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Date : 20031216

Dossier : T-1574-01

Référence : 2003 CF 1472

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY                               

ENTRE :

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                          appelant

                                                                                   et

                                                                    YUN HO CHANG

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel d'une décision datée du 10 juillet 2001 dans laquelle on a jugé que l'intimé, M. Yun Ho Chang, avait satisfait aux exigences applicables pour l'obtention de la citoyenneté canadienne. L'appel, qui a été entendu par voie de contrôle judiciaire, vise la conclusion d'un juge de la citoyenneté suivant laquelle l'intimé avait satisfait aux exigences de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi). Suivant cette disposition, le résident permanent doit, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.

[2]                 L'intimé, un citoyen de Taïwan, a obtenu le statut de résident permanent au Canada en juillet 1992, lorsqu'il est arrivé au Canada avec sa femme et ses deux enfants. Peu après, sa femme et lui ont acheté une maison à Burnaby. Sa femme et ses deux enfants y vivent depuis et il y retourne quand il est au Canada. Les enfants sont inscrits et étudient dans une école canadienne. Sa femme et lui ont acquis un bien de placement au Canada et ils y ont conservé un compte bancaire.

[3]                 L'intimé possède et exploite une entreprise à Taïwan. Il n'a pas d'emploi au Canada. La preuve n'indique pas clairement ses périodes de présence au Canada et ses périodes d'absence du pays, sauf pour les quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté en février 2001. Dans les quatre ans qui ont précédé sa demande, il a passé 284 jours au Canada et il a été absent du pays 1 176 jours. Il a donc été absent du Canada pendant environ trois ans et demi dans les quatre ans qui ont précédé sa demande, de sorte qu'il lui manquait plus de 880 jours pour satisfaire à l'exigence des trois ans de résidence au Canada.


[4]                 Dans l'appréciation de sa demande de citoyenneté, le juge a noté le nombre de jours où il a été absent du Canada. Dans ses motifs, il a appliqué le critère de résidence au Canada établi par madame la juge Reed dans la décision Re: Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), (1992), 19 Imm. L.R. (2d) 1, 59 F.T.R. 27. Il a conclu que [traduction] « le demandeur [l'intimé] a établi que le Canada est le pays dans lequel il a centralisé son mode d'existence _.

[5]                 Les avocats des deux parties invoquent la décision Re: Koo et la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (C.F. 1re inst.). Dans cette dernière affaire, monsieur le juge Lutfy (maintenant juge en chef de la Cour fédérale) a conclu qu'il fallait faire preuve de retenue à l'égard de la décision du juge de la citoyenneté lorsque celui-ci avait correctement appliqué un critère de résidence reconnu. L'intimé affirme que c'est ce qui a été fait l'espèce et qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard de la décision du juge de la citoyenneté. Le ministre appelant soutient pour sa part que le juge n'a pas bien appliqué le critère de la décision Re: Koo et qu'il n'a pas pris en considération certains faits. Les deux avocats renvoient à la norme de contrôle énoncée par le juge Lutfy dans la décision Lam, savoir une norme fondée sur le caractère raisonnable, mais qui se rapproche de la norme de la décision correcte.

[6]                 Compte tenu de la décision Lam, la norme de la décision correcte a été appliquée dans Lin c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] A.C.F. no 492 (C.F. 1re inst.), relativement à une décision portant sur l'application de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Cette même norme, à l'issue d'un raisonnement différent, a été appliquée dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1693 (C.F. 1re inst.).

[7]                 À mon avis, à la lumière de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, la norme de contrôle applicable en l'espèce est la décision raisonnable simpliciter, mais la Cour n'a pas à faire preuve d'une très grande retenue à l'égard de la décision du juge de la citoyenneté. Cette norme tient à l'appréciation de la situation, y compris la disposition de la Loi qui permet d'interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté, à la nature de la question à juger lorsqu'on est en présence d'une question de droit et de fait dans laquelle l'application du droit est plus importante que la détermination des faits, et à l'expertise de la Cour relativement à celle du juge de la citoyenneté lorsqu'il s'agit de trancher des questions où l'application de la loi prévaut.

[8]                 En l'espèce, le juge de la citoyenneté a noté que l'épouse de l'intimé et leurs deux enfants vivent à Burnaby et que l'intimé retourne périodiquement à cet endroit après de longs voyages d'affaires à Taïwan. Il a noté les jours de présence au Canada et les jours d'absence du pays, et il a noté que l'intimé était le directeur / propriétaire d'une usine de fabrication de béton préparé à Taïwan et qu'il n'avait jamais travaillé au Canada. Il a toutefois conclu qu'étant donné qu'[traduction] _ il retourn[ait] régulièrement à Vancouver et dans sa famille, ses absences sembl[ai]ent de nature temporaire _. À son avis, les liens de la famille de l'intimé avec le Canada sont importants. Gardant à l'esprit que la famille de l'intimé vit à Burnaby et que les absences de l'intimé sont [traduction] _ entièrement attribuables à ses intérêts commerciaux à Taïwan _, le juge, par application du critère de la décision Re: Koo, a conclu que l'intimé [traduction] _ a établi que le Canada est le pays dans lequel il a centralisé son mode d'existence _.


[9]                 À mon avis, cette conclusion est intenable si on ne détermine pas quand l'intimé a centralisé son mode d'existence au Canada, c.-à-d. quand il est devenu résident au Canada. La décision en question ne traite pas des liens de l'intimé avec le Canada, par opposition à ceux de sa famille. Cela revient à dire que parce que sa famille résidait au Canada, il y résidait également. Si on décidait qu'il avait établi sa résidence au Canada à une certaine date avant la période de quatre ans qui a précédé sa demande de citoyenneté ou au cours de cette période, ses absences du Canada après cette date n'auraient aucune incidence sur sa période de résidence. Aucune conclusion de ce type n'a été tirée en l'espèce.

[10]            Dans les circonstances, je conclus que la décision en question exige peu de retenue de la part de la Cour. Dans cette décision, on n'évalue pas les liens que l'intimé a lui-même avec le Canada et on ne détermine pas quand il a établi sa résidence au Canada. Cette décision ne satisfait pas à l'exigence de raisonnabilité eu égard à l'ensemble des circonstances.

[11]            Pour ces motifs, l'appel du ministre est accueilli. Je refuse d'ordonner que la demande de citoyenneté de l'intimé soit refusée, comme l'a demandé le ministre. Cette question sera renvoyée au bureau de la citoyenneté pour qu'un autre juge l'examine, si l'intimé demande le réexamen de sa demande de citoyenneté. L'intimé peut évidemment déposer une autre demande de citoyenneté.


                                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

[1]                 L'appel du ministre est accueilli.

[2]                 La décision du bureau de la citoyenneté datée du 10 juillet 2001, en ce qui concerne l'intimé, est annulée.

[3]                 La demande de citoyenneté canadienne de l'intimé sera renvoyée au bureau de la citoyenneté pour nouvel examen, si l'intimé présente une demande en ce sens.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1574-01                    

INTITULÉ :                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

YUN HO CHANG

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 6 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   LE JUGE W. ANDREW MacKAY

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 16 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Peter Bell                                                                           POUR L'APPELANT

Peter Cheung                                                                      POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                              POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

840, rue Howe, pièce 900

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6Z 2S9

Peter W.K. Cheung                                                           POUR L'INTIMÉ

Jang Cheung Lee Chu Law Corp.

Avocats                                                                

700 - 5951 No. 3 Road

Richmond (Colombie-Britannique)

V6X 2E3


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