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Date : 20030410

Dossier : IMM-57-02

Référence neutre : 2003 CFPI 423

Toronto (Ontario), le jeudi 10 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                                           SUN YUE

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Sun Yue est une jeune Chinoise qui voudrait venir étudier au Canada. Elle songe à étudier l'anglais et à suivre un programme de préparation universitaire au Canada, puis à demander son admission à l'université ici. Elle a demandé un visa d'étudiant en 2001, qui lui a été refusé parce qu'elle n'avait pas apporté la preuve qu'elle disposait de sommes suffisantes pour ses études.


[2]                 Mme Sun avait l'avantage d'avoir le soutien financier de ses parents, ainsi que celui d'une tante demeurant à Oakville (Ontario). Ses parents avaient des épargnes d'environ 33 000 $, et la tante disposait d'environ 70 000 $. Cette dernière a indiqué qu'elle logerait Mme Sun et qu'elle était disposée à assumer l'ensemble de ses dépenses.

[3]                 L'agent des visas avait des doutes sur les questions financières. Les parents de Mme Sun avaient de bons emplois en Mongolie intérieure, mais leurs salaires, même combinés, font qu'il aurait été difficile pour eux d'avoir pu épargner une importante somme d'argent. C'était la même chose pour la tante, qui gagnait environ 28 000 $ par an comme travailleuse de la santé. Dans une lettre datée du 12 novembre 2001, l'agent a donc demandé expressément à Mme Sun de produire des documents bancaires correspondant aux 18 mois antérieurs, à la fois pour ses parents et pour sa tante. Peut-être les documents bancaires en question allaient-ils montrer comment les sommes avaient pu s'accumuler dans les comptes respectifs. Manifestement, l'agent croyait que les fonds avaient pu être empruntés et déposés afin de le persuader que Mme Sun avait les moyens nécessaires pour ses études, même s'ils n'étaient pas réellement destinés à cette fin.


[4]                 Mme Sun a produit plusieurs documents en réponse à la demande de l'agent, notamment des lettres provenant des banques de la tante, qui mentionnaient que la tante avait accumulé les sommes dans son compte grâce à plusieurs dépôts à terme qui avaient commencé en 1998. Cependant, les documents ne répondaient pas entièrement à la demande de l'agent. Finalement, il a envoyé à la demanderesse, le 5 décembre 2001, une lettre où il précisait qu'il n'était pas convaincu que Mme Sun disposait de fonds suffisants pour subvenir à ses besoins au Canada. Ses notes confirment qu'il n'était pas convaincu que les sommes étaient suffisantes, « eu égard à la durée des études prévues » . Son affidavit explique sa préoccupation. Voici ce qu'il dit :

[Traduction] « Eu égard au revenu relativement faible des parents et de la tante au cours des deux dernières années, aux documents bancaires qui n'indiquent que des opérations bancaires récentes, enfin à l'absence d'explications précisant pourquoi des documents bancaires correspondant aux 18 derniers mois n'ont pas été produits à la suite de notre demande, je n'ai pas été convaincu que les sommes ainsi prouvées n'ont pas été empruntées uniquement à des fins de preuve. Je n'ai pas été convaincu que les sommes avaient été accumulées par la famille de la requérante et que ces sommes seraient à la disposition de Mme Sun pendant la durée de ses études au Canada. »

I. Points en litige

[5]                 La présente affaire soulève quatre points :

1. L'agent des visas a-t-il manqué au devoir d'équité parce qu'il n'a pas donné à Mme Sun une occasion suffisante de répondre à ses inquiétudes?

           2. L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a exigé une preuve des opérations bancaires effectuées au cours d'une période de 18 mois?

           3. Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision de l'agent des visas?


           4. L'agent des visas a-t-il commis une erreur sujette à révision lorsqu'il a dit que la preuve de l'existence de sommes suffisantes n'avait pas été faite?

[6]                 J'aborderai tour à tour chacun de ces points.

A. L'agent des visas a-t-il manqué au devoir d'équité parce qu'il n'a pas donné à Mme Sun une occasion suffisante de répondre à ses inquiétudes?

[7]                 L'agent des visas avait signalé clairement à Mme Sun, dans sa lettre du 12 novembre 2001, que des renseignements financiers complémentaires étaient nécessaires. Il lui a donné 30 jours pour produire ces renseignements, et elle a en effet présenté plusieurs documents. À mon avis, l'agent n'était pas tenu d'être plus précis sur la nature de ses doutes, ni n'avait l'obligation de soumettre la requérante à une entrevue (Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 440). L'agent s'est acquitté de son obligation de traiter équitablement Mme Sun.

B. L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a exigé une preuve des opérations bancaires effectuées au cours d'une période de 18 mois?

[8]                 Mme Sun a été priée à deux reprises de produire des registres bancaires couvrant une période de 18 mois, une fois lors de sa demande originale, puis dans la lettre de l'agent des visas datée du 12 novembre 2001.


[9]                 Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose la production de registres bancaires couvrant une période de 18 mois. L'alinéa 15(1)b) du Règlement sur l'immigration prévoit que toute demande d'autorisation d'étude doit être accompagnée « des documents voulus pour convaincre l'agent d'immigration que le requérant possède, sans qu'il lui soit nécessaire d'exercer un emploi au Canada, des ressources financières suffisantes » . Aucune forme particulière de documents ni aucune période particulière d'écritures financières ne sont expressément requises.

[10]            Si l'agent des visas avait refusé la demande de visa de Mme Sun uniquement parce qu'elle n'avait pas produit des écritures bancaires couvrant une période de 18 mois, je serais disposé à dire que l'agent a commis une erreur de droit. Cependant, la demande de l'agent se rapportait directement à l'obligation réglementaire de la demanderesse de prouver qu'elle disposait de moyens suffisants. L'agent n'a pas commis d'erreur en faisant cette demande.

C. Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision de l'agent des visas?


[11]            Le champ du contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas se rapportant à une demande de visa d'étudiant est manifestement restreint (Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 440), mais la question de savoir dans quelle mesure il est restreint est moins évidente. Certains précédents donnent à entendre qu'une intervention judiciaire ne s'impose que lorsque la décision de l'agent est manifestement déraisonnable (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 330), tandis que d'autres font état de la norme de la décision déraisonnable simpliciter (Yuan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 1356). Il serait évidemment souhaitable de régler cet aspect, mais il ne m'est pas nécessaire de le faire ici parce que l'affaire dont je suis saisi n'en dépend pas. Quelle que soit la norme retenue, la décision de l'agent ne peut subsister.

D. L'agent des visas a-t-il commis une erreur sujette à révision lorsqu'il a dit que la preuve de l'existence de sommes suffisantes n'avait pas été faite?

[12]            Mme Sun a produit des registres dignes de foi qui montrent que sa tante avait un emploi stable, un appartement en copropriété à Oakville et des dépôts bancaires dépassant 70 000 $. La tante était disposée à loger Mme Sun et à prendre la responsabilité complète des frais de son éducation. Mme Sun avait également le soutien financier de ses parents, qui avaient plus de 30 000 $ dans un compte bancaire.

[13]            La demande de Mme Sun mentionnait qu'elle ne demandait l'admission au Canada que pour une année. Certes, elle espérait pouvoir y rester plus longtemps pour le cas où elle aurait la chance d'être admise dans une université canadienne, mais cela nécessiterait un nouveau visa.


[14]            Le guide utilisé par les agents des visas dans le traitement des demandes d'autorisation d'étude semble adopter une approche raisonnable, même si ce guide n'est pas juridiquement contraignant (chapitre OP 10, Traitement des demandes d'autorisations d'étude). Il exige que l'étudiant dispose d'une somme d'au moins 10 000 $ pour une année d'études, plus les frais d'inscription (paragr. 3.3.4). Le guide demande aux agents de juger de la somme disponible en fonction uniquement de la première année d'études, même pour un programme étalé sur plusieurs années (paragr. 3.3.6). Il mentionne que la preuve des fonds disponibles peut prendre de nombreuses formes, par exemple :

           a)          lettre d'une institution financière canadienne indiquant que les fonds nécessaires pour la première année du programme d'études sont en dépôt à l'institution, au nom du requérant;

           b)          traite bancaire en monnaie convertible selon une somme égale aux fonds requis pour l'année universitaire à venir, traite qui sera payable conjointement à l'institution d'enseignement et au requérant;

           c)          attestation écrite d'une banque selon laquelle le requérant a des fonds suffisants et, le cas échéant, attestation des autorités de contrôle des changes selon laquelle le requérant sera autorisé à exporter une somme suffisante pour subvenir à ses besoins au Canada;

           d)          déclarations écrites de répondants au Canada indiquant qu'ils sont disposés et aptes à subvenir aux besoins de l'étudiant;

           e)          preuve d'acceptation dans un programme subventionné du gouvernement canadien tel que l'ACDI ou le MAECI (paragr. 3.3.9).

[15]            Le guide mentionne aussi que, si un agent a des doutes sur les moyens financiers de l'étudiant au-delà de la première année d'études, il ne doit pas pour autant rejeter la demande, mais doit limiter le visa à une période d'un an (paragr. 3.3.11).

[16]            Encore une fois, aucune de ces dispositions ne s'impose juridiquement au ministre ou aux agents des visas. Cependant, le guide donne des indications utiles qui permettent de dire si l'agent des visas a ici formulé des exigences qui étaient indûment onéreuses, au point de constituer une erreur sujette à révision.

[17]            Dans le cas de Mme Sun, il est clair que l'agent des visas évaluait sa demande comme s'il devait s'agir d'une longue période d'études. Ses notes révèlent qu'il n'était pas convaincu que les sommes disponibles étaient suffisantes « eu égard à la durée des études prévues » , et son affidavit dit la même chose. En réalité cependant, Mme Sun voulait simplement être admise pour un an. Il est difficile de voir un motif de préoccupation concernant les sommes dont elle allait disposer au cours de cette période.


[18]            L'avocat du ministre m'a signalé plusieurs précédents dans lesquels la Cour n'avait pas modifié les décisions défavorables qu'avaient rendues des agents des visas en raison d'une insuffisance des sommes disponibles. Cependant, dans ces cas, le requérant n'avait pour ainsi dire produit aucune preuve documentaire attestant qu'il disposait de sommes suffisantes (Ji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 786; Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 440; Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 1289). Ici, les pièces produites étaient nombreuses.

[19]            À mon avis, les doutes de l'agent des visas à propos des sommes dont allait disposer Mme Sun pour son programme d'études (c'est-à-dire pour un an) étaient injustifiés au vu de la preuve produite, et par conséquent sa décision de lui refuser une autorisation constituait une erreur sujette à révision. Cette demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, et la demande de visa d'étudiant présentée par Mme Sun sera réexaminée par un autre agent des visas. Il n'a pas été proposé de question à certifier, et aucune question n'est énoncée.

                                                                        JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et la demande de visa présentée par Mme Sun sera réexaminée par un autre agent des visas. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                  « James W. O'Reilly »          

                                                                                                                                                                Juge.                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-57-02

INTITULÉ :                                                     SUN YUE

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE LUNDI 7 AVRIL 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                           TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                  LE JEUDI 10 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

Mme Nancy Myles Elliot                                                                 pour la demanderesse

Mme Angela Marinos                                                                       pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Myles Elliot                                                                         pour la demanderesse

Avocate

Markham (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             Date : 20030410

                                                   Dossier : IMM-57-02

ENTRE :

SUN YUE

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT

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