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     IMM-158-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     SUNTHARALINGAM SRITHAR,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

     La Cour fait droit à la demande de contrôle judiciaire. L'affaire sera renvoyée à un tribunal constitué d'autres membres pour nouvelle audition et réexamen.

                                 Danièle Tremblay-Lamer

                                         Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     IMM-158-97

ENTRE :

     SUNTHARALINGAM SRITHAR,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Le requérant est un ressortissant de Sri Lanka qui demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié lui a refusé le statut de réfugié au motif qu'il existe une possibilité de refuge viable dans son pays.

     Le requérant est un Tamoul de trente et un ans originaire du nord de Sri Lanka. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté s'il est renvoyé dans son pays d'origine du fait de ses opinions politiques présumées et de son appartenance à un groupe social (les jeunes Tamouls de sexe masculin qui sont enrôlés dans les forces armées par les LTTE).

     La version des faits du requérant est exposée dans son formulaire de renseignements personnels. En voici un bref résumé.

     Alors qu'il vivait dans son village natal de Myliddy, le requérant a été soupçonné par l'armée sri lankaise de faire partie de la guérilla rebelle, c'est-à-dire les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). Il a donc été arrêté et détenu à deux reprise par les autorités gouvernementales. À l'une de ces occasions, soit en mars 1985, il a également été battu.

     En juin 1990, alors que les combats entre l'armée et les LTTE s'intensifiaient à Myliddy, le requérant a décidé d'aller s'installer dans le village d'Ariyalai, qui est situé dans une zone contrôlée par les LTTE. Là-bas, le requérant a été contraint de travailler pour l'armée rebelle. Il a finalement été " enrôlé " par les LTTE et a reçu l'ordre de se présenter à leur camp le 30 octobre 1995. Comme le requérant n'avait pas l'intention de s'engager dans l'armée, il a décidé de s'enfuir de Sri Lanka.

     Par l'intermédiaire d'un mandataire, le requérant a pris des dispositions pour se rendre à Colombo et, de là, dans un pays sûr. Toutefois, avant même de pouvoir quitter le nord de Sri Lanka, le requérant a été arrêté à un poste de contrôle militaire à Vavuniya parce qu'il n'était pas muni de sa carte d'identité nationale. Malgré sa tentative pour expliquer qu'il avait perdu sa carte en 1989 et pour montrer le rapport de police qu'il avait obtenu en confirmation de cette perte, le requérant a été arrêté et interrogé. Il a été accusé d'être un membre des LTTE. Pendant sa détention, il aurait été battu. Il a été relâché après que le mandataire eut donné un pot-de-vin.

     La police n'a pas voulu délivrer au requérant le laissez-passer nécessaire pour se rendre à Colombo parce que le requérant représentait à son avis un risque pour la sécurité. Malgré tout, le requérant a pu, avec l'aide du mandataire, se rendre clandestinement à Colombo où il est demeuré caché jusqu'à son départ pour le Canada dix jours plus tard.

     Bien que la Commission ait reconnu que le requérant avait effectivement une crainte fondée de persécution dans le nord de Sri Lanka, elle a également conclu qu'il avait une possibilité de refuge viable dans la capitale de son pays, Colombo. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a correctement exposé le critère applicable pour déterminer s'il existe une possibilité de refuge intérieur, tel qu'il est énoncé dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)1 et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)2.

     En ce qui concerne la première partie du critère, la Commission était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existait aucune possibilité raisonnable ou sérieuse que le requérant soit persécuté à Colombo. Premièrement, la Commission n'était pas convaincue que le personnel militaire à Vavuniya avait sérieusement soupçonné le requérant d'être un terroriste. Au soutien de sa conclusion, la Commission a noté que le requérant avait été libéré après trois jours de détention sur paiement d'un pot-de-vin. La Commission a estimé que si l'armée avait réellement considéré le requérant comme un terroriste, elle se serait occupée de lui plus sérieusement qu'elle ne l'a fait. Elle a donc conclu que le requérant avait été arrêté dans un but d'extorsion.

     Deuxièmement, la Commission n'était pas convaincue que le requérant s'exposerait à plus qu'une simple possibilité de persécution à Colombo. Bien que la Commission ait reconnu que les Tamouls récemment arrivés à Colombo, en particulier les jeunes Tamouls originaires du nord du pays, sont souvent arrêtés par les autorités à Colombo, elle a également conclu que cela ne constitue pas automatiquement une persécution. Il ressort en fait de la preuve documentaire que les jeunes Tamouls sont arrêtés dans le but d'établir leur identité. Une fois que leur identité a été établie, ils sont relâchés. Dans la majorité des cas, la détention est de courte durée. Selon la Commission, il s'agit d'une mesure légitime mise en place par un gouvernement qui tente de lutter contre le terrorisme.

     Compte tenu de ce qui précède, la Commission a conclu que si le requérant pouvait décliner correctement son identité aux autorités, ce qu'il pourrait faire en présentant son certificat de naissance aux autorités ou en obtenant un passeport valable par l'entremise de l'ambassade de Sri Lanka au Canada, il ne serait pas déraisonnable pour lui de chercher refuge à Colombo.

     Les conclusions de la Commission peuvent paraître raisonnables à première vue, mais, à mon sens, il n'était pas raisonnablement loisible de les tirer compte tenu de la preuve. J'arrive à cette conclusion parce que la Commission n'a pas traité dans sa décision le refus de l'armée de délivrer au requérant un laissez-passer pour se rendre à Colombo. En réalité, le requérant a reçu l'ordre de ne pas se rendre à Colombo. Il s'agit d'un élément de preuve très important. En n'analysant pas les répercussions possibles de ce fait sur le traitement que les autorités de Colombo accorderont au requérant dans le futur, la Commission n'a pas tenu compte des circonstances particulières du requérant et de la façon dont elles se rapportent à la preuve documentaire. Comme je viens de le mentionner, la preuve documentaire révèle que la majorité des Tamouls récemment arrivés à Colombo sont détenus pendant une courte période dans un but d'identification, puis sont relâchés. Toutefois, qu'en est-il des jeunes Tamouls qui sont à Colombo dans des circonstances similaires à celles du requérant, c'est-à-dire les jeunes Tamouls auxquels les mêmes autorités ont déjà refusé la permission de s'établir dans la ville? Est-il raisonnable de croire qu'après avoir établi leur identité, ces Tamouls seraient eux aussi relâchés? La Commission n'a jamais examiné ces questions, ni tenté d'établir une distinction entre les éléments de preuve documentaire. Cette omission constitue une erreur de droit.

     J'appuie ma conclusion sur les remarques faites par mon collègue le juge McKeown dans l'affaire Jeyachandran c. Procureur général du Canada3 qui a réglé une affaire similaire d'une manière similaire. Dans l'affaire Jeyachandran, le requérant était également un Tamoul originaire du nord de Sri Lanka. Il avait été arrêté à Colombo, détenu et relâché par suite du paiement d'un pot-de-vin. Les autorités l'avaient également averti de retourner à Jaffna et de ne pas revenir à Colombo. Dans son analyse de la décision de la Commission, le juge McKeown a déclaré que le fait de n'avoir tenu aucun compte des circonstances particulières du requérant équivalait à une erreur de droit :

     Nul doute qu'il appartient à la Commission d'évaluer les éléments de preuve; cependant, elle a négligé en l'espèce, d'établir, comme je l'ai dit ci-dessus, une distinction entre les preuves documentaires dont elle était saisie, pas plus qu'elle n'a fait le lien entre la preuve présentée et la situation particulière du requérant. J'estime que la Commission n'a pas tenu compte dans ses conclusions de la déclaration des autorités policières de Colombo indiquant que l'intéressé devait retourner à Jaffna sans jamais revenir à Colombo. Par ailleurs, elle n'a pas examiné cette déclaration en regard de la question de protection de l'État, ni des preuves documentaires montrant que les Tamouls du Nord et ceux de Colombo étaient différemment traités4.         

     J'ai également une autre réserve au sujet de la décision de la Commission. Cette réserve se rapporte à l'affirmation de la Commission que l'extorsion dont le requérant a été victime de la part du personnel militaire à Vavuniya était attribuable à la corruption policière et ne constituait pas des motifs de persécution. La Cour a déjà statué que l'extorsion peut effectivement constituer une persécution. Toutefois, pareille conclusion dépend des faits de l'espèce. C'est une question de fait qui doit être déterminée par la Commission à la lumière de tous les éléments de preuve.

     En l'espèce, je conviens que l'argent réclamé au requérant par l'armée ne constitue pas une persécution antérieure puisque les circonstances de l'espèce ne révèlent pas que le requérant a, d'une manière générale, fait l'objet de menaces ou de blessures corporelles5. Au contraire, comme la Commission l'a déclaré à bon droit, l'expérience qu'a vécue le requérant aux mains du personnel militaire à Vavuniya était un fait isolé. Toutefois, je conclus également que la Commission n'a pas examiné la question de la persécution ultérieure dans un but d'extorsion. Cette omission constitue une erreur de droit, comme l'a fait remarquer le juge Gibson dans l'affaire Velauthapillai c. Canada (Procureur général)6 :

     Je conclus que la SSR a commis une erreur de droit, quelque ait été son analyse relativement à une tentative antérieure d'extorsion à l'égard de la requérante, en ne se demandant pas si la requérante, si elle devait retourner dans le nord du Sri Lanka, serait victime d'autres tentatives d'extorsion et de menaces liées, et si ces tentatives et menaces, dans les conditions qui existaient dans le nord du Sri Lanka au moment où la SSR a rendu sa décision, entraîneraient une forte possibilité que la requérante soit persécutée aux mains des LTTE.         

     La Commission aurait dû examiner la preuve documentaire afin de déterminer si le requérant risquait vraisemblablement d'être victime d'extorsion dans le futur.

     Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincue qu'il faut faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il n'y a pas lieu d'examiner la question du caractère raisonnable de la possibilité de refuge intérieur. Les erreurs mentionnées plus haut sont suffisantes en elles-mêmes pour annuler la décision de la Commission. Par conséquent, l'affaire sera renvoyée à un tribunal constitué d'autres membres pour nouvelle audition et réexamen.

     À la fin de l'audience, l'avocat du requérant a demandé que les deux questions suivantes soient certifiées.

     La question de savoir si, lorsque la protection de l'État devrait être accordée à un réfugié déplacé dans son pays, l'extorsion pratiquée par les force de sécurité nationale réfute la présomption que l'État accordera vraisemblablement une protection.         
     La question de savoir si l'ordre donné par les forces de sécurité nationale à un réfugié déplacé dans son pays de retourner dans la région dont il s'est enfui réfute la présomption que l'État accordera vraisemblablement une protection.         

     L'avocat de l'intimé n'était pas favorable à la certification. Je souscris au point de vue exprimé par l'avocat de l'intimé. Aucune question ne sera certifiée.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 octobre 1997

                                 Danièle Tremblay-Lamer

                                         Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-158-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Suntharalingam Srithar c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 7 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER en date du 10 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Raoul Boulakia                      POUR LE REQUÉRANT

M. Jeremiah Eastman                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Raoul Boulakia                      POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      [1992] 1 C.F. 706 (C.A.).

     2      [1994] 1 C.F. 589 (C.A.).

     3      (30 mars 1995), IMM-779-94 (C.F. 1re inst.).

     4      Ibid., à la p. 4.

     5      Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129, à la p. 134 (C.A.F.).

     6      (1994), 88 F.T.R. 315, à la p. 318 (1re inst.).

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