avait pas le pouvoir d'ordonner la réintégration et le salaire rétroactif calculé à un taux de 7,5 heures par jour. La Loi oblige l'Agence à faire ce qui suit :

-               prévoir, pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement (al. 51(1)g))

-               élaborer un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés (par. 54(2)).

Les Lignes directrices relatives aux demandes de révision prévoient un recours en cas de licenciement et autorisent les ordonnances de réintégration et la poursuite des mesures d'adaptation, ainsi que le versement du traitement et des avantages perdus. Le réviseur, agissant dans le cadre des Lignes directrices relatives aux demandes de révision, a jugé expressément qu'il y avait eu omission de prendre des mesures d'adaptation et il a ordonné la réintégration et le versement d'un salaire rétroactif. Lorsque s'est posée la question du calcul du salaire rétroactif, le réviseur a précisé son ordonnance, avec le consentement des parties.

[19]            L'ADRC a établi le processus de révision par un tiers indépendant, a participé à l'audience, a commencé à mettre en oeuvre la décision (telle qu'elle l'interprétait), ne s'est pas opposée à la décision et n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision; elle ne peut maintenant affirmer de façon aussi tardive que le réviseur n'avait pas le pouvoir de prononcer la décision en question. Comme l'a formulé succinctement le juge Campbell dans Ontario Provincial Police ( Commissioner) c. Silverman (2000), 49 O.R. (3d) 272, au paragraphe 25 :

[TRADUCTION] ... Il existe dans notre droit une règle fondamentale qui interdit à la partie qui invite un tribunal administratif à se saisir d'une affaire de soutenir, une fois que le tribunal en question a rendu une décision défavorable à son endroit, que celui-ci n'avait pas le pouvoir qu'elle lui a demandé d'exercer : Ex p. Pratt, Re Pratt (1884), 12 Q.B.D. 334, à la p. 341, 53 L.J. Ch. 613, par le lord juge Bowen, cité par le juge Gliders dans Imperial Tobacco c. Imperial Tobacco Sales, [1939] O.R. 627, à la p. 644, 72 C.C.C. 321, à la p. 346.

[20]            La défenderesse soutient également que le réviseur était dessaisi de l'affaire et que les précisions qu'il a formulées étaient dépourvues d'effet juridique. Il est bien établi qu'après avoir prononcé sa décision, le tribunal est dessaisi de l'affaire et ne peut modifier la décision qu'il vient de prononcer (voir Halford c. Seed Hawk Inc, [2004] A.C.F. no 557). Il est cependant tout aussi établi que le tribunal peut formuler des précisions pourvu que celles-ci n'aient pas pour effet d'accorder des droits nouveaux ou plus larges que ceux qui étaient octroyés par sa décision initiale (voir Cargill Ltée c. Syndicat national des employées de Cargill Ltée, [2002] A.C.F. no 981). C'est exactement le cas ici; la décision initiale avait pour effet de réintégrer la demanderesse et de lui accorder son salaire et ses avantages. Le litige portait sur le calcul du salaire rétroactif et des avantages. Ce ne sont pas là des droits nouveaux ou élargis mais une simple clarification de la façon de calculer la valeur des droits déjà accordés.


[21]            De la même façon, je ne peux retenir l'argument selon lequel les précisions ont été formulées selon un processus contraire à l'équité parce que le réviseur les a fournies sans accepter d'observations. Le réviseur a tenu 19 jours d'audience pour entendre les parties et il a rédigé une décision détaillée de 82 pages. Il n'a pas demandé aux parties de présenter des observations et je ne vois pas très bien comment les observations qu'auraient pu présenter les parties auraient pu aider le réviseur à préciser ce qu'il avait à l'esprit lorsqu'il a prononcé sa décision. La lettre dans laquelle le syndicat demandait des précisions, datée du 6 janvier 2004, n'avait qu'une page et ne faisait que formuler le différend. Elle ne contenait aucune observation. La préparation des précisions n'a donc pas été effectuée de façon inéquitable, étant donné que ni la demanderesse ni l'ADRC n'ont eu une autre possibilité de présenter des observations. Le réviseur connaissait très bien l'affaire et sa propre décision détaillée et il a fourni, à la demande d'une des parties et avec le consentement de l'autre (ou du moins sans qu'elle ait émis d'opposition après avoir été régulièrement informée de la demande), des précisions. Je ne vois pas là l'irrégularité procédurale qu'allègue la défenderesse.


[22]            La demanderesse soutient, à titre subsidiaire, que même si la décision initiale et les précisions étaient viciées, il appartenait à la défenderesse de présenter une demande de contrôle judiciaire. Étant donné que la défenderesse n'a pas présenté de demande dans les délais prévus, la demanderesse soutient que la remise en question par la défenderesse de la décision et des précisions, dans le contexte d'une demande de mandamus, constitue une attaque indirecte, invoquant sur ce point l'arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594. Je serais disposé à souscrire à l'argument de la demanderesse mais étant donné que j'ai déjà rendu une décision lui étant favorable en me fondant sur l'interprétation de la Loi et les Lignes directrices relatives aux demandes de révision, il n'est pas nécessaire d'analyser les règles en matière d'attaques indirectes et d'expliquer pourquoi les actions de la défenderesse dans cette affaire constituent effectivement une attaque indirecte.

QUESTION N ° 2 :     La demanderesse peut-elle exercer un autre recours approprié?

[23]            La défenderesse soutient que la demanderesse aurait pu exercer trois autres recours :

a)          les appels introduits en 1998 devant la CAT;

b)         les griefs introduits en 1997, 1998 et 1999 dont est aujourd'hui saisie la CRTFP;

c)         le nouveau grief déposé le 3 mars 2004 fondé sur l'omission de mettre en oeuvre la décision et les précisions du réviseur.


[24]            Cet argument soulève deux problèmes. Tout d'abord, le recours devant la CRTFP porte uniquement sur les griefs concernant des sujets pour lesquels « aucun autre recours administratif de réparation ne lui [à l'employé] est ouvert sous le régime d'une loi fédérale » (art. 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, ch. P-35 )). Tant la Loi sur L'ADRC que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoient des recours administratifs. Par conséquent, les recours en vertu de ces lois interdisent à la CRTFP d'examiner les griefs déposés par la demanderesse (voir Dhudwal c. ADRC, 2003 CRTFP 116, et Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27).

[25]            Deuxièmement, toute instance introduite devant la CAT ou la CRTFP, en tenant pour acquis que ces organismes ont le pouvoir de se prononcer sur ces questions, pourrait entraîner une nouvelle instruction de tout le litige de laquelle pourrait découler : a) des conclusions de fait différentes et b) des décisions différentes. Même la défenderesse a reconnu ce point. Comme elle le déclare dans les arguments reproduits dans le dossier de la demanderesse aux pages 278 et 280 :

[TRADUCTION]

Dans le cas où la demanderesse obtiendrait gain de cause dans ces appels, la CSPAAT pourrait lui attribuer les avantages découlant d'un salaire correspondant à 3,5 heures de travail par jour qu'elle sollicite maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire.

Dans le cas où la demanderesse obtiendrait gain de cause dans ces griefs, la CRTFP pourrait attribuer à la demanderesse une indemnité à l'égard du salaire correspondant aux 3,5 heures de travail par jour qu'elle sollicite maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire.

Dans le cas où la demanderesse obtiendrait gain de cause à l'égard de ce grief, elle pourrait obtenir une indemnité à l'égard du salaire correspondant à 3,5 heures de travail par jour qu'elle sollicite maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire. [Non souligné dans l'original.]


Je ne vois aucune raison d'obliger la demanderesse à participer à une nouvelle instruction de ces questions et de prendre le risque que la CAT en arrive à une conclusion différente de celle qui a découlé du processus de révision. La question a été intégralement instruite et une décision a été rendue. Outre qu'il serait gravement inéquitable pour la demanderesse d'ordonner un nouveau procès, je ne vois aucun principe juridique qui l'exige. Par conséquent, je ne peux non plus retenir l'argument de la défenderesse sur ce point.

[26]            La défenderesse a également soutenu oralement devant moi que le mandamus est un recours discrétionnaire et que je devrais refuser de l'exercer étant donné que la demanderesse peut, dans cette affaire, exercer un autre recours prévu par la CAT. Je ne conteste pas que le mandamus soit un recours discrétionnaire, mais je ne vois aucune raison de faire droit à cette demande. Cette instance a été introduite en 1994. Le réviseur a estimé que l'ADRC avait agi de mauvaise foi en refusant d'adopter des mesures d'adaptation destinées à la demanderesse. Si l'on veut mettre fin à cette affaire et permettre à l'employeur et à l'employée de rétablir des relations normales, il est essentiel de régler rapidement et clairement ce litige. L'instance devant la CAT risque de prendre beaucoup de temps, mettra davantage à rude épreuve les relations entre les parties et peut entraîner un résultat différent au sujet des heures de rémunération. Cela irait à l'encontre d'un règlement rapide du litige. C'est pourquoi je suis convaincu qu'il ne serait pas approprié de refuser d'exercer mon pouvoir discrétionnaire dans la présente instance.

LES DÉPENS


[27]            La demanderesse sollicite des dépens calculés sur la base procureur-client pour le motif que les objections que l'ADRC a soulevées quant à l'octroi d'un mandamus sont scandaleuses, frivoles et vexatoires et constituent un abus de procédure. Elle soutient en outre que l'ADRC a depuis le début agi de mauvaise foi, comme le montre la décision du réviseur, et qu'il est par conséquent justifié d'adjuger des dépens procureur-client à titre de sanction. Je ne vois pas comment la position qu'a adoptée l'ADRC devant moi est scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue un abus de procédure. Je n'ai pas accepté les observations de la défenderesse, mais elles étaient fondées sur des arguments raisonnables. Je sais également que c'est la première affaire à avoir été réglée selon le processus de révision et il n'est pas surprenant qu'il y ait eu quelques problèmes de démarrage et qu'il ait été nécessaire de préciser, par voie contentieuse, la portée exacte du processus de révision. Ce litige ne constitue pas un abus de procédure. Pour ce qui est de la mauvaise foi, les conclusions du réviseur portaient sur l'omission de prendre des mesures d'adaptation et ne portaient aucunement sur la question dont je suis saisi qui concerne essentiellement des questions de compétence. C'est pourquoi je n'adjugerai à la demanderesse que des dépens sur une base partie-partie.

CONCLUSION

[28]            Étant donné que les parties ont reconnu que, l'exception des deux critères précédemment mentionnés, la demanderesse remplit les sept critères énoncés dans Apotex c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, la Cour prononcera l'ordonnance de mandamus demandée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'ordonnance de mandamus sollicitée est rendue, à savoir : la défenderesse versera à la demanderesse le salaire rétroactif (avec intérêts) à partir du 28 août 2000, calculé selon un salaire à temps plein.

2.         La demanderesse a droit aux dépens calculés sur la base partie-partie qui lui seront payés par la défenderesse.

                                                                        « K. von Finckenstein »         

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   T-1046-04

INTITULÉ :                  Simone Sherman

c.

L'Agence des douanes et du revenu du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Steven Welchner                                               POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Leafloor                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP                                          POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LA DÉFENDERESSE


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