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                                                          Date : 20020528

                                                        Dossier : T-687-02

                                       Référence neutre : 2002 CFPI 609

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2002

En présence de :      Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                   M. ET Mme STEPHEN STRIEBEL

                                                                                                                                              demandeurs

                                                                                  et

                                             SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC.,

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE CHAIRMAN,

ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE SOVEREIGN HULL NUMÉRO 7644

                                                                                                                                               défendeurs

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

FAITS PERTINENTS

[1]                 Il s'agit d'un appel, par voie de requête, des ordonnances prononcées par le protonotaire Hargrave le 29 avril et le 6 mai 2002.

[2]                 Les demandeurs Striebel et la défenderesse Sovereign ont signé un accord de construction (accord) en juin 2000 dans lequel la date de livraison du navire était fixée au 30 juin 2001.

[3]                 Selon cet accord, Sovereign demeure la propriétaire du navire jusqu'à ce qu'il soit achevé et livré; et afin de protéger les sommes qu'il y a investies, M. Striebel détient une hypothèque, laquelle reprend les termes de l'accord.

[4]                 Pour différentes raisons, Sovereign n'a pas respecté l'échéancier de construction et les parties ont convenu de reporter la date de fin des travaux au 1er septembre 2001. Cette fois encore, pour différentes raisons, la date de fin des travaux a été reportée de nouveau en raison de changements demandés après le 1er septembre 2001.

[5]                 Le 18 décembre 2001, les demandeurs ont fait parvenir un avis de manquement substantiel puisque Sovereign n'a pas tout mis en oeuvre pour achever les travaux.

[6]                 Après avoir obtenu un engagement de Sovereign que le navire serait achevé le 8 avril 2002 et à la suite d'une rencontre ayant eu lieu le 14 janvier 2002, les demandeurs ont accepté le 14 février 2002 de laisser en suspens l'avis de manquement substantiel.

[7]                 Enfin, les demandeurs ont déposé une requête tranchée par les ordonnances rendues par le protonotaire Hargrave.


[8]                 Le 29 avril 2002, avant l'introduction de la présente action et la saisie du navire, M. Stephen Striebel a signifié un avis de prise de possession à titre de créancier hypothécaire du navire.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]                 Y a-t-il lieu de modifier en appel les ordonnances discrétionnaires du protonotaire?

      Dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (1993), 149 N.R. 273 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit à la page 295 :

[95]       Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

        a)       l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

        b)       l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. [La note 15 est omise.]

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[11]              Je conclus sans hésiter que le protonotaire n'a pas fondé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire sur un principe de droit erroné ni sur une mauvaise appréciation des faits, et que les ordonnances ne portent pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[12]              Le protonotaire a rendu sa décision sur la requête ex parte présentée le 29 avril 2002, mais le 6 mai 2002 la défenderesse a eu l'autorisation de présenter sa preuve à la Cour en réponse aux arguments des demandeurs.

[13]              Au moment où le navire a été saisi, M. Striebel avait signifié un avis de prise de possession du navire à titre de créancier hypothécaire.

[14]              Dès sa dénonciation de la rupture de l'accord par la défenderesse et la signification d'un avis de prise de possession du navire à titre de créancier hypothécaire, M. Striebel était autorisé à en prendre possession.


[15]           Les demandeurs ont déposé une déclaration et plusieurs requêtes demandant à la Cour fédérale d'autoriser la saisie suivant l'article 481 des Règles de la Cour fédérale (1998). Selon le paragraphe 481(2), la partie qui veut obtenir le mandat de saisie de biens dépose un affidavit contenant les renseignements nécessaires. Dès que cette règle est invoquée, la partie est autorisée à prendre possession du navire à titre de créancier hypothécaire. En l'espèce, le débiteur hypothécaire conteste le droit du créancier hypothécaire de prendre possession du navire, mais je conviens avec les demandeurs que les recours que peut exercer le débiteur hypothécaire sont soit le recours en dommages-intérêts soit le recours en injonction, pourvu que le critère approprié soit respecté.

[16]              Le protonotaire a fait une analyse claire et précise des circonstances dans lesquelles la saisie a eu lieu et des risques possibles.

[17]           Il y a lieu de rejeter l'argument de la défenderesse Sovereign selon lequel la décision du protonotaire équivaut à une injonction. Le protonotaire a cité l'arrêt de la Cour suprême du Canada Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd., [1997] 2 R.C.S. 617, et The "Evangelismos" (1858) 12 Moo. P.C. 352, 14 E.R. 945.

[18]              Dans ses motifs, le protonotaire a également examiné la norme à laquelle il faut satisfaire pour que le shérif exécute la prise de possession. Le protonotaire a précisé que la partie saisissante doit uniquement démontrer l'existence d'une possibilité raisonnable « en ce sens qu'il existe un motif acceptable, à la légitimité duquel on peut à juste titre s'attendre, permettant de confier la garde du navire au shérif à des fins de protection » .

[19]              Pour arriver à cette conclusion, le protonotaire s'est fondé sur les actions de la défenderesse décrites dans la preuve par affidavit déposée au dossier de la Cour.


[20]              Bien que les actes « mesquins de vandalisme » ne soient pas significatifs en nombre et en importance, on peut facilement imaginer qu'ils auraient pris des proportions plus inquiétantes au fil des prochaines semaines et que la décision de déplacer le navire était donc raisonnable dans les circonstances.

[21]              Pour ce qui est de solutions plus pragmatiques, personne n'ignore maintenant que les demandeurs ont versé plus de 5 millions de dollars pour faire construire le navire qui était censé être achevé en juin 2001. Jusqu'à la fin de l'année 2001, les demandeurs étaient en partie responsables du retard dans les travaux mais, après décembre 2001, le retard ne pouvait plus leur être imputé et, après avoir déboursé plus de 5 millions de dollars, ils n'ont toujours rien reçu de plus que des promesses et des excuses.    

[22]              La défenderesse Sovereign fait valoir que les ordonnances du protonotaire devraient être annulées et qu'elle devrait avoir l'autorisation d'achever les travaux. Il y a lieu de rejeter cette proposition pour le seul motif que les droits des demandeurs à titre de créanciers hypothécaires leur permettent de prendre possession du navire. Il y a également lieu de rejeter cette proposition puisqu'elle est déraisonnable et tout à fait inacceptable.

[23]              La décision de déplacer le navire est raisonnable : le protonotaire s'est fondé sur une analyse détaillée des raisons pour lesquelles la date de fin des travaux était reportée à chaque mois et il a conclu qu'il appartiendra au juge qui présidera l'instruction de déterminer, selon les termes du contrat, les obligations et la part de responsabilité des deux parties.


[24]              Selon la défenderesse, un solde d'environ 400 000 $ lui sera dû. Par contre, les demandeurs font valoir qu'ils devront payer beaucoup plus que cette somme pour l'achèvement des travaux. De toute évidence, le coût de la rupture de l'accord risque d'être plus grand pour les demandeurs que pour la défenderesse.

[25]              Le protonotaire a également pris en considération que si la défenderesse est en défaut en vertu du contrat, les demandeurs peuvent déplacer le navire à un autre chantier pour faire exécuter les travaux. En bout de ligne, si la Cour conclut que les demandeurs se trompent, la défenderesse aura droit à des dommages-intérêts.

[26]              Le protonotaire a également tenu compte du fait que, même si elle ne peut achever la construction du navire, la défenderesse recevra une garantie complète au moyen de la fourniture d'un cautionnement avant que la mainlevée de la saisie du navire soit accordée et que ce dernier quitte la juridiction. La situation pourrait donc être plus grave.

[27]              Par conséquent, je conclus sans hésitation aucune que la défenderesse n'a pas réussi à convaincre la Cour que le protonotaire avait commis une erreur justifiant l'intervention de celle-ci. Au lieu de cela, je conclus qu'en l'espèce les ordonnances rendues par le protonotaire étaient raisonnables eu égard aux circonstances.

    

CONCLUSION

[28]              Le présent appel, par voie de requête, des ordonnances rendues par le protonotaire est rejeté avec dépens.

   

Pierre Blais                                                 

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                          COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                      T-687-02

INTITULÉ :                     M. et Mme STEPHEN STRIEBEL c.

SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC. ET AL.

                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :         VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :         le 14 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge BLAIS

DATE DES MOTIFS :            le 28 mai 2002

ONT COMPARU :

DAVID McEWEN                                       POUR LES DEMANDEURS

GEOFFREY GOMERY                                    POUR LA DÉFENDERESSE

JAMES MacINNIS                                     SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEWEN, SCHMITT & CO.                              POUR LES DEMANDEURS

VANCOUVER

NATHANSON SCHACHTER & THOMPSON                    POUR LA DÉFENDERESSE

VANCOUVER                                           SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC.

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