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Date : 20041130

Dossier : IMM-3001-03

Référence : 2004 CF 1680

ENTRE :

                                        WILLIAM EDUARDO RAMIREZ GRUESO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent) dans laquelle celui-ci a conclu que la demande de protection du demandeur, en application du paragraphe 112(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1], devrait être rejetée parce que le demandeur n'avait pas fourni une preuve suffisante démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu'il était une personne à protéger. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 17 mars 2003.

LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur affirme qu'il est célibataire, citoyen de la Colombie, et qu'il est né le 2 mai 1974. Il est donc âgé de 30 ans.

[3]                En août 2000, il est venu au Canada et a formulé une demande d'asile. Il a fondé sa demande sur sa crainte d'être persécuté de la part d'une organisation de guérilleros gauchiste exerçant ses activités en Colombie et connue sous le nom d'Armée de libération nationale (l'ELN).

[4]                Le demandeur affirme qu'en février 1992, il a déménagé de Bogota à Yopal, une petite ville située dans les contreforts de la Colombie où les principales activités commerciales sont le pétrole et l'agriculture. Il a obtenu du travail dans l'industrie pétrolière et gazière et il a continué à travailler dans cette industrie jusqu'en août 2000.

[5]                Le demandeur affirme que l'ELN a été active dans la région de Yopal pendant toute la période où il y a résidé. Il ajoute qu'en mai 2000, l'ELN lui a demandé par lettre de contribuer, pour un montant important, à la cause révolutionnaire de cette organisation. On le menaçait du fait que, s'il ne se pliait pas à cette exigence, sa vie ainsi que celles de sa conjointe et de son enfant seraient en danger.


[6]                Le demandeur affirme qu'il a sollicité de l'aide et des conseils au bureau d'un procureur à Bogota. On ne l'a pas aidé. On lui a plutôt dit que, si les guérilleros communiquaient encore avec lui, il devait en aviser le bureau du procureur.

[7]                Le demandeur est reparti de Bogota pour retourner à Yopal. À la mi-juillet 2000, une personne qui s'est identifiée comme un membre de l'ELN a communiqué avec lui par téléphone. On lui a répété la demande d'appui financier pour la cause de l'ELN. Le demandeur était déterminé à ne pas satisfaire à cette demande. Il a engagé des gardes du corps pour se protéger et a échafaudé des plans pour quitter la Colombie. Le 1er août 2000, le demandeur a reçu une deuxième lettre de l'ELN. Dans cette lettre, il était avisé que, s'il continuait à ne pas collaborer, il serait considéré comme une [traduction] « cible militaire » s'il était toujours dans la région de Yopal après le 15 août 2000. Son vol pour le Canada s'ensuivit.


[8]                Dans une décision datée du 12 juin 2001, la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile du demandeur. La SSR a notamment conclu que : premièrement, il n'y avait aucune preuve indiquant que l'ELN considérait le demandeur comme une cible militaire; deuxièmement, l'ELN a tenté d'extorquer de l'argent au demandeur uniquement en raison du fait qu'il occupait un bon emploi et qu'il avait les moyens de payer et troisièmement, il n'existait aucun lien entre sa crainte d'être persécuté et l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la Convention. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire relativement à la décision de la SSR a été rejetée par une décision datée du 3 novembre 2001.

[9]                Le 19 juin 2001, le demandeur a présenté une demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Avec l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette demande a été convertie en une demande d'examen des risques avant renvoi (l'ERAR). C'est la décision sur cet examen qui fait l'objet du présent contrôle.

ANALYSE

[10]            Comme je l'ai fait remarquer, la décision faisant l'objet du contrôle concerne une demande qui a été convertie en une demande d'ERAR visant à obtenir la protection en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ce paragraphe se lit comme suit :


112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).


[11]            Les éléments de preuve qui peuvent être pris en compte dans le cadre d'une telle demande sont décrits à l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le passage introductif de l'article 113 et l'alinéa a) de cet article se lisent comme suit :



113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

[...]

                                                [Non souligné dans l'original.]

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

...

                                                                    [emphasis added]


Certains des éléments de preuve déposés au nom du demandeur dans le cadre de la demande ayant donné lieu à la décision faisant l'objet du contrôle ne constituaient pas « des éléments de preuve survenus depuis le rejet » de la demande d'asile du demandeur ni des éléments de preuve « qui n'étaient alors pas normalement accessibles » . L'agent d'ERAR fait remarquer qu'il a tenu compte de l'ensemble des documents présentés, malgré la restriction de l'alinéa 113a). Je suis convaincu qu'en ce faisant, il a agi correctement, compte tenu du fait que, à l'époque de la décision sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur, la Section du statut de réfugié n'avait pas compétence pour examiner les risques autres que ceux basés sur les motifs énoncés dans la Convention. Ainsi, les éléments de preuve présentés à l'agent d'ERAR aurait été des éléments de preuve « qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'[ils aient été] présentés [à la Section du statut de réfugié] au moment du rejet [ou avant] » par celle-ci[2].

[12]            Comme je l'ai déjà mentionné, l'agent d'ERAR a pris en compte l'ensemble des documents qui lui ont été fournis par le demandeur et son conseil. Plus loin dans la décision faisant l'objet du contrôle, sous la rubrique [traduction] « Risques personnels » , l'agent d'ERAR a écrit :

[traduction]

3. Le Country Report produit par les États-Unis (à la section 1.a) mentionne que les cibles habituelles de la guérilla sont les représentants élus locaux, les candidats à une charge publique, les enseignants, les dirigeants municipaux, les propriétaires d'entreprise, les paysans opposés aux activités militaires ou politiques de la guérilla, les leaders religieux, les membres des groupes indigènes et les dirigeants syndicaux. Rien n'indique que le demandeur fait partie de cette liste. Des éléments de preuve ont été produits, indiquant que le demandeur était employé par une société pétrolière et que l'ELN considérait ces sociétés comme des cibles militaires... mais les mêmes éléments de preuve n'indiquent pas que les guérilleros visaient les employés, se contentant plutôt de mentionner que les attaques contre les pipelines reprenaient;

4. Dans son FRP, le demandeur mentionne que les menaces des guérilleros le visent ainsi que sa famille. Je constate, à la lecture du dossier, que la conjointe de fait et l'enfant du demandeur sont retournés en Colombie il y a plus de deux ans et que rien dans la preuve ne démontre qu'ils sont toujours menacés.

En résumé, je suis d'avis qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve selon lesquels le demandeur est une cible personnelle de l'ELN en ce moment et que, selon la prépondérance des probabilités, il fut une victime isolée de la violence généralisée sévissant en Colombie.

[13]            L'agent d'ERAR semble ne pas avoir tenu compte du paragraphe suivant apparaissant dans la documentation dont il disposait et qu'il lui avait été présentée par le demandeur ou en son nom :

[traduction]


Les groupes de guérilleros de la Colombie ciblent l'industrie pétrolière depuis plus d'une décennie. Mais la récente vague d'assauts, dont notamment l'embuscade à l'encontre de troupes de l'armée protégeant les installations pétrolières, une augmentation rapide des bombardements de pipelines ainsi que l'enlèvement et le meurtre de travailleurs de l'industrie pétrolière, marque un changement décisif dans la guerre de longue date que les insurgés mènent contre l'État.[3]

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

Le commentaire précédent, du temps où le demandeur était à l'emploi de l'industrie pétrolière en Colombie, semble corroborer le récit du demandeur relativement aux menaces proférées contre lui et donner du poids à ses allégations, faites sous serment, selon lesquelles il était personnellement visé et qu'il n'était pas simplement une [traduction] « [...] victime isolée de la violence généralisée sévissant en Colombie » .

[14]            Bien que l'agent d'ERAR puisse avoir préféré une autre preuve documentaire dont il disposait à l'article précité, je suis convaincu que, ayant examiné l'ensemble des documents dont il disposait, il avait l'obligation de faire état de la citation précédente et d'expliquer pourquoi il l'avait rejetée, s'il avait vraiment fait un tel choix délibérément, compte tenu en particulier de son application directe et immédiate aux circonstances décrites par le demandeur.

CONCLUSION

[15]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision faisant l'objet du contrôle sera annulée et la demande du demandeur visant à obtenir un examen des risques avant renvoi sera renvoyée au défendeur pour nouvel examen.

[16]            À la fin de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, les avocats ont été avisés du résultat qui précède. Après consultation, aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. La Cour est convaincue que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui aurait un effet déterminant. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _            

                                                                                                     Juge                           

Calgary (Alberta)

Le 30 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-3001-03

INTITULÉ :                                           WILLIAM EDUARDO RAMIREZ GRUESO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 30 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

G. Michael Sherritt                                   POUR LE DEMANDEUR

Laura Dunham                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene                                         POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Morris A. Rosenberg                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20041130

Dossier : IMM-3001-03

Calgary (Alberta), le 30 novembre 2004.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                WILLIAM EDUARDO RAMIREZ GRUESO

                                                                                          demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision faisant l'objet du contrôle est annulée et la demande du demandeur visant à obtenir un examen des risques avant renvoi est renvoyée au défendeur pour nouvel examen.


Aucune question n'est certifiée.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _            

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.



[1]            L.C. 2001, ch. 27.

[2]               Voir : Mojzisik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 33 (QL), au paragraphes 7 et 16 à 21.

[3]            Dossier du tribunal, p. 000136, [Raza] Columbian Rebels on the Move, le mardi 12 août 1997.


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