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Date : 20030515

Dossier : IMM-5418-01

Référence neutre : 2003 CFPI 609

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

MBAKA DOH MBARDE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l'égard de la décision, datée du 3 octobre 2001 pour la décision rendue en cabinet et du 18 octobre 2001 pour les motifs donnés par écrit, par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de la Commission.

Contexte

[3]                 La demanderesse prétend être une citoyenne du Tchad et appartenir au groupe ethnique Ngambaye.

[4]                 Sa famille aurait été la cible des autorités parce qu'elle entretenait une relation avec Laoukayn Mbarde, son frère. La demanderesse prétend que son mari a été tué le 20 juillet 1996 par des soldats de la garde présidentielle en raison de cette relation et que sa fille, Ngoro Rando, a été sauvagement battue. Elle déclare avoir amené sa fille à l'hôpital, avoir pris les dispositions nécessaires pour l'enterrement de son mari et s'être enfuie cette nuit-là pour se cacher. Elle prétend s'être ensuite rendue dans un petit village en périphérie de sa ville natale et y être restée.

[5]                 La demanderesse déclare avoir ultérieurement eu vent que sa fille, Ngoro Rando, était allée au Canada. Elle prétend que des dispositions ont alors été prises pour que ses deux autres filles, Remadji et Adeline, rejoignent Ngoro au Canada. Son fils, Meyene, a refusé de quitter le Tchad et on ignore où il se trouve. La demanderesse déclare être restée au pays par manque d'argent. Elle a donc attendu jusqu'à ce que puissent être prises des dispositions pour son propre départ.


[6]                 Ngoro Rando a déposé sa revendication en novembre 1996. Dans son récit, Ngoro déclare que les problèmes qu'elle a éprouvés étaient liés à sa relation avec son père et Laoukayn Mbarde, son oncle. Elle déclare appartenir au groupe ethnique Ngambaye. Son oncle dirigeait un groupe fédéraliste dissident qui s'opposait au gouvernement de Déby. Elle prétend que, le 7 juillet 1996, des soldats de la garde présidentielle ont fait une perquisition, car ils soupçonnaient son père de fournir des armes à son oncle. Les soldats sont revenus la semaine suivante et ont porté des accusations. Le 20 juillet 1996, des soldats sont à nouveau revenus, ont tué son père et l'ont battue. Selon son récit, elle a quitté l'hôpital environ six jours plus tard et a appris d'un voisin que sa famille était partie. Elle s'est alors rendue au Cameroun, puis au Canada, où on lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[7]                 Le 31 décembre 1998, les formulaires de renseignements personnels (les FRP) de Remadji et d'Adeline ont été déposés à la Commission. Leur audience conjointe a eu lieu le 10 août 1999. Ngoro était leur représentante désignée et son récit a servi en preuve pour leurs revendications. La Commission a reconnu le statut de réfugié de Remadji et d'Adeline. Les motifs de la décision sont en date du 15 septembre 1999.

[8]                 Le 24 septembre 2000, la demanderesse est arrivée à la frontière canadienne munie d'un certificat de naissance. Elle a revendiqué le statut de réfugié, déclarant craindre pour sa vie si elle devait être forcée de retourner au Tchad.


[9]                 Le 3 octobre 2001, la Commission a tenu une audience. Elle a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention et a rendu sa décision le même jour. Le 18 octobre 2001, la Commission a remis ses motifs écrits.

Motifs de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

[10]            On a soulevé au début de l'audience des questions concernant la crédibilité, l'identité, la crainte fondée de persécution, le changement de circonstances et les raisons impérieuses. Ngoro était la représentante désignée de la demanderesse.

[11]            Il s'agissait d'une nouvelle audience puisque, au cours de l'audience antérieure, la demanderesse s'est plainte de ne pas très bien comprendre l'interprète arabo-tchadien. Comme la Commission n'a pas réussi à trouver un interprète s'exprimant dans la langue parlée par l'ethnie de la demanderesse, le ngambaye, Ngoro a, lors de la nouvelle audience, traduit du ngambaye à l'arabo-tchadien et inversement. Un interprète assurait ensuite la traduction entre l'arabo-tchadien et l'anglais. La Commission a tenu compte des difficultés d'interprétation lorsqu'elle a statué qu'elle ne disposait pas de preuve crédible ou digne de foi lui permettant de conclure que la demanderesse était la personne qu'elle prétendait être ou qu'elle craignait avec raison d'être persécutée.

[12]            La Commission a estimé ne pas disposer d'une preuve crédible ou digne de foi lui permettant de conclure que la demanderesse était la personne qu'elle prétendait être, à savoir la mère de Ngoro, de Remadji et d'Adeline et la soeur de Laoukayn. Même si la Commission avait reconnu l'identité de la demanderesse, elle n'aurait pas conclu que cette dernière craignait avec raison d'être persécutée au Tchad pour un motif prévu à la Convention, ni au moment où elle aurait quitté le Tchad, en septembre 1998, ni actuellement. Elle n'a pas non plus estimé que des raisons impérieuses étaient applicables.

[13]            La Commission n'a pas accepté comme raisonnable ou crédible que les trois filles aient pu commenttre une erreur lorsqu'elles ont indiqué que leur mère était née en 1953 au lieu de 1939. De même, les filles ont déclaré dans leurs FRP, rédigés en 1996 et en 1998, que leur mère se trouvait à Sarh, au Tchad, alors que dans son FRP, la demanderesse a indiqué qu'elle a vécu au Tchad jusqu'en septembre 2000. Elle a cependant témoigné avoir vécu à Bebedga jusqu'en 1998, s'être ensuite rendue à Boigoro puis au Cameroun, où elle a habité pendant deux ans. L'explication donnée était que le FRP original contenait une erreur. La demanderesse a plus tard témoigné qu'elle n'avait pas vécu à Bebedga jusqu'en 1998, mais qu'elle était partie peu après le décès de son mari. La Commission a conclu qu'elle ne disposait pas de preuve crédible ou digne de foi au sujet de l'identité de la demanderesse et du moment où elle a quitté le Tchad.


[14]            La Commission a aussi examiné le certificat de naissance de la demanderesse qui indique qu'elle est née en 1939. Le document a été délivré en 1972. Selon la Commission, il ressort du propre témoignage de la demanderesse qu'elle devait être mariée à cette époque et qu'elle a obtenu le certificat de naissance parce que son mari avait pris sa retraite. Ngoro a cependant écrit dans son FRP que son père a pris sa retraite en 1991. La demanderesse a ensuite déclaré qu'elle avait obtenu le certificat de naissance quand elle a déménagé à Boigoro, soit en 1996 ou en 1998. La Commission a conclu que ce document n'était pas digne de foi en ce qui concerne l'identité de la demanderesse.

[15]            À l'audience, lorsqu'on a demandé à la demanderesse de donner le nom de ses frères, puisqu'elle n'en avait mentionné aucun dans son FRP, elle n'a pas nommé un frère portant le nom de Laoukayn Mbarde. Lorsqu'on porté à son attention cette omission, elle a dit que le véritable nom de son frère Pierre est Laoukayn. Quand on lui a montré la preuve documentaire qui indiquait que Laoukayn a un frère nommé Guinambaye, elle a déclaré que ce dernier n'était pas son frère, mais un cousin. La Commission a préféré la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse.

[16]            La Commission a aussi estimé qu'il existait une contradiction quant au moment où Remadji et Adeline ont quitté Bebedga. Selon le témoignage donné à l'audience, cela se serait passé en 1996, mais les FRP des filles mentionnent 1998.


[17]            La Commission a conclu que la demanderesse ne craignait pas avec raison d'être persécutée pour l'un des motifs énoncés dans la Convention au moment où elle a quitté le Tchad. Son FRP a été modifié de manière à indiquer qu'elle a quitté le Tchad en septembre 1998. En mai 1998, un accord de paix a été signé avec la FARF, aussi connue sous le nom des Forces armées pour la République fédérale, groupe dont, au dire de la Commission, le frère présumé de la demanderesse était le chef dirigeant. La FARF a également été légalement reconnue comme parti politique. La Commission a conclu que la demanderesse ne risquait pas sérieusement d'être persécutée en raison de sa relation avec son frère. Même si la demanderesse craignait effectivement avec raison d'être persécutée pour un motif énoncé dans la Convention, la Commission a estimé qu'il n'existait pas de raisons impérieuses tenant d'une quelconque persécution antérieure susceptible de justifier le refus de la demanderesse de se prévaloir de la protection du Tchad.

[18]            La présente décision constitue le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

Les prétentions de la demanderesse

[19]            La demanderesse fait valoir que deux tribunaux ont reconnu que ses enfants sont des réfugiés au sens de la Convention sur le fondement des mêmes faits décrits dans son récit. Comme la Commission a accepté Ngoro en tant que sa représentante désignée, elle prétend que la Commission a dû accepter le lien de filiation.

[20]            En ce qui concerne son âge, la demanderesse soutient que les tribunaux qui se spécialisent dans les affaires africaines savent bien que les dates de naissance des Africains âgés ne sont pas d'une exactitude scientifique puisqu'on ne tenait pas de registre des naissances quand elle était jeune et qu'on n'attache pas, dans sa culture, une grande importance à l'âge. Il est préoccupant pour la demanderesse que la Commission ne lui ait pas dit à l'audience qu'elle avait des doutes au sujet du lien de filiation entre elle et ses enfants. La demanderesse fait valoir que la Commission avait l'obligation de lui faire part de ces doutes de façon explicite et de lui dire qu'elle ne croyait pas que la demanderesse était la mère de la représentante désignée et de ses soeurs. Si la Commission l'avait fait, la demanderesse aurait pu témoigner à ce sujet et faire témoigner ses autres enfants. En dernier ressort, on aurait même pu effectuer des analyses sanguines pour établir le lien de filiation.

[21]            La demanderesse est aussi préoccupée par l'impossibilité où elle était d'échanger de façon appropriée avec la Commission puisqu'elle aurait eu besoin d'un interprète ngambaye capable de traduire directement vers l'anglais ou le français. Au lieu de cela, la Commission a permis à Ngoro d'interpréter du ngambaye à l'arabo-tchadien, langue qui était ensuite traduite en anglais. La demanderesse soutient que cette forme d'interprétation est très inusitée puisqu'elle ne permet pas à la Commission de vérifier l'interprétation. La demanderesse craint que cette façon de faire ait embrouillé la Commission.

[22]            La demanderesse prétend qu'en ne tenant pas compte de sa propre décision de permettre à Ngoro d'être la représentante désignée, la Commission n'a pas pris en considération et a mal interprété des éléments de preuve convaincants dont elle disposait.

[23]            La demanderesse soutient que la Commission n'a jamais contredit les principales déclarations de sa revendication ni indiqué que les faits ou événements qui ont poussé sa famille à entrer au Canada étaient erronés.

[24]            La demanderesse soutient que du fait qu'elle ne lui a pas fait savoir que le lien de filiation l'unissant à Ngoro était faux, l'empêchant ainsi de présenter des éléments de preuve additionnels pour dissiper les doutes du tribunal, la Commission n'a pas examiné tous les éléments de preuve dont elle était saisie et qu'il y a eu un manquement à la justice naturelle et à l'équité procédurale.

Les prétentions du défendeur


[25]            Le défendeur prétend qu'il n'y a pas eu violation des droits que la demanderesse possède en vertu de la justice naturelle. Il soutient que la demanderesse ne peut pas faire valoir maintenant qu'elle avait de la difficulté à communiquer avec la Commission puisqu'elle n'a pas, à l'audience, soulevé d'objection en ce qui concerne la qualité de l'interprétation. Il ajoute que la demanderesse n'a pas prouvé qu'elle n'a pas été en mesure de participer à son audience par l'intermédiaire de sa représentante désignée ou que les dispositions prises pour l'interprétation n'étaient pas adéquates.

[26]            Le défendeur fait valoir que ce n'est pas parce que la demanderesse n'a pas su produire une preuve crédible pour établir son identité en tant que citoyenne du Tchad qui craint avec raison d'être persécutée qu'il y a eu déni de justice naturelle en l'espèce.

[27]            Il prétend que la norme de contrôle à l'égard de cette décision particulière consiste à savoir si la Commission a agi de façon manifestement déraisonnable.


[28]            Selon le défendeur, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'était pas crédible. Il prétend que l'analyse de la Commission n'est pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour. Il soutient que la Commission était en droit de conclure, sur le fondement des incohérences dans la preuve, que la demanderesse n'avait pas présenté une preuve crédible à l'appui de son identité ou de la date à laquelle elle a quitté le Tchad. Le défendeur fait valoir que la Commission était justifiée de conclure que l'omission du nom du frère de la demanderesse dans le FRP de celle-ci était importante et qu'aucune explication adéquate n'avait été fournie. Il prétend aussi que la Commission avait le droit de préférer la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse en ce qui concerne la question des frères de Laoukayn puisqu'elle a clairement exposé ses motifs et que sa conclusion était raisonnable dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Le défendeur soutient qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de la Commission concernant la crédibilité globale du témoignage.

[29]            Le défendeur prétend qu'il n'est pas nécessaire que les représentants désignés soient de la même famille que les revendicateurs dans une audience portant sur le statut de réfugié et que la Commission avait le droit de conclure que la représentante désignée était la fille de la demanderesse, sans pour autant reconnaître l'identité de la demanderesse en tant que personne craignant avec raison d'être persécutée. Il ajoute que la désignation de Ngoro en qualité de représentante désignée n'est pas incompatible avec la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'avait pas établi son identité en tant que citoyenne du Tchad craignant avec raison d'être persécutée pour un des motifs énoncés dans la Convention.

[30]            Le défendeur soutient que la Commission n'était pas liée par les conclusions au sujet de la crédibilité tirées par le tribunal qui a statué que les filles de la demanderesse étaient des réfugiées au sens de la Convention. Il prétend qu'il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir son identité en tant que citoyenne du Tchad et soeur de Laoukayn Mbarde. Il fait valoir que la Commission n'a pas mal interprété ou mal compris la preuve dont elle était saisie ni omis d'en tenir compte, mais qu'elle a tiré des conclusions de fait qu'elle était en droit de tirer vu l'ensemble de la preuve.

[31]            Le défendeur soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur en ne faisant pas part à la demanderesse de ses doutes au sujet de la crédibilité. En fait, il prétend que la Commission a au contraire soulevé des contradictions et des incohérences devant la demanderesse, et que les explications incohérentes de cette dernière lui ont confirmé ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. Même si la conclusion de la Commission quant à la date de naissance de la demanderesse n'est pas utile pour statuer sur la revendication, le défendeur fait valoir que cette conclusion n'a pas été déterminante pour la décision étant donné que de nombreuses raisons poussaient la Commission à conclure que la demanderesse n'était pas crédible.

[32]            Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas démontré que la Commission n'était pas en droit de conclure qu'elle n'avait pas établi son identité en tant que membre d'un groupe social particulier, et que la Cour ne devrait pas intervenir pour cette raison. Il soutient subsidiairement que, même si elle avait reconnu l'identité de la demanderesse, la Commission était en droit de conclure que cette dernière ne craignait pas avec raison d'être persécutée. Il fait valoir qu'il était loisible à la Commission de conclure qu'il n'y avait pas de raisons impérieuses en cause puisque la demanderesse n'a pas établi que les circonstances avaient changé depuis son départ du Tchad.


[33]            Enfin, même si on concluait qu'il y avait eu violation de la justice naturelle ou que la Commission avait tiré des conclusions erronées en ce qui concerne l'identité ou la crédibilité de la demanderesse, une telle violation ne serait pas, selon le défendeur, importante puisqu'il est manifestement prouvé que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention étant donné la situation du pays. Ainsi, le défendeur soutient qu'il ne servirait à rien de renvoyer l'affaire pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

Questions

[34]            1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que la demanderesse n'était pas crédible, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments dont elle était saisie?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas part à la demanderesse de ses doutes au sujet de la crédibilité?

3.          La demanderesse a-t-elle été privée d'une audition équitable à cause d'une interprétation inadéquate?

Les dispositions pertinentes de la loi

[35]            La disposition pertinente de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, est rédigée comme suit :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

[36]            Le paragraphe pertinent des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, est libellé comme suit :

17. (1) La section du statut fournit les services d'un interprète à la partie ou au témoin qui l'avise par écrit, au moins 15 jours avant la date fixée pour la conférence ou l'audience, selon le cas, qu'il est incapable de comprendre ou de parler la langue dans laquelle se déroulera la conférence ou l'audience ou qu'il a une déficience auditive.

17. (1) The Refugee Division shall provide an interpreter to assist a party or witness where the party or witness advises the Refugee Division in writing at least 15 days before the date set for a conference or hearing, as the case may be, that the party or witness does not understand or speak the language in which the conference or hearing is to be conducted, or is hearing impaired.


Analyse et décision

[37]            Question 1

La Commission a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, à savoir que la demanderesse n'était pas crédibible, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments dont elle était saisie?

Crédibilité

La Cour d'appel a donné un aperçu du courant jurisprudentiel dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL) (C.A.), au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de juger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

Se fondant sur les éléments de preuve dont elle était saisie, la Commission a déclaré, à la page 3 de ses motifs :

[...] [L]e tribunal conclut qu'il ne dispose d'aucune preuve crédible ou digne de foi pour lui permettre de conclure que la revendicatrice est celle qu'elle affirme être, qu'elle a raison de craindre d'être persécutée au Tchad, ni qu'elle avait raison de craindre d'être persécutée pour l'un des motifs énoncés dans la Convention à l'époque où elle a quitté le Tchad ni que des raisons impérieuses sont applicables.

La Commission a ensuite tiré des conclusions précises au sujet de la crédibilité.

[38]            Représentante désignée

La demanderesse fait valoir que la Commission aurait dû reconnaître le lien de filiation parce qu'elle a accepté Ngoro en tant que représentante désignée.


[39]            Le paragraphe 69.(4) de la Loi sur l'immigration, précitée, est rédigé comme suit :

69.(4) La section du statut commet d'office un représentant dans le cas où l'intéressé n'a pas dix-huit ans ou n'est pas, selon elle, en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause.

69.(4) Where a person who is the subject of proceedings before the Refugee Division is under eighteen years of age or is unable, in the opinion of the Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate another person to represent that person in the proceedings.     

[40]            Comme l'a noté le défendeur, cette disposition n'exige pas que le représentant désigné dans une audience sur le statut de réfugié soit lié au revendicateur. Ainsi, j'estime que le fait que la Commission ait accepté que Ngoro soit la représentante désignée ne signifie pas qu'elle avait reconnu le lien de filiation.

[41]            Date de naissance

Les FRP des trois filles indiquent que leur mère, Mbaka Mbarde, est née en 1953. La demanderesse a déclaré dans son FRP que sa date de naissance est le 1er janvier 1939. Elle détient aussi un certificat de naissance indiquant qu'elle est née en 1939. La Commission a cependant conclu que ce document n'était pas digne de foi. Il appert que le certificat de naissance a été délivré en 1972 (voir le dossier du tribunal aux pages 54 et 55). Or, la Commission a remarqué que le certificat de mariage au verso n'est pas rempli, malgré le fait que la demanderesse a elle-même témoigné qu'elle était probablement mariée à cette époque. La conclusion de la Commission est une des conclusions qu'elle était en droit de tirer.


[42]            Lieu de résidence de la demanderesse

Ngoro a déclaré dans son FRP que sa mère se trouvait à Sarh, au Tchad, au moment où elle a signé ce document en 1996. Les FRP de Remadji et d'Adeline ont été rédigés en 1998 et indiquaient initialement que leur mère vivait à Sarh, au Tchad. La demanderesse a d'abord déclaré, dans son FRP, qu'elle a habité au Tchad jusqu'en septembre 2000. Au début de l'audience, la demanderesse a témoigné qu'elle a vécu à Bebedga jusqu'en 1998, a ensuite déménagé à Boigoro puis au Cameroun la même année (voir la transcription aux pages 8 à 10). Plus tard au cours de l'audience, la demanderesse a déclaré qu'elles ont déménagé à Boigoro après l'assassinat de son mari (voir la transcription à la page 32).

[43]            L'extrait suivant est tiré de la page 36 de la transcription de l'audience :

[TRADUCTION]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : [...] Je veux poser une question à Ngoro. Pourquoi avez-vous indiqué dans votre FRP et dans celui de vos soeurs, dont vous êtes la représentante désignée, que votre mère est née en 1953?

Mme RANDO :                                           Il s'agit d'une erreur [...]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: [...] Pourquoi lors de votre audience en 96 avez-vous témoigné que votre mère vivait à Sarh, S A R H, au Tchad?

Mme RANDO :                                           Parce que je ne savais pas à ce moment-là où se trouvaient mes parents.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE: Alors, pourquoi avez-vous parlé de Sarh?

Mme RANDO:                                            Je ne sais pas.

[44]            Dans l'arrêt Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (QL), au paragraphe 1, la Cour d'appel fédérale a fait observer que « [l]es contradictions, [l]es incohérences et [l]es subterfuges [...] constituent l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » . Je suis d'avis qu'il était raisonnable que la Commission conclue, sur le fondement des contradictions et des incohérences internes dans le témoignage susmentionné, que la demanderesse n'a pas fourni une preuve crédible ou digne de foi.

[45]            Nom des frères

Dans son FRP original, la demanderesse n'a donné le nom d'aucun frère. Lorsqu'on lui a demandé, à l'audience, de nommer tout frère qu'elle pourrait avoir, elle a répondu qu'elle avait trois frères nommés Elfonce, Jacques et Pierre. La demanderesse a alors dit que Pierre est le véritable nom de Laoukayn (transcription aux pages 39 et 40). Selon la Commission, lorsqu'on lui a montré la preuve documentaire suivant laquelle Laoukayn avait un frère nommé Guinambaye, la demanderesse a déclaré qu'il s'agissait d'un cousin (transcription à la page 41). La Commission a indiqué qu'elle préférait la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse.


[46]            L'omission d'un fait important dans le FRP d'un revendicateur peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir par exemple Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 249, [2002] A.C.F. no 332 (QL) (C.F. 1re inst.); Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (QL) (C.F. 1re inst.)). Je suis par conséquent d'avis qu'il était raisonnable que la Commission se serve de l'omission de la mention du frère de la demanderesse dans le FRP de cette dernière pour fonder sa conclusion selon laquelle la demanderesse n'est pas crédible.

[47]            La Commission a aussi le droit de préférer la preuve documentaire, qui indique que Guinambaye est le frère de Laoukayn, au témoignage de la demanderesse, selon lequel Guinambaye est le cousin de Laoukayn, du moment qu'elle explique ses motifs en termes clairs et non équivoques (voir par exemple Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 411 (QL) (C.A.)). La Commission a déclaré que la preuve documentaire provenait de « sources fiables et objectives » . De plus, lorsque cette non-concordance a été portée à son attention, la demanderesse a déclaré que [TRADUCTION] « dans [son] village, un cousin est un frère » et qu'il n'y a pas de contradiction (transcription à la page 42). Je suis d'avis que, pour ces motifs, la Commission avait le droit de préférer la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse à l'égard de cette question.

[48]            Crainte fondée de persécution

Le FRP de la demanderesse a été modifié de manière à indiquer qu'elle a quitté le Tchad en 1998. La Commission note que les FRP des filles Ramadji et Adeline indiquent qu'elles ont quitté le Tchad en août 1998. Elle note également qu'un accord de paix a été signé en mai 1998 avec la FARF, le groupe dont Laoukayn était le chef dirigeant. Se reportant à la preuve documentaire contenue à la page 40 du dossier du tribunal, la Commission a écrit :

[...] [L]a FARF a également été reconnue légalement en tant que parti politique. Aucune activité attribuable aux guérilleros n'a été signalée dans les régions occupées par la FARF. Un certain nombre d'opposants se sont ralliés au gouvernement et ce dernier a libéré des prisonniers membres de la FARF.


[49]            La Commission a conclu qu'il n'existait pas de raisons impérieuses applicables puisque la demanderesse ne craignait pas avec raison, lorsqu'elle a quitté le Tchad, d'être persécutée pour l'un des motifs énoncés dans la Convention. Même si cela avait été le cas, la Commission a conclu « qu'il n'existe aucune raison impérieuse tenant d'une quelconque persécution antérieure [de la demanderesse] qui justifie le refus de la revendicatrice de se prévaloir de la protection du Tchad » .

[50]            Me fondant sur la preuve documentaire, je suis d'avis que cette conclusion de la Commission était raisonnable.

[51]            Je conclus relativement à la question 1 que la Commission n'a pas commis les erreurs alléguées par la demanderesse et qu'elle était en droit de tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue.

[52]            Question 2

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne faisant pas part à la demanderesse de ses doutes au sujet de la crédibilité?

J'ai examiné la transcription de l'audience et je suis convaincu que la Commission a, au contraire, fait part à la demanderesse de ses doutes. Voir, à titre d'exemple, la transcription aux pages 20 à 22, 36, 40 et 42 à 44.

[53]            Question 3

La demanderesse a-t-elle été privée d'une audition équitable à cause d'une interprétation inadéquate?

Il est incontestable que la demanderesse a droit à un interprète compétent pour témoigner. Cette question n'est pas en litige en l'espèce. La Commission a déclaré, aux pages 2 et 3 de sa décision :

[...] [U]ne audience précédente avait été fixée et tenue en février et en juin 2001. À un certain moment au cours de cette audience, la revendicatrice s'était plainte qu'elle ne comprenait pas très bien l'interprète arabo-tchadien. La Commission a donc convenu de tenir une audience de novo et de tenter de trouver un interprète de sa langue ethnique, le ngambaye. Malgré ses efforts, la Commission n'a pas été en mesure de trouver un interprète. Le conseil a donc proposé que la fille de la revendicatrice, Ngoro, soit l'interprète de sa mère. Le tribunal a accepté cette proposition. Ngoro a donc été désignée représentante de la revendicatrice au début de l'audience.

L'audience s'est déroulée en arabo-tchadien. L'interprère interprétait dans cette langue, que la revendicatrice comprenait quelque peu, l'équivalent de ce qui avait été dit à Ngoro. Celle-ci, à son tour, traduisait en ngambaye à l'intention de la revendicatrice. Les réponses que cette dernière fournissaient étaient traduites par sa fille en arabo-tchadien, puis en anglais par l'interprète à l'intention du tribunal.

[54]            J'ai examiné la transcription de l'audience et je n'ai relevé aucun passage présentant des problèmes apparents de traduction. Je ne puis conclure que la demanderesse a été privée d'une audience équitable sur la base des faits de l'espèce. La Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle à cet égard.

[55]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[56]            Aucune partie n'a souhaité me demander d'examiner la certification d'une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[57]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-5418-01

INTITULÉ :                           MBAKA DOH MBARDE

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le mercredi 20 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          le jeudi 15 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Dariusz Wroblewski

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurence Cohen

50, rue Richmond Est, bureau 101

Toronto (Ontario)

M5C 1N7

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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