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Date : 20031126

Dossier : IMM-2861-02

Référence : 2003 CF 1392

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE           

ENTRE :

                                                    MAMUN HOSSAIN JOARDER

SONALI DIL AFROZ

MAHIYA NASRIN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande visant à obtenir le contrôle judiciaire, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, d'une décision en date du 22 mai 2002 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) a refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs prient la Cour d'ordonner le réexamen de l'affaire par un tribunal différemment constitué de la Commission.

Contexte

Introduction

[3]                 Le demandeur, Mamun Hossain Joarder (le demandeur), sa femme, Sonali Dil Afroz, et leur fille mineure, Mahiya Nasrin, sont des citoyens du Bangladesh. Ils sont arrivés au Canada le 29 septembre 2000 et ont revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention. Leur revendication était fondée sur les opinions politiques imputées au demandeur et sur son appartenance à un groupe social, le Parti nationaliste du Bangladesh (le PNB).

[4]                 Le demandeur affirmait qu'il était un joueur de soccer bien connu au Bangladesh. Après avoir joué au soccer pendant dix ans, il a décidé de prendre sa retraite en décembre 1999 et de retourner vivre à Chuadanga où il s'est installé avec sa famille. Il a décidé de faire de la politique. En février 2000, il s'est officiellement inscrit comme membre du PNB. Il a participé à diverses activités organisées par le parti et il a été invité à présenter des allocutions de motivation devant des jeunes pour les inciter à adhérer au parti.


[5]                 Le demandeur a déclaré qu'il avait été ciblé par la Ligue Awami (la Ligue), l'adversaire politique du PNB, en raison de ses succès comme membre du PNB et des efforts qu'il avait déployés pour accroître la popularité de son parti. Le demandeur a continué à travailler pour le PNB malgré les menaces proférées contre lui. En juillet 2000, des fiers-à-bras de la Ligue (pour reprendre le terme employé par le demandeur ainsi que par la Commission dans sa décision) ont saccagé le domicile du demandeur et ont dit à sa femme que ce serait pire la prochaine fois. Le demandeur a signalé l'incident aux autorités, mais aucune mesure n'a été prise. Au cours de la première semaine d'août 2000, le demandeur a reçu un autre appel au cours duquel le secrétaire de la Ligue à Chuadanga l'a menacé d'autres sévices s'il continuait à appuyer le PNB. Le 10 août 2000, des fiers-à-bras de la Ligue ont agressé le demandeur, qui a de nouveau fait appel à la police, qui a refusé d'intervenir. Un médecin a été appelé pour s'occuper de sa femme. Il s'est rendu au poste de police où on lui a fait comprendre que les policiers n'avaient aucune pouvoir sur les fiers-à-bras de la Ligue. Deux députés lui ont dit que la police refusait de les écouter. Le demandeur s'est caché après qu'on lui eut conseillé de le faire. Il s'est ensuite rendu à Dhaka, où on lui a dit que la police avait refusé de prendre des mesures contre les fiers-à-bras de la Ligue. À Dhaka, il a de nouveau été agressé par des fiers-à-bras de la Ligue. Lorsqu'il a appris que sa femme et sa fille avaient aussi été menacées, le demandeur a fui le pays avec sa famille en septembre 2000.

Décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié)

[6]                 Crédibilité


La Commission a estimé que la preuve présentée par le demandeur était vague, contradictoire, évasive et non plausible. Elle a conclu que le demandeur n'était ni crédible ni digne de foi. Tout en admettant que la popularité du demandeur comme joueur de soccer pouvait avoir joué un rôle en politique, la Commission s'est dite d'avis qu'il n'existait pas de preuve suffisante devant elle pour appuyer l'allégation du demandeur que des fiers-à-bras de la Ligue étaient encore à sa recherche plus de dix-sept mois après son départ du Bangladesh et plus de six mois après que son parti, le PNB, eut remporté les élections.

[7]                 Protection de l'État

La Commission a estimé que le demandeur bénéficierait d'une protection suffisante, compte tenu du fait que son parti formait le gouvernement au pouvoir et étant donné la situation sociale particulière qui existe au Bangladesh.

[8]                 Évolution de la situation

À l'époque où le demandeur a quitté le Bangladesh et est arrivé au Canada, la Ligue était au pouvoir. Le PNB a toutefois remporté les élections nationales d'octobre 2001. Reconnaissant que l'évolution de la situation dans un pays est une question de fait et non une question de droit, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté.


[9]                 Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, ainsi que les dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes, la Commission a déclaré que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'il existait une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés pour l'un ou l'autre des motifs énumérés dans la définition du réfugié au sens de la Convention. La Commission a par conséquent refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention.

[10]            La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Prétentions et moyens des demandeurs

[11]            Le demandeur affirme avoir une crainte subjective d'être persécuté. Il ajoute qu'il a déjà été victime de persécutions et qu'il risque fort d'être de nouveau persécuté.

[12]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en refusant de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en interprétant et en appliquant de façon erronée la définition que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2.


[13]            Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte des éléments de preuve testimoniaux et écrits qu'il avait présentés au sujet de sa crainte justifiée d'être persécuté au Bangladesh. Le demandeur ajoute que la Commission a commis une erreur en n'abordant pas les éléments de preuve suivant lesquels les partis politiques du Bangladesh n'hésitent pas à recourir à la violence pour persécuter leurs adversaires politiques. Le demandeur signale que la Commission a conclu que, comme la Ligue n'était plus au pouvoir, le demandeur pouvait s'attendre à une protection parfaite de la part de l'État à son retour au Bangladesh. Suivant le demandeur, la Commission n'a pas abordé et évalué la question du rôle politique joué par les fiers-à-bras.

[14]            Le demandeur affirme que les conclusions défavorables que la Commission a tirées étaient fondées sur une interprétation arbitraire et abusive des éléments de preuve portés à sa connaissance.

[15]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en estimant qu'il cherchait à passer sous silence le changement de gouvernement au Bangladesh comme le démontrait le fait qu'il avait soumis des documents sur les violences survenues après les élections.

[16]            Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire qui lui avait été soumise. Il soutient qu'il ressort de la preuve documentaire qu'il n'est pas survenu au Bangladesh de changement suffisamment fondamental pour qu'on puisse conclure que les motifs des craintes qui ont amené le demandeur à fuir le Bangladesh n'existent plus.

[17]            Suivant le demandeur, la décision de la Commission est fondée sur des conclusions de fait erronées qu'elle a tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont elle disposait. La Commission aurait commis une erreur en n'examinant pas tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Suivant le demandeur, la preuve soumise à la Commission ne lui permettait pas de tirer de façon raisonnable les inférences qu'elle a dégagées.

Prétentions et moyens du défendeur

[18]            Le défendeur affirme que les demandeurs n'ont invoqué aucun argument convaincant qui permettrait de conclure que les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité sont manifestement déraisonnables. Pour le cas où la Cour jugerait que les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables, les conclusions qu'elle a dégagées au sujet de la protection de l'État et de l'évolution de la situation au pays sont sans objet, étant donné qu'une conclusion négative au sujet de la crédibilité suffit pour régler le sort d'une demande, puisque l'élément subjectif de la définition du réfugié au sens de la Convention ne serait pas établi.


[19]            Le défendeur nie que la Commission ait conclu que le demandeur pouvait s'attendre à une protection parfaite de la part de l'État s'il devait retourner au Bangladesh. Lorsqu'on replace les propos de la Commission dans leur contexte, on constate que ce qu'elle voulait dire, c'est que personne - y compris le demandeur - ne peut s'attendre à une protection parfaite de la part d'un État et que la protection sur laquelle les demandeurs pourraient compter au Bangladesh est suffisante. Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission suivant laquelle les demandeurs n'avaient pas réussi à réfuter la présomption qu'ils pourraient se réclamer de la protection de l'État au Bangladesh n'était pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve.

[20]            Le défendeur affirme qu'il était raisonnablement loisible à la Commission d'en arriver à la conclusion qu'elle a tirée au sujet de l'évolution de la situation au pays, eu égard aux changements survenus au Bangladesh et à la situation particulière du demandeur.

[21]            Suivant le défendeur, les demandeurs n'ont soumis aucun élément de preuve ou argument convaincant pour réfuter la présomption suivant laquelle la Commission a tenu compte de l'ensemble des éléments de preuve qui lui avaient été présentés. Ils affirment que l'argument des demandeurs suivant lequel la Commission a fait fi de certains éléments de preuve ne saurait donc prospérer.

Questions en litige

[22]            Voici les points litigieux que les demandeurs ont exposés dans leur mémoire :


1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en refusant de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention en interprétant et en appliquant de façon erronée la définition du réfugié au sens de la Convention?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ignorant ou en interprétant ou en appliquant de façon erronée des éléments de preuve qui lui avaient été régulièrement soumis et qui corroboraient la thèse du demandeur suivant laquelle il craint avec raison d'être persécuté, ce qui justifie sa revendication du statut de réfugié?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'elle a tirées sans tenir compte des éléments de preuve qui lui avaient été présentés?

4.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne faisant pas reposer sa

décision sur la totalité des éléments de preuve dont elle disposait?

5.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à titre subsidiaire que la revendication du statut de réfugié du demandeur n'avait aucun fondement objectif?

6.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'appréciant pas la situation politique et l'évolution de la situation au pays en fonction des éléments de preuve dont elle disposait?

Dispositions législatives pertinentes

[23]            Voici un extrait du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

Analyse et décision

[24]            Première question

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en refusant de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention en interprétant et en appliquant de façon erronée la définition du réfugié au sens de la Convention?


La définition du réfugié au sens de la Convention que l'on trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration a été citée plus haut. Dans sa décision, la Commission a estimé que la preuve présentée par le demandeur était « vague, contradictoire, évasive et non plausible » . Elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible. La Commission a fondé cette conclusion sur certains facteurs et notamment sur le témoignage donné par le demandeur au sujet du rang qu'il occupait au sein du Parti, sur son témoignage au sujet des changements survenus dans son pays depuis son départ et sur son affirmation que les fiers-à-bras de la Ligue étaient toujours à sa recherche.

[25]            La norme de contrôle des conclusions de la Commission en matière de crédibilité est constante dans la jurisprudence de notre Cour. Ainsi que le juge von Finckenstein l'a récemment résumé dans le jugement Sivagnanam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1542, 2003 CF 1216 (au paragraphe 10) :

La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour n'interviendra que si la conclusion a été tirée de manière arbitraire, sur le fondement de conclusions de fait erronées et sans égard aux éléments de preuve (Aguebor c. Canada (M.C.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Bien que la Commission ne puisse fonder sa décision en matière de crédibilité sur des incohérences mineures et sans importance, les conclusions relatives aux contradictions, aux incohérences et aux imprécisions constituent « l'essentiel » de son pouvoir discrétionnaire (Giron c. Canada (M.E.I.), [1992] 143 N.R. 238 (C.A.F.)). Notre Cour fait donc montre d'un haut degré de retenue à l'égard de la conclusion que tire la Commission quant à la crédibilité en se fondant sur les incohérences dans la version d'un demandeur.

[26]            Dans l'arrêt Aguebor, précité, une décision citée par le juge von Finckenstein, la Cour d'appel fédérale a proposé quelques balises pour guider la Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[27]            Ainsi que la Cour l'a souligné dans les décisions Aguebor et Sivagnanam, précitées, la question à se poser dans le cadre d'un contrôle judiciaire n'est pas celle de savoir si la Cour serait parvenue à une conclusion différente de celle de la Commission au sujet de la crédibilité du revendicateur, mais bien celle de savoir s'il était raisonnablement loisible à la Commission de rendre sa décision au vu de l'ensemble de la preuve.

[28]            Rôle du demandeur au sein du PNB

À l'audience, le demandeur a déclaré qu'il était [traduction] « un membre de niveau moyen » pour ensuite affirmer qu'il était [traduction] « un simple membre » du PNB.

[29]            Évolution de la situation au Bangladesh

L'avocat du demandeur a demandé à celui-ci :

[traduction]

[...] Bon. Depuis que vous avez quitté le pays, quels sont les changements les plus significatifs qui y sont survenus à votre connaissance?


Le demandeur a répondu qu'on avait abaissé la photo du Père de la nation et qu'on avait adopté la Loi sur la sécurité publique. Pressé de questions par son avocat, le demandeur a signalé un autre changement, à savoir le fait que le PNB, le parti auquel il appartenait, avait accédé au pouvoir au Bangladesh. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas communiqué ce renseignement dès le départ, le demandeur a dit qu'il avait eu du mal à comprendre la question. La Commission a signalé dans sa décision que le fait que le demandeur avait répondu qu'un événement important survenu dans son pays était l'adoption de la Loi sur la sécurité publique montrait clairement qu'il avait compris la question, et elle a interprété sa réponse comme une tentative de dissimuler l'accession au pouvoir du PNB.

[30]            Crainte du demandeur pour l'avenir

La Commission a mis en doute la fiabilité de l'affirmation du demandeur suivant laquelle il craignait les fiers-à-bras de la Ligue s'il retournait au Bangladesh. La Commission a plutôt accepté les éléments de preuve documentaires suivant lesquels la police se range toujours du côté du gouvernement en place, qui est présentement dirigé par le PNB. La Commission a conclu qu'il serait très difficile pour des membres de la Ligue de causer du tort aux membres du PNB, qui forme maintenant le gouvernement.


[31]            Les conclusions de la Commission sur les questions susmentionnées ne justifient pas mon intervention. Il ne suffit pas que le demandeur ait depuis avancé d'autres explications pour justifier les réponses qu'il a données à l'audience et qui ont amené la Commission à tirer des conclusions négatives au sujet de sa crédibilité. Le demandeur ne m'a pas convaincu que les conclusions de la Commission sont arbitraires ou qu'elles reposent sur des conclusions de fait erronées ou que la Commission a par ailleurs ignoré certains des éléments de preuve dont elle disposait. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer ses inférences eu égard à l'ensemble de la preuve. J'estime donc que mon intervention n'est pas justifiée.

[32]            La Commission a également traité de la question de la protection de l'État. La Commission a notamment dit ce qui suit dans sa décision :

De l'avis du tribunal, la protection doit être appropriée. La protection parfaite n'existe pas. Une personne peut-elle s'attendre à une protection parfaite de la part des autorités?

Si j'ai bien saisi, ce que la Commission dit, c'est que le demandeur doit pouvoir compter sur une protection suffisante de la part de l'État. Cette façon de voir va dans le sens du raisonnement suivi par la Cour dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.) (QL). La Commission a conclu que le PNB, le parti du demandeur, forme le gouvernement au pouvoir. Étant donné qu'il ressort de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur lui-même que le parti au pouvoir peut compter sur les forces policières, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur pourrait bénéficier d'une protection suffisante de la part de l'État s'il devait retourner au Bangladesh. Je suis d'avis que, vu l'ensemble de la preuve dont elle disposait, la Commission pouvait raisonnablement en arriver à cette conclusion.


[33]            La Commission a examiné la question de l'évolution de la situation au pays indépendamment de son analyse de la crédibilité. Elle a cité l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.) et a rappelé que l'élément clé consiste à établir si le changement survenu dans la situation politique est réel et durable et non pas simplement passager et si ce changement a une incidence sur la situation précise du revendicateur. La Commission a décidé que, compte tenu de l'évolution de la situation politique au Bangladesh, le revendicateur n'avait plus raison de craindre d'être persécuté s'il devait retourner dans ce pays. À mon avis, cette conclusion ne justifie pas l'intervention de la Cour.

[34]            Le demandeur laisse entendre dans son affidavit que certains des problèmes qu'il a eus pour répondre aux questions qui lui ont été posées devant la Commission étaient imputables à la traduction. Après avoir examiné la transcription de la preuve, je ne suis pas de cet avis.

[35]            En somme, je conclus qu'au vu de l'ensemble de la preuve, il était raisonnablement loisible à la Commission de refuser de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur.

[36]            Questions 2 à 6

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ignorant ou en interprétant ou en appliquant de façon erronée des éléments de preuve qui lui avaient été régulièrement soumis et qui corroboraient la thèse du demandeur suivant laquelle il craint avec raison d'être persécuté, ce qui justifie sa revendication du statut de réfugié?

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments de preuve qui lui avaient été présentés?


La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne faisant pas reposer sa

décision sur la totalité des éléments de preuve dont elle disposait?

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant à titre subsidiaire que la revendication du statut de réfugié du demandeur n'avait aucun fondement objectif?

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n'appréciant pas la situation politique et l'évolution de la situation au pays en fonction des éléments de preuve dont elle disposait?

Je retiens l'analyse que j'ai effectuée pour la première question pour trancher les autres questions soulevées par le demandeur. Le demandeur n'a pas établi que la Commission avait ignoré ou interprété ou appliqué de façon erronée les éléments de preuve qui lui avaient été présentés. La Commission a affirmé qu'elle avait examiné l'ensemble de la preuve et mon examen du dossier appuie cette affirmation. Qui plus est, je ne vois aucune raison d'infirmer les conclusions de la Commission au sujet du bien-fondé de la crainte de persécution du demandeur ou sur son analyse de l'évolution de la situation au Bangladesh et ce, pour les motifs que j'ai exposés en réponse à la première question.

[37]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[38]            Aucune des parties n'a exprimé le souhait de me soumettre une question grave de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

[39]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

          « John A. O'Keefe »         

             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-2861-02

INTITULÉ :              MAMUN HOSSAIN JOARDER

SONALI DIL AFROZ et MAHIYA NASRIN

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le mercredi 28 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     Le mercredi 26 novembre 2003

COMPARUTIONS :

John M. Guoba

POUR LES DEMANDEURS

Greg G. George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John M. Guoba

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


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