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Date : 20030806

Dossier : IMM-5370-02

Référence : 2003 CF 957

ENTRE :

                                   RAHMATULLA RUDI, MALIKA RUDI, ROMA RUDI,

                          EZATTULLA RUDI, KARISHMA RUDI, NASRATTULA RUDI,

                       BASHARATTULLA RUDI, NAFISA RUDI, HEDAYETTULLA RUDI

                                                                 et ROKHSAR RUDI

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                                                                                                       

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 Rahmatulla Rudi (le demandeur principal), son épouse et huit de leurs neuf enfants ont fait une demande de résidence permanente au Canada en tant que réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Le 8 avril 2002, leur demande a été refusée et ils sollicitent un contrôle judiciaire de cette décision. J'ai décidé que la demande devrait être accueillie.

[2]                 À mon avis, il y a, dans la décision, des erreurs importantes qui nécessitent que l'affaire soit renvoyée pour un nouvel examen. Brièvement exposé, le contexte factuel de la demande est que les demandeurs sont des citoyens de l'Afghanistan dont la revendication du statut de réfugié est liée à la fille aînée, demanderesse mineure (la fille). Ils ont fui l'Afghanistan parce que le cousin âgé de cinquante ans du demandeur principal, a exigé que la fille lui soit donnée en mariage. Les membres de la famille ont traversé la frontière pour entrer au Pakistan où ils se sont cachés, par crainte du cousin. Environ 40 jours plus tard, ils ont déménagé au Sri Lanka avec l'aide d'un agent. Un cousin au Canada a obtenu l'aide de la Calgary Vietnamese Victory Church qui a accepté de parrainer les demandeurs. La demande de résidence permanente a été présentée au Haut-commissariat du Canada au Sri Lanka le 29 janvier 2002. Le 4 avril 2002, le demandeur principal a été reçu en entrevue par un agent des visas. Les services de deux interprètes ont été utilisés pour la traduction. Le demandeur principal parle farsi et pashtou. Un interprète a traduit du farsi au tamoul et l'autre du tamoul à l'anglais. La lettre de refus du 8 avril montre que l'agent des visas a également apprécié le demandeur principal, en tant que demandeur indépendant, dans l'emploi envisagé de mécanicien (CNP 7321.0) et que celui-ci n'a pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pouvant lui permettre de réunir les conditions voulues pour l'immigration. En ce qui a trait à la demande de résidence permanente en tant que réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, l'agent des visas affirme :

[TRADUCTION][...] _ Réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller _ est défini au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 et signifie un réfugié au sens de la Convention (suivant la définition donnée dans la Loi sur l'immigration) qui se trouve hors du Canada et qui cherche à être admis au Canada pour s'y réinstaller et à l'égard duquel aucune solution durable n'est réalisable dans un laps de temps raisonnable.


Après avoir examiné attentivement et avec bienveillance tous les facteurs relatifs à votre demande, j'ai décidé que vous ne répondez pas à cette définition parce que vous n'avez pas démontré que vous craignez avec raison d'être persécuté du fait de l'un ou l'autre des cinq motifs précisés dans la définition de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Il appert que vos difficultés en Afghanistan résultent d'un problème familial interne. Vous n'avez pas réussi à bien expliquer pourquoi le refuge interne n'était pas une solution dans votre situation. Votre allégation que les membres de votre famille seraient en mesure de vous retracer en Afghanistan ou au Pakistan ne m'a pas paru vraisemblable.                                      

[3]         Les demandeurs avancent quatre moyens de contrôle :

(1)         l'interprétation inadéquate à l'entrevue;

(2)         l'omission de conclure que la crainte alléguée était fondée sur l'un des cinq motifs;

(3)         la mauvaise conclusion quant à la PRI parce qu'on n'a pas identifié l'endroit précis ni mentionné le caractère raisonnable dans les circonstances;

(4)         l'omission de fournir une répartition des points d'appréciation dans la lettre de refus.


[4]         Il y a d'importantes différences entre le processus de prise de décision relativement aux personnes qui présentent une demande de statut de réfugié à l'intérieur du Canada et aux personnes qui présentent leur demande pour venir au Canada en tant que réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Aux fins de la présente affaire, ces distinctions ne sont pas importantes. Un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller doit répondre à la définition de _ réfugié au sens de la Convention _. En l'espèce, l'agent des visas a décidé que la crainte des demandeurs n'était fondée sur aucun des cinq motifs prévus dans la définition. Cette conclusion contredit la décision Vidhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 60 (1re inst.), dans laquelle le juge McKeown a conclu que les femmes qui sont forcées de contracter des mariages arrangés constituent un groupe social particulier au sens de la définition. Dans Vidhani, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie au motif que la Commission n'a ni posé la bonne question ni mené la bonne analyse de la persécution que la demanderesse subirait pour refus de contracter un mariage. En l'espèce, l'agent des visas n'a pas tenu compte du fait que la fille pouvait appartenir à un groupe social particulier, précisément, celui des femmes forcées de contracter des mariages en Afghanistan. Et cela a eu comme résultat qu'il n'a pas analysé les allégations de persécution fondée sur l'appartenance à ce groupe social. En bref, l'omission de reconnaître que les femmes forcées de contracter des mariages constituent un groupe social, au sens de la définition, a compromis tout ce qui a suivi.

[5]         Quant à la conclusion sur la PRI, l'identification d'une PRI est généralement insuffisante. Il faut identifier un endroit précis susceptible de constituer un lieu sûr, réaliste et accessible : Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 125 F.T.R. 141 (1re inst.); Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 390 (1re inst.); Arunasalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 C.F. 885, [2003] A.C.F. no 1132. En l'espèce, rien dans l'affidavit de l'agent des visas, ni dans le STIDI, ne montre qu'une région géographique précise a été identifiée.


[6]         Après examen des documents antérieurs à l'audition de la demande, j'ai soulevé les questions précédentes au début de l'audience. L'avocat du défendeur a volontiers admis que rien dans le dossier ne montrait qu'un endroit précis avait été identifié comme PRI. En ce qui concerne la définition de _ réfugié au sens de la Convention _, l'avocat a effectivement mis en doute l'existence d'un fondement probatoire à l'appui de l'argumentation du demandeur, vu l'absence de mention, dans les affidavits à l'appui, de l'appartenance de la fille à un groupe social. Après avoir été renvoyé à l'affidavit de l'agent des visas, aux passages des notes du STIDI et à la demande présentée par les demandeurs (dossier du Tribunal, aux pages 46 à 58, plus précisément aux pages 55 et 56), l'avocat a admis qu'il existait suffisamment d'éléments de preuve pour établir que la demande était fondée sur le fait que la fille était forcée de contracter un mariage sans son consentement ou le consentement de ses parents. L'avocat du défendeur a affirmé que, en tant que fonctionnaire judiciaire et dans l'intérêt de la justice, l'affaire devrait vraisemblablement être renvoyée pour un nouvel examen.

[7]         Je voudrais préciser que mes motifs ne devront pas être interprétés comme constituant une opinion sur le fond de la demande. C'est le fait que l'agent des visas n'ait pas reconnu que les femmes forcées de contracter des mariages constituent un groupe social et le fait qu'il n'ait pas identifié une PRI en particulier, qui constituent des erreurs importantes au point que l'affaire devrait être renvoyée pour un nouvel examen.

[8]         Quant aux prétentions des demandeurs relativement à la question de l'interprétation et du refus de reconnaître le demandeur principal comme demandeur indépendant, ces prétentions sont sans fondement et j'accepte les arguments du défendeur relativement à chacune de ces prétentions.


[9]         En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée pour un nouvel examen. Une ordonnance sera rendue en ce sens. Les avocats n'ont posé aucune question pour certification. Aucune question n'est certifiée.

_ Carolyn Layden-Stevenson _

Juge

Calgary (Alberta)

Le 6 août 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-5370-02

INTITULÉ :                                                        RAHMATULLA RUDI, MALIKA RUDI, ROMA RUDI, EZATTULLA RUDI, KARISHMA RUDI, NASRATTULLA RUDI,

BASHARATTULLA RUDI,

NAFISA RUDI, HEDAYETTULLA RUDI et ROKHSAR RUDI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 6 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              la juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                                 le 6 août 2003

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                                  pour les demandeurs

Brad Hardstaff                                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office

Calgary (Alberta)                                                  pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  pour le défendeur



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