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Date : 20060217

Dossier : T‑2016‑01

Référence : 2006 CF 223

Ottawa (Ontario), le 17 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

MICHAEL SEIFERT

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               On s’est rendu compte de deux interruptions dans la transcription après réception de la preuve dans le cadre d’une commission rogatoire, lesquelles résultaient de deux brèves coupures de l’alimentation électrique. Nul n’est à blâmer.

 

[2]               Il me faut néanmoins décider quelles sont les répercussions, le cas échéant, de ce problème. Le défendeur soutient qu’il y eu entorse à la justice naturelle et manquement à une exigence impérative des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/78‑172. Le paragraphe 89(4) des Règles prévoit que les sténographes doivent enregistrer « intégralement » les dépositions. Par conséquent, selon le défendeur, il me faudrait déclarer le procès nul. Il soutient qu’il faudrait, comme mesure de réparation subsidiaire, entendre de nouveau en entier la preuve recueillie par commission rogatoire, sinon interroger de nouveau les témoins dont la déposition n’a pu être toute enregistrée. Le demandeur soutient pour sa part que les interruptions étaient d’importance mineure et que les notes que j’ai prises lors de la déposition peuvent servir à combler les lacunes sans qu’il n’y ait de répercussions, ou très peu, sur l’instance dans son ensemble.

 

[3]               Je conclus qu’en l’espèce les interruptions ne devraient pas entraîner la nullité du procès, ni rendre nécessaire d’entendre de nouveau quelque élément que ce soit de la preuve recueillie par commission rogatoire. Je considère toutefois, dois‑je souligner, que les omissions ne sont pas sans importance. Elles pourraient avoir une incidence en effet sur le processus de recherche des faits. Je ne crois pas qu’il puisse s’agir d’une incidence grave, toutefois, étant donné la quantité des éléments de preuve recueillis dans la présente affaire, la minutie dont on a fait preuve lors de l’interrogatoire et du contre‑interrogatoire des témoins, particulièrement ceux dont la déposition a été recueillie par commission rogatoire, et les notes que j’ai prises lors des dépositions en cause.

 

[4]               Je joins à titre d’annexes A et B un résumé des notes que j’ai prises lors des dépositions, pendant les deux périodes où la transcription a été interrompue.

 

I.    L’étendue des interruptions

 

(i)  L’interrogatoire et le contre‑interrogatoire de Mme Luciano Menici

 

[5]               Selon le témoignage de Mme Menici, celle‑ci était détenue au pavillon des femmes du camp de prisonniers de Bolzano. Le 3 octobre 2005, l’avocat du demandeur a montré des photographies d’hommes à ce témoin et lui a demandé si elle reconnaissait l’un d’entre eux. Elle lui a dit que l’un d’eux était gardien au camp et se nommait « Misha ».

 

[6]               Elle s’est fait demander à 12 h 15 si on lui avait montré les photographies auparavant. Il y a alors dans la transcription une interruption qui dure jusqu’à 12 h 30, l’heure à laquelle a débuté la pause déjeuner. Le sténographe a noté que l’avocat du défendeur a commencé à contre‑interroger Mme Menici à environ 12 h 17. Les notes que j’ai moi‑même prises pendant que Mme Menici a témoigné de 12 h 15 à 12 h 30 sont jointes aux présentes à titre d’annexe A.

 

(ii)  Le contre‑interrogatoire de M. Mario Vecchia

 

[7]               M. Vecchia a déclaré dans son témoignage qu’il était prisonnier au camp de Bolzano. Il a décrit un incident survenu pendant sa détention, au cours duquel trois prisonniers ont été attachés à des poteaux. On lui a demandé pendant son contre‑interrogatoire où l’incident était survenu et l’endroit d’où lui‑même l’avait vu.

 

[8]               À 16 h 05 le 4 octobre 2005, l’avocat du défendeur a demandé à M. Vecchia : [traduction] « Et où se situait votre pavillon par rapport à […] eux? » Il y a alors eu interruption de la transcription. Lorsque celle‑ci a recommencé à 16 h 12, on interrogeait M. Vecchia au sujet d’une déclaration précédente. Les notes que j’ai prises pendant que M. Vecchia témoignait de 16 h 05 à 16 h 12 sont jointes à titre d’annexe B aux présentes.

 

II.   Les conséquences d’une interruption de la transcription

 

[9]               Les avocats des parties m’ont cité de nombreuses décisions où l’on traitait des conséquences de l’interruption d’une transcription, ou même de l’absence totale d’enregistrement. La plupart de ces décisions ne sont toutefois pas rigoureusement applicables parce qu’il s’agissait de situations où le droit d’une personne à un contrôle judiciaire ou à un appel était compromis faute d’un enregistrement complet de la preuve soumise à la cour ou au tribunal inférieur.

 

[10]           Telle n’est toutefois pas la situation dans la présente affaire. On ne m’a mentionné aucune décision précisant les conséquences de l’interruption d’un enregistrement constatée lors d’un procès. Cela pourrait bien venir du fait qu’habituellement pendant un procès, il serait relativement facile de corriger une omission en rappelant un témoin. Procéder ainsi serait toutefois fort difficile en l’espèce. Les témoins dont la déposition n’a pas été enregistrée en entier résident en Italie. Leur déposition a été recueillie par commission rogatoire en Italie parce qu’ils sont âgés et qu’ils ne peuvent venir témoigner au Canada. Retourner en Italie pour les interroger de nouveau ferait perdre beaucoup de temps et d’argent et ne serait pas commode. Je ne fais ces observations que pour montrer en quoi le présent cas se distingue d’un procès habituel, et non pour laisser entendre que des questions de coût ou de commodité suffiraient en soi pour ne pas accorder au défendeur la réparation qu’il sollicite. Si j’étais convaincu que le défendeur avait fait l’objet d’un déni de justice naturelle, j’imposerais la réparation appropriée. Les questions de coût ou de commodité seraient de peu d’importance.

 

[11]           Bien que les décisions invoquées ne soient pas rigoureusement applicables, je peux en tirer les principes directeurs qui suivent.

 

·                    « [C]e qui importe, c’est l’équité envers le défendeur » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, 2002 CFPI 269, [2002] 4 C.F. 584, (1re inst.) (QL), au paragraphe 19).

 

·                    Il n’y a aucun manquement à l’obligation d’enregistrer une déposition lorsque [traduction] « le matériel mécanique fonctionnait mal sans que quiconque en soit responsable » (R. c. Harvey, [1978] 2 W.W.R. 479, 39 C.C.C. (2d) 198, au paragraphe 3).

 

·                    C’est uniquement lorsqu’une règle prévue par une loi est ambiguë qu’un tribunal doit l’interpréter en fonction des normes subjectives du caractère raisonnable afin d’éviter des conséquences déraisonnables (R. c. Boylan, [1979] 3 W.W.R. 435, 3 Sask. R. 157, 8 C.R. (3d) 36, 46 C.C.C. (2d) 415).

 

·                 En contexte criminel, le non‑enregistrement d’une déposition à l’enquête préliminaire, une obligation prévue par la loi, priverait l’accusé de l’occasion de contester par voie de contrôle judiciaire la citation à procès. Cependant, si une partie de la déposition n’a pas été enregistrée en raison de la défaillance du dispositif d’enregistrement, la cour doit trancher s’il y a eu inobservation de l’obligation légale ou [traduction] « simplement observation imparfaite à laquelle il est possible de remédier » (R. c. Boylan, précité, au paragraphe 32).

 

·                    Malgré tout, les droits d’un individu ne [traduction] « peuvent dépendre du bon fonctionnement de machines » (R. c. Gaudet, [1981] 35 R. N.‑B. (2e) 512, 88 A.P.R. 152, au paragraphe 11).

 

·                    « Une audition par ailleurs équitable ne devient pas inéquitable parce qu’elle n’a pas été enregistrée; en d’autres termes, un compte rendu intégral des procédures n’est pas une condition préalable d’un bon procès ou d’un bon jugement » (Kandiah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. n° 321 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 7).

 

·                    Lorsque la loi exige un enregistrement, « la justice naturelle peut nécessiter la production d’une transcription ». Cependant, « cet enregistrement n’a pas à être parfait pour garantir l’équité des délibérations » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 81; Okeynan c. Canada (Pénitencier de Prince Albert), [1988] A.C.F. n° 261 (1re inst.) (QL), à la page 2; Desjardins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1989] A.C.F. n° 910 (1re inst.) (QL), à la page 6).

 

·                    « Un nouveau procès ne sera pas ordonné chaque fois qu’une transcription est incomplète » (R. c. Hayes, [1989] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 10).

 

[12]           Après avoir appliqué ces principes aux faits d’espèce, j’en viens à la conclusion qu’il n’y a pas eu atteinte au droit du défendeur à un procès équitable. J’admets l’argument du défendeur selon lequel le paragraphe 89(4) des Règles a un caractère impératif. Je n’estime toutefois pas que toutes les omissions dans l’enregistrement donnent lieu à la nullité du procès ou à la nécessité d’entendre de nouveau la preuve. Il y a lieu de tenir compte des faits de chaque affaire. En l’espèce, les interruptions sont relativement brèves et les notes que j’ai prises lors des dépositions en cause sont assez détaillées. Les droits et intérêts du défendeur seront respectés, en autant que sois conscient de la possibilité que de brèves interruptions dans la transcription de la déposition des deux témoins puissent influer sur le processus de recherche des faits et que je veille à ce que le bénéfice du doute soit accordé au défendeur si une ambiguïté quelconque découle de ces omissions.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande présentée par le défendeur pour que le procès soit déclaré nul ou pour que des éléments de preuve soient de nouveau entendus est rejetée.

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Annexe A

 

Notes sur la déposition faite par Mme Menici le 3 octobre 2005 entre 12 h 15 et 12 h 30

 

Interrogatoire par M. Brucker :

-         on lui a montré les photographies prises par le Dr Constantini

-         elle a facilement reconnu Misha (comme l’a fait son époux)

-         elle n’avait jamais vu ces photos auparavant

 

Contre‑interrogatoire par M. Christie :

Q :  Vous a‑t‑on demandé de faire une déclaration le 15 janvier 2000?

-         elle n’est pas sûre – on a communiqué avec elle avant 2000, mais elle ne sait pas exactement quand; ce pourrait être en 1998

-         à Brescia, la police politique l’a convoquée pour qu’elle parle du camp de concentration

-         elle n’est pas sûre de qui il s’agissait; ce n’était pas un carabinier; il était en tenue civile

-         elle n’a pas alors signé de déclaration, mais on lui a fait passer une entrevue

-         on ne lui a pas montré de photographies du camp ou d’individus

-         on ne visait qu’à établir si elle avait été à Bolzano

-         on a communiqué avec elle par téléphone

-         la brève conversation n’a pas été enregistrée

-         elle a dit à son interlocuteur qu’ils y avaient été

-         on lui a dit qu’on avait communiqué avec les membres de sa famille ayant résidé à Bolzano; elle a dit qu’elle les connaissait

-         on lui a demandé s’ils allaient témoigner; ils ont dit oui

Q : Avez‑vous jamais enregistré certaines de vos observations sur le camp entre 1945 et cette conversation?

-         non, mais elle a aidé un historien à relater son histoire et celle de son père

-         elle a été publiée par Mimo Francinelli à Brescia

-         elle a lu d’autres livres de lui

-         elle ne croit pas qu’il a écrit quoi que ce soit sur le défendeur

-         elle a lu la partie de son livre traitant de Bolzano

-         c’est un auteur crédible, parfaitement impartial

 

Q : On lui a remis une déclaration en italien qu’elle avait faite le 15 janvier 2000 (doc. 605) pour qu’elle la lise pendant la pause déjeuner.

Pause : 12 h 30

 

 

 


Annexe B

Notes sur la déposition faite par M. Vecchia le 4 octobre 2005 entre 16 h 05 et 16 h 12

 

Contre‑interrogatoire par M. Christie :

            Q :  Où étiez‑vous par rapport aux prisonniers attachés aux poteaux?

-         le témoin répète sa déposition antérieure quant à l’emplacement de son pavillon et des poteaux – à l’extérieur du pavillon des prisonniers dangereux

-         il se trouvait à proximité, pas à l’extérieur de son pavillon

Q :  Avez‑vous mentionné l’incident à quiconque entre 1944 et 1996?

- non

- il ne l’a pas mentionné en 1996 parce qu’on l’a interrogé au sujet de Haage

Q : Vous n’avez pas fait mention de deux Ukrainiens ou de ce qu’a dit Haage lors de votre 2e déclaration en 1996?

- n’a parlé d’eux que lorsqu’on l’a interrogé plus particulièrement sur les Ukrainiens

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2016‑01

 

 

INTITULÉ :                                                   MCI

c.

SEIFERT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         LES 9 ET 10 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 FÉVRIER 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

                                                                        Barney Brucker            POUR LE DEMANDEUR

 

ouglas Christie                                                  Douglas H. Christie       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                                                                        Douglas H. Christie       POUR LE DÉFENDEUR

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

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