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Date : 20050209

Dossier : IMM-5257-03

Référence : 2005 CF 211

ENTRE :

FAZLI RAMADANI

MIRADIJE RAMADANI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             

et

                                                                             

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                Voici mes motifs pour accueillir, à l'audience, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. Le 10 novembre 2003, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déclaré qu'il y avait eu désistement de la demande d'asile des demandeurs.


[2]                Les époux demandeurs sont des citoyens de l'ancienne Yougoslavie. Ils sont arrivés au Canada le 30 mars 2003 et ils ont promptement présenté des demandes d'asile. Les demandes ont été référées à la SPR le 10 avril 2003 et ce même jour, on a demandé à chacun d'eux de remplir un formulaire de renseignements personnels (les FRP). Les FRP devaient être présentés au plus tard le 8 mai 2003.

[3]                Incapables de parler anglais, les demandeurs ne pouvaient pas remplir eux-mêmes les FRP et ils ont sollicité l'aide d'un avocat qui leur avait été recommandé en raison de son travail antérieur auprès de réfugiés albanais et de sa capacité de communiquer en serbe (les demandeurs parlent le croate). Les demandeurs prétendent qu'ils ont rencontré l'avocat 20 jours avant l'échéance des FRP et que celui-ci les a assurés qu'on s'occuperait de tout. Les FRP remplis ont été signés le 21 mai 2003 et la SPR les a reçus le 22 mai, soit 14 jours après l'échéance. Aucune demande visant à proroger le délai pour le dépôt des FRP n'a été présentée à la SPR.


[4]                Le 22 mai 2003, la SPR a émis un avis de convocation qui faisait référence au défaut de la part des demandeurs de remettre leurs FRP remplis dans le délai de 28 jours et qui mentionnait que les demandeurs devaient comparaître devant la SPR le 24 juin 2003 afin de fournir une explication pour justifier ce défaut. L'avis mentionnait également qu'ils avaient le droit d'être représentés par un conseil lors de l'audience. Le 26 mai, leur avocat a télécopié une note à la SPR l'avisant que ses services avaient été retenus par les demandeurs mais qu'il n'avait pas encore reçu l'autorisation de l'aide juridique d'aller au-delà de la préparation d'une lettre d'opinion. Il a ajouté que s'il obtenait l'autorisation de procéder, le 24 juin ne lui conviendrait pas. Il a mentionné qu'il était disponible pour les 27 et 30 juin ainsi que pour les 2, 3, 4, 14, 15 et 16 juillet.

[5]                La SPR a examiné la demande contenue dans la note et l'a rejetée le 30 mai. L'inscription dans le dossier de demande pour justifier le rejet mentionne : [traduction] « Si le conseil n'est pas en mesure de se présenter, il devrait nommer un remplaçant » . Le dossier de demande contient également une inscription selon laquelle [traduction] « le conseil doit être informé de la décision de rejeter la demande d'ajournement » . Rien n'indique que les demandeurs étaient au courant de la demande de l'avocat ou du refus.

[6]                Le 16 juin, les demandeurs ont reçu une note de l'avocat à laquelle était annexé l'avis de convocation et qui les avisait qu'il n'avait pas encore reçu l'autorisation de l'aide juridique. Il a ajouté qu'il ne pourrait pas comparaître le 24 juin en raison de deux affaires judiciaires fixées ce jour-là à Brampton. Il a demandé aux demandeurs de comparaître et de demander un ajournement à une date à laquelle il serait disponible et aurait reçu l'autorisation de l'aide juridique.


[7]                Les demandeurs se sont présentés le 24 juin et ont soumis la note de l'avocat à la SPR. L'audience s'est tenue comme prévue. La SPR a conclu que les demandeurs n'avaient pas fait tout ce qui était nécessaire pour s'acquitter de leurs obligations concernant l'échéance du 8 mai 2003 pour la présentation de leurs FRP remplis. Bien que la SPR ait conclu que les actions de l'avocat étaient discutables - défaut de demander une prorogation du délai pour présenter les FRP, défaut de présenter les FRP dans le délai alloué et défaut de fournir une explication à la SPR indiquant les raisons pour lesquelles les FRP avaient été présentés en retard - la SPR a conclu que le fait d'avoir un avocat ne déchargeait par les demandeurs de l'obligation de présenter leurs FRP dans le délai prescrit. En l'absence d'une explication acceptable concernant le défaut de présenter les FRP dans le délai, la SPR a déclaré qu'il y avait eu désistement des demandes des demandeurs.

[8]                À l'audition de la présente demande, les demandeurs allèguent une violation des principes de justice naturelle pour deux motifs. Ils soutiennent que la demande d'ajournement n'a pas été examinée de manière adéquate et que le refus d'accorder un ajournement les a dans les faits privés de leur droit à un avocat. D'autres motifs invoqués dans les observations écrites ont été (correctement) abandonnés.

[9]                À mon avis, les demandeurs doivent avoir gain de cause sur leurs deux arguments. En ce qui concerne leur demande d'ajournement qui n'a pas été examinée correctement, le seul facteur pris en compte par la SPR était que les demandeurs n'avaient pas reçu l'aide juridique. La Commission a fait observer que rien ne garantissait que l'avocat comparaîtrait en leur nom, même si un ajournement était accordé pour l'une des dates que celui-ci avait précisées. Nul ne conteste qu'il était approprié de tenir compte de ce facteur.

[10]            Toutefois, la SPR n'a pas tenu compte des autres facteurs dégagés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 151 N.R. 76 (C.A.F.) - la question de savoir si les demandeurs ont fait leur possible pour être représentés par un avocat lors de l'audience, le nombre d'ajournements déjà accordés (aucun en l'espèce), la faute ou le blâme à imputer aux demandeurs du fait qu'ils n'étaient pas prêts et la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement. La décision de ne pas ajourner a nui à la capacité des demandeurs d'être représentés par un avocat lors de l'audience de justification. Les conséquences d'une décision de désistement sont importantes. Elle termine une demande sans examen de son bien-fondé, une mesure de renvoi conditionnel entre en vigueur et cela empêche un demandeur de solliciter l'asile à l'avenir.

[11]            À mon avis, la SPR doit, à tout le moins, mentionner qu'elle a pris en considération les facteurs pertinents énumérés dans l'arrêt Siloch, précité, avant d'en arriver à une décision défavorable. Son défaut de le faire constitue une erreur susceptible de révision. Je fais remarquer que mes collègues, la juge Heneghan et le juge O'Keefe, sont arrivés à une conclusion semblable dans les décisions Dias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 84, et Sandy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1468.


[12]            Concernant l'allégation selon laquelle le refus équivaut à un déni du droit à un avocat, je suis convaincue que les circonstances de l'espèce sont visées par le raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt De Sousa c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988), 93 N.R. 31 (C.A.F.) et du juge Rothstein, alors à la Section de première instance telle qu'elle était constituée, dans la décision Afrane c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 64 F.T.R. 1 (1re inst.). En gros, dans ces affaires, les demandeurs avaient été avisés par les avocats (dans des lettres qui leur ont été remises peu avant l'audience ou le jour de l'audience) que ceux-ci ne seraient pas disponibles pour l'audience. Lors de leurs audiences respectives, les demandeurs ont présenté ces lettres à la Commission à l'appui de leurs demandes d'ajournement. Dans chacun des cas, les demandes ont été refusées et les audiences se sont tenues sans avocat. Les décisions ont par la suite été annulées par les cours de révision au motif que les demandeurs avaient été privés de leur droit à un avocat et que cela constituait un manquement à l'équité procédurale et aux principes de justice naturelle.


[13]            Je n'irais pas jusqu'à dire que dans tous les cas, la simple production d'une lettre d'un avocat demandant un ajournement fait naître un droit à cet ajournement. La SPR est maîtresse chez elle et a le droit de contrôler sa procédure. Toutefois, elle doit, dans ses délibérations, soupeser les facteurs qui militent en faveur et contre l'ajournement demandé. Cela ne s'est pas fait en l'espèce. Il ressort clairement de la transcription que les demandeurs ont besoin d'être représentés, qu'ils souhaitaient être représentés et qu'ils désiraient obtenir cette représentation au moyen de l'aide juridique ou autrement. Bien que l'avocat du défendeur ait vaillamment essayé de défendre la décision en fournissant différentes raisons pour lesquelles la SPR aurait pu décider comme elle l'a fait, comme je l'ai déjà mentionné dans d'autres affaires, il faut conclure, d'une façon ou d'une autre, à l'existence des explications de la décision dans les motifs du décideur. La manière dont la SPR a traité la présente affaire équivalait à un déni du droit à un avocat.

[14]            Les avocats n'ont proposé aucune question en vue de la certification et ces faits n'en soulèvent aucune.

« Carolyn Layden-Stevenson »

                                                                                                                                                     Juge                             

Toronto (Ontario)

Le 9 février 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5257-03

INTITULÉ :                                                                FAZLI RAMADANI, MIRADIJE RAMADANI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 9 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 9 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Jack Martin                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Bari Crackower                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack Martin                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20050209

Dossier : IMM-5257-03

Toronto (Ontario), le 9 février 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

FAZLI RAMADANI

MIRADIJE RAMADANI

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             

et

                                                                             

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 26 juin 2003, dans laquelle la SPR a déclaré qu'il y avait eu désistement des demandes d'asile des demandeurs, est annulée et l'affaire est renvoyée à la SPR pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

« Carolyn Layden-Stevenson »

                                                                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

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