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Date : 20040128

Dossier : IMM-1067-03

Référence : 2004 CF 131

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 28 JANVIER 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRANÇOIS LEMIEUX

ENTRE :

                                                             JAMES RUKUNDO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                James Rukundo (le demandeur), un Ougandais âgé de 21 ans, voudrait que soit annulée la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal), datée du 3 février 2003, qui lui a refusé le statut de réfugié.


[2]                Le demandeur disait que ses agents de persécution sont les autorités ougandaises, qui le recherchent en raison de ses activités dans la section jeunesse du Programme de la réforme, un parti politique opposé au gouvernement actuel, dans lequel ses parents étaient des activistes très en vue : son père, directeur de campagne, et sa mère, l'agente de campagne d'un candidat aux élections parlementaires qui devaient avoir lieu en juin 2001.

[3]                Le tribunal n'a pas cru la version du demandeur, laquelle peut être résumée ainsi :

(1)         en janvier 2001, son père a été détenu par des agents de sécurité du gouvernement;

(2)         lui et sa mère ont poursuivi leurs activités de campagne;

(3)         ils ont été arrêtés par les autorités, ainsi que d'autres, puis on leur a bandé les yeux, on les a bâillonnés, on les a emmenés à l'extérieur de la ville, on les a jetés au sol et on les a battus avec les crosses de fusils;

(4)         le commandant de l'unité a ordonné qu'on laisse le demandeur tranquille, mais la mère du demandeur a été emmenée et n'a pas été retrouvée depuis;

(5)         il s'est rendu à son domicile, qu'il a trouvé complètement saccagé, et il a demandé l'aide de la directrice de campagne de sa région, Anne Mugisha, chez qui il est demeuré durant quelque temps avant de se rendre chez sa tante, où il a appris que le cadavre de son père avait été trouvé;

(6)         sur les conseils d'Anne Mugisha, il a décidé de s'enfuir; lui et sa tante l'ont aidé à changer son identité, de Jimmy Rukundo à James Rukundo, et à obtenir un passeport ougandais sous ce nom;


(7)         il a quitté l'Ouganda le 15 juillet 2002, muni d'un VCV qui lui a permis d'assister aux Journées mondiales de la jeunesse, à Toronto. Il a revendiqué le statut de réfugié quatre jours plus tard à Ottawa.

[4]                Le tribunal a fondé sur trois éléments ses conclusions touchant la crédibilité du demandeur. D'abord, il n'a pas cru que le demandeur avait changé son nom, de Jimmy Rukundo à James Rukundo, pour pouvoir glisser entre les mains des autorités ougandaises à l'aéroport. Le tribunal est arrivé à cette conclusion après examen de la preuve documentaire personnelle produite par le demandeur.

[5]                Deuxièmement, Anne Mugisha, qui était elle aussi candidate aux élections de juin 2001, a déposé un affidavit qui a été produit comme preuve devant le tribunal. Cet affidavit désignait le demandeur sous le nom de James Rukundo. Le tribunal a estimé insuffisant cet affidavit parce qu'il omettait certains détails : il ne disait rien du décès du père du demandeur, rien de la disparition de la mère du demandeur et rien de l'enlèvement du demandeur. Le demandeur, qui a admis que l'affidavit Mugisha laissait à désirer, n'a pas tenté d'obtenir d'Anne Mugisha un affidavit plus détaillé parce qu'il croyait qu'elle était trop occupée.


[6]                Troisièmement, après examen de la preuve documentaire qui émanait de groupes de défense des droits de la personne, et prenant note de la visibilité du père et de la mère du demandeur, le tribunal a estimé invraisemblable qu'il n'y soit fait aucune mention du décès du père ni de la disparition de la mère, ce qui l'a amené à conclure qu'aucun de ces deux événements ne s'était produit.

[7]                Le tribunal a conclu à l'insuffisance d'une preuve crédible de nature à établir, d'après la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait une crainte fondée de persécution en Ouganda en raison de ses opinions politiques.

[8]                Le tribunal a invoqué un autre élément pour lui refuser le statut de réfugié. Il a souligné la lenteur du demandeur à revendiquer le statut de réfugié. L'avocate du défendeur a reconnu que le tribunal n'aurait pas dû se fonder sur cet élément pour refuser au demandeur le statut de réfugié.

[9]                Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que les conclusions en matière de crédibilité sont des conclusions de fait qui ne peuvent être annulées par la Cour que sur la base de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, une disposition dont la norme équivaut à celle de la décision manifestement déraisonnable.

[10]            S'agissant des inférences, il me suffit de me référer à l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1993] A.C.F. n ° 732, au paragraphe 4, où le juge Décary écrivait :


¶ 4       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans l'affaire Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. L'affaire Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[11]            Je crois utile également d'exposer l'approche à adopter dans le contrôle judiciaire de conclusions de fait, une approche résumée par la juge L'Heureux-Dubé dans l'affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 85 :

¶ 85       Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue: Ross c. Conseil scolaire du district n ° 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pages 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également : Conseil de l'éducation de Toronto, précité, au paragraphe 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la page 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier : National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la page 1370.

[12]            Le fond de la décision du tribunal réside dans le constat qu'il fait des lacunes du témoignage produit par le demandeur pour établir sa crainte fondée de persécution aux mains des autorités ougandaises et, en particulier, de la garde présidentielle.

[13]            J'ai examiné les conclusions du tribunal en les confrontant avec le dossier certifié du tribunal, qui renferme la transcription, les pièces d'identité personnelles du demandeur et les rapports sur le pays.


[14]            Cet examen me conduit à croire que la preuve dont disposait le tribunal l'autorisait tout à fait à douter de la crédibilité du demandeur et à tirer les conclusions qu'il a tirées.

[15]            Dans son argumentation lors de l'audience devant le tribunal, le demandeur avait affirmé que le nom Jimmy figurait sur son acte de naissance non admissible et, selon son avocat, le fait que sa tante avait soudoyé l'agent des passeports prouve que son nom véritable était Jimmy, mais, à mon avis, la preuve dont disposait le tribunal lui permettait de dire que le demandeur était connu sous le nom de James, que les noms Jimmy et James sont semblables (ce que le demandeur lui-même a reconnu, voir transcription certifiée, page 369) et que les agents de sécurité ougandais ne le recherchaient pas, une conclusion qui est autorisée par d'autres éléments de preuve, par exemple le nom James utilisé par le demandeur lorsqu'il s'est inscrit en mai 2002 à son externat (transcription certifiée, pages 369 et suivantes).

[16]            On ne saurait à mon avis blâmer le tribunal d'avoir dit que l'affidavit d'Anne Mugisha était avare de détails. Le demandeur lui-même a admis que le niveau de détail de l'affidavit était « faible » (transcription certifiée, page 325).


[17]            L'avocat du demandeur a cité certaines parties de cet affidavit et, en particulier, l'affirmation selon laquelle le demandeur avait été l'objet d' « attaques personnelles et de harcèlement » ainsi que de « menaces anonymes » . Le tribunal a estimé que l'affidavit ne confirmait pas le récit du demandeur. Le tribunal pouvait parfaitement tirer cette conclusion, malgré les tentatives de l'avocat du demandeur de me persuader du contraire. Il m'est impossible d'intervenir.

[18]            Les rapports sur les droits de la personne qui ont été déposés comme preuve permettent eux aussi de valider la conclusion du tribunal selon laquelle les rapports en question auraient fait état du décès du père du demandeur et de la disparition de sa mère.

                                        ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'a été proposé aucune question à certifier.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1067-03

INTITULÉ :               JAMES RUKUNDO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JANVIER 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 JANVIER 2003

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Catherine A. Lawrence                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

REZAUR RAHMAN                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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