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Date : 19990128


Dossier : IMM-2350-98

Entre :

     LEVITSKII, Vladimir,

     LEVITSKII, Igor, - et -

     LEVITSKII, Andrei,

     Partie demanderesse

Et:

     LE MINISTRE,

     Partie défenderesse

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire interjetée à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (le tribunal) rendue le 23 avril 1998, selon laquelle les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Vladimir Levitskii est le père d"Igor et Andrei Levitskii. Les trois requérants sont citoyens de la Russie. Ils revendiquent le statut de réfugié sur la base d"une crainte bien fondée de persécution en raison de leur nationalité juive.

[3]      Vladimir Levitskii occupait un poste d"inspecteur attaché à la Commission administrative de la région centrale de Sotchi en Russie. Ses problèmes ont commencé le 9 janvier 1996, lorsqu"il a découvert une fraude fiscale commise au sein d"une entreprise nommée Tour dirigée par un dénommé Chestopalov. M. Levitskii a rédigé un procès-verbal rendant compte de son enquête et imposant une amende. Le requérant a envoyé son procès-verbal à la Commission. M. Chestopalov l"a menacé de vengeance. Il a réitéré ses menaces quelques jours plus tard, en ajoutant ces mots: "Et il se révèle que tu es une gueule de youpin, tu te souviendras pendant longtemps de moi".

[4]      Le 15 janvier 1996, Vladimir Levistkii a été attaqué et battu par trois hommes qui l"ont traité de " gueule de youpin " et lui ont reproché d"avoir écrit le procès-verbal. Il a dû être hospitalisé à cause de cet incident. Le 1 er février 1996, il a déposé une plainte à la police pour voies de fait. Le 10 février 1996, il a été convoqué et interrogé par la police. Plus tard, il fut informé que le dossier en matière criminelle ne serait pas ouvert. Le 7 mars 1996, le requérant s"est plaint au département d"instruction de la Direction des affaires intérieures. Le chef du département a refusé de l"aider. Plutôt, il lui a dit d"aller se plaindre aux Israéliens.

[5]      Dans les jours qui ont suivi, M. Levitskii a reçu des menaces téléphoniques. Le 7 juillet 1996, lui et ses deux fils ont été attaqués et battus. Ils ont été invectivés d"avortons youpins. Tous ont dû être hospitalisés. Ils ont par la suite porté plainte à la police le 25 juillet 1996, en vain. L"enquêteur leur a dit de s"en aller, disant qu"il en avait marre des Juifs.

[6]      Au mois d"août 1996, un incendie d"origine criminelle a endommagé la voiture de service d"Igor Levistkii. Il a encore porté plainte à la police, sans succès. Les menaces téléphoniques ont continué. La famille Levitskii a dû déménager.

[7]      Le 14 septembre 1996, Andrei Levistkii a été attaqué et battu dans une discothèque. Le 1er mars 1997, Igor et Andrei ont été attaqués et battus à l"entrée de leur maison. Leurs agresseurs leur ont recommandé de "ficher leur camp à Israël tant que vous êtes encore en vie." Ils ont porté plainte à la police et ont décidé de déménager de Sotchi.

[8]      Munis de visas américains, Vladimir Levitskii et son fils Andrei sont allés aux États-Unis. Pour sa part, Igor, porteur d"un visa canadien, est venu directement au Canada.

[9]      Le témoignage des requérants était crédible. Cependant, le tribunal a décidé qu"ils n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention pour le motif qu"ils n"ont pu établir un lien entre la criminalité dont ils ont été victimes et l"un des cinq motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal s"est exprimé comme suit:

                 Le tribunal croit que le dossier de la famille Levitskii présente un cas de vengeance orchestré par le nommé Chestopalov, mécontent d"avoir été démasqué comme fraudeur. Le revendicateur, Vladimir Levitskii en est convaincu lorsqu"il écrit, en réponse à la question 37 du Formulaire de renseignements personnels (FRP), ceci : Je savais déjà que tout cela venait du directeur de la base Tour, Chestopalov. [...]                 
                 La volonté de vengeance de Chestopalov s"exprime à travers la voix de ceux qui agressent les membres de la famille Levitskii....La preuve documentaire au dossier indique que la Russie est gangrenée par la corruption et le crime organisé. Ceci a certainement facilité les plans criminels de Chestopalov.                 

[10]      À l"audience du 31 mars 1998, le revendicateur Vladimir Levitskii a reconnu que les agressions dont ils étaient victimes, lui et ses fils, résultaient de son travail d"inspecteur.

[11]      La question centrale de cette demande est de déterminer si le tribunal a erré en concluant que les actes dont ont été victimes les requérants n"étaient pas liés à leur nationalité juive.

[12]      Il existe une présomption selon laquelle le tribunal est présumé avoir considéré l"ensemble de la preuve avant de rendre sa décision. À moins que les requérants prouvent que la conclusion du tribunal était manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve présentée à l"audience, il n"y a pas lieu d"intervenir dans sa décision.

[13]      L"intimé a soulevé essentiellement qu"il n"y pas eu d"agression envers les demandeurs avant l"incident où il a dénoncé la fraude fiscale. Ce n"est qu"à compter de ce moment que les requérants ont été victimes d"agressions et victimes du manque de co-opération des forces policières. Lors de l"incident déclencheur, le directeur de l"entreprise Tour ne savait même pas que les requérants étaient juifs.

[14]      Je suis d"avis, au contraire, que le tribunal a erré en ne considérant pas la preuve dans sa totalité. En effet, la preuve documentaire démontre qu"il existe plusieurs organisations nationalistes russes en Russie qui agressent les minorités. Les requérants ont témoigné que chaque agression et refus de protection de la part de la police ont été accompagnés par des injectives raciales. Notamment, Vladimir Levitskii a raconté dans son formulaire de renseignements personnels ce qui suit:

                 On ne me laissait pas vivre ni travailler en paix. On me téléphonait à la maison et au travail, on me menaçait, ainsi que mes fils, de nous achever, l"engeance youpine, comme ils s"exprimaient. Mais je ne pouvais rien, et je n"avais pas chez qui demander la protection. La milice était elle-même contre les Juifs. Je savais déjà que tout cela venait du directeur de la base ATour, Chestopalov et que la milice, en le couvrant, était de mèche avec lui.                 

[15]      De même, les requérants, dans leurs formulaires de renseignements personnels, rapportent qu"ils ont été victimes de racisme avant l"affaire de la fraude fiscale. Igor Levistkii allègue qu"il a éprouvé des difficultés pendant son service militaire et durant sa recherche d"emploi en 1988 en raison de sa nationalité juive. Il raconte:

                 Pendant un certain temps je cherchais du travail, mais...on ne m"engageait pas: Nous n"avons pas besoin de Juifs, nous avons assez de problèmes sans eux. Finalement j"ai trouvé un emploi ... J"ai travaillé en paix jusqu"au moment où on a appris que j"étais d"origine juive.                 

[16]      Pour sa part, Andrei Levitskii raconte ce qui suit:

                 En juin 1993 je suis allé étudier la conduite automobile pour chauffeurs professionels. J"ai étudié pendant six mois, et j"ai terminé ces cours avec succès. Après les cours j"ai commencé à travailler dans une compagnie privée en qualité de chauffeur. Tout se déroulait de façon normale jusqu"au moment où on a appris que j"étais juif. Avant je travaillais sur un bon véhicule, mais après on m"a donné l"un des pires véhicules, et quand il se brisait, on m"acccusait en m"injuriant avec des paroles obscènes à cause de ma nationalité.                 

[17]      Il n"y a aucune indication que le tribunal ait considéré les actes discriminatoires subis par Igor, Andrei et Vladimir avant janvier 1996, ni les connotations raciales des agressions et des refus de protection des autorités. Il appartenait au tribunal d"examiner explicitement cette preuve afin de vérifier si les attaques contre les requérants sont motivées ou sérieusement amplifiées en raison de leur nationalité juive.

[18]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est retournée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle détermination.

                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 28 janvier 1999

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