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Date : 20020508

Dossier : IMM-5258-00

OTTAWA (ONTARIO), le 8 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :

ALBERTO MIGUEL JANUARIO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision en date du 11 septembre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié n'a pas reconnu au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention;

ET APRÈS lecture des documents déposés et audition des observations des parties;

ET pour les motifs de l'ordonnance rendus aujourd'hui;


LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                    Aucune question ne sera certifiée.

« Dolores M. Hansen »

Juge

   

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


    

Date : 20020508

Dossier : IMM-5258-00

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 527

ENTRE :

ALBERTO MIGUEL JANUARIO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

Introduction     

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision, en date du 11 septembre 2000, de la Section du statut de réfugié (la SSR). Le demandeur, Alberto Miguel Januario, a revendiqué le statut de réfugié sur le fondement qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir les « jeunes hommes qui fuient la persécution dont ils font l'objet pour avoir déserté » .


[2]                 La SSR a conclu que le demandeur est exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison de l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La SSR a conclu qu'il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l'humanité. Le ministre défendeur a participé à l'audition et a présenté des observations écrites au sujet de l'exclusion du demandeur.

[3]                 La SSR a conclu que même si le demandeur n'était pas exclu en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour conclure qu'il y avait une possibilité raisonnable ou sérieuse qu'il soit persécuté pour l'un des motifs énoncés à la Convention.

Contexte

[4]                 Le demandeur est un citoyen de l'Angola âgé de 30 ans. Il a été enrôlé de force dans le Mouvement populaire de libération de l'Angola (le MPLA) en 1990. Il déclare qu'il a refusé une promotion au rang de sergent parce qu'il aurait été plus difficile pour lui de fuir l'armée s'il l'avait acceptée. Il dit avoir essayé de s'enfuir à quatre reprises, mais avoir été chaque fois attrapé, battu et tenu de travailler aux cuisines ou à la buanderie. En 1995, lors de la démobilisation de l'armée, il s'est finalement évadé.


[5]                 Après s'être caché chez lui pendant 17 mois, le demandeur s'est joint à la police nationale angolaise (la PNA), pour qui il a commencé à travailler comme gardien de prison en 1997. En 1998, on l'a muté aux forces régulières de police. En tant que gardien de prison, il avait, entre autres, pour fonction d'escorter les prisonniers qui allaient à leur interrogatoire ou à leur procès ou qui en revenaient. Il a, à l'occasion, participé avec des escadrons de la police à des opérations de maîtrise des foules. Au cours de ces interventions, il n'était pas rare que les policiers frappent des civils et les maltraitent, mais le demandeur maintient qu'il ne l'a jamais fait. En tant que policier, le demandeur a recherché, avec d'autres agents, des partisans de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (l'UNITA). Les autres policiers tiraient sur les personnes qui essayaient de s'enfuir. Le demandeur affirme qu'il n'a tiré sur personne. Comme il ne tirait pas sur ceux qui tentaient de s'évader, ses collègues n'ont pas voulu qu'il les accompagne lors des descentes subséquentes. De ce fait, on a exigé de lui qu'il rédige un rapport.

[6]                 Dans le rapport, le demandeur s'est plaint des actes de violence commis. Cela lui a valu de rencontrer le chef d'escadron et son supérieur. Le chef d'escadron a nié l'allégation du demandeur et lui a dit de tenir sa langue. Le demandeur déclare qu'il s'est évanoui quand le chef d'escadron lui a cassé le nez avec une crosse de fusil. Lorsqu'il a repris conscience, les policiers l'ont amené chez lui et l'ont menacé parce qu'il avait rapporté leur façon d'agir. Craignant pour sa vie, le demandeur a fui l'Angola à destination du Canada.


[7]                 Quand le demandeur est arrivé au point d'entrée canadien, il a tout d'abord été interrogé par une étudiante occupant un emploi d'été d'agente d'immigration (l'étudiante); un interprète portugais leur a apporté son aide par téléphone. Le portugais n'était pas la langue maternelle du demandeur. Au cours de cette entrevue, le demandeur a répondu affirmativement aux deux questions suivantes de l'Avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention :

32. L'intéressé(e) a-t-il(elle) associé ou participé avec un organisme ou mouvement qui utilise la violence ou conflit afin d'obtenir les objectifs politiques, religieux, ou sociaux?

34. En période de paix ou de guerre, l'intéressé(e) a-t-il(elle) déjà participé à la perpétration d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, c'est-à-dire de tout acte inhumain commis contre des populations civiles ou des prisonniers de guerre, par exemple, l'assassinat, la torture ou la réduction en esclavage, ou encore participé à la déportation de civils?

[8]                 Selon les notes de l'étudiante, le demandeur a déclaré, en réponse à une question portant sur la nature de la force utilisée : [TRADUCTION] « le gouvernement voulait que nous allions dans certains édifices où habitaient des membres de l'UNITA. Nous y allions la nuit et chassions les personnes de chez elles » . En réponse à une question concernant le nombre de fois qu'il avait utilisé son arme, le demandeur a déclaré : [TRADUCTION] « une fois ou deux, n'ai jamais blessé personne, ai tiré dans les airs, ai seulement tiré pour que les gens quittent l'endroit » .


[9]                 En raison des réponses affirmatives aux questions 32 et 34, un agent principal a continué l'entrevue avec un autre interprète, qui a, lui aussi, travaillé par téléphone. Dans ses notes, l'agent principal mentionne l'entrevue précédente effectuée par l'étudiante et déclare : [TRADUCTION] « l'intéressé a prétendu avoir torturé, dans le cadre de son travail à la prison, des prisonniers - donc plus un cas relevant du Bureau de traitement du cas des réfugiés. J'ai pris la relève et avec un autre interprète, Bibi Russell, ai confirmé tous les renseignements antérieurs qui avaient été recueillis par l'agente adjointe d'immigration » . Les notes indiquent aussi que le demandeur [TRADUCTION] « déclare avoir, sur l'ordre de ses supérieurs, torturé des personnes » .

[10]            À l'audience de la SSR, l'agent principal a témoigné qu'il a aussi posé la question 34 au demandeur et a reçu une réponse affirmative. Quand il a demandé au demandeur à quels actes décrits à la question 34 il faisait référence, ce dernier a répondu « torture » . L'agent principal n'a pas posé d'autres questions au demandeur concernant les actes de torture qu'il avaient perpétrés. L'agent principal a aussi témoigné que le demandeur a déclaré qu'il devait quitter l'Angola parce qu'il [TRADUCTION] « ne pouvait pas supporter la torture » .

[11]            À l'audience, le demandeur a nié avoir dit à l'agent principal qu'il avait infligé la torture et a maintenu que l'agent principal devait avoir mal compris ce qu'il disait. Le demandeur a aussi présenté en preuve un rapport d'expert préparé par Manuela Marujo dans lequel celle-ci a évalué la connaissance de la langue portugaise du demandeur. Mme Marujo a conclu qu'il était vraisemblable que le demandeur n'ait pas complètement compris la signification du mot « torture » à son arrivée au Canada.

La décision visée par le contrôle


[12]            La SSR a déclaré qu'elle préférait le témoignage de l'agent principal au rapport d'expert. De plus, compte tenu d'autres « problèmes de crédibilité » relatifs aux éléments de preuve présentés par le demandeur, la SSR a accepté le témoignage de l'agent principal en ce qui concerne l'aveu par le demandeur d'avoir infligé la torture.

[13]            À la lumière de la preuve documentaire, la SSR a conclu qu'il était invraisemblable qu'après avoir manqué quatre ou cinq fois ses tentatives de fuite du MPLA, le demandeur ait été battu et tenu de travailler aux cuisines ou à la buanderie. La SSR a noté que selon la preuve documentaire dont elle était saisie, le MPLA est impitoyable envers toute personne perçue comme étant un adversaire et a conclu qu'il serait plus vraisemblable que le MPLA frappe ou abatte ceux qui tentent de déserter.

[14]            Bien que le demandeur ait vu battre des gens et ait été témoin de viols, d'exécutions et d'extorsion d'argent de civils, il a affirmé n'avoir jamais torturé les soldats de l'UNITA et les civils qu'il avait capturés et n'avoir jamais participé aux exécutions. La SSR a conclu qu'il était difficile de croire qu'il n'ait jamais participé ni à la violence à l'encontre des prisonniers de l'UNITA ou des civils ni aux exécutions alors que, selon son propre témoignage, on lui a offert d'être promu sergent à la fin de 1992. La SSR a conclu que le demandeur s'est vu offrir une promotion parce qu'il avait rempli ses fonctions à la satisfaction de ses supérieurs.


[15]            La SSR a pris note de la preuve documentaire abondante au sujet des violations des droits de la personne auxquelles se livre le MPLA, notamment les exécutions extrajudiciaires de civils non armés, les viols et la brutalité à l'endroit des prisonniers de guerre.

[16]            La SSR a conclu que le demandeur est demeuré volontairement dans une organisation qui se livrait à des crimes contre l'humanité. Le tribunal a remarqué que lorsque, en 1991, l'occasion de se dissocier du MPLA s'est présentée au demandeur, il ne l'a pas saisie, alors qu'il savait que cette organisation violait les droits de la personne. Par conséquent, la SSR a conclu que le demandeur était complice des crimes commis par le MPLA.

[17]            En ce qui concerne le travail du demandeur à la PNA, la SSR a conclu que le demandeur « s'est sciemment joint et associé à une autre organisation gouvernementale qui se livrait régulièrement à des violations des droits de la personne » . La SSR a pris note du témoignage du demandeur au sujet de son rôle au sein de la PNA et de la preuve documentaire abondante concernant la responsabilité de la PNA dans les exécutions extrajudiciaires, les viols, l'extorsion d'argent ainsi que son recours à la torture à l'époque où le demandeur était à son service. Le tribunal a conclu que le demandeur accomplissait son travail à la satisfaction de ses supérieurs, puisqu'on l'a muté de son poste de gardien de prison à un poste de policier en service actif. Pour ces motifs, le tribunal a conclu que le demandeur partageait un but commun avec la PNA et a donc été complice des crimes contre l'humanité que celle-ci a commis.


Les questions en litige

[18]            Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions au sujet de la conclusion de la SSR selon laquelle il était complice des crimes contre l'humanité commis par le MPLA. J'accepte la prétention du demandeur selon laquelle cette conclusion de la SSR ne résiste pas à un examen minutieux, mais, à mon avis, les questions déterminantes du présent contrôle judiciaire ont trait aux activités du demandeur pendant qu'il était membre de la PNA. Par conséquent, les présents motifs porteront sur les questions touchant à l'appartenance du demandeur à la PNA.

[19]            Le demandeur soutient que :

1) la SSR a mal interprété le rapport d'expert préparé par Mme Marujo;

2) la SSR a commis une erreur dans son analyse au sujet de la complicité du demandeur; et

3) la SSR n'a pas examiné les moyens de défense fondés sur l'obéissance aux ordres de supérieurs et la contrainte.

Analyse

Question 1: La SSR a-t-elle mal interprété le rapport d'expert?

[20]            Comme mentionné plus tôt, le demandeur a soumis à la SSR le rapport de Mme Marujo dans lequel celle-ci a évalué la connaissance que le demandeur avait de la langue portugaise. Dans son rapport, Mme Marujo a examiné la question suivante :

[TRADUCTION]                                                                                                                  Est-il vraisemblable que M. Januario n'ait pas compris la signification du mot « torture » au moment de son arrivée au Canada?

[21]            Se fondant sur des tests de compréhension orale, de conversation et de lecture, elle a conclu :

[TRADUCTION]                                                                                                                   Le mot portugais pour « torture » n'est pas un mot qui fait partie du vocabulaire de tous les jours d'une personne comme M. Januario, dont les compétences linguistiques sont inférieures à la moyenne. À mon avis, même si ses connaissances linguistiques sont adéquates pour exprimer en gros sa pensée, elles ne sont pas suffisantes pour lui permettre, par exemple, de demander des clarifications au sujet d'une question précise ou la signification d'un mot moins courant. Il est donc vraisemblable, en raison de sa capacité limitée de s'exprimer couramment dans la langue [portugaise], qu'il n'ait pas complètement compris la signification du mot torture quand il est arrivé au Canada.

[22]            Le demandeur prétend que la SSR a mal interprété ce rapport. Dans ses motifs, la SSR a dit :

John Willoughby, l'agent principal, a déclaré que le revendicateur lui avait précisé qu'en qualité de gardien de prison il avait été obligé d'infliger la torture. L'agent d'immigration a ajouté que lorsqu'il a demandé au revendicateur ce qu'il entendait en répondant « oui » à la question 34, ce dernier a répliqué qu'il avait dû fuir l'Angola parce qu'il ne pouvait pas supporter la torture. M. Willoughby a répondu affirmativement quand l'avocat du revendicateur lui a demandé si ce dernier lui avait expressément répondu qu'il avait infligé la torture. Quand l'avocat a soulevé la possibilité que la traduction prêtait peut-être à confusion, l'agent principal l'a catégoriquement nié, et a précisé que lorsqu'il a demandé au revendicateur ce qu'il entendait en répondant affirmativement à la question 34, s'il entendait « assassinat » ou « torture » , le revendicateur a répondu « torture » . Il a de surcroît réitéré que le revendicateur « avait même répondu qu'il avait torturé des personnes, et que ces paroles avaient même été enregistrées » . Le tribunal privilégie le témoignage de l'agent principal plutôt que l'opinion exprimée par Mme Manuela Marujo qui est contenue dans la pièce C-3 sur ce point.

Dans son Formulaire de renseignements personnels (ci-après « FRP » ), le revendicateur n'a jamais mentionné qu'il avait torturé des prisonniers. Au contraire, il a écrit dans son exposé circonstancié que lorsqu'il était dans la police, « la violence à l'égard de suspects innocents tourmentait ma conscience » , et qu'il avait « petit à petit questionné [ses] supérieurs au sujet des activités dont [il] avait été témoin » . Ses questions seraient semble-t-il la cause des problèmes qu'il a eus avec ses supérieurs. Le revendicateur a aussi nié pendant l'audience qu'il aurait affirmé aux agents d'immigration qu'il s'était livré à la torture. Il a plutôt déclaré qu'il avait seulement dit à l'agent d'immigration qu'il avait été gardien de prison. Le tribunal accepte le témoignage de l'agent d'immigration et lui accorde du poids compte tenu surtout des problèmes de crédibilité provoqués par la sortie inopinée par le revendicateur de la salle d'audience.


[23]            Le demandeur prétend que la déclaration de la SSR selon laquelle celle-ci « privilégie » le témoignage de l'agent principal, le préférant à l'opinion exprimée dans le rapport, donne à entendre qu'il y a une certaine contradiction entre les éléments de preuve de ces deux sources. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas de contradiction entre le rapport d'expert et le témoignage de l'agent principal et qu'ils abordent deux aspects différents de la preuve. L'essentiel du témoignage de l'agent principal est l'aveu du demandeur qu'il a infligé la torture. Le rapport porte, par contre, sur la compréhension du mot « torture » par le demandeur. Ce dernier plaide que le rapport se fondait sur le fait qu'il a dit « torture » en répondant à la question 34 et qu'il a soumis ce document pour démontrer qu'il n'avait pas compris la signification courante de ce mot. Par conséquent, sa réponse ne constituait pas un aveu de s'être personnellement livré à la torture.

[24]            Le demandeur souligne que les notes de l'étudiante indiquent qu'il a répondu « oui » à la question 34, mais indiquent aussi qu'il a nié toute implication personnelle dans la perpétration de violations des droits de la personne. De plus, l'agent principal n'a pas continué à interroger le demandeur après lui avoir demandé s'il voulait dire « assassinat » ou « torture » pour sa réponse à la question 34. Le demandeur prétend que le fait qu'il ait nié, à l'audience devant la SSR, avoir dit à l'agent principal qu'il avait personnellement infligé la torture était compatible avec la déclaration qu'il avait faite à l'étudiante. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas de fondement rationnel à la décision de la SSR d'accorder plus de poids au témoignage de l'agent principal qu'au rapport.


[25]            La SSR paraît avoir tiré deux conclusions en ce qui concerne les entrevues au point d'entrée. Premièrement, elle a accepté le témoignage de l'agent principal selon lequel il n'y a pas eu de confusion en raison de l'interprétation. C'est en ce sens que la SSR a préféré le témoignage de l'agent principal au contenu du rapport. Deuxièmement, la SSR a rejeté l'allégation du demandeur selon laquelle il a nié avoir dit à l'agent principal qu'il avait effectivement torturé des gens.

[26]            En ce qui a trait à la confusion possible découlant de l'interprétation, l'agent principal a catégoriquement nié, à l'audience devant la SSR, qu'un tel problème ait pu se poser. Il a déclaré au contre-interrogatoire qu'il aurait su si l'interprétation avait causé problème parce que le demandeur aurait demandé des clarifications comme la plupart des revendicateurs le font en présence de termes qui ne leur sont pas familiers.

[27]            Étant donné qu'il n'a pas continué à poser des questions au demandeur après lui avoir demandé s'il voulait dire « assassinat » ou « torture » dans sa réponse à la question 34, l'agent principal n'était pas en mesure d'évaluer si le demandeur avait compris la signification du mot « torture » . Le rapport ne porte cependant pas sur le doute soulevé par l'utilisation d'un terme non familier, mais sur la compréhension par le demandeur du mot « torture » . J'accepte l'argument du demandeur selon lequel, en ce sens, la SSR a mal interprété le rapport.


[28]            Le demandeur prétend que cette seule erreur suffit à justifier l'annulation de la décision. Dans ses observations écrites présentées à la SSR après l'audience, le ministre a reconnu que, compte tenu du témoignage du demandeur et de l'ensemble de la preuve, il était possible que le demandeur n'ait pas, lors de l'entrevue au point d'entrée, voulu dire qu'il avait personnellement commis des actes de torture. Il faisait, peut-être, référence aux incidents au cours desquels il a giflé et poussé quelques prisonniers ou aux interventions policières auxquelles il a participé avec d'autres policiers. Par conséquent, le ministre a choisi d'axer son argumentation sur la complicité du demandeur plutôt que sur son aveu. Il s'agit, à mon avis, d'une évaluation juste de la preuve.

[29]            De même, la SSR n'a pas, à mon avis, fondé sa conclusion d'exclusion sur ce qu'on allègue être un aveu suivant lequel le demandeur se serait personnellement livré à la torture pendant qu'il travaillait pour la PNA. La SSR a conclu, au contraire, que le demandeur était exclu parce qu'il était complice des crimes contre l'humanité commis par la PNA.

Question 2: La SSR a-t-elle commis une erreur dans son analyse au sujet de la complicité du demandeur?


[30]            L'avocat du demandeur a reconnu que son client s'était volontairement joint à la PNA et qu'il existe une preuve documentaire abondante au sujet des crimes contre l'humanité commis par cette organisation. Le demandeur déclare cependant qu'il a agi de façon légitime en tant que membre de la PNA et qu'il n'a pas joué un rôle actif dans les exactions de la PNA. À cet égard, le demandeur soutient que les faits dans la présente affaire sont semblables à ceux examinés dans l'arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.F.), dans lequel la Cour a déclaré qu'un acquiescement passif est insuffisant pour fonder une conclusion de complicité.

[31]            À mon avis, on peut distinguer les faits de la présente affaire de ceux de l'affaire Moreno, précitée. Dans Moreno, l'appelant avait été conscrit de force dans l'armée salvadorienne. On lui a ordonné une seule fois de garder un prisonnier qu'on devait interroger. Même s'il a observé des actes de torture pendant l'interrogatoire, il n'est pas intervenu parce qu'il pensait qu'on l'aurait tué. Peu après cet incident, il a déserté et a fui le Salvador. La Cour a examiné la question de savoir si le comportement de l'appelant satisfaisait au critère de la « participation personnelle et consciente aux actes de persécution » et a également souligné que la complicité repose sur l'existence d'un dessein commun poursuivi par le complice et l'auteur. Dans ses motifs, la Cour a fait observer que l'appelant n'avait aucune connaissance préalable des actes de torture qui devaient être perpétrés et n'avait pas aidé directement les tortionnaires, pas plus qu'il ne les avait encouragés à commettre l'infraction. L'appelant a aussi déserté dans un délai plutôt bref après avoir été recruté. La Cour a conclu que sa présence pendant la torture équivalait à un acquiescement passif et non pas à une complicité dans le crime contre l'humanité qui était commis.


[32]            En l'espèce, le demandeur s'est au contraire volontairement joint à la PNA. Même s'il était au courant des brutalités de l'organisation, il n'a pas démissionné parce qu'il craignait de se faire prendre et d'être envoyé au front. Il a témoigné qu'il a escorté des prisonniers qui allaient à leur interrogatoire ou à leur procès ou qui en revenaient, alors qu'il savait qu'on les torturait, et qu'il a participé, avec d'autres policiers, à des opérations de maîtrise des foules et à la recherche de personnes soupçonnées d'être partisanes de l'UNITA. Il a décrit un des incidents comme étant un massacre. Dans son FRP, le demandeur a déclaré :

[TRADUCTION]                                                                                                               Au cours de mon travail à la PNA, j'ai été de plus en plus exposé aux violations des droits de la personne qu'elle perpétrait. J'ai, à l'occasion, participé avec des escadrons à des opérations de maîtrise des foules, mais au lieu de maîtriser les gens, ils battaient les personnes au hasard et leur infligeaient de mauvais traitements sous prétexte qu'elles étaient des partisanes de l'UNITA. J'ai vu les escadrons attaquer des familles où il y avait des enfants et des vieillards et torturer des suspects innocents. Quand on faisait des prisonniers, ils ne survivaient souvent pas jusqu'au lendemain tellement ils étaient maltraités pendant l'interrogatoire. Ces opérations se sont même déroulées à des moments où la situation était relativement calme.

[33]            Il fait valoir aussi qu'en l'absence de preuve qu'un demandeur a personnellement commis des crimes contre l'humanité, comme dans le cas présent, le rôle qu'il a joué doit être examiné dans les motifs. À cet égard, le demandeur prétend que l'analyse de la SSR au sujet de sa complicité dans les crimes est viciée.

[34]            La position du défendeur est qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve qui appuient la conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur était complice des crimes contre l'humanité commis par la PNA.


[35]            Pour conclure qu'il y avait complicité du demandeur, la SSR a pris en considération les éléments suivants : la preuve documentaire portant sur les crimes contre l'humanité commis par la PNA; le fait que le demandeur a volontairement joint la PNA; le témoignage du demandeur au sujet de ses activités en tant que gardien de prison et policier; la mutation du demandeur d'un poste de gardien de prison à un poste de policier en service actif, ce qui indiquait qu'il accomplissait son travail à la satisfaction de ses supérieurs; et le fait que le demandeur n'a pas démissionné de la PNA même s'il était au courant de sa brutalité. Se fondant sur ces éléments de preuve, la SSR a conclu que le demandeur partageait un but commun avec la PNA et était donc complice des crimes contre l'humanité commis par celle-ci.

[36]            Bien que je sois d'accord avec le demandeur que la SSR aurait dû fournir plus de détails en ce qui concerne les actes précis ou les omissions sur lesquels elle s'est fondée pour conclure qu'un but commun était partagé, je suis d'avis qu'elle a adéquatement exposé, dans ses motifs, le fondement de sa conclusion. De plus, étant donné que le fardeau de preuve devant être satisfait est moindre que la prépondérance des probabilités et compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur en concluant à la complicité du demandeur.

Question 3: La SSR a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas les moyens de défense fondés sur l'obéissance aux ordres de supérieurs et la contrainte?


[37]            Le demandeur prétend que la SSR est obligée d'examiner les moyens de défense fondés sur l'obéissance aux ordres de supérieurs et la contrainte même s'il n'a pas soulevé ces arguments devant la SSR. Il incombe au demandeur de présenter, dans sa demande, tous les faits à l'appui de ces moyens de défense. Le demandeur insiste cependant sur le fait que le tribunal a l'obligation d'examiner les moyens de défense que ces faits soulèvent.

[38]            Après avoir examiné attentivement la transcription, je conclus que ces moyens de défense n'ont pas de fondement factuel. Par conséquent, la SSR n'a pas commis d'erreur à cet égard.

[39]            L'avocat du demandeur a soumis une question aux fins de certification au sujet des moyens de défense fondés sur les ordres de supérieurs et la contrainte. La question ne sera pas certifiée étant donné l'absence de fondement factuel.

[40]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Dolores M. Hansen »

Juge

  

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


             COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                           IMM-5258-00

INTITULÉ :                           Alberto Miguel Januario c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 13 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE HANSEN

DATE DES MOTIFS :                 Le 8 mai 2002

COMPARUTIONS :

M. Micheal Crane                      POUR LE DEMANDEUR

Mme Marissa Bielski                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Micheal Crane                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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