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                                                                                                                                 Date : 20040430

                                                                                                                    Dossier : IMM-2630-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 649

Toronto (Ontario), le 30 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                         IYATHURAI PACKIAM

                                                       et KANDIAH IYATHURAI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Iyathurai Packiam (65 ans) et Kandiah Iyathurai (68 ans), un couple tamoul du nord du Sri Lanka, prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur race et de leur origine ethnique. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande.

[2]                Les cinq fils des demandeurs ont quitté le Sri Lanka entre 1993 et 1995 et se sont vu reconnaître le statut de réfugié au Canada, en Allemagne et en Norvège. Les demandeurs prétendent que les TLET leur extorquent de l'argent parce qu'ils estiment avoir droit à une compensation vu qu'ils ne peuvent recruter leurs fils et que ces derniers peuvent envoyer de l'argent.

[3]                Les demandeurs craignent que, s'ils sont renvoyés au Sri Lanka, ils soient victimes d'extorsion équivalant à de la persécution de la part des TLET. Ils prétendent également qu'ils ne peuvent vivre à Colombo parce qu'ils n'ont pas les laissez-passer nécessaires et qu'ils craignent les forces gouvernementales depuis que les autorités les ont persécutés en 1997 pour leur arracher des renseignements au sujet de l'endroit où leurs fils se trouvaient.

[4]                Le couple prétend que les TLET leur ont extorqué de l'argent à deux reprises. En 1995, tout juste avant la prise de Jaffna par le gouvernement, ils leur ont réclamé la somme de 300 000 roupies. Les demandeurs leur ont donné 100 000 roupies et ont promis de leur verser le reste, mais les TLET ne sont jamais venus le chercher. En 1999, les TLET leur ont demandé 500 000 roupies et leur ont donné trois mois pour obtenir cette somme de leurs fils. Lorsqu'ils sont revenus, la demanderesse leur a remis des bijoux valant 50 000 roupies. Les TLET ont promis de revenir. Lorsqu'ils l'ont fait, le couple n'avait toujours pas l'argent. Les TLET ont alors emmené le demandeur dans une autre maison, où celui-ci a été détenu et agressé. La demanderesse a emprunté 100 000 roupies et son mari a été libéré.


[5]                La SPR a considéré que le récit des demandeurs était crédible, mais elle a jugé que l'on ne pouvait pas parler de persécution car ils n'avaient été victimes d'extorsion que deux fois en quatre ans. Selon elle, leur crainte de persécution n'était pas fondée parce qu'ils n'avaient pas le profil des jeunes tamouls qui sont les plus susceptibles d'être arrêtés, détenus et maltraités par les forces de sécurité. De plus, le cessez-le-feu a été respecté en général au Sri Lanka et les pourparlers de paix se poursuivent. La SPR a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés ni des personnes à protéger.

[6]                Les demandeurs soulèvent cinq questions dans leur mémoire écrit. Les arguments qu'ils ont invoqués à l'audience étaient plus restrictifs. Le défendeur se fonde largement sur le fait que la SPR est un tribunal spécialisé et que ses conclusions de fait doivent faire l'objet d'une grande retenue. Il souligne en outre qu'il n'appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve. Je suis d'accord avec lui sur ces deux points.

[7]                J'ai examiné le dossier, en particulier les parties de la transcription indiquées par l'avocate du défendeur. Je n'ai pas l'intention de traiter de chacun des arguments invoqués par les demandeurs. Je me contenterai de parler des erreurs qui m'amènent à conclure que la demande devrait être accueillie.

[8]                Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur en concluant que l'extorsion n'équivalait pas à de la persécution. Selon la SPR, deux incidents d'extorsion en quatre ans ne constituaient pas de la persécution. Les demandeurs soutiennent que cette affirmation n'a pas été expliquée et que la décision ne peut avoir un fondement logique. L'extorsion ne peut être exclue des formes de persécution. En outre, les demandeurs prétendent que non seulement il y a eu plus d'un incident d'extorsion, mais le deuxième a été accompagné de violence et de privation de liberté. De plus, la SPR n'a pas déterminé si la détention et l'agression constituaient de la persécution parce que, selon elle, il s'agissait d'un seul incident. Selon les demandeurs par contre, il ne s'agissait pas d'un incident isolé car il faisait partie de l'extorsion. Les demandeurs soutiennent que les motifs donnés par la SPR relativement aux principales questions en litige n'étaient pas adéquats. Ils font valoir qu'elle s'est contentée d'exposer la preuve et d'énoncer une conclusion, sans expliquer son raisonnement et sans tenir compte des principaux facteurs pertinents.


[9]                Un examen de la décision de la SPR révèle que l'analyse qu'elle a faite est effectivement inadéquate, en particulier en raison de la violence qui a accompagné le deuxième incident. Comme elle croyait que les deux incidents s'étaient produits, elle devait, à mon avis, déterminer si les demandeurs continueraient probablement d'être victimes d'extorsion si l'État ne les protégeait pas efficacement. La SPR n'a pas tenu compte du fait qu'ils se sont soumis aux demandes des TLET et que les raisons pour lesquelles ces derniers s'en sont pris à eux n'ont pas changé - l'absence de leurs fils qui étaient supposés avoir la capacité de payer. De plus, elle a commis une erreur en ne tenant pas compte des incidences que pouvaient avoir, sur sa conclusion relative à la persécution, la violence et la détention qui avaient accompagné le deuxième incident.

[10]            Les demandeurs soutiennent également que la SPR aurait dû prendre en considération l'effet des coups, de la détention, des menaces et de l'extorsion sur eux parce qu'ils sont particulièrement vulnérables. La SPR doit considérer l'acte lui-même et son effet sur la victime. En l'espèce, à l'âge des demandeurs s'ajoutait le fait que tous leurs enfants avaient déjà quitté le Sri Lanka. Aussi, les demandeurs soutiennent qu'ils sont plus susceptibles de faire l'objet d'extorsion parce que leurs enfants sont perçus comme des personnes ayant les moyens de payer et qu'ils ne sont pas là pour les défendre.

[11]            La SPR disposait d'éléments de preuve concernant les prétendus auteurs de la persécution, lesquels démontraient notamment que les TLET avaient choisi d'exploiter les demandeurs parce qu'ils savaient que leurs fils étaient à l'étranger. La situation personnelle des demandeurs pouvait les rendre plus vulnérables, et la SPR n'a pas tenu compte de ce facteur lorsqu'elle a décidé que l'extorsion n'équivalait pas à de la persécution. Les actes et leurs effets peuvent (ou ne peuvent pas) être de la nature de la persécution, mais la SPR a omis de prendre ce facteur en considération.

[12]            On pourrait considérer que les erreurs indiquées ci-dessus n'ont aucune importance étant donné le changement des conditions survenu au Sri Lanka. Or, le problème, c'est que les demandeurs ne pourraient pas alors se prévaloir du paragraphe 108(4) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Si la SPR avait découvert des persécutions antérieures, elle aurait dû, vu sa conclusion sur le changement des conditions, appliquer le critère relatif aux raisons impérieuses relativement aux motifs justifiant la qualité de réfugié et au regroupement des motifs justifiant la protection.

[13]            Il appartient à la SPR, et non à la Cour, de décider si les demandeurs ont été persécutés. La SPR doit cependant motiver sa décision. Je conviens avec le défendeur que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux conclusions de la SPR. J'estime en outre cependant que, dans les circonstances de l'espèce, le défaut de la SPR de procéder à une analyse étayant sa conclusion est manifestement déraisonnable.

[14]            Les avocats n'ont proposé aucune question à des fins de certification. Je conviens que la présente affaire dépend de ses faits particuliers.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR aux fins d'une nouvelle décision. Aucune question n'est certifiée.

     « Carolyn Layden-Stevenson »     

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-2630-03

INTITULÉ :                                                            IYATHURAI PACKIAM et KANDIAH IYATHURAI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 28 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                           LE 30 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                   POUR LES DEMANDEURS

Rhonda Marquis                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                   POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                                               

                               COUR FÉDÉRALE

Date : 20040430

Dossier : IMM-2630-03

ENTRE :

IYATHURAI PACKIAM

et KANDIAH IYATHURAI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                      

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                      


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