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Date : 20041029

Dossier : IMM-8637-03

Référence : 2004 CF 1523

ENTRE :

                                                       BHUPINDER SINGH

                                                                                                                               demandeur

et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté, en date du 7 octobre 2003, la demande présentée par Bhupinder Singh, le demandeur. La SPR a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur est citoyen de l'Inde. Il est entré au Canada le 25 septembre 2002 et il a présenté une demande d'asile. Il est célibataire, ses parents sont décédés en 1998 et il a une soeur qui vit en Inde et un frère qui a obtenu le statut de réfugié aux États-Unis en octobre 2001.

[3]                En 1987, des terroristes se sont rendus à la maison familiale à Hoshiarpur. Les membres de la famille du demandeur et lui ont été forcés sous la menace d'une arme de donner de la nourriture aux terroristes et d'accepter qu'ils passent la nuit chez eux. Les terroristes sont revenus à la maison du demandeur et de sa famille à trois reprises au cours de cette année. Finalement, les policiers se sont rendus chez le demandeur et ils ont arrêté son frère et son père. Le demandeur était absent. Il était à la ferme familiale. Après avoir entendu parler de l'incident, il a quitté la ferme et s'est rendu chez son oncle pour s'y cacher.

[4]                Par la suite, le père a envoyé les deux garçons ailleurs : le frère du demandeur au Qatar et le demandeur au Rajasthan. Le père du demandeur a été arrêté à une autre reprise en 1989. Le demandeur a continué à se cacher jusqu'en septembre 1993. Il est alors retourné dans son village. Il a par la suite été arrêté en décembre et il a été détenu pendant environ deux mois. Il a été battu et torturé. Il a été libéré après que son père eut payé un pot-de-vin.


[5]                Le demandeur est retourné au Rajasthan pendant sept ou huit mois. À la fin de 1994, il est allé au Dubaï. En 1998, son frère est retourné en Inde en raison de la maladie de son père. Il a été arrêté, détenu puis libéré. Il est retourné au Qatar.

[6]                En mai 1999, le demandeur est retourné dans son village, mais les policiers ont fait une descente dans la maison et ils ont arrêté son cousin qui était resté sur la ferme familiale. Il a par la suite été assassiné. Le demandeur est retourné au Rajasthan et il a par la suite appris le décès de son cousin. En octobre 1999, il s'est rendu au Dubaï où il n'a pas obtenu le statut de résident permanent. À la fin d'août 2002, il était de retour en Inde et avec l'aide d'un agent il a quitté le pays pour venir au Canada le 25 septembre.

[7]                Le demandeur prétend que les policiers le recherchent encore en Inde. Depuis qu'il a reçu des coups, le demandeur a des problèmes de santé, principalement des problèmes d'ouïe et d'élocution et des pertes de mémoire.

[8]                Une évaluation psychiatrique du demandeur a été effectuée en août 2002 et le rapport a été fourni à la SPR.


[9]                À l'égard de la question de la crédibilité, la SPR a conclu que le demandeur exagérait et éludait les questions et qu'un bon nombre de ses réponses n'avaient aucun rapport avec les questions posées. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur n'était « pas cohérent » et qu'il était « marqué au coin de l'exagération » . La SPR a donné des exemples de contradictions.

[10]            Un autre problème quant à la crédibilité du demandeur a été soulevé lorsqu'on a traité de la demande d'asile de son frère aux États-Unis. On a relevé le fait que le demandeur n'était pas mentionné dans la demande. L'omission d'avoir mentionné le demandeur donne à penser que son récit peut être une invention. La SPR a parlé au frère du demandeur et l'a questionné à l'égard de son omission d'avoir mentionné le demandeur dans sa demande. Il a répondu qu'à ce moment le demandeur était au Dubaï et qu'il ne voulait pas nuire à sa possibilité d'y rester. La SPR n'a pas accepté l'explication.

[11]            La SPR était en outre préoccupée par la contradiction entre la preuve du demandeur et celle de son frère à l'égard du décès de leur cousin. Elle a conclu qu'une telle contradiction était invraisemblable. De plus, elle a mis en doute l'omission du demandeur d'avoir donné une explication à l'égard d'un lien entre le meurtre de son cousin et ses propres problèmes avec les policiers.


[12]            Le demandeur soutient que les policiers le recherchent encore, mais lorsqu'il a témoigné à l'égard de l'arrestation de son frère en 1998, il a émis l'hypothèse que le but de la détention était l'extorsion. La SPR a conclu que cette hypothèse amoindrissait en outre la prétention du demandeur selon laquelle les policiers tentaient de les arrêter. La SPR a ensuite fait un commentaire selon lequel la preuve documentaire mentionne que maintenant les policiers en Inde ne s'intéressent plus tellement aux anciens militants.

[13]            La SPR a mis en doute le fait que le demandeur s'était réclamé à nouveau de la protection de l'État en 1999. Il a expliqué qu'il l'avait fait étant donné qu'il voulait vérifier la maison familiale, puisque ses parents étaient alors décédés, et qu'il avait l'impression que la situation était calme. Il est retourné une fois de plus en Inde en 2002 afin de prendre des dispositions pour son départ pour le Canada. La SPR a conclu que ces réclamations de la protection de l'État démontraient un manque de crainte subjective.

[14]            La SPR, commentant l'évaluation psychologique, a déclaré qu'elle accordait peu d'importance à cette évaluation puisqu'elle était convaincue que la personne qui avait effectué l'évaluation n'était pas objective et qu'elle était placée dans une meilleure position que cette personne pour apprécier la crédibilité étant donné qu'elle disposait d'un plus grand nombre d'éléments de preuve et qu'elle avait eu la possibilité d'examiner et de vérifier les prétentions du demandeur.


[15]            À l'égard de la question de la crédibilité, l'avocat du demandeur prétend que la SPR aurait dû prendre en compte les incapacités physiques du demandeur qui étaient évidentes. La décision mettait l'accent sur le fait que les réponses aux questions étaient évasives ou incohérentes, mais ne mentionnait pas les déficiences d'ouïe et d'élocution du demandeur qui auraient dû être évidentes à tous.

[16]            L'avocat du demandeur prétend en outre que les contradictions entre le témoignage du demandeur et celui rendu par son frère ne devraient pas être considérées comme douteuses puisque les explications fournies par le frère étaient tout à fait raisonnables étant donné que le demandeur vivait au Dubaï et qu'il ne voulait pas le mettre en danger ou le priver de quelque façon de la possibilité de résider dans ce pays.

[17]            L'avocat du demandeur a prétendu que la SPR a accordé une importance injustifiée à l'explication fournie à l'égard du décès du cousin. De même, il prétend qu'elle a mal interprété les faits touchant la question de savoir si le frère du demandeur était interrogé à l'égard d'activités se rapportant au militantisme plutôt qu'à l'extorsion.

[18]            L'avocat du demandeur, traitant de la question de la réclamation de la protection de l'État, émet l'hypothèse que la crainte subjective avait diminué quelque peu étant donné que le demandeur avait constaté que la situation était calme et qu'il ne sentait pas qu'il était menacé lorsqu'il est retourné dans son village en 1999. La SPR aurait dû conclure que ce que le demandeur avait subi dans le passé était de la persécution suffisante pour établir l'existence de motifs reconnus par la Convention.


[19]            Le défendeur en réponse mentionne que la SPR n'a pas omis de prendre en compte les incapacités physiques du demandeur. Les préoccupations de la SPR à l'égard de la crédibilité ne résultaient pas d'une mauvaise communication, mais plutôt des contradictions entre la version des événements faite par le demandeur et celle faite par son frère. La SPR a accepté le rapport psychiatrique, mais elle a choisi de lui accorder peu d'importance. Elle pouvait tirer les conclusions de fait qu'elle a tirées et ce que le demandeur prétend n'est pas suffisant pour démontrer que la décision est manifestement déraisonnable.

[20]            La SPR n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a traité de la question de la réclamation de la protection de l'État. Le défendeur prétend qu'elle n'a pas accepté la preuve à l'égard de l'incident de 1999. Elle a plutôt conclu que la preuve manquait de crédibilité. De plus, la SPR mentionne que le demandeur s'est réclamé à nouveau de la protection de l'État en 2002 après les événements allégués de 1999 lorsque le cousin a été arrêté et que le demandeur s'est enfui.


[21]            La crédibilité est la principale préoccupation dans le présent contrôle. Les deux parties s'entendent sur le fait que, lorsqu'il est traité de la crédibilité, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable. L'évaluation psychiatrique et l'état physique du demandeur ont été pris en compte. Il est évident, en lisant la transcription, que la SPR comprenait le demandeur sauf à l'égard de questions peu importantes. Il ne peut y avoir d'erreur susceptible de contrôle pour ce motif.

[22]            La SPR a conclu que le demandeur exagérait et éludait les questions et qu'un bon nombre de ses réponses n'avaient aucun rapport avec les questions posées. De nombreux exemples ont été mentionnés dans les motifs de la décision.

[23]            La SPR a conclu qu'il y avait des contradictions entre la preuve fournie par le demandeur et celle fournie par son frère. La SPR pouvait tirer cette conclusion et il s'agit d'une conclusion raisonnable. Ses explications étaient claires et elle a énoncé les motifs pour lesquels elle estimait que les déclarations du demandeur étaient invraisemblables.

[24]            Quant à la question de la réclamation de la protection de l'État, le demandeur est retourné en Inde à deux différentes reprises, soit en 1999 et en 2002. Même si on accepte sa version à l'égard de son retour en 1999 et le fait que sa crainte subjective était quelque peu amoindrie, il reste que le demandeur n'a offert aucune explication à l'égard de sa réclamation de la protection de l'État en 2002. Je partage l'opinion de la SPR selon laquelle cette réclamation démontre un manque de crainte subjective. Même si l'on peut dire que la SPR a été plutôt sévère et qu'elle a commis certaines erreurs mineures dans ses conclusions de fait, les erreurs n'étaient pas déterminantes dans la décision et n'étaient pas suffisantes pour que la Cour intervienne.


[25]            Les conclusions tirées par la SPR à l'égard de la crédibilité et de la réclamation de la protection de l'État n'ont pas été tirées de façon abusive ou arbitraire sans avoir tenu compte des éléments de preuve. Il est encore loisible à la Commission de ne pas croire ce qu'on lui raconte.

[26]            Il n'existe pas de question grave. La demande est rejetée.

« P. Rouleau »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                       

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                         IMM-8637-03

INTITULÉ :                                        BHUPINDER SINGH

       c.

       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

       DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 14 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DE L'ORDONNANCE :      LE 29 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :                  

Aleksandar Stojicevic                                                          POUR LE DEMANDEUR

Jonathan Shapiro                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maynard et Stojicevic

Avocats                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                 POUR LE DÉFENDEUR


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