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Date : 20030620

Dossier : T-1323-01

Référence : 2003 CFPI 769

OTTAWA (ONTARIO), le 20 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                 JAMES MERCIER

                                               et CALGARY SKYDIVE CENTRE INC.

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                        REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 La présente demande, qui vise l'obtention de plusieurs formes de réparation, fait suite à la décision du ministre du Revenu national (le ministre), en date du 17 mai 2001, de maintenir une confiscation compensatoire et la réclamation monétaire qu'elle a entraînée, décision résultant de sa conclusion selon laquelle les demandeurs ont enfreint la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch.1 (2e suppl.) (la Loi). Un agent de police de la Section des douanes et de l'accise de Calgary de la Gendarmerie royale du Canada (l'agent des douanes), Michael McIntaggart, a rédigé, conformément au paragraphe 124(1) de la Loi, un avis de confiscation compensatoire daté du 12 juin 1998, qui a été signifié aux demandeurs.

[2]                 La réparation demandée est la suivante :

[TRADUCTION]

1.        Un jugement sommaire, fondé sur l'article 213 des Règles de la Cour fédérale (1998), sur tout ou partie de la réclamation des demandeurs;

2.        Une ordonnance, additionnelle ou subsidiaire, fondée sur l'alinéa 227c) des Règles de la Cour fédérale (1998), radiant les actes de procédure de la défenderesse;

3.        Une ordonnance, additionnelle ou subsidiaire, fondée sur l'article 232 des Règles de la Cour fédérale (1998), écartant de la preuve l'affidavit de documents supplémentaire de la défenderesse souscrit le 16 septembre 2002;

4.        Une ordonnance, additionnelle ou subsidiaire, fondée sur l'alinéa 220b) des Règles de la Cour fédérale (1998), écartant de la preuve l'affidavit de documents supplémentaire de la défenderesse souscrit le 16 septembre 2002;

5.        Une ordonnance provisoire, additionnelle ou subsidiaire, fondée sur les articles 373 et 374 des Règles de la Cour fédérale (1998), sursoyant à l'exécution de la procédure de recouvrement intentée par la défenderesse jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente affaire.

[3]                 Dans sa décision, datée du 17 mai 2001, le ministre :

a)        a décidé que les demandeurs ont contrevenu à la Loi et au Règlement sur la déclaration des marchandises importées, comme exposé dans l'avis de confiscation compensatoire;

b)        a décidé de réduire la pénalité en raison du retard avec lequel il a rendu la décision;

c)        a réclamé le paiement du montant réduit de 34 458,29 $.

[4]                 L'article 135 de la Loi prévoit qu'on peut interjeter appel d'une décision du ministre devant la Cour :


135. (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l'article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d'action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

(2) La Loi sur la Cour fédérale et les Règles de la Cour fédérale applicables aux actions ordinaires s'appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), sous réserve des adaptations occasionnées par les règles particulières à ces actions.

135. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

(2) The Federal Court Act and the Federal Court Rules applicable to ordinary actions apply in respect of actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions.


[5]                 Le juge MacKay a eu l'occasion, dans la décision Mattu c. Canada (Ministre du Revenu national) (1991), 45 F.T.R. 190, [1991] A.C.F. no 539 (Q.L.), de s'interroger sur la nature des appels interjetés en vertu de l'article 135 de la Loi. Il a conclu ce qui suit au paragraphe 27 :

L'article 135 de la Loi sur les douanes n'énonce pas de façon détaillée les exigences applicables à l'appel qu'il prévoit à l'encontre de la décision du ministre ni ne précise la nature de celui-ci, et ces questions n'ont fait l'objet d'aucun débat en l'instance. Selon l'interprétation que j'en fais, cette disposition prévoit la tenue d'un procès de novo, au sens où la Cour n'est pas obligée de s'en tenir à l'examen de la preuve dont disposait le ministre. Par contre, tout comme dans le cas d'appel d'autres décisions administratives ou de décisions rendues par des organismes quasi-judiciaires créés législativement, la Cour n'interviendra pas à la légère et devra être convaincue que le ministre ou ses mandataires n'ont pas observé un principe de justice naturelle ou qu'ils ont outrepassé les pouvoirs que leur confère la loi ou, encore, que leur décision repose sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait arbitraire, entachée de mauvaise foi ou tirée sans égard à la preuve présentée pour modifier la décision.


[6]                 La gamme des réparations demandées par les demandeurs est grande et diversifiée et fait intervenir plusieurs domaines de jurisprudence, notamment en matière de jugements sommaires, de requêtes en radiation et d'injonctions interlocutoires. Les demandeurs ne cherchent pas à interjeter appel de la décision du ministre en vertu du paragraphe 135(1) de la Loi.

JUGEMENT SOMMAIRE

[7]                 Les demandeurs cherchent à obtenir, en vertu de l'article 213 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), un jugement sommaire sur tout ou partie de leur réclamation.

[8]                 Les parties s'entendent sur les principes de base en matière de jugement sommaire, bien que les demandeurs fassent remarquer que la procédure engagée par l'avis de confiscation compensatoire conformément à la Loi, qui donne lieu à une créance de Sa Majesté et à une procédure de recouvrement, fait en sorte qu'ils essayent effectivement de faire annuler un jugement plutôt que de faire enregistrer un jugement.


[9]                 Il est généralement admis que, suivant l'article 216 des Règles et la jurisprudence s'y rapportant, les demandeurs dans les demandes de jugement sommaire doivent démontrer qu'il n'existe pas de question sérieuse susceptible de justifier la tenue d'un procès. Cela veut dire que le dossier doit contenir des éléments de preuve pertinents qui ne soulèvent pas de question sérieuse de fait ou de droit nécessitant que l'on tire des inférences. Il est bien établi que les questions difficiles de fait ou de droit ne doivent pas être tranchées dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Il en est de même pour les conclusions au sujet de la crédibilité. Il incombe à la partie requérante dans une demande de jugement sommaire de prouver tous les faits nécessaires et l'inexistence d'une véritable question litigieuse. Cela dit, il est également bien établi que la simple existence d'une contradiction dans la preuve n'empêche pas la Cour de rendre un jugement sommaire et qu'elle doit examiner attentivement la preuve et tirer les conclusions chaque fois que la chose est possible. Comme la Cour l'a dit dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853, 111 F.T.R. 189 (C.F. 1re inst.), chaque affaire doit être interprétée selon son propre contexte, mais le critère est de savoir si le succès de la demande est tellement improbable que les questions ne méritent pas d'être examinées de façon plus approfondie.

[10]            Les moyens invoqués par les demandeurs à l'appui de leur demande de jugement sommaire peuvent être résumés brièvement :

1.        Le paragraphe 124(1) de la Loi, qui donne ouverture à la procédure de confiscation compensatoire, n'a pas été respecté en l'espèce en ce sens qu'on n'a pas, dans un premier temps, essayé de trouver les marchandises et que la saisie de ces marchandises n'était pas problématique. Par conséquent, les conditions préalables à l'exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 124(1) n'ont pas été remplies et la Cour devrait, dans la présente instance, déclarer l'exercice de ces pouvoirs invalide et la confiscation compensatoire inexécutoire;

2.        Le retard avec lequel la défenderesse a fourni l'avis de confiscation compensatoire a compromis la capacité des demandeurs de se défendre et suffit pour que la Cour statue que la procédure de confiscation compensatoire est nulle et inexécutoire;

3.        Pour pouvoir utiliser la procédure prévue au paragraphe 124(1), la défenderesse doit avoir des motifs raisonnables de croire que les demandeurs ont contrevenu à la Loi. En l'espèce, il n'existait ni de tels motifs raisonnables ni d'indication réelle de l'existence de tels motifs, de telle sorte que l'ensemble de la procédure devrait être déclaré nulle et inexécutoire;


4.        Il n'y a pas eu une signification adéquate de l'avis de confiscation compensatoire en l'espèce. Par conséquent, la procédure devrait être déclarée nulle et inexécutoire;

5.        Le délai de prescription pertinent à l'égard la plupart des articles visés par la contravention à la Loi commise par les demandeurs était expiré, de sorte que ces articles ne peuvent pas donner ouverture à la procédure prévue au paragraphe 124(1) de la Loi et un jugement sommaire devrait être rendu en ce sens;

6.        L'expédition des marchandises visées à l'alinéa 12(3)a.1) de la Loi, à savoir les marchandises importées par messager ou comme courrier, ne constituaient pas une contravention à la Loi commise par les demandeurs. La violation de la Loi a plutôt été commise par les exportateurs de ces marchandises, de telle sorte que toutes les allégations formulées à l'encontre des demandeurs à l'égard de telles marchandises devraient être rejetées;

7.        Toutes les infractions imputées à la société demanderesse après 1993 ne peuvent être attribuées au particulier demandeur, M. Mercier, parce qu'il avait alors cessé d'être administrateur, dirigeant ou actionnaire de la société. Par conséquent, la Cour devrait rejeter les allégations visant le particulier demandeur.

[11]            Preuves détaillées à l'appui de leurs prétentions, les parties ont débattu de toutes ces questions à l'audience. Il m'est clairement apparu que les demandeurs ne pouvaient, pour aucune des questions soulevées, démontrer l'inexistence d'une véritable question litigieuse.

[12]            La frustration des demandeurs dans la présente affaire découle du fait que la preuve du respect de la Loi qu'ils doivent fournir se rapporte à des événements passés très lointains. Cette frustration est tout à fait compréhensible, mais elle ne les libère pas du fardeau de prouver à la Cour l'inexistence d'une véritable question litigieuse. En fait, les demandeurs se sont délibérément abstenus de fournir à la Cour le type de preuve dont elle a besoin pour rendre une décision sur cette question.


[13]            Deux exemples suffiront pour démontrer que les demandeurs aimeraient voir leur demande de jugement sommaire accueillie, mais qu'ils ne désirent pas prendre les moyens nécessaires pour parvenir à ce résultat.

[14]            Les demandeurs font valoir en fait que la plupart des articles qui ont été, selon les allégations de la défenderesse, passés en contrebande au Canada sont visés par la prescription des confiscations compensatoires prévue à l'article 113 de la Loi. La question de savoir s'il y a effectivement prescription dépend de la façon dont l'agent des douanes chargé de l'affaire a donné l'avis de confiscation compensatoire et du moment où il l'a fait. La défenderesse allègue que toutes les violations de la Loi et de son règlement exposées dans l'avis ont eu lieu dans la période de six ans ayant précédé le 12 juin 1998, jour de la signification de l'avis. Les demandeurs allèguent que cette signification n'a pas été faite conformément à la Loi et M. Mercier, le particulier demandeur, dit que l'agent des douanes s'est contenté de remettre l'avis à une personne de l'entreprise voisine de la sienne à Calgary, et que ce n'est que le 6 juillet 1998 qu'il l'a réellement reçu.

[15]            Dans son affidavit, l'agent de police Michael McIntaggart, agent des douanes chargé d'enquêter sur les demandeurs dans cette affaire, confirme ce qui suit :

[TRADUCTION]


6.            Le 12 juin 1998, une copie de l'avis a été remise à Brenda Marshall de Lasting Impressions, au 3112, 11e Rue, bureau 202, Calgary (Alberta). Brenda Marshall occupait le bureau voisin du Calgary Skydive Centre et elle a dit qu'elle acceptait du courrier et des dépôts à l'intention du Calgary Skydive Centre pour le parachutisme quand il n'y avait personne à leurs bureaux. Brenda Marshall a de plus déclaré que le demandeur, James Mercier, passait une fois de temps en temps et elle ne savait pas quand il repasserait.

7.            Plus tard, toujours le 12 juin 1998, James Mercier m'a téléphoné et a confirmé que Brenda Marshall lui avait remis une copie de l'avis. Je lui ai expliqué l'avis et il n'a nié aucune allégation. De plus, James Mercier a demandé que le site de saut en parachute Beiseker ne soit pas perquisitionné, car cela causerait des problèmes et pourrait obliger le nouveau propriétaire à fermer ses portes. Au cours de cet appel téléphonique, j'ai expliqué à James Mercier le processus d'appel.

8.            J'ai joint, sous la cote « C » , des copies de mes notes confirmant que j'ai remis une copie de l'avis à Brenda Marshall le 12 juin 1998 et que j'ai eu une conversation téléphonique avec James Mercier plus tard ce même jour.

[16]            Les extraits suivants sont tirés du contre-interrogatoire de M. Mercier au sujet de son affidavit, contre-interrogatoire mené par M. Boyd, avocat de la défenderesse :

[TRADUCTION]

Q :            Maintenant, est-il vrai que vous admettez avoir reçu de la Couronne une copie de l'avis de confiscation compensatoire?

R :            Oui.

Q :            Et c'est le document joint à votre affidavit sous la cote A?

R :            Oui.

Q :            Et vous témoignez que vous l'avez reçu le 6 juillet 1998?

R :            Oui.

Q :            Comment savez-vous que vous l'avez reçu ce jour-là?

R :            Le jour où j'ai reçu cet affidavit, j'ai contacté Kevin Zemp et j'ai demandé si je pouvais le lui apporter ce même jour et j'ai pris des dispositions pour le faire, et il y a répondu le même jour.

Q :            Et vous êtes certain du jour? Pas un autre -

R :            Oui.


Q :            - pas un autre jour?

R :            Pas un autre jour.

Q :            Vous souvenez-vous avoir subi un interrogatoire préalable le 22 août 2002?

R :            Oui.

Q :            Vous souvenez-vous avoir juré de dire la vérité au cours de cet interrogatoire?

R :            Oui.

Q :            Et vous rappelez-vous avoir été interrogé et avoir répondu aux questions lors de cet interrogatoire préalable?

R :            Oui.

Q :            Vous souvenez-vous qu'on vous a posé la question suivante, qui se trouve à la page 70 de la transcription de cet interrogatoire préalable :

Convenez-vous que vous avez reçu, le 12 juin 1998, la signification de l'avis de confiscation compensatoire, avis qui est contenu dans le document numéro 2 de la défenderesse?

Et avoir répondu :

Est-ce que c'est tout ça ici?

Q :            Vous n'avez pas besoin de tout le sortir.

R :            Bien, d'accord. Non, je ne conviens pas de cela.

Q :            Savez-vous quand vous avez reçu la signification?

R :            Elle a été faite au bureau voisin. C'est écrit bureau 203. La livraison a été faite à une autre entreprise appelée Lasting Impressions.

Q :            Quand avez-vous eu l'avis en votre possession pour la première fois?

R :            Quelque temps après cela. Je ne me souviens pas quand.

Q :            Mais vous en avez bel et bien reçu une copie?

R :            Beaucoup plus tard.


Q :            Quand exactement?

R :            Je ne me souviens pas.

Q :            Seriez-vous d'accord pour dire qu'on vous a posé ces questions à l'interrogatoire préalable et que vous avez donné ces réponses?

R :            Oui. Je n'ai pas -

Q :            C'est tout ce que nous -

R :            - la lettre de M. Zemp. Je n'avais pas la lettre de Zemp pour donner la date, et j'ai estimé qu'il était préférable de donner des renseignements exacts, et je n'ai été en mesure d'obtenir ces renseignements exacts que lorsque j'ai pu confirmer la date à laquelle M. Zemp avait écrit la lettre. J'ai alors été capable de déterminer la date à laquelle je l'avais reçu parce que je - je sais que je l'ai apporté le jour même où j'ai reçu cette lettre.

Q :            Convenez-vous que vous n'avez pas pris des notes en 1998 pouvant confirmer la date exacte à laquelle vous avez reçu ce document?

R :            J'ai des preuves écrites des renseignements que vous donnez au sujet de la correspondance de M. Zemp, et je sais qu'elle a été produite le jour où j'ai reçu cela.

Q :            Mais à part cette correspondance, vous n'avez pas de notes. Exact?

R :            J'ai les notes de M. Zemp et la lettre qu'il a envoyée à Revenu Canada, et je suis certain à cent pour cent, parce que c'est le jour où j'ai reçu la documentation. Je veux dire - je suis cent pour cent certain du jour où on peut considérer que la signification a été faite -

Q :            La lettre -

R :            - le jour où vous -

Q :            La lettre de M. Zemp est la pièce B jointe à votre affidavit?

R :            Oui.

Q :            À part la pièce B, vous n'avez pas de notes. Exact?

R :            Exact.

Q :            Et vous ne teniez pas un agenda à ce moment. Exact?

R :            Non.


Q :            Il est exact de dire que vous ne teniez pas un agenda?

R :            Non, je ne tenais pas un agenda.

Q :            N'est-il pas vrai que vous avez en fait reçu une copie de la pièce A le 12 juin 1998?

R :            Non, cela n'est pas exact.

Q :            Et n'est-il pas vrai que vous avez discuté de l'avis de confiscation compensatoire, soit la pièce A, avec l'agent de police McIntaggart de la GRC le 12 juin 1998?

R :            Je n'ai à aucun moment parlé à l'agent de police McIntyre, ou McIntaggart.

[17]            Il ressort de l'interrogatoire préalable de M. Mercier tenu en août 2002 que ce dernier n'a pas pu confirmer la date à laquelle il a reçu l'avis et qu'une lettre datée du 6 juillet 1998, envoyée par Bennett Jones Verchère, avocat des demandeurs à l'époque, à l'agent de police McIntaggart, fait état de [TRADUCTION] « l'avis de confiscation compensatoire, signifié le 12 juin 1998 à James Mercier et à Calgary Skydive Inc. » .

[18]            Vu l'évolution du récit de M. Mercier en ce qui concerne le moment où il a reçu la signification, il est difficile de préférer clairement son témoignage à celui de l'agent de police McIntaggart qui a confirmé, par des notes prises au moment où se sont produits les événements, que l'avis a été signifié le 12 juin 1998 et qu'il a parlé à M. Mercier cette même journée. Les demandeurs ne m'ont ni donné de raison ni présenté de preuve susceptibles de me convaincre de trancher l'affaire en leur faveur sur la base de la documentation dont je dispose. Ils ont simplement présumé que je devais préférer leur version à celle d'un agent de la GRC qui a pris des notes et a fait sa déclaration sous serment.


[19]            De même, en ce qui concerne la question cruciale du rôle de M. Mercier dans la société demanderesse à la période pertinente, M. Mercier dit, dans son affidavit : [TRADUCTION] « Je crois que Paul Sather était le seul administrateur et le seul propriétaire de Calgary Skydive Inc. en 1994. Je crois qu'en 1994 Paul Sather s'occupait des réparations et de la maintenance de l'équipement. »

[20]            Pourtant, la défenderesse a été en mesure de produire deux recherches de dénominations sociales, notamment une recherche datant de 2003 qui indique que M. Mercier était à la fois administrateur et actionnaire de la société demanderesse.

[21]            Lorsqu'on l'a contre-interrogé sur son affidavit, M. Mercier a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q :            M. BOYD : Maintenant, un des demandeurs dans la présente action est Calgary Skydive Centre Inc. Il est vrai que vous n'étiez pas un actionnaire de la société en 1994, exact?

R :            C'est exact.

Q :            Et vous n'étiez pas non plus un administrateur de la société en 1994, exact?

R :            C'est exact.

Q :            Ces déclarations sont vraies pour l'ensemble de l'année 1994?

R :            C'est exact.

Q :            Parce que vous avez vendu la société en 1993, exact?

R :            C'est exact.


Q :            Alors, depuis 1994, vous n'avez été ni un administrateur ni un actionnaire de cette société?

R :            Depuis mille neuf cent - Pardon?

Q :            Depuis 1994.

R :            En fait, c'est plutôt - à la fin de 92, j'ai vendu mes participations, et, en 93, c'est Paul Sather qui la dirigeait.

Q :            Alors depuis que vous l'avez vendue, à partir de ce moment - et vous l'avez vendue à un certain moment en 1993 - vous n'êtes plus ni administrateur ni actionnaire.

R :            C'est exact.

Q :            Savez-vous exactement quand vous l'avez vendue?

R :            Paul a pris la relève vers la fin de 92.

Q :            Et vous n'avez pas été aussi, depuis 1992 ou depuis la vente, vous n'avez pas aussi été un dirigeant de cette société?

R :            Non.

Q :            Vous dites que non, vous n'avez pas été un dirigeant, exact?

R :            C'est ce que j'ai dit. Non.

Q :            Oui. Je clarifiais seulement.

R :            Bien, d'accord. Je pense - Mon nom a pu apparaître dans certains documents, parce que Paul ne m'avait pas encore payé au complet, alors mon nom a pu apparaître au registre central des sociétés pendant qu'il terminait l'achat.


[22]            Il appert donc une fois de plus qu'il existe des écarts considérables entre le témoignage de M. Mercier quant à son rôle dans l'entreprise (rôle qu'il n'explique d'ailleurs pas clairement : « Paul ne m'avait pas encore payé au complet » ) et la recherche documentaire produite par la défenderesse à cet égard. M. Mercier aurait pu expliquer comment il avait cessé d'avoir un intérêt soit comme administrateur soit comme actionnaire dans la société demanderesse et étayer ces explications par des preuves, mais il a choisi de ne pas le faire et de ne pas fournir la documentation permettant d'éclaircir la situation et d'expliquer comment il avait cessé de jouer un rôle dans l'entreprise, alors qu'il a lui-même dit : « Mon nom a pu apparaître au registre central des sociétés [...] » . Il est bien sûr tout à fait en droit de ne pas donner de détails sur les circonstances de son départ de Calgary Skydive et le moment où cela s'est produit, mais, s'il choisit de le faire, il ne peut guère s'attendre à ce que la Cour considère qu'il a produit une preuve convaincante sur ce point crucial pour son action contre la défenderesse. Une fois de plus, il s'attend tout bonnement à ce que la Cour préfère sa version quelque peu vague des événements ( « Mon nom a pu apparaître dans certains documents, parce que Paul ne m'avait pas encore payé au complet, alors mon nom a pu apparaître au registre central des sociétés pendant qu'il terminait l'achat » ) à la recherche de dénominations sociales, preuve tangible datée du 20 février 2003, qui indique qu'il était le seul administrateur et le seul actionnaire de Calgary Skydive Centre Inc. détenant un droit de vote.

[23]            Chacun des arguments invoqués par les demandeurs à l'appui de leur demande de jugement sommaire comporte, selon moi, des problèmes semblables, ce qui m'empêche, après examen attentif du fond, de statuer qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse. Les demandeurs devront à tout le moins attaquer de front plusieurs difficultés importantes avant de pouvoir espérer un jugement quelconque en leur faveur.

[24]            En fait, la position de la défenderesse est que la preuve établit clairement non seulement que l'absence de véritable question litigieuse ne permet pas à la Cour de statuer sur l'affaire dans le sens demandé par les demandeurs, mais aussi que la Cour devrait rendre un jugement sommaire donnant gain de cause à la défenderesse. Bien que l'article 216 des Règles permette à la Cour de rendre une telle décision, je refuse de le faire dans la présente action où tant des questions de fait et de droit importantes « nécessitant que l'on tire des inférences » que des questions importantes quant à la crédibilité des témoins doivent être tranchées et où il est nécessaire d'avoir des détails importants pour pouvoir apprécier de façon complète les points litigieux opposant les parties.

[25]            Par conséquent, les questions soulevées dans la demande de jugement sommaire des demandeurs devraient être instruites au procès de la manière habituelle.

DEMANDE DE RADIATION

[26]            La défenderesse a déposé un affidavit de documents le 20 septembre 2001. Le particulier demandeur a subi un interrogatoire préalable le 22 août 2002. La défenderesse a ensuite, le 16 septembre 2002, souscrit un affidavit de documents supplémentaire.


[27]            Invoquant les paragraphes 224(2) et (3) et les articles 227, 232 et 220 des Règles, les demandeurs disent qu'on devrait soit radier l'ensemble de la demande de la défenderesse, pour défaut de divulguer des documents dans un premier temps, soit exclure du procès l'affidavit de documents supplémentaire.

[28]            La défenderesse admet qu'elle a effectivement signifié un affidavit de documents supplémentaire énumérant des documents qui n'avaient pas été divulgués dans le premier affidavit, mais dit l'avoir fait simplement pour se conformer au paragraphe 226(1) des Règles, qui traite des affidavits supplémentaires.

[29]            Les demandeurs donnent plusieurs arguments pour expliquer pourquoi la production de l'affidavit de documents supplémentaire après la communication préalable commande que la Cour radie la totalité ou une partie des actes de procédure de la défenderesse.

[30]            Premièrement, conformément aux paragraphes 224(2) et (3), la divulgation préalable doit être complète et l'auteur de l'affidavit doit se renseigner dans la mesure du possible auprès de certaines personnes dont il est raisonnable de croire qu'elles pourraient détenir des renseignements au sujet de toute question en litige dans l'action. L'affidavit de documents supplémentaire n'indique pas pourquoi les documents additionnels n'ont pas été divulgués dès le départ, et, suivant l'article 227 des Règles, si un affidavit de documents est inexact ou insuffisant, la Cour peut examiner tout document et ordonner que les actes de procédure de la partie pour le compte de laquelle l'affidavit a été produit soient radiés en totalité ou en partie.

[31]            Il est cependant intéressant qu'on ait demandé à la Cour d'exercer le pouvoir qui lui est accordé à l'article 227 des Règles, mais qu'on ne lui ait présenté aucun document ou autre élément de preuve susceptible de l'aider à évaluer l'importance des documents en cause. De plus, comme cette question a été soulevée à l'audience, les demandeurs n'ont pas même examiné les documents énumérés dans l'affidavit supplémentaire.

[32]            Par conséquent, je ne dispose d'aucun élément de preuve établissant que les documents non divulgués dans le premier affidavit et figurant dans l'affidavit supplémentaire nuisent de quelque façon que ce soit aux demandeurs, ni même qu'ils sont de première importance pour leur action. Les demandeurs demandent simplement à la Cour de présumer que l'affidavit supplémentaire a été déposé après la communication préalable du 22 août 2002 soit parce que [TRADUCTION] « l'affidavit de documents n'a pas révélé une cause d'action à l'encontre des demandeurs » soit parce que [TRADUCTION] « le grand nombre de documents contenus dans l'affidavit de documents supplémentaire retarde l'action des demandeurs » . Les demandeurs demandent à la Cour de présumer de tout cela et de radier des actes de procédures, mais ils n'ont pas examiné les documents en cause et ne peuvent donc pas véritablement étayer les moyens qu'ils avancent à l'appui de la demande de radiation.


[33]            Je ne suis pas disposé à radier des actes de procédures sur simple demande des demandeurs. Pour des motifs similaires, je refuse d'exercer les pouvoirs prévus aux articles 232 et 220 pour exclure de la preuve les documents contenus dans l'affidavit supplémentaire ou de rendre une décision préliminaire quant à leur admissibilité.

INJONCTION PROVISOIRE

[34]            Le dernier domaine de jurisprudence que les demandeurs font entrer en jeu dans la présente affaire est celui des réparations provisoires et interlocutoires. En résumé, les demandeurs (ou du moins le particulier demandeur, M. Mercier) demandent [TRADUCTION] « une injonction provisoire sursoyant à l'exécution du jugement de la défenderesse jusqu'à l'issue du procès » . Autrement dit, les demandeurs cherchent à obtenir, en vertu de l'article 373 des Règles, une réparation sursoyant à l'exécution de la procédure de recouvrement actuellement intentée par la défenderesse dans le cadre de la procédure de confiscation compensatoire.

[35]            La défenderesse souligne qu'elle n'a, jusqu'à présent, ni saisi de biens des demandeurs ni pratiqué de saisie-arrêt de leurs revenus. Elle fait aussi valoir que la Loi prévoit elle-même un sursis pour les actions de cette nature. L'alinéa 143(3)b) de la Loi est libellé comme suit :



Les montants réclamés en vertu de l'alinéa 133(1)c) constituent, dès la signification de l'avis prévu au paragraphe 131(2), des créances de Sa Majesté dont est tenu le demandeur de la décision, lequel est en défaut si, dans les quatre-vingt-dix jours suivant l'envoi, il n'a :

[...]

b) ni, en cas d'appel de la décision du ministre en vertu de l'article 135, donné la garantie jugée satisfaisante par celui-ci.

Any amount of money demanded under paragraph 133(1)(c), from and after the time notice is served under subsection 131(2), constitutes a debt due to Her Majesty from the person who requested the decision and that person is in default unless, within ninety days after the time of service, he

...

(b) where he appeals the decision of the Minister under section 135, gives security satisfactory to the Minister.


[36]            Cela revient à dire que le montant réclamé devient une créance de Sa Majesté 90 jours après la signification d'une décision du ministre au sujet d'une confiscation compensatoire, à moins que l'appelant, en l'espèce les demandeurs, n'ait interjeté appel devant la Cour conformément au paragraphe 135(1) de la Loi, et qu'il n'ait donné une garantie jugée satisfaisante par le ministre. Comme aucune garantie n'a été donnée en l'espèce, le sursis prévu par la Loi n'est d'aucune utilité pour les demandeurs.

[37]            Par conséquent, les demandeurs demandent une injonction conformément à l'article 373 des Règles même s'ils ne se sont pas engagés à indemniser la défenderesse pour les préjudices qu'elle pourrait subir du fait de l'injonction.

[38]            Indépendamment du défaut de fournir un tel engagement - défaut qui n'est pas nécessairement fatal dans une telle demande -, les demandeurs offrent peu d'éléments de preuve ou d'arguments au sujet du préjudice irréparable. Aux paragraphes 21 et 22 de son affidavit, M. Mercier déclare :

[TRADUCTION]


21. J'ai subi et je subis encore des préjudices irréparables en raison de la tentative de recouvrement en cours engagée par la défenderesse. En voici quelques exemples : je ne peux obtenir du crédit, notamment du financement par hypothèque, posséder des biens (de crainte de les voir saisir), ouvrir un compte bancaire, acquérir des biens personnels (notamment des produits tels qu'un téléphone cellulaire), louer des biens mobiliers, lancer une entreprise, obtenir des investissements de capitaux ou avoir une association d'affaires. On me perçoit comme étant une personne suspecte et je suis fréquemment détenu lorsque je quitte le Canada, ce qui me fait parfois manquer des correspondances et constitue une humiliation publique.

22. Cette cotisation me fait vivre en sursis et m'empêche de mener une vie normale. Selon la prépondérance des inconvénients, la défenderesse ne subirait aucun préjudice advenant le sursis de la procédure de recouvrement jusqu'à l'issue du procès.

[39]            M. Mercier déclare que sa vie a été grandement désorganisée, mais il ne fait malgré tout aucun effort soit pour étayer, par des éléments de preuve objectifs, ses affirmations au sujet des préjudices subis, soit pour répondre aux questions de savoir si ces préjudices donnent droit à une indemnisation par dommages-intérêts et s'ils sont attribuables à l'action de la défenderesse (qui a simplement envoyé une lettre de demande et n'a ni saisi de biens ni pratiqué de saisie-arrêt de revenus) ou à d'autres problèmes de M. Mercier. La preuve présentée à l'audience montre que des parties autres que la défenderesse ont enregistré, au bureau d'enregistrement des sûretés mobilières de l'Alberta, un bref d'exécution et une ordonnance de saisie avant jugement à l'encontre de M. Mercier.

[40]            La norme de preuve en matière de préjudice irréparable est une preuve manifeste qui ne repose pas sur des conjectures. La Cour ne voit pas clairement en quoi une demande de paiement de la défenderesse aurait causé ou pourrait causer les préjudices irréparables que le particulier demandeur mentionne au paragraphe 21 de son affidavit.


[41]            Une fois de plus, les demandeurs demandent réparation, mais ne semblent pas désireux de présenter à la Cour soit un portrait complet soit une preuve suffisante et objective susceptibles d'établir le bien-fondé de la réparation demandée. Par conséquent, je conclus que la preuve présentée par les demandeurs ne me permet pas d'accueillir la demande d'injonction visant la procédure de recouvrement engagée par la défenderesse.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        La demande des demandeurs est rejetée dans sa totalité;

2.        La requête en jugement sommaire de la défenderesse est rejetée;

3.        Les dépens de la présente requête sont adjugés à la défenderesse et sont payables à l'issue de la cause.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.                                                                       


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1323-01

INTITULÉ :                                                        James Mercier et Calgary Skydive Centre Inc.

c. Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre du Revenu national

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 6 mai 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge James Russell

DATE DES MOTIFS :                                     le 20 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert Burgener

pour les demandeurs

M. Kerry Boyd

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Robert Burgener

Edmonton (Alberta)

pour les demandeurs

M. Kerry Boyd

Edmonton (Alberta)

pour la défenderesse


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         Date : 20030620

                Dossier : T-1323-01

ENTRE :

JAMES MERCIER

et CALGARY SKYDIVE CENTRE INC.

demandeurs

- et -

SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                   défenderesse

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                           

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