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Date : 20030627

Dossier : T-238-02

Référence : 2003 CFPI 807

Ottawa (Ontario), le vendredi 27 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                                KATHY BUNKA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de grief désigné en application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, modifiée (la Loi), par laquelle a été rejeté le grief de la demanderesse qui alléguait que son employeur, le Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) a violé la convention collective en lui refusant sa rémunération d'intérim.


LES FAITS

[2]                La demanderesse est une agente du service extérieur au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et elle est classée aux groupe et niveau FS-01. Le 31 juillet 1999, dans le cadre d'une affectation par rotation, elle a commencé à remplir, sur une base intérimaire, une grande partie des fonctions d'un employé de niveau FS-02. Pour les motifs exposés ci-dessous, elle n'avait pas droit à une rémunération d'intérim au niveau FS-02 en vertu de la convention collective en vigueur en 1999. Le 31 août 2000, une nouvelle convention collective comportant une clause lui donnant droit à une rémunération d'intérim au niveau FS-02 a été signée entre le Conseil du Trésor et l'Association professionnelle des agents du service extérieur. Par suite de cette convention collective, la demanderesse a reçu une rémunération d'intérim pour le niveau FS-02 à partir du 31 août 2000.


[3]                La demanderesse affirme que la nouvelle convention collective lui donnait droit à une rémunération d'intérim de niveau FS-02 à partir de la date où elle a commencé à remplir ses fonctions intérimaires. Elle a déposé un grief sollicitant une rémunération rétroactive pour la période du 31 juillet 1999 au 30 août 2000, mais son employeur l'a lui a refusée. Le Conseil du Trésor a soutenu que la nouvelle convention collective n'était en vigueur qu'à partir du 31 août 2000 et qu'elle ne s'appliquait pas rétroactivement. L'affaire a été renvoyée à l'arbitrage en vertu de la Loi. La question soumise à l'arbitre de grief était de savoir si la demanderesse avait droit à une rémunération de niveau FS-02 à partir de la date à laquelle elle a commencé à remplir ses fonctions intérimaires ou à partir de la date à laquelle la nouvelle convention collective a été signée.

LES CONVENTIONS COLLECTIVES

[4]                La clause pertinente de l'ancienne convention collective qui traitait de la rémunération intérimaire était la clause 42.11 qui disposait :

42.11 Rémunération d'intérim

Le fonctionnaire qui est affecté à l'étranger ou au Canada, dans le cadre d'un système de rotation du personnel ne touche, en vertu du présent paragraphe, aucune rémunération d'intérim en raison de cette affectation. Cependant, si au cours de ladite affectation, il est tenu par l'Employeur d'exécuter et exécute effectivement sur une base intérimaire une grande partie des fonctions d'un poste d'un niveau de classification supérieur pour une période de plus de quinze (15) jours ouvrables consécutifs, il touche une rémunération d'intérim, calculée à partir de la date à laquelle il a commencé à remplir ces fonctions, comme s'il avait été nommé à ce niveau de classification supérieur, pour la période au cours de laquelle il assure l'intérim.

[5]                Les dispositions pertinentes de la nouvelle convention collective sont les clauses 42.08 et 44.02. Les extraits pertinents de ces deux clauses affirment :

42.08 Rémunération d'intérim

Le fonctionnaire qui est tenu par l'Employeur d'exécuter et exécute effectivement sur une base intérimaire une grande partie des fonctions d'un poste d'un niveau de classification supérieur pour une période de plus de quatre (4) jours ouvrables consécutifs, touche une rémunération d'intérim, calculée à partir de la date à laquelle il a commencé à remplir ces fonctions, comme s'il avait été nommé à ce niveau de classification supérieur, pour la période au cours de laquelle il assure l'intérim.

[...]


44.02 À moins d'indications contraires précises, la présente convention entre en vigueur à la date de signature.

DÉCISION DE L'ARBITRE DE GRIEF

[6]                L'arbitre de grief a commencé sa décision par une revue de l'historique de la clause 42.08. Il a noté que le remplacement de la clause 42.11 a été déclenché par la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada dans Leduc c. Conseil du Trésor (Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), [1999] C.R.T.F.P.C. no 109 (QL). Dans Leduc, le vice-président P. Chodos a décidé que les agents du service extérieur n'avaient droit à une rémunération d'intérim en vertu de la clause 42.11 que s'ils exécutaient effectivement les fonctions d'un poste d'un niveau de classification supérieur à celui qu'ils occupaient en raison de l'affectation par rotation. Cela s'appliquait même dans le cas où l'affectation par rotation était classifiée à un niveau supérieur à l'employé. Pour la demanderesse et les autres agents FS-01 affectés par rotation à des postes de niveau FS-02, la décision signifiait qu'ils n'avaient pas droit à une rémunération d'intérim pour cette affectation, à moins qu'ils n'aient effectivement exercé en grande partie les fonctions du poste classifié à un niveau supérieur à FS-02. L'arbitre de grief a conclu que la clause 42.08 visait à éliminer l'exception prévue à la clause 42.11 pour les agents du service extérieur participant à des affectations par rotation.

[7]                L'arbitre de grief s'est alors penché sur l'interprétation de la clause 42.08. Il a dit que le libellé de la nouvelle clause n'était _ ni ambigu ni obscur _ et qu'on n'avait pas besoin de tenir compte d'une preuve extrinsèque. Il a également noté qu'aucune des parties n'avait soumis une telle preuve et il a conclu à la page 11 de sa décision :

Mme Bunka était une FS-1 exécutant par intérim depuis le 31 juillet 1999 les fonctions d'un FS-2 dans le cadre d'une affectation par rotation et, jusqu'à ce que l'on rapporte le changement à l'issue des négociations, elle n'avait pas droit à une rémunération d'intérim en raison de l'aspect _ roulement _ de son poste. À la lumière du libellé des articles pertinents de la convention collective, j'estime qu'ils ne comportent pas d'application rétroactive.

En l'espèce, Mme Bunka n'est pas admissible à une rémunération d'intérim avant la date de signature de la convention collective (31 août 2000).

POSITION DE LA DEMANDERESSE

[8]                La demanderesse soutient que malgré sa conclusion que les dispositions n'étaient _ ni ambigu[ës] ni obscur[es] _, l'arbitre de grief a commis une erreur en considérant l'historique de la disposition, le fondement de sa négociation et la manière dont la dispositition antérieure aurait été interprétée. Elle soutient également qu'il n'y a aucune question de rétroactivité parce qu'au moment où elle a déposé son grief, la clause 42.08 figurait dans la convention collective. Subsidiairement, s'il y a une question de rétroactivité, alors les mots _ calculée à partir de la date à laquelle il a commencé à remplir ses fonctions _ qui figuraient dans la clause 42.08, permettent expressément une application rétroactive.


POSITION DU DÉFENDEUR

[9]                Le défendeur soutient que la preuve extrinsèque sur laquelle l'arbitre de grief se serait fondé, consistait simplement en des données historiques qui ont servi à expliquer la question qui opposait les parties. De plus, il soutient que la norme de la décision manifestement déraisonnable est applicable à la décision de l'arbitre de grief et que son interprétation de la clause 42.08 n'était pas déraisonnable. Le texte de la nouvelle convention collective était clair : les fonctionnaires n'avaient droit, pour aucune période antérieure à la signature de la convention, aux nouveaux avantages qui avaient été négociés.

ANALYSE


[10]            Je suis entièrement d'accord avec le défendeur. Au début de sa décision, l'arbitre de grief a simplement passé en revue les données historiques qui étaient à l'origine de la plainte et il ne s'est pas fondé sur une preuve extrinsèque lorsqu'il a examiné la clause 42.08. L'interprétation des dispositions d'une convention collective est une tâche qui relève de la compétence et de l'expertise d'un arbitre de grief et la question soumise au contrôle judiciaire est de savoir si l'interprétation de l'arbitre de grief était manifestement déraisonnable : Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la page 337; et Barry c. Canada (Conseil du Trésor) (1997), 221 N.R. 223, au paragraphe 4 (C.A.F.). La décision de l'arbitre de grief dans la présente affaire n'était pas manifestement déraisonnable. La clause 42.08 ne précise aucune date d'entrée en vigueur et ne comporte aucun langage explicite la rendant applicable à des situations qui existaient avant la signature de la nouvelle convention collective. Si les parties voulaient que la clause 42.08 s'applique pendant la période où l'ancienne convention était en vigueur et qu'elle supplante et annule la clause 42.11 de l'ancienne convention collective pendant cette période, la clause 42.08 aurait dû le prévoir expressément et l'aurait prévu expressément. Un effet rétroactif ne sera pas présumé à moins qu'il ne soit clairement prévu.

[11]            Le langage de la clause 42.08 peut être comparé à celui de la clause 42.03 de la nouvelle convention collective, qui prévoit un exemple du genre de langage utilisé pour appliquer expressément une disposition de manière rétroactive. Il affirme en partie :

42.03 Échelles de rémunération

a) Les échelles de rémunération indiquées à l'appendice _ A _ de la présente convention entrent en vigueur aux dates stipulées dans ladite convention.

b) Lorsque les taux de rémunération énoncés à l'appendice _ A _ ont une date d'entrée en vigueur antérieure à la date de signature de la convention, les conditions suivantes s'appliquent :

i) Pour les fins des sous-alinéas (ii) à (v), l'expression _ période de rémunération rétroactive _ désigne la période qui commence à la date d'entrée en vigueur de la révision rétroactive à la hausse des taux de rémunération et se termine le jour de la signature de la convention ou le jour où la décision arbitrale est rendue à cet égard;

[...]


[12]            En conséquence, la date d'entrée en vigueur de la clause 42.08 est régie par la règle générale contenue dans la clause 44.02. Cela signifie que la demanderesse n'a pas droit à une rémunération d'intérim pour le niveau FS-02 entre le 31 juillet 1999 et le 30 août 2000. L'arbitre de grief n'a commis aucune erreur en tirant une telle conclusion.

                                                                ORDONNANCE                

LA COUR ORDONNE que :

la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

_ Michael A. Kelen _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.

                                                                                                                                                           


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-238-02

INTITULÉ :                                                    KATHY BUNKA

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                      POUR LA DEMANDERESSE

Colleen Edwards                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)                                

Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada              


            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                      Date : 20030627

                                      Dossier : T-238-02

ENTRE :

KATHY BUNKA

                                                        demanderesse

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                 défendeur

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                        


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